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1 juin 2019 6 01 /06 /juin /2019 11:32
Twin Peaks: The Return (Saison 3)

La raison la plus communément admise pour expliquer les défauts et faiblesses de certains épisodes de la 2° saison de Twin Peaks (surtout dans sa 2° partie), est que Lynch et Frost n’ont pas été aussi impliqués dans la série qu’ils ne l’étaient auparavant.  La chaîne leur a ordonné de révéler le nom du coupable à mi-saison, pour faire remonter les audiences, alors qu’eux ne voulaient le faire qu’à la fin (voire ne pas le faire du tout et laisser planer le mystère). Déçus d’avoir perdu le contrôle de leur création, ils ont privilégié d’autres projets et ont délégué au maximum (Lynch réalisant tout de même le – fou et génial - dernier épisode).

Le coup classique : des artistes audacieux brimés par des producteurs frileux, et c’est l’œuvre qui en pâtit… Logiquement, rien de tout cela dans la saison 3, puisque Lynch a réalisé lui-même tous les épisodes, et, avec Frost, ils ont eu un contrôle total sur la série. Et pourtant… cette saison 3, il faut bien l’avouer, est aussi inégale que la saison 2. Comme quoi, si des producteurs peuvent plomber une œuvre, laisser les mains libres à des artistes – même de génie - n’est bien entendu pas suffisant pour garantir la qualité d’une œuvre. Il n’y a pas – enfin, pas toujours – de gentils artistes luttant contre de méchants producteurs, parfois, le droit de veto d’un producteur peut avoir du bon (Harvey, reviens, ils sont devenus fous !)

Une saison 3 inégale, donc, mais ce ne sont pas les passages les plus obscurs, expérimentaux et barrés qui en sont la cause. Ils sont au contraire parmi ce que la série propose de plus fascinant (ah, ce fabuleux – et monstrueux – épisode 8…) Que Lynch et Frost aient le contrôle ou pas, ce sont, comme dans la saison 2, surtout dans des scènes de comédie, ou de la vie quotidienne, qu’il y a des ratés, et de gros ratés (dans les dialogues et les situations). Des longueurs pénibles, par exemple. Je précise bien « pénibles », car Lynch sait d’ordinaire utiliser les longueurs comme peu de réalisateurs pour nous plonger dans une atmosphère ou créer de l’intensité. Ces « longueurs intenses », on en trouve beaucoup de remarquables dans Eraserhead ou Inland Empire, qu’il s’agisse de s’attarder sur un plan qui nous stimule et nous interroge parce qu’on ne comprend pas ce dont il s’agit, ou un plan qui génère de la tension parce qu’il s’éternise à un moment où l’on attend une résolution (comme la tension que crée un musicien lorsqu’il retarde le plus possible la résolution d’une dissonance). Il y a de « bonnes longueurs lynchiennes » dans cette saison 3, mais aussi d’inutiles (par exemple, le soporifique monologue du fils d’Andy et Lucy qui se prend pour Brando), ce à quoi Lynch nous avait peu habitué.

Exemple de gag complètement raté – le pire de la saison à mon sens – Lucy est au téléphone avec le shérif, il débarque dans la pièce, et elle tombe à la renverse... Andy expliquant que cette « pauvre Lucy ne comprend toujours pas le fonctionnement des téléphones portables ». En 1995, ce gag aurait pu passer, mais 20 ans plus tard, c’est juste débile. Elle voit forcément tous les jours depuis des années des gens utiliser des téléphones portables, et, surtout, c’est une standardiste ! C’est là où manquait un regard extérieur pour dire à Lynch et Frost « virez-moi ce gag pourri, il n’est pas drôle et n’a aucun sens ». On me rétorquera peut-être « bah, chez Lynch, normal que certaines choses n’aient pas de sens »… sauf que c’est confondre ce qui relève du mystère et de l’absurde avec la crédibilité de ce que l’on propose au spectateur. Sinon, c’est la porte ouverte au grand n’importe quoi. Et les œuvres de Lynch, aussi obscures voire abstraites puissent-elles sembler être, ne sont jamais du « grand n’importe-quoi ». Des loges blanches, noires, des tulpas, des arbres avec à leur sommet la tête du bébé d’Eraserhead, David Bowie en théière géante, des femmes à la bûche, des Dougie Jones (oui, même Dougie Jones)… pas de problème, tant qu’ils s’intègrent à l’univers. Mais de mauvais gags, même chez Lynch, restent de mauvais gags. Et il y en a quelques autres dans cette saison. Tout comme il y a quelques scènes et dialogues ratés. Mais, au fond, pas beaucoup plus que dans la saison 2. Et, comme dans la saison 2, les passages les plus faibles, sont souvent ceux autour de Lucy et Andy. Sympathiques et particulièrement drôles dans la saison 1, mais dans les saisons 2 et 3, bon nombre de leurs scènes semblent avoir été écrites par des gamins (ou des vieillards, pour le gag du téléphone portable).

Malgré ses faiblesses, parfois consternantes… j’adore cette saison 3. Je la préfère même à la saison 2. Plus sombre, plus mature, plus complexe et… beaucoup plus lynchienne. Destinée aux fans de Lynch (de Lost Highway, Mulholland Drive ou Inland Empire) bien plus qu’aux fans de la série originelle. Heureusement, Lynch ne fait pas dans le « fan service » (d’ailleurs, je déteste cette expression, et ce qu’elle implique… comme si les auteurs devaient se plier aux volontés de geeks puérils…) Lynch et Frost auraient pu, sans trop d’efforts, donner au public et aux fans ce qu’ils attendent, et, avec un peu d’inspiration, nous livrer une saison très satisfaisante : 25 ans se sont passés, Cooper trouve la sortie de la loge dans le 2° épisode, le voilà de retour à Twin Peaks pour toute la suite de la série, retrouvailles chaleureuses avec les habitants de la ville, café, tarte aux cerises, et c’est reparti comme en 90. On constaterait l’évolution des personnages charismatiques de la série, on suivrait leurs enfants histoire de ne pas rester focalisé sur une bande de vieux… nouvelles intrigues, nouvelles romances, nouvelles disparitions, nouveaux dangers, le mal rode toujours à Twin Peaks, et cette fois, ce bon vieux Coop ne faillira pas. Le chemin était tout tracé… mais les lignes droites, c’est pas le genre de l’auteur d’Inland Empire ou Mulholland Drive.

Le minimum de ce que pouvaient demander les fans, c’était que Twin Peaks se déroule essentiellement à… Twin Peaks ! Mais non, même ça, Lynch ne leur donne pas. Une bonne partie de l’intrigue se passe loin, très loin de la ville. Et pas dans de petites villes rivalisant de charme avec Twin Peaks, bien au contraire. L’étage vide et froid d’un building à New-York, la ville terne qu’est Buckhorn, la clinquante et superficielle Las Vegas… Quant aux habitants de Twin Peaks, ils sont, à quelques exceptions près, réduits à des rôles secondaires. Pourtant, si Lynch ne donne pas vraiment aux fans ce qu’ils attendent, cette saison 3 ne s’adresse qu’à ceux qui ont vu le film et les 2 précédentes saisons… « the past dictates the future », comme le répète la série. Tous les éléments nouveaux sont inextricablement liés au film et à la série originelle… il n’est déjà pas évident pour les fans de la première heure d’accrocher à cette saison 3 aussi exigeante qu’inégale, alors pour ceux qui ne connaissent pas cet univers, c’est mission impossible. On ne pourra donc reprocher à Lynch au moins 2 dérives typiques des suites « tardives » : vendre son âme aux fans ou vendre son âme au grand public et aux patrons de chaîne.

Cette 3° saison, ce sont les montagnes russes… il y a du bon, du très bon, du moins bon… et même du très mauvais (l’épisode 4 est sans doute le pire de toute la série, une purge). Mais il y a surtout 2 épisodes exceptionnels. Le n° 8, l’épisode le plus audacieux/barré/expérimental/démentiel/monstrueux jamais vu dans une série. Et le dernier, le 18. Qui a sans doute laissé bon nombre de fans sur leur fin, mais qui m’a totalement fasciné, le meilleur épisode de série que j’aie pu voir. Oui, même meilleur que les épisodes de la saison 1 de Twin Peaks ou que n’importe quel épisode des Sopranos (et Dieu sait à quel point j’aime les Sopranos…) Deux épisodes qui rappellent à notre bon souvenir que Lynch est bien un digne héritier de Fritz Lang, Hitchcock et Kubrick (ce qui, malheureusement, est loin d’être le cas de tous les épisodes de cette saison…)

Fin de la partie sans spoil, le reste n’est à lire que si vous avez terminé la série, je suis parti pour spoiler comme un sauvage…

 

 

L’art de la frustration

 

Jouer avec la frustration des spectateurs, c’est une des bases des séries feuilletonnantes. Repousser la résolution des intrigues, en ajouter de nouvelles - principales ou secondaires – pour que le spectateur ait constamment cette impression d’inachevé qui lui donne envie d’y revenir encore et toujours pour connaître le fin mot de l’histoire. Avec Twin Peaks, la frustration est poussée à son paroxysme (voire élevée au rang d’art), tant elle est présente à tous les niveaux, dans la série elle-même comme dans sa production. Les séries policières sont le plus souvent des séries dites « bouclées », le meurtre est résolu à la fin de l’épisode… mais si Twin Peaks s’articule autour d’un meurtre, il faut attendre la moitié de la 2° saison pour connaître enfin l’identité du meurtrier de Laura Palmer. Résolution pour le public, mais frustration pour ses auteurs, Lynch et Frost voulaient laisser le meurtre irrésolu. Et frustration ensuite pour les spectateurs, puisque la qualité de la série baisse considérablement avec même certains épisodes vraiment ratés. Lynch reprend les commandes pour le dernier épisode, et termine sur un des cliffhangers les plus terribles et frustrants vu dans une série : le héros se retrouve possédé par l’entité maléfique qu’il pourchassait !  Si Dale Cooper avait été un héros plus ambigu, ok… mais il est au contraire un héros extrêmement bienveillant, sympathique, courageux… d’autant plus dur, donc, de le voir devenir subitement le mal incarné (amis psychopathes qui n’aimez rien tant que de voir le mal triompher du bien, le dernier épisode de la saison 2 de Twin Peaks est fait pour vous !) Pire encore sur l’échelle de la frustration pour les fans, cet épisode n’est pas seulement le dernier de la saison 2, mais le dernier épisode tout court de la série, puisque la chaîne annonce qu’il n’y aura pas de saison 3.

Quelques temps après, lueur d’espoir pour les fans, Lynch prépare « Twin Peaks, le film ». C’était indispensable, pour résoudre les intrigues laissés en suspens, savoir ce qu’il est advenu d’Audrey Horne, et, surtout, retrouver Cooper et le voir se sortir de l’emprise de Bob ! Sauf que… Lynch ne leur donnera rien de tout ça. A la place, une première partie dans une autre ville, à une autre époque, sans aucun des personnages emblématiques de Twin Peaks, pour ensuite revenir sur les deniers jours de Laura Palmer, soit uniquement des événements qui se sont déroulés avant même le premier épisode de la série. Ce qui, on l’imagine, a fortement déplu à la plupart des fans. Le film, plus expérimental que la série (ou, du moins, dans la lignée du dernier épisode de la saison 2) a été violemment critiqué, a beaucoup déçu et frustré… (mais pas moi, c’est ce film qui m’a fait découvrir Lynch et Twin Peaks, et il est instantanément devenu mon film favori, et l’est resté jusqu’à ce que sorte Lost Highway… puis Mulholland Drive l’a détrôné à son tour…)

Si Laura Palmer dit à Dale Cooper « rendez-vous dans 25 ans », ce n’était en rien une garantie que Lynch et Frost aient la ferme intention de reprendre la série 25 ans plus tard. Plutôt un fantasme de fans… l’idée d’une 3° saison de Twin Peaks revenait pourtant régulièrement sur le tapis, beaucoup voulaient y croire (sans penser qu’il faudrait attendre aussi longtemps pour cela). Et finalement, alors que la plupart avaient fini par désespérer retourner un jour dans l’univers de Twin Peaks, alors que Lynch, de Lost Highway à Inland Empire en passant par Mulholland Drive se radicalisait de plus en plus – et s’éloignait donc toujours plus de l’univers original de Twin Peaks – voilà qu’il annonce préparer une 3° saison.

25 ans d’attente, le grand retour de Twin Peaks avec Lynch / Frost aux commandes de tous les épisodes, la fin des frustrations ? Bien au contraire… Les premiers épisodes se déroulent essentiellement en dehors de Twin Peaks, avec de nouveaux personnages sans liens avec ceux de la série originelle… mais au moins, l’épisode 3 signe le retour de Cooper dans le réel ! Là encore, faux espoir, le voilà réduit à un état de quasi-légume. Le choc de ce retour dans le réel explique qu’il lui faille un petit temps d’adaptation, tout le monde pense que cela durera un épisode ou 2, il va reprendre ses esprits et… non, rien. Il faudra attendre le 16° épisode pour que Cooper sorte de cet état de coma éveillé. Difficile de pousser plus loin la frustration des spectateurs… 25 ans d’attente pour retrouver le héros d’une série - et un héros dynamique, charismatique, drôle, attachant - mais tout ce à quoi vous avez droit jusqu’aux deux derniers épisodes, c’est à une « coquille vide », c’est bien son corps, plus âgé, mais pas son esprit. Un zombie, un légume, un nourrisson dans un corps d’adulte, mais sûrement pas le Cooper que l’on connaît. Ajoutez à cela une Audrey Horne que l’on ne retrouve que tard dans la série, sans ne rien comprendre à ce qui lui arrive (et lorsque l’on commence à comprendre, on ne la voit plus), et un final qui vient remettre en question tout ce que vous pensiez avoir compris de cette saison et de Twin Peaks en général… n’en jetez plus, pour beaucoup, la frustration est à son comble.

 

Dougie or not Dougie ?

C’est la question épineuse de cette saison. Cooper au ralenti (c’est peu de le dire), vidé de toute sa substance, au bout d’une demi-heure, on commence déjà à se dire que la plaisanterie dure un peu trop… si l’on avait su à ce moment qu’elle durerait 12 épisodes… On peut trouver ça lourd, redondant, pénible, frustrant… mais c’est aussi par moments drôle, déroutant, audacieux, voire poétique. Après avoir beaucoup soupiré devant mon écran face à ce Dougie Jones amorphe, j’ai fini par m’y habituer. Et comme pour le dernier épisode de la saison 2, je pense que l’on ne peut comprendre réellement ce choix surprenant de Lynch sans prendre en compte les philosophies orientales et le bouddhisme qui l’inspirent tant.

En règle générale, dans les fictions, ce genre de personnages – amnésique, autiste ou débarquant dans un monde qui lui est étranger – va progresser petit à petit, évoluer et apprendre, ce qui donne satisfaction au spectateur. Mais la grande originalité de Dougie Jones, en tant que personnage de fiction, c’est qu’il n’évolue quasiment pas. Après plus de 10 épisodes, il ne sait toujours pas parler autrement qu’en répétant les fins de phrase de ses interlocuteurs, ni se repérer dans son environnement et bouger autrement qu’au ralenti (sauf au seul moment où son instinct de survie est sollicité, lorsqu’il doit désarmer l’assassin nain). L’état dans lequel se retrouve Cooper n’est donc pas un état de transition pour se « réhabituer » au réel après 25 ans dans la loge, puisqu’il ne progresse pas dans le monde réel (enfin, si tant est que « monde réel » ait un sens dans Twin Peaks…) Il ne s’agit pas non plus d’une véritable « quête d’identité », avec des réminiscences successives permettant à Dougie Jones de redevenir peu à peu Dale Cooper.

Si la phase « Dougie Jones » est le chemin de croix de Cooper, c’est un chemin où il doit corriger son erreur passée, et son terrible échec. Et cet échec de Cooper était avant tout spirituel. Il est rentré dans la loge (dernier épisode de la saison 2) sans être suffisamment préparé, sans réussir à se débarrasser de son ego et ses désirs (à l’image de ce café qu’il demande et qui prouve qu’il n’est pas dans le bon état de conscience, puisque toujours dépendant de ses désirs). Ce que Cooper doit réapprendre à la sortie de la loge 25 ans plus tard, ce n’est pas tant d’écrire, parler, ou conduire une voiture ; mais « lâcher prise » au sens bouddhique du terme, ne plus chercher à exercer sa volonté ou satisfaire son ego. Il est juste « présent », ici et maintenant. A l’inverse de Mr. C qui, lui, est à l’opposé de cette voie spirituelle. Lui n’est jamais réellement présent, toujours entièrement focalisé sur un but (et donc toujours à se projeter dans le futur), soumettant tout ce qu’il rencontre à sa volonté (il va même jusqu’à sacrifier sans état d’âme son propre fils pour cela).

Si l’acclimatation au réel est laborieuse pour Dougie/Cooper, le fait qu’il soit libéré des tourments de l’ego lui donne accès à une autre perception du monde, qui lui permet de se débrouiller malgré tout, et même mieux que cela (les jackpots aux machines à sous, le dossier pour son patron etc.) Difficile de ne pas penser à la manière qu’utilise Lynch pour expliquer l’inspiration et la créativité : laisser son esprit « flotter », méditer, et les idées viennent d’elles-mêmes… Mr. C fait tout pour atteindre son but, et il échouera, Dougie/Cooper ne fait rien, il se laisse porter, et il réussit. Une vision très proche des philosophies orientales, et peu commune dans les œuvres occidentales où, généralement, c’est à force de travail et de volonté que le héros triomphe à la fin. Le bouddhisme préconise-t-il d’évoluer dans le monde réel tel un Dougie Jones ? Non, bien sûr, sinon vous finirez à l’asile ou mort de froid sur un trottoir. Il s’agit ici de la métaphore d’un état de conscience dans une œuvre de fiction… Et si Doogie/Cooper parvient à se défaire habilement et rapidement de l’assassin nain, c’est moins, je le pense, grâce à une « mémoire du corps et des gestes » (comme celle d’un Jason Bourne), qu’un état de conscience et de « présence » lui permettant d’avoir le geste juste au moment où c’est absolument nécessaire.

Dougie or not Dougie ? Je n’ai au final pas de réponse tranchée… aussi séduisante, subtile et profonde soit l’idée de ce personnage, il n’en reste pas moins que le suivre sur autant d’épisodes, même si cela se justifie symboliquement et scénaristiquement, est assez pesant pour le spectateur. 

Heureusement, pour mieux avaler la pilule Dougie Jones, Lynch a eu la bonne idée de faire appel à Naomi Watts pour jouer sa femme, sa performance d’actrice est telle que les passages « Dougie/Cooper en famille » sont bien moins lourds qu’ils auraient pu l’être. Elle trouve la parfaite alchimie entre l’agacement (on le serait à moins face à un conjoint devenu amorphe sans raison) et la bienveillance, avec ce personnage vif et attachant qui garde toujours les pieds sur terre. Sans doute la meilleure « performance d’acteur » de la saison, avec Kyle MacLachlan et ses 4 rôles (Dale Cooper, Mr. C, Dougie Jones, Dougie/Cooper).

 

Faux ratés

Il y a peut-être dans cette saison de vrais ratés, mais il y en a aussi de faux. Comme dans Mulholland Drive, où certaines scènes ne semblent pas raccords, mal jouées, vaines, absurdes… jusqu’à ce que l’on comprenne qu’elles s’intègrent parfaitement au reste et sont totalement légitimes. Un exercice périlleux, puisque le spectateur pense d’abord qu’il est face à une scène loupée ou un personnage mal écrit… comme, encore une fois, en musique, avec une dissonance assez audacieuse qui tarde à se résoudre (mais dans un cas comme dans l’autre, la résolution est d’autant plus plaisante…)

Le meilleur exemple de « faux raté » dans la saison 3 est le personnage d’Audrey Horne, et les scènes où elle apparaît. On attend son retour dans la série pendant plus de 10 épisodes, pour la retrouver en couple avec un type particulièrement laid, et l’écouter passe tout son temps à se plaindre et l’insulter. Ce qui devient très vite insupportable… Il faut attendre plusieurs épisodes pour les voir enfin sortir de chez eux… les voilà dans le bar, la musique s’interrompt et le speaker annonce « and now, Audrey’s dance » ! Le public s’écarte, applaudit et encourage Audrey, gênée, qui se décide finalement à exécuter « sa » danse… Derrière mon écran, j’étais consterné comme jamais… Nous voilà tombés dans de la nostalgie factice, dans l’auto-complaisance ultime, voire le sommet du ridicule (même si, malgré le poids des ans - et le poids tout court - Audrey retrouve tout de même un peu de la grâce et de la sensualité qu’elle avait lorsqu’elle exécutait cette danse dans la saison 1). Pourtant, j’adore ce morceau, c’est une de mes musiques favorites, je lui ai même consacré un long article (Audrey’s dance), mais le faire intervenir de cette manière, à ce moment, ça ne peut que vous donner l’impression que Lynch est un vieux gâteux qui n’a plus rien à dire à ce moment de la série et recycle sans subtilité un des moments marquants de la saison 1. Heureusement, un plan, bref et saisissant sur le visage d’Audrey Horne, terrifiée devant un miroir dans une pièce blanche nous dit que tout ce que l’on a vu d’elle n’avait rien de réel, on comprend que son « mari » est sans doute un thérapeute, et leurs disputes prennent un tout autre sens.

Des scènes avec un personnage qui se « réveille » subitement et qui nous permettent de comprendre que ce que l’on vient de voir n’était pas réel, c’est cliché, on en a vu des centaines dans les films et séries… mais là, c’est fait de manière bien plus intelligente. Dans plus de 95% des cas de ce genre (si si, j’ai compté), les fictions nous présentent une scène un peu étrange de quelques secondes, voire quelques minutes, on comprend rapidement qu’il s’agit d’un rêve ou d’une hallucination (un comportement anormal d’un personnage, une mort trop brutale d’un autre, des effets esthétisants etc.) et le personnage se réveille. Pas de ça ici. Rien d’esthétisant dans les scènes entre Audrey et son mari/thérapeute, rien qui nous laisse à penser que cela n’est pas réel, et si l’on ne comprend pas vraiment ce qui a pu arriver à Audrey Horne pour qu’elle en soit là, on est chez Lynch, donc on ne s’attend pas forcément à des réponses livrées sur un plateau. Il ne s’agit pas d’un bête « twist », mais d’un remarquable retournement de situation, qui vous pousse à réinterpréter toutes les scènes précédentes et dialogues entre ces 2 personnages, et ce qui semblait sans grand intérêt prend soudainement une profondeur insoupçonnée… et c’est en quelque sorte, à l’échelle de la série, l’effet que produit le magistral dernier épisode. Comme si toutes les lourdeurs et errances de cette 3° saison n’étaient qu’un faux raté que le dernier épisode parvenait à transcender.

 

And the dreamer is…

Etrangeté, audace, abstraction : sur son terrain de prédilection, Lynch n’est-il pas dépassé par de nouveaux venus dans le monde des séries ? Lorsque l’on compare la plupart des épisodes de The Return avec (l’excellente) Legion et (la très bonne) The Leftovers, on pourrait être amené à le penser.  Cependant, 2 épisodes, les 8° et 18°, viennent balayer cette crainte et même écraser la concurrence en la matière. Legion et The Leftovers ont beau aller assez loin dans la volonté de dérouter le spectateur, elles font presque pâle figure face au dantesque épisode 8 de Twin Peaks : The Return. D’une puissance, d’une noirceur et d’une originalité loin de ce qui se pratique par ailleurs. Et le dernier épisode est, à mon sens, encore plus fascinant. Parce qu’avec relativement peu de moyens et d’effets, Lynch réussit à apporter la touche finale qui modifie la tonalité globale de tout le tableau « Twin Peaks », touche finale qui lui donne une gravité saisissante. Le contraste est fort avec l’épisode 17 qui est lui plus fidèle à l’esprit des 2 premières saisons, mais qui pâtit peut-être un peu de son désir de trop en faire. A l’image de cette bataille un peu kitsch avec l’orbe de Bob (Borbe ?) Ou de tous ces personnages présents dans le bureau du shérif pour les « adieux » de Cooper. Mais sa fin est exceptionnelle : poétique (Cooper et Laura dans la forêt, de retour dans le passé, avec une belle variation sur le mythe d’Orphée – Cooper se tourne parce qu’il entend « le » son annoncé dans les premières minutes de la saison, et Laura disparaît, là où Orphée se tournait parce qu’il n’entendait plus les pas d’Eurydice), et terrifiante (Judy / Sarah Palmer massacrant la photo de Laura).

Dans l’épisode 18, dès que Diane et Cooper passent dans l’autre dimension, Twin Peaks perd subitement tout ce qui lui restait de « comique, sympathique et gentiment loufoque » (ce qui était de toute façon moins marqué dans cette saison que dans les 2 premières) pour se transformer en un captivant film noir. L’antithèse, presque, de l’épisode précédent. Abondance de personnages dans l’épisode 17, alors que tout ne tourne plus qu’autour de Cooper et Laura dans le 18. Exit le surnaturel bariolé, les retrouvailles chaleureuses, l’enchaînement de péripéties. A la tonalité quasi-adolescente de l’épisode 17 succèdent donc la profondeur et la gravité bien plus adultes de l’épisode 18. Difficile de ne pas y voir un parallèle avec Mulholland Drive, où la longue phase de rêve de compensation des 2 premiers tiers du film s’interrompt brusquement pour nous ramener à une réalité bien plus sombre. Les 17 épisodes précédents (et les 2 premières saisons) étaient-ils un rêve ? Si oui, le rêve de qui ? De Laura Palmer ? De Cooper ? Le plus probable est qu’ils soient le rêve de Cooper. Il a échoué à sauver la femme de Windom Earle avec laquelle il a eu une liaison (un événement du passé expliqué dans la saison 2), peut-être se rêve-t-il en justicier (et même en sauveur dans cette saison 3) d’une jeune fille morte pour compenser. Mais je ne suis pas vraiment convaincu par cette théorie. Je ne pense pas que Lynch puisse concevoir tous les événements qui se déroulent à Twin Peaks depuis le début de la série comme un rêve. Malgré les similitudes entre le dernier épisode de cette 3° saison et Mulholland Drive, Twin Peaks n’est pas Mulholland Drive, et si tous les éléments du rêve des 2 premiers tiers du film prennent sens une fois que l’on comprend où est la césure entre le rêve et la réalité, si absolument rien n’est laissé au hasard et tout s’imbrique à merveille dans ce puzzle diabolique qu’est Mulholland Drive, la série, elle, est trop longue, regorge de trop de situations, personnages et histoires secondaires pour être sérieusement analysée comme le rêve d’une personne. On pourra toujours y trouver nombre d’éléments qui confirmeraient qu’il s’agit du rêve de tel personnage… mais aussi de nombreux autres qui ne colleraient pas. Désolé pour ceux qui, voyant un long article sur Twin Peaks publié 2 ans après la série, pensaient y trouver une théorie qui leur expliquerait – enfin – le sens de cette 3° saison, mais je n’ai rien de tel à vous proposer. De toute façon, chez Lynch, le plus fascinant, ce n’est pas la résolution du mystère, mais le mystère lui-même.   

Si j’ai mis tant de temps à publier cet article, ce n’est pas parce que j’ai eu besoin de revoir la saison (je ne l’ai vue qu’une fois), ni de l’analyser en détail et en profondeur, c’est juste parce que je ne trouvais pas les mots capables d’exprimer l’incroyable effet qu’a eu sur moi le dernier épisode. C’est une des marques des grandes œuvres : créer un effet si puissant que vous vous sentez obligé de l’exprimer, mais difficile de trouver les mots pour le faire puisqu’elles vous mettent face à quelque chose d’exceptionnel.

La saison 3, je l’ai suffisamment dit est, comme la saison 2, très inégale… Loin, par exemple, des chefs-d’œuvre que sont les saisons 1 et 3 de True Detective. Et pourtant, le dénouement de Twin Peaks The return est tel qu’il excuse les passages les plus faibles (et il y en a une flopée) des épisodes précédents, et maintient Twin Peaks dans le peloton de tête des meilleures séries. Et si j’aimerais beaucoup retourner encore à Twin Peaks dans une saison 4, l’épisode 18 de la saison 3 est une conclusion si magistrale que je ne suis pas sûr qu’une nouvelle saison soit forcément une bonne idée…

Un dernier petit mot, tout de même, sur la musique, élément toujours primordial dans Twin Peaks… la B.O. de la saison 2 était assez décevante, les compositions de Badalamenti étaient en-dessous de celles de la saison 1 (qui heureusement, étaient toujours régulièrement utilisées dans la 2° saison). Mais les nouvelles compositions de cette 3° saison (je parle ici uniquement des compositions originales, pas des nombreuses chansons intégrées à la série) sont très réussies et contribuent toujours à faire de Twin Peaks une des séries les plus fascinantes par son atmosphère.

Sélection des meilleures compositions de Twin Peaks: The return

Mon article sur Audrey’s Dance

Un morceau que j’ai composé il y a quelques années « dans le style » de Twin Peaks : A Walk in Twin Peaks  

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23 février 2015 1 23 /02 /février /2015 00:26
Les films de 2014Les films de 2014Les films de 2014

 

1

 Gone Girl

David Fincher

9,5

2

 Whiplash

Damien Chazelle

9

3

 The Raid 2

Gareth Evans

9

4

 Young Ones

Jake Paltrow

8,5

5

 Nightcrawler (Night Call)

Dan Gilroy

8,5

6

 Fury

David Ayer

8,5

7

 Joe

David Gordon Green

8,5

8

 12 years a Slave

Steve McQueen (II)

8,5

9

 Bethléem

Yuval Adler

8

10

 Black Coal

Yi'nan Diao

8

11

 Maps to the Stars

David Cronenberg

8

12

 Edge of Tomorrow

Doug Liman

8

13

 X-men : Days of Future Past

Bryan Singer

 

 

14

 Interstellar

Christopher Nolan

8

15

 Locke

Steven Knight

7,5

16

 ‘71

Yann Demange

7,5

17

 Non Stop

Jaume Collet-Serra

7,5

18

 Les Gardiens de la Galaxie

James Gunn (II)

7,5

19

 Noé

Darren Aronofsky

7,5

20

 The Amazing Spiderman 2

Marc Webb

7,5

21

 L’Enlèvement de Michel Houellebecq

Guillaume Nicloux

7

22

 The Canyons

Paul Schrader

7

23

 The Rover

David Michôd

7

24

 La Planète des Singes :   L'Affrontement

Matt Reeves

7

25

 Blue Ruin

Jeremy Saulnier

6,5

26

 Detective Dee 2

Tsui Hark

6,5

27

 300 : Naissance d’un Empire

Noam Murro

6

28

 Exodus : Gods and Kings

Ridley Scott

6

29

 John Wick

David Leitch, Chad Stahelski

6

30

 Under the Skin

Jonathan Glazer

5

31

 The Ryan Initiative

Kenneth Branagh

4

32

 Dracula Untold

Gary Shore

4

         

 

 

 

Eloge de la technique 

 

Ce ne sont pas la technique et la virtuosité qui font la qualité d’une œuvre. Je pense avoir suffisamment défendu ce point de vue par ici (point de vue qui n’a rien de très original, c’est communément admis), pour ne pas qu’on m’accuse de juger les œuvres par le prisme de la technique.

 

Mais si la mise en valeur de la virtuosité a conduit nombre de dérives chez pas mal d’artistes, il ne faut pas pour autant tomber dans la dérive inverse, celle, assez ancrée dans notre époque, qui consisterait à penser que l’art ne serait qu’émotion et inspiration. A contre-courant de cette vision un peu niaise, les 3 meilleurs films de l’année, à mon sens, ont su pertinemment redorer le blason de la technique.

 

En tout premier lieu, Whiplash, puisque la perfection technique est l’enjeu au cœur de cette confrontation entre un prof et son élève. Les critiques ont été globalement très positives pour ce premier film remarquablement maîtrisé, mais il a aussi son lot de détracteurs, qui l’ont attaqué avec virulence sur la soi-disant idéologie qui le sous-tendrait, une idéologie qui ferait l’apologie de la compétition, de la souffrance dans l’apprentissage, de la technique au détriment de l’émotion etc… Balivernes ! Personnellement, ce que j’aime dans le jazz, c’est son swing, sa musicalité, son expressivité, sa subtilité, sa richesse harmonique, sûrement pas les démonstrations virtuoses de petits blancs (et petits noirs, aussi), fraîchement diplômés de prestigieuses écoles de jazz. Et pourtant, j’ai adoré Whiplash ! Où les détracteurs de Whiplash ont-ils vu que le film imposait une vision totalitaire de la musique, du jazz ou de son apprentissage ? Je n’arriverai jamais à me faire à ces lectures idéologiques des œuvres, lectures paranoïaques qui se refusent à voir les histoires que nous racontent les œuvres avant tout comme des trajectoires individuelles (à moins que le film soit clairement un film à thèse, ce que Whiplash n’est en aucun cas). Whiplash, c’est la confrontation entre un jeune batteur ambitieux et un prof excessivement dur et exigeant. Une confrontation singulière, pas une dissertation sur « comment enseigner la musique », ni un traité pédagogique sur la seule manière de devenir un bon musicien. Et si le film ne prétend absolument pas nous dire ce qu’est le jazz, il est assez juste sur le haut-niveau d’exigence demandé et l’apprentissage dans la douleur. On ne devient pas Coltrane, Parker, Roach ou Monk en travaillant son instrument en dilettante. Pour arriver à cette impression de facilité, de naturel et de fluidité, les grands noms du jazz (et les plus petits aussi) ont bossé comme des malades, ils ne savent que trop bien ce que sont les sacrifices, la souffrance et l’abnégation…

 

Autre type de maîtrise technique et de manière de repousser les limites du corps : les arts martiaux, dans le jubilatoire The Raid 2. Tout critique normalement constitué vous dira que de bonnes scènes de combats, aussi spectaculaires et plaisantes soient-elles, ne suffisent pas à faire un bon film. Il faut une histoire, un contexte, des personnages intéressants, de l’émotion… mais The Raid 2 réussit l’exploit de remettre en question cette évidence. Non pas que l’histoire ou les personnages soient mauvais ou ratés, loin de là, mais les scènes de combats sont tellement fascinantes que le reste importe finalement assez peu. On n’a à ma connaissance jamais vu de combats aussi bien chorégraphiés. Spectaculaires et d’une intensité rare, ces combats sont aussi beaux et inventifs que violents et brutaux.

 

De technique, il n’en est pas directement question dans mon film de l’année, Gone Girl de David Fincher. Avec son histoire intimiste et glauque dans une banale petite banlieue, ce n’est pas de prime abord un film que l’on qualifierait de « virtuose »… mais il témoigne bien d’une maîtrise exceptionnelle à tous les niveaux, dans les dialogues, la direction d’acteur, la narration et la réalisation. Et s’il y a une critique – assez injustifiée à mon sens – qui revient régulièrement sur le réalisateur, c’est qu’il serait un très bon « faiseur », pas un véritable auteur. Un technicien et touche-à-tout particulièrement doué (donc agaçant), réalisateur de films à succès aussi différents que Seven, Alien 3, Fight Club, L’Etrange Histoire de Benjamin Button, Zodiac ou The Social Network… mais critique assez injustifiée, car il y a tout de même des obsessions et thèmes forts qui traversent l’œuvre de Fincher. En premier lieu, l’enfermement, et le danger de l’enfermement, que Fincher ne cesse de décliner. Enfermement dans une prison (Alien 3), dans la schizophrénie (Fight Club), dans un jeu (The Game), dans une maison, et même la « Panic Room » à l’intérieur d’une maison (Panic Room, donc), dans les méandres d’une enquête qui s’étale sur des années sans ne jamais sembler trouver de porte de sortie (Zodiac), dans un corps qui ne correspond pas à la réalité de son âge (L’Etrange histoire de Benjamin Button), dans une froide petite bourgade et dans de lourds secrets (Millenium)… Gone Girl va particulièrement loin dans l’exploration de l’enfermement, c’est d’abord l’enfermement dans la vie de couple, qui entraîne l’enfermement dans la routine, la médiocrité du quotidien, les mensonges… Le cinéma de Fincher met ainsi en scène l’enfermement sous toutes ses formes, qu’il soit dans un lieu, dans l’esprit, le corps, ou la relation aux autres.

 

Les films de David Fincher sont souvent de gros succès, mais ce ne sont pas des films lisses ou consensuels, ils ont une noirceur peu commune pour des blockbusters. Non pas une noirceur de façade, mais une plongée dans des zones très sombres, parfois malsaines, et un regard souvent noir et désespéré sur l’humanité. Je vais peut-être faire hurler quelques puristes, mais il y a du Kubrick chez Fincher. Une vision sombre et cynique de l’humain qui ne les empêche pourtant pas de séduire un public assez large, la capacité de passer par des univers très différents dans chacun de leurs films, le soin tout particulier accordé au visuel… et si Kubrick est maintenant unanimement considéré comme un des plus grands réalisateurs de l’histoire (voire le plus grand), il ne faut pas oublier que plusieurs de ses chefs-d’œuvre ont été à l’époque descendus par la critique… Je n’irais pas jusqu’à mettre Fincher au même niveau que Kubrick, mais il est pour moi un des tous meilleurs réalisateurs de ces 20 dernières années, et Gone Girl est un de ses chefs-d’œuvre.

 

Si l’enfermement est une des grandes obsessions du cinéma de Fincher (sa crainte de se laisser enfermer dans un univers très « personnel », contrairement à beaucoup de grands réalisateurs, peut expliquer la relative diversité de ses films), il se retrouve aussi au cœur de beaucoup de films de 2014. Il y a 2 ans, j’avais été marqué par le thème du « cocon » dans les films de l’année, ce désir de se replonger dans le cocon pour fuir le monde et ses souffrances. Mais en 2014, la thématique est inversée, l’enfermement est un danger et une souffrance, il s’agit avant tout de s’évader…

 

Toutes les formes d’emprisonnement, ou presque, parcourent la plupart des films de l’année. Prisonnier d’une vie de couple aliénante (Gone Girl), de l’esclavage (12 Years a Slave), d’une relation maître-élève où le maître abuse en permanence de son autorité, et tient plus du tortionnaire que du pédagogue (Whiplash), d’une faille spatio-temporelle et d’une journée qui se répète sans fin (Edge of Tomorrow), de la violence et de l’absurdité de la guerre, dans un tank qui est moins un cocon rassurant qu’un tombeau roulant en première ligne (Fury, dans la lignée des grands films de guerre), prisonnier d’un conflit destructeur, de liens familiaux comme d’alliances imposées (Bethléem), d’une famille néfaste (Joe), ou d’une dont le nouveau « chef de famille » est l’ennemi (Young Ones), prisonnier de la mécanique de la vengeance (Blue Ruin), enfermé dans un avion où sévit un terroriste et prisonnier de la douleur de la perte d’une enfant (Non-Stop), enfermé tout au long du film dans une voiture et prisonnier d’une situation inextricable (Locke), prisonnier de la cage dorée hollywoodienne et d’un travail de bonne à tout faire d’une actrice tyrannique (Maps to the Stars), seul et blessé dans une zone ennemie (’71, sur les émeutes de l’époque en Irlande), prisonnier d’un futur apocalyptique qu’il s’agit de fuir en retournant dans le passé pour l’empêcher d’advenir (enfin une bonne adaptation des X-Men), prisonnier d’une arche et de l’autorité d’un patriarche prêt à tuer sa propre descendance si telle est la volonté de Dieu (Noé), prisonnier, tout simplement (L’enlèvement de Michel Houellebecq)… et, last but not least, Interstellar où notre bonne vieille terre est présentée comme une prison qui nous mènera à notre fin si nous ne trouvons pas un moyen de la fuir (ce qui est tout à fait juste d’un point de vue scientifique, mais très « politiquement incorrect »).

 

Interstellar, parlons-en… un film assez inégal qui n'est pas vraiment à la hauteur de ses ambitions métaphysiques, scientifiques et poétiques. Il souffre de quelques passages un peu niais (la tirade sur la puissance de l'amour...) mais bon, il a au moins le mérite d'essayer, de viser haut, et d'esquisser quelques grandes questions pas si fréquentes dans les œuvres actuelles, notamment une, cruciale s'il en est : la survie de l'humanité dans l'univers tel que nous le connaissons. Désastre écologique ou pas, la Terre est quoi qu'il en soit condamnée, et, comme le dit l’accroche du film, ce n'est pas parce que nous sommes nés sur Terre que nous devons y mourir... les trous de ver qui sont au centre du film sont, en l’état de nos connaissances scientifiques, sans doute notre seule chance de survie après à la mort programmée de la terre et de notre système solaire, et c'est très bien qu'un film "grand public" aborde ce sujet... mais, comme Gravity l’an dernier, trop de pathos, malheureusement… dommage, car il y a aussi de très bonnes choses dans Interstellar, qui n’était pas loin d’être un grand film…

Petite déception, donc, la plus grosse cette année étant pour moi Under the Skin. Je ne partage pas du tout l’enthousiasme autour du film et les critiques dithyrambiques qu’il a pu susciter (notamment de plusieurs de mes camarades blogueurs). Une énième variation sur le thème de la vamp, le film est très répétitif, et plus soporifique qu’atmosphérique (putain ce que c’est lent !) Scarlett en voiture, Scarlett à la plage, Scarlett en boîte de nuit, Scarlett prend le bus, Scarlett dans la forêt, Scarlett à poil… elle est certes toujours agréable à regarder, mais est-ce suffisant pour en faire un film ? Non. Quelques images marquantes, mais plombées par beaucoup trop de longueurs. Si vous aimez les films lents et visuellement remarquables, je vous conseille plutôt le très bon film chinois Black Coal

 

Travail oblige, et films qui ne restent pas assez longtemps à l’affiche par chez moi, j’ai malheureusement raté cette année plusieurs films qui m'intéressaient vraiment :

 

Quand vient la Nuit, The Grand Budapest Hotel, Only Lovers left Alive, American Bluff, Wrong Cops, Cold in July, White Bird, Leviathan et Dallas Buyers Club.

 

Matthew McConaughey, justement, était très présent dans mes films favoris de ces dernières années : Killer Joe, Mud, Le Loup de Wall Street… petite baisse de régime en 2014, avec le légèrement décevant Interstellar ? Bien au contraire, il est toujours là, non pas dans un film mais dans le chef-d’œuvre de l’année à mon goût, la saison 1 de True Detective. Qui rentre direct dans mon panthéon des meilleures séries. Comment pouvait-il en être autrement, avec ne serait-ce que le génial final de l’épisode 4 : un incroyable plan-séquence de 6 minutes (et pas sur 2 mecs qui discutent dans le désert, hein, mais un braquage et une fuite, caméra à l’épaule), qui commence avec le Wu-Tang et se termine avec Nick Cave (Grinderman). True Detective, un formidable condensé de tout ce qui me plaît dans la fiction… à croire qu’elle a été faite spécialement pour moi (je ne suis pas mégalo, mais quand même…) Pour en revenir à Matthew McConaughey, ce n’est pas tant qu’il bénéficie d’un effet de mode ou d’un simple meilleur choix de rôles que par le passé, il s’est révélé être un des grands acteurs de l’époque et, de Killer Joe à True Detective en passant par Mud, ses interprétations jouent évidemment beaucoup dans la qualité des œuvres auxquelles il participe.

 

Gone Girl et True Detective… Ben Affleck et Matthew McConaughey… soit deux acteurs qui ont cumulé les mauvais films pendant une bonne partie des années 2000, habitués aux rôles de beaux gosses fades dans d’insipides comédies romantiques, ou aux rôles de héros lisses dans de gros navets… qui aurait imaginé en ces temps-là qu’ils deviendraient quelques années plus tard deux des artistes les plus passionnants du cinéma américain ? L’un, Ben Affleck, parce qu’il a su se prendre en main, et réaliser lui-même les bons films auxquels il ne semblait pas avoir accès, l’autre, McConaughey, par la force de ses interprétations. Deux des acteurs qui incarnaient le pire d’Hollywood au début des années 2000 en incarnent maintenant le meilleur… partir du plus bas pour arriver au plus haut, une histoire typiquement hollywoodienne…

 

Les films de 2014
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11 novembre 2014 2 11 /11 /novembre /2014 19:37

Sinueuse et subtile, deux mots qui définissent aussi bien Bates Motel, la série, que sa musique. Sinueuse et subtile, parce qu’avec un tel personnage central – Norman Bates, le serial-killer du Psycho d’Hitchcock, tiré du roman de Robert Bloch – on aurait pu s’attendre à une série choc et saignante, dans la lignée de Dexter ou du récent Hannibal. Mais plutôt que de jouer la surenchère, les créateurs de Bates Motel ont eu la bonne idée de travailler la cohérence, Norman Bates (plus encore celui incarné par Anthony Perkins chez Hitchcock que le personnage de Bloch) est après tout un individu assez fin et affable, voire… « sinueux et subtil », pas un monstre froid et machiavélique, ni une brute assoiffée de sang. Une série sur son adolescence (transposée de nos jours), permettait alors d’aller plus loin dans la nuance et de mettre en valeur sa fragilité et ses rapports ambigus avec sa mère.

 

Ce qui vaut pour le jeune Norman Bates vaut aussi pour l’écriture de la série, tout (ou presque) est plus nuancé que ce que l’on imaginerait pour une série sur un serial-killer. Quelques exemples (pas de vrai spoil dans ce qui suit, d’autant plus que je n’ai vu que la première saison, mais si vous ne l’avez pas vue et que vous souhaitez vous y mettre, évitez ce passage en italique qui dévoile certains éléments qu’il vaut mieux découvrir au fur et à mesure) :

 

Norman Bates est un des plus mythiques psychopathes de fiction, mais ne vous attendez pas, contrairement à Dexter ou Hannibal, à le voir tuer un personnage par épisodes, on est ici loin du compte…

L’irruption du frère, assez tôt dans la série, semble nous mener tout droit à des relations conflictuelles et intenses qui déboucheront vite sur un drame cathartique, histoire de se débarrasser de cet électron libre qui vient perturber la relation étouffante et fusionnelle de Norma et Norman. Fausse alerte, il reste assez présent et permet à Norman de se donner l’illusion de couper - l’espace de quelques instants - le cordon. Et le jeune rebelle caricatural qu’il semble être au début est finalement plus raisonnable, doux et mature qu’on l’aurait imaginé…

Norma Bates, une mère castratrice, incestueuse et monstrueuse qui fera de son fils un psychopathe ? Cela aurait été une solution de facilité, heureusement pas celle de la série. Elle est plus ambiguë que cela, elle ne materne pas Norman sans raison et se retrouve souvent elle-même dans une position de victime. Une mère un peu plus possessive et obstinée que la moyenne, et c’est cet « un peu plus » qui fait ici la différence…

Norman Bates perpétuellement dans les jupes de sa mère, étouffé par cette relation fusionnelle, incapable, donc, de séduire une fille et d’aimer une autre femme que sa mère… ignoré, incompris ou rejeté par les autres filles de son âge, il en nourrira une haine des femmes qui le poussera à les tuer pour les posséder et dominer symboliquement…  autre solution de facilité qu’évite la série. Il est plutôt bien accepté par les filles de son âge… un peu trop, même…

 

Subtile et sinueuse, la série l’est par de nombreux aspects. Mais elle n’est pas exempt de quelques grosses ficelles et passages un peu caricaturaux. Rien qui ne gâche vraiment le plaisir, plaisir constant grâce à sa qualité première, son ambiance. Quelque part entre Hitchcock et Twin Peaks… la référence à Twin Peaks n’est pas due ici à mon obsession pour la série de Lynch, elle est clairement assumée par les créateurs de Bates Motel qui déclaraient :

 

 "J'adorais cette série. Il n'y a eu que 30 épisodes. Kerry et moi avons pensé que c'était à nous de faire les 70 épisodes supplémentaires que cette fiction aurait dû avoir"

 

(Mais nul besoin finalement pour Bates Motel de reprendre le flambeau de Twin Peaks, Lynch va le faire lui-même l’an prochain, il l’a annoncé, conformément à ce que Laura Palmer disait à Dale Cooper dans la loge « rendez-vous dans 25 ans ! »)

 

Une ambiance qui, comme dans Twin Peaks, et comme dans la majorité des films et séries qui mettent en valeur l’atmosphère, doit beaucoup à la musique. Inévitablement, quelques accents de Bernard Herrmann se font entendre, mais là aussi, c’est plutôt subtil, on n’est pas dans le copié-collé ou le gros clin d’œil. Mélancolique, cotonneuse, mystérieuse, contemplative et délicate, la partition de Chris Bacon est une grande réussite, ce qui n’est pas si fréquent dans le monde des séries. Elle peut être écoutée en dehors de la série, et même sans en avoir jamais vu un épisode… mais, bien entendu (et comme pour Twin Peaks), elle est d’autant plus prenante lorsqu’on a vu la série, vecteur idéal pour retrouver cette ambiance captivante.   

 

Pour vous plonger dans la musique de Bates Motel sans de rédhibitoires interruptions publicitaires qui casseraient l’ambiance, voir la vidéo youtube au-début de l’article, ou l’album sur grooveshark :

 

Chris Bacon –  Bates Motel OST

 

Sur la musique de séries :

 

Twin Peaks - Audrey's Dance

Les musiques de Breaking Bad .

 

A lire aussi :

 

Bernard Herrmann - Vertigo (Hitchcock)

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