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4 décembre 2013 3 04 /12 /décembre /2013 12:43

Dans l'article sur la musique de jeux vidéo, je n’ai pu développer une question qui mérite que l’on s’y attarde : peut-on juger d’une musique d’illustration sans prendre en compte ce qu’elle illustre ? Peut-on juger des bandes originales de films, documentaires ou jeux vidéo en les sortant de leur contexte ?

A première vue, non. Une bonne musique d’accompagnement doit sa qualité à sa manière d’illustrer l’image. Tel passage pourrait sembler trop répétitif à l’écoute seule, alors qu’il fonctionne parfaitement avec le film. Tel autre serait trop emphatique sans les images, mais s’accorde à merveille avec le moment paroxystique d’un film. A l’inverse, une musique géniale peut plomber un film. Personne ne conteste le génie de Mozart, mais l’Allegro du Quintette pour hautbois en Fa lors d’une scène tragique de film serait pour le moins ridicule (à moins que le film ne joue sur le second degré).

 

 

N’importe quelle musique sombre de n’importe quel compositeur de musique de films de 3° zone serait alors « meilleure » que du Mozart dans ce cadre-là…

Les logiques des musiques de film ne sont pas celles de la musique « pure ». Tel thème qui, dans une sonate, se prêterait particulièrement bien à des développements, modulations et jeux de contrepoints, peut, selon le film, être bien plus efficace répété à l’identique avec quelques variations dans l’instrumentation. Si le contrepoint (superposition de plusieurs mélodies différentes) est particulièrement valorisé en musique, il est beaucoup moins indiqué comme musique d’accompagnement (à quelques exceptions près). L’attention est sollicitée par ses différentes lignes mélodiques, et l'attention qui va se focaliser sur la musique (et le contrepoint demande beaucoup plus d’efforts à l’oreille), le sera moins sur les images et la narration. De la même manière, un thème très accrocheur ou trop mélodieux peut « faire sortir » le spectateur du film, le mettre dans la position d’un auditeur de musique plus que d’un spectateur de films. Ce n’est bien sûr pas une généralité, certains films qui revendiquent une dimension « opératique » ou se veulent grande saga épique à la Star Wars fonctionnent bien avec ces thèmes très marqués. La musique d’accompagnement n’est pas un genre musical hyper-codé obéissant à des règles immuables, elle doit avant tout s’adapter à l’œuvre qu’elle illustre.

Il semble donc indéniable que la qualité et la pertinence d’une musique d’accompagnement demandent à être jugées en fonction de leurs contextes, de leurs interactions avec l’œuvre. Et pourtant, cela pose problème : ne peut-on alors dire de musiques aussi fascinantes et marquantes que celles de Bernard Herrmann, Ennio Morricone ou John Barry qu’elles ont parfaitement leur place dans l’histoire de la musique du XX° siècle, qu’elles ont exercé une grande influence sur la musique en général et bien au-delà de la musique de films, qu’elles méritent d’être appréciées et considérées à égalité avec n’importe quelle autre musique, et qu’il n’est donc pas nécessaire de les appréhender uniquement au sein des films dont elles sont tirées ? Mais avant de creuser un peu plus la question, petit détour par les textes mis en musique.

Le cas de la chanson et de l’opéra

Peut-on juger des chansons et des opéras sans prêter une grande attention aux textes ? Là encore, a priori, non. Une chanson, c’est du texte et de la musique, les deux ont leur importance, leur rôle à jouer, et fonctionnent en « collaboration ». Et pourtant, lorsque l'on creuse le sujet, tout nous pousse à penser que les paroles d’une chanson sont finalement secondaires :

-          Si les paroles de chansons étaient si importantes, ou au moins aussi importantes que la musique, la production anglo-saxonne n’aurait pas une telle emprise sur le monde. Dans chaque pays, l’immense majorité de la vente et de la diffusion de chansons serait dans la langue du pays, celle que nous comprenons le mieux, celle dont nous saisissons toutes les nuances. Et nous ne pourrions ressentir de liens particulièrement forts avec des chansons de pays lointains (ou même proches) dont nous ne comprenons rien à la langue.

-          Une excellente chanson avec un texte insipide, banal, sans intérêt, c’est très fréquent, il en existe des wagons entiers. L’inverse est beaucoup plus rare : une chanson avec un très beau texte, mais une musique sans intérêt, ça ne donne quasiment jamais une grande chanson.

-          A part quelques cas particuliers (un texte déclamé d’une manière très intelligible sur une musique vraiment en arrière-plan), dans la chanson, c’est la musique qui domine, et tend à brouiller le texte. Au fond, si l’on veut vraiment mettre un texte en valeur, mieux vaut éviter de le placer sur une musique, qui risque alors de le phagocyter. C’est la « jurisprudence Born in the USA ». L’exemple-type de la chanson ultra-connue… dont le texte n’a pourtant pas été compris. Les républicains américains l’ont utilisée parce qu’ils pensaient qu’elle exaltait le patriotisme, alors qu’elle disait le contraire… mais même dans leur langue maternelle, même en l’ayant entendu martelée par les radios, une partie des américains n’avait pas saisi le sens des paroles…

Lorsque le texte d’une chanson revêt une importance particulière, on parle de « chanson à texte ». Mais il ne viendrait à personne l’idée de parler de « chanson à musique » si le texte est secondaire et la musique primordiale. Car « Chanson à musique », c’est tautologique, il est évident qu’une chanson, c’est d’abord de la musique… considérer le texte comme secondaire, voire négligeable (sauf quelques exceptions, celles de textes particulièrement géniaux, ou particulièrement débiles), est assez logique dans le cadre de la chanson.

Arrêtons-nous rapidement sur  l’opéra. De la musique, du texte, du visuel, de la narration, bref, « l’œuvre d’art totale ». Tous les arts s’y combinent… mais là encore, c’est finalement la musique qui prime. Il n’y a pas d’opéra que l’on considère comme un chef-d’œuvre du genre si sa musique est médiocre. Alors qu’existent de grands opéras dont les textes et les histoires ne sont pas forcément remarquables. L’opéra, c’est de la musique bien plus que du théâtre. Comme dans la chanson, mieux vaut toujours avoir un bon texte… mais ce n’est pas une condition nécessaire, car la musique transcende ici le texte. La réciproque n’est pas vraie. Shakespeare a très souvent été adapté à l’opéra, mais le génie de ses pièces ne transcende pas la musique : un opéra tiré d’une pièce de Shakespeare, avec une musique sans intérêt, c’est un opéra sans intérêt. Dans la version moderne et bas-de-gamme de l’opéra, la comédie musicale, si Obispo se mettait en tête d’adapter Macbeth en respectant scrupuleusement le texte, il n’y a guère de chances que cela donne autre chose qu’une grosse daube. Aussi déprimant que cela puisse sembler, le texte génial de Shakespeare ne peut transcender la musique d’Obispo.

Revenons maintenant au sujet… la grande différence entre les bandes originales et l’opéra est que dans les films, jeux vidéo ou documentaires, ce n’est pas la musique qui prime. Elle a évidemment son importance, une importance qui peut parfois être considérable. Mais on ne connaît pas de films que l’on puisse considérer comme un « grand film » simplement parce que la musique est de qualité, si, à côté, la réalisation est plate, le scénario indigent, le jeu des acteurs mauvais. A contrario, il y a de bons films dont la musique est inintéressante. Parmi les films considérés comme les plus mauvais de ces dernières décennies, The Da Vinci Code figure en bonne position. Je ne l’ai pas vu (je ne suis pas maso), mais j’ai écouté la BO de Zimmer. Une très bonne BO, mystérieuse et envoûtante à souhait, qui aurait pu être exactement la même si le film avait été une réussite. Mais on n’est pas dans le cadre de l’opéra, une bonne musique ne peut « transcender » à elle seule un film médiocre (et qui plus est un très mauvais film comme cela semble être ici le cas).

Hans Zimmer - BO The Da Vinci Code

Si l’on comprend bien que l’on peut juger la qualité musicale d’une chanson ou d’un opéra en mettant de côté le texte, il est plus difficile de faire de même pour la musique de films, car son rôle est en général plutôt celui de « subordonnée ». Pour autant, toute subordonnée qu’elle soit, elle a toujours la possibilité de transcender le film, et de se suffire à elle-même. On peut remonter loin ; en 1934, Prokofiev reprend sa musique composée pour le film Lieutenant Kijé, il en fait une Suite d’orchestre qui aura son existence propre, indépendante du film. La romance de la Suite a d’ailleurs été reprise une cinquantaine d’années plus tard par… Sting, qui en a fait un tube pop, « Russians ».

Prokofiev - Romance de Lieutenant Kijé

 

Sting – Russians

 

De musique de film à musique du répertoire classique pour finir tube pop, parcours original que celui de cette musique…

 

Deux cas de figure que vous avez sans doute, comme moi, déjà expérimenté :

-          Un film vous a particulièrement marqué, vous écoutez sa BO (qui vous plaisait pendant le film), pour vous replonger dans l’atmosphère… mais elle vous déçoit. Vous ne parvenez à reprendre contact avec les impressions et sensations suscitées par le film.

-          Parmi vos films favoris, il y en a dont vous adorez la musique, une musique que vous pouvez écouter indépendamment du film et qui vous transporte à chaque fois, mais vous n’êtes pas complètement dupe, vous vous dîtes que si vous aviez découvert cette BO sans voir le film, elle ne vous aurait sûrement pas autant marqué.

Dans ces deux cas, le regard que vous portez sur ces musiques est tributaire du film, elles vous déçoivent ou vous captivent selon que vous ressentiez à leur écoute les impressions qui vous ont parcouru pendant le film. Même dans le cas d’une bande originale exceptionnelle comme celle de Vertigo, une part de la fascination que provoque la musique ne peut être étrangère à celle exercée par les images et l’histoire du chef-d’œuvre d’Hitchcock. Je me suis d’ailleurs toujours demandé dans quelle mesure ma passion pour les musiques de Badalamenti dépendait des films de Lynch. Il est évident que si j’avais découvert ces musiques sans connaître les films de Lynch, je ne les aimerais pas autant. Elles me captivent parce qu’elles me replongent dans l’univers des films… mais aussi, encore heureux, parce qu’elles ont de vraies qualités musicales. Et leur qualité participe aussi de ma fascination pour Lynch. Bref, tout cela est inextricablement lié, et l’on ne peut prétendre être totalement objectif lorsque l’on juge de la qualité purement musicale d’une bande originale de films ou jeux (à moins de les écouter avant, ce qui est relativement rare).

L’exemple du Poème symphonique

Genre typique du XIX° (qui se retrouve encore fréquemment début XX°), le Poème symphonique, c’est en quelque sorte une « musique de film sans film », une « bande originale sans images ». Le principe est de partir d’un matériau extra-musical : une histoire (tirée d’un roman, d’un poème, de mythes, légendes ou de la réalité) ou un visuel (tableau, paysage etc.) et de composer une musique censée l’illustrer. La « musique à programme » (Symphonie Pastorale de Beethoven, Symphonie Fantastique de Berlioz) existait déjà avant que Liszt ne pose les bases du Poème symphonique en un seul mouvement. Ces musiques qui se jouent sans la présence sur scène d’un visuel ou d’un texte chanté ont pour ambition d’orienter la perception de l’auditeur, par le titre de l’œuvre et l’histoire qu’elle prétend nous raconter, qui chargent ainsi ces musiques de signifiants et sensations (La Bataille des Huns, Hamlet, Dans les Steppes de l’Asie Centrale, l’Apprenti Sorcier, le Chasseur maudit, L’île des morts…) Tout comme, pour reprendre mon exemple, le visuel des films de Lynch contribue à la fascination qu’exerce sur moi la musique de Badalamenti, il est tout à fait envisageable de penser que des inconditionnels de Shakespeare au XIX° ont pu aimer particulièrement le Hamlet de Liszt car il leur donnait l’impression de se retrouver dans la pièce, transcendée par la musique. Cependant, si Liszt, au dernier moment, avait décidé de changer le titre de l’œuvre, personne n’aurait pu deviner qu’il était question d’Hamlet, et les shakespeariens auraient eu un regard et un jugement différents sur l’œuvre.

Mais s’il y a une chose que l’on comprend sur la musique lorsque l’on s’intéresse de près au Poème symphonique, c’est que ses interactions avec des éléments extra-musicaux sont finalement secondaires. On a beau tenter, parfois de manière très précise, de donner du sens à la musique, de lui associer tout un réseau de significations, elle est toujours capable de s’en défaire. Une œuvre d’art est ouverte à de multiples interprétations, elle ne peut être enfermée dans un carcan étroit de signifiants, et c’est encore plus vrai pour l’art le plus abstrait : la musique. Parole de chansons, fusion des arts dans le cadre de l’opéra, significations extra-musicales du Poème symphonique : quoi qu’on lui associe, la musique peut toujours s’en échapper. Et même lorsqu’elle a un rôle de « musique d’accompagnement », elle a les moyens de s’extraire des œuvres qu’elle illustre, de vivre une existence propre, indépendante de l’œuvre originale (cf. mon article sur la musique de Requiem for a Dream). L'essence de la musique est profondément poétique : nous cherchons (que l’on soit compositeur, interprète, critique musical, auditeur) à lui donner du sens, mais elle lui échappe sans cesse…  

Pour répondre à la question initiale, si l’on ne peut porter un jugement définitif sur une bande originale sans prendre en compte ses interactions avec le récit et les images, nous ne pouvons, à l’opposé, la contraindre à n’exister et ne faire sens que dans le cadre de l’œuvre qu’elle illustre. Penser qu’une musique dite « d’accompagnement » ou « d’illustration » n’a de sens qu’au sein de l’œuvre, c’est en quelque sorte nier la spécificité du musical, nier son irréductible liberté, celle là-même qui fait que quel que soit ce qu’on lui associe (texte, récit, images), et aussi précise, profonde et intelligente soit cette association, la musique, si elle a les qualités pour, a toujours la possibilité de s’affranchir de l’œuvre…

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25 novembre 2013 1 25 /11 /novembre /2013 18:34

J’étais parti pour utiliser la musique de Vertigo comme une des illustrations d'un article sur les bandes originales, mais un tel chef-d’œuvre mérite tout de même d’être mis un peu plus en valeur. D’autant plus que c’est une de mes musiques de chevet. Je déroge (encore) à la règle de la « musique du lundi » (une œuvre proposée à l’écoute et sans bla bla)… car il serait tout de même dommage de ne pas donner quelques explications sur une musique qui s’accorde aussi bien au propos du film qu’elle accompagne.

Vertigo (Sueurs Froides) est un des plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma, si ce n’est le plus grand. Et la partition de Bernard Herrmann une des meilleures musiques de films, si ce n’est la meilleure. Voilà qui place d’emblée le niveau…

Prelude (and Rooftop)

 

Le thème du double structure le film, comme la dualité structure le prélude… Les deux éléments sont faciles à identifier :

-          Un thème mystérieux, fluide, onirique, hypnotique ; le vertige, ou la « peur du vertige »

-          Des masses de cuivres qui viennent ponctuer ce thème. Elles sont graves, dissonantes, brutales et donnent l’impression d’une chute.

Herrmann mêle avec génie ces deux éléments pourtant opposés. A noter aussi que l’un est horizontal (suite mélodique de notes, qui tournent sur elles-mêmes en spirale), l’autre vertical (ces accords aux cuivres qui semblent « tomber »).

Les oppositions entre ces deux éléments se retrouvent sur tous les plans :

Mélodico-harmonique : Horizontalité / verticalité

Rythmique : Fluidité / rupture  (rythme continu, notes égales / ponctuations « hachées »)

Orchestration : Légèreté / gravité (dans les textures sonores, avec flûtes, vibraphone, cordes d’un côté, cuivres graves de l’autre)

Les contrastes qui distinguent ces deux éléments illustrent aussi deux des dimensions du film : l’atmosphère mystérieuse, fantastique, irréelle suggérée par le thème de départ, le drame et la tragédie suggérés par les cuivres. Mystère et tragédie sont liés dans Vertigo par la passion, vers laquelle ils convergent à 1’10 avec ce motif mélancolique et douloureux ; romantique et wagnérien…

Ces explications étaient-elles nécessaires ? Non, elles ne servent qu’à mieux conceptualiser le rapport entre le film et sa musique, mais nul besoin d’avoir perçu cette dualité musicale pour la ressentir en se plongeant dans cette œuvre magistrale, et tout simplement ressentir la parfaite adéquation entre la musique et les images…

La BO sur grooveshark ou sur youtube.

 

 

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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 12:16

Le jeu vidéo a beau être le produit culturel le plus vendu, et faire appel parfois  à des compositeurs de renom, sa musique ne semble intéresser qu’assez peu les mélomanes. Lorsqu’on se décide, comme cela a été mon cas il y a maintenant de nombreux mois, à faire le tour du meilleur de la musique de jeux, on tombe essentiellement sur des articles et discussions de « gamers ». Et, forcément, leur rapport à la musique de jeux est surtout conditionné par leurs expériences de joueurs. Une approche de la musique de jeux bien plus dépendante de la qualité des jeux que de celles de leurs musiques. En bref : les musiques qu’ils aiment,  défendent et valorisent sont avant tout liées aux émotions ressenties dans le jeu. Ce que je propose ici, c’est donc un regard sur la musique de jeux qui soit plus celui d’un passionné de musique que d’un passionné de jeux…

Peut-on juger la musique des jeux vidéo indépendamment des jeux ?

A priori, une bonne musique de jeux, comme une bonne musique de films, prend tout son sens au sein de l’œuvre, et doit être jugée en fonction. Mais j’ai fait mienne cette phrase du compositeur de musiques de films Michel Legrand (même si je n’aime pas sa musique) : « Une bonne musique de film doit servir le film, comme elle doit servir la musique ». Tant qu’à faire de la musique pour un film ou un jeu, autant faire une pièce musicale qui puisse aussi s’écouter et s’apprécier en dehors de l’œuvre. L’un n’a jamais empêché l’autre, la géniale musique de Bernard Herrmann du non moins génial Vertigo d’Hitchcock en est un parfait exemple…

Evolution de la musique de jeux

Histoire d’entendre rapidement le chemin parcouru en quelques décennies, deux exemples :

Alex Kidd (1986)

 

Mass Effect 2 – The Attack (2010)

 

Musicalement, c’est incomparable… que ce soit en terme sonore et d’orchestration (évidemment), de travail harmonique, structurel, rythmique etc. En une vingtaine d’années, la musique en général n’a pas évolué d’une manière très spectaculaire, mais la musique de jeux video, si. La raison en est beaucoup moins la dimension mature et complexe de bon nombre de jeux actuels que l’évolution de la technologie. Toute l’histoire de la musique vidéoludique a été conditionnée par les capacités de stockage des jeux. Capacités très limitées dans les années 70 et 80, impossible d’utiliser un orchestre symphonique, ni même un instrument acoustique (à quelques exceptions près), seuls quelques sons électroniques pouvaient être supportés par le jeu. Des « bips » électroniques cheap, inécoutables maintenant, sauf par quelques nostalgiques (nostalgeeks, donc)… Dans les années 90, les ordinateurs ont conquis les foyers, les capacités de stockage ont augmenté, et la musique de jeux s’est vue offrir bien plus de possibilités sonores.

Existe-t-il un style musical vidéoludique ?

Non. Mais on tient là un paradoxe esthétique intéressant : la musique de jeu vidéo a évolué et gagné en profondeur au fur et à mesure qu’elle perdait son « style ». Les possibilités de stockage très limitées ont au fond permis aux jeux, à leurs débuts, de créer un style musical très particulier, une musique immédiatement identifiable comme de la « musique de jeux vidéo ». Ce qui était très péjoratif à l’époque, dire à un musicien dans les années 80 qu’il faisait de la « musique de jeux vidéo », c’était l’insulter. Le jeu vidéo n’était lui-même considéré que comme un divertissement pour enfants qui n’avait rien de culturel ou d’artistique. Le développement des technologies, de l’informatique et du stockage dans les années 90 ont permis aux jeux de devenir plus riches et complexes, et d’en finir avec les petites mélodies enfantines et robotiques (Mario Bros) faites de bips électroniques.

A leurs débuts, les jeux se limitaient surtout à de l’adresse (contourner ou détruire les obstacles qui défilent sur l’écran). Mais avec le développement de la technologie, les personnages de jeux et leurs environnements vont considérablement gagner en réalisme et en précision, les jeux vidéo vont ressembler de plus en plus à des films… logique que leur musique ressemble elle aussi bien plus à de la musique de film. Pas uniquement parce qu’elle a maintenant la possibilité d’intégrer de grands orchestres symphoniques, ni par manque d’imagination, mais parce qu’elle a besoin de se conformer à ce langage musical « universel » pour que le joueur ait l’impression de vivre les mêmes combats épiques, situations dramatiques, grandioses, merveilleuses ou terrifiantes que celles des films. Il est aussi amusant de constater que, ces dix dernières années, les jeux ressemblent de plus en plus à des films comme les films ressemblent de plus en plus à des jeux (avec la 3D un peu factice, l’abondance de films de super-héros détruisant des hordes d’ennemis en images de synthèse etc.)

Spécificités de la musique de jeux

Si la musique de jeux vidéo n’a pas un style particulier, elle n’en a pas moins quelques spécificités, et reste soumise à certaines contraintes importantes. Mais pas plus qu’il n’existe un « style musical vidéoludique », il n’existe un seul type de jeu. Entre un jeu de course, un jeu de stratégie, un jeu de guerre nerveux et spectaculaire, un jeu de rôle où le joueur est libre de ses actes, de ses choix et ses déplacements, ce ne sont pas les mêmes attentes ni les mêmes contraintes en matière de musique.

Une des différences majeures entre le jeu-type des années 80 et celui des années 2000, c’est que les jeux d’antan imposaient leur rythme alors que c’est maintenant le plus souvent le joueur qui impose le sien. Il fallait auparavant suivre le rythme du jeu, appuyer sur les bonnes touches au bon moment, neutraliser les obstacles qui s’accumulaient sur un rythme précis, et la musique donnait le tempo au joueur… maintenant, vous avez généralement tout loisir de vivre l’aventure à votre propre rythme. Foncer dans le tas comme un bourrin lors d’un combat ou utiliser votre environnement d’une manière plus stratégique, explorer chaque recoin du territoire que vous parcourez ou filer tout droit vers votre prochaine destination etc… Et c’est là ce qui entraîne une des différences majeures avec la musique de films. Dans un film, le réalisateur, le monteur et le compositeur peuvent faire coïncider au millième de seconde près la musique et les images, pas dans un jeu (enfin, pas dans un jeu qui laisse un minimum de liberté). La recherche de cohérence et d’homogénéité est donc cruciale dans la musique de jeux vidéo. Les ruptures musicales assez brusques sont fréquentes au cinéma, elles permettent de donner un coup d’adrénaline, et de bien marquer que l’on passe à quelque chose de nouveau, d’illustrer un retournement de situation ou un contraste entre deux individus… exemple stéréotypé : une situation anxiogène sur fond de tremolo de violons, puis la menace se dévoile et avance rapidement, rythmée par de grands coups de percussions et des traits de contrebasse, le héros surgit accompagné par un thème plein d’emphase. Dans un jeu, si le joueur est libre de ses mouvements et la situation n’est pas scriptée, c’est impossible. Le temps pris par chaque joueur pour se déplacer est différent, comme le type d’action qu’il va effectuer au sein d’un même environnement. Un morceau avec un thème sombre et martial qui surgit au moment où vous cueillez une fleur pour fabriquer une potion, puis qui s’adoucit lorsque déboule un monstre quelconque, un motif héroïque et pétaradant pendant que vous fuyez lâchement le combat… c’est pas terrible pour l’immersion. Des motifs particuliers qui se déclencheraient pour accompagner telle ou telle action, ça ne peut pas non plus fonctionner à chaque fois, les joueurs particulièrement rapides seraient vite agacés par ces successions de motifs. Les musiques se déclenchent parfois en fonction d’un changement de lieu, d’action (passage à une phase de combat), mais elles ne doivent surtout pas donner au joueur l’impression d’une coupure trop brusque car, contrairement aux films, on ne peut être aussi précis sur les transitions. Il est donc particulièrement important d’éviter les changements de tonalités et modulations, puisqu’on ne peut les préparer musicalement avec ponts modulants et des « accords pivots » (un accord pivot appartient à deux tonalités différentes et sera donc privilégié pour faire la transition en douceur entre l’une et l’autre). Un joueur peut prendre cinq minutes pour explorer un lieu avant de se lancer dans un combat, un autre deux ou dix minutes… il n’est donc pas possible de prévoir précisément quand la première musique « d’exploration » va laisser la place à la musique « de combat ». Pourtant, il faut que l’on puisse passer de l’une à l’autre à n’importe quel moment, sans que ça ne gêne l’oreille. C’est là un des défis majeurs des compositeurs de musiques de jeux vidéo, créer des musiques qui peuvent s’emboîter à n’importe quel moment, mais avec des contrastes qui permettent de marquer les changements de situation.

Autre élément important : éviter certains thèmes trop « brillants », certains effets qui peuvent devenir très agaçants à la longue. Par exemple, dans une phase de combat contre un « boss », les joueurs aguerris peuvent ne prendre que deux minutes là ou d’autres auront besoin d’un quart d’heure, d’une demi-heure, voire d’une heure s’ils se font chaque fois battre et doivent recommencer de nombreuses fois le combat. Il faut une musique intense et puissante pour illustrer la scène, mais une musique qui puisse être supportée une heure par le joueur… Le thème le plus célèbre de Psychose d’Hitchcock, avec ses violons stridents, est d'un effet saisissant absolument parfait dans le film :

 

Mais imaginez « Psychose, le jeu », un sympathique jeu où vous incarneriez Norman Bates… mettons que vous n’arrivez pas à tuer votre victime du premier coup, elle s’enfuit et vous lui courrez après une bonne vingtaine de minutes dans les bois… vos oreilles auront à coup sûr beaucoup de mal à supporter en boucle ce motif durant vingt minutes (ou alors, c'est que vous êtes un vrai psychopathe)…

 

Fonction de la musique de jeux

La musique de jeux n’a pas un rôle fondamentalement différent de la musique de films :

-          Créer une ambiance, une « identité sonore » du jeu, comme l’identité sonore d’un film.

-          Donner le tempo. Si les joueurs peuvent régulièrement vivre l’aventure à leur rythme, il n’en reste pas moins que chaque jeu suggère un certain type de rythme. Nerveux dans des jeux de guerre spectaculaires type Call of Duty, relativement lent dans des mondes ouverts (Fallout, Elder Scrolls). Et changer de rythme en fonction des différentes séquences.

-          Accroître les émotions du joueur : une belle mélodie pour un passage émouvant, un thème martial lors d’un combat, des harmonies dissonantes dans une situation anxiogène etc.  

Et les chansons ?

Bien évidemment, il arrive que soient intégrées des chansons dans les jeux, le plus remarquable de ce point de vue est sans doute GTA IV, où le joueur, en voiture, a plusieurs stations disponibles sur son autoradio, décidant lui-même quelle va être la bande-son de son aventure... rock, avec Iggy Pop pour DJ, et des chansons de Led Zep, The Doors, Pink Floyd, Bowie, les Stooges, AC/DC, The Who, Hendrix & co (mais il faut aussi se taper du Elton John, U2, Kiss, Joan Jett, Bon Jovi), rap (Ghostface Killah, Busta Rhymes, Mobb Deep, Gang Starr...), Electro ou ambient (Killing Joke, Aphex Twin, Philip Glass, Terry Riley, Steve Roach, Tangerine Dream, Justice), Jazz (Blakey, Basie, Coltrane, Chet Baker, Miles Davis, Rollins, Gillespie, Ellington...), Afrobeat (avec pas moins que Femi Kuti comme DJ, et du Gil Scott-Heron), soul, reggae, funk, punk hardcore etc... Bref, il y en a vraiment pour tous les goûts, avec des playlists de qualité (la liste est ici).

En revanche, en matière de chansons composées spécialement pour des jeux vidéo... pas grand-chose d'intéressant à se mettre dans les oreilles. Il y a bien les chansons jazz de L.A. Noire interprétées par Claudia Brücken (chanteuse de Propaganda, son P-Machinery ayant été un des morceaux qui m'a le plus marqué dans mon enfance, ce n'est pas pour me déplaire), qui "joue" un des personnages principaux de l'histoire, une chanteuse allemande de jazz... ou ce qui est peut-être la meilleure chanson composée pour un jeu vidéo, la très agréable No One Lives Forever, du jeu du même nom, parodie de James Bond au féminin :

  

Le meilleur de la musique de jeux

Depuis février, j’ai écouté des centaines de BO de jeux, en priorité les plus célèbres, les plus renommées, mais aussi celles de jeux indépendants ayant un très bon accueil critique. Je découvrais au début beaucoup de bonnes choses, beaucoup, aussi, de musiques à mon sens très surestimées par les joueurs… et après une trentaine d’albums, je finissais par désespérer de trouver au moins UN chef-d’œuvre de la musique de jeux, une BO qui soit parfaite de bout en bout… jusqu’à ce que je tombe sur la musique de Fallout. Le paradoxe est que je prétends au début de l'article poser un regard sur la musique de jeu qui soit bien plus celui d’un mélomane que d’un gamer, mais les deux musiques que je place au top sont deux musiques qui ne sont pas très accessibles en dehors du jeu, l’une très ambient (Fallout), l’autre très dissonante (Dead Space). Mais pour qui sait écouter et n’attend pas de la musique juste quelques jolies mélodies et rythmes entraînants, ces musiques sont véritablement captivantes et remarquables d’intelligence et de musicalité…

Beaucoup de musiques intenses, puissantes et martiales dans les jeux vidéo, normal, les combats y sont légions... et à ce jeu-là, difficile de rivaliser avec un Hans Zimmer, Of Their Own Accord / Crow's Nest de sa BO de Call of Duty est un vrai chef-d'oeuvre du genre (et quel final...) :   

 

 

- Les compositeurs de musiques de jeux

Si les créateurs de jeux se paient de temps en temps les services de compositeurs célèbres qui viennent d’autres univers musicaux (Hans Zimmer, donc, pour les BO de Call Of Duty Modern Warfare 2 ou Crysis 2, Amon Tobin pour Splinter Cell Chaos Theory, Trent Reznor pour Quake), les compositeurs que l'on retrouve sur les meilleures BO sont souvent les mêmes, et en général des compositeurs qui se sont spécialisés dans la musique de jeux. Jason Graves (Dead Space) est celui qui m’a le plus impressionné, ce pourquoi je lui ai consacré un bref article avant celui-là, mais il y en a d'autres qui méritent qu'on les suivent (je mets à côté de leurs noms leurs meilleures musiques de jeux seulement) : 

Sascha Dikiciyan & Cris Velasco : Prototype, Borderlands 2

Jack Wall : Myst III et IV, Mass Effect 1 et 2

Mark Morgan : Fallout 1, 2 et New Vegas

Jeremy Soule : Skyrim, Oblivion, Total Annihilation, Warhammer 40 000

Jesper Kyd : Darksiders 2, Borderlands, Hitman, la série des Assassin's Creed

 

- Les meilleures BO  

 

Fallout-1.jpg

1. Fallout (Mark Morgan)

Tout simplement un des meilleurs albums de musique ambient que je connaisse... 

Jason-Graves-Dead-Space-2-Soundtrack-copie-1

2. Dead Space (1, 2 et 3) (Jason Graves)

Cf. mon article 

La_noire_ost.jpg

3. L.A. Noire (Andrew & Simon Hale)

De grosses influences Miles Davis / John Barry pour cette très belle BO jazz et orchestrale, musique idéale de film noir des années 50... 

call_of_duty__modern_warfare_2.jpg

4. Call of Duty : Modern Warfare 2 (Hans Zimmer)

Une BO qui a sa place à côté des meilleures musiques de film de Zimmer. Intense, violente, puissante, épique, avec quelques thèmes très efficaces et inspirés.

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5. Sasha Dikiciyan / Michael McCann / Ed Harrison - Deus Ex: Mankind Divided (9)

6. Ed Harrison - Neotokyo (8.5)

7. Splinter Cell : Chaos Theory (Amon Tobin) 

Pas un des meilleurs albums d'Amon Tobin, mais même un Tobin mineur reste au-dessus du lot...

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8. Mass Effect (1, 2 et 3) (Jack Wall & co)

Un peu trop de pathos et d'emphase parfois, mais aussi beaucoup de morceaux de grande qualité, et une BO qui accompagne à merveille cet univers SF / space opera.    

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9. Machinarium (Tomas Dvorak)

Avec un nom pareil, voilà bien un compositeur qui ne pouvait être mauvais. De la musique électronique planante mais aussi ludique et légère. Une musique riche, pleine de subtilités et d'une grande musicalité. Un vrai petit bijou.  

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10. Myst III et IV (Jack Wall)

Des BO envoûtantes et hypnotiques à souhait...

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11. Portal 2 (Mike Moraksy)

A ne pas louper si vous êtes amateur de musiques électroniques, cette BO fourmille de bonnes idées et de très bons morceaux... 

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12. Skyrim (Jeremy Soule)

Un peu inégal... quelques thèmes très pompeux qui s'avèrent lourds quand on écoute cette BO indépendamment du jeu, mais aussi pas mal d'excellentes compositions, très fines et remarquablement écrites... dont certaines auraient pu faire bonne figure chez un Arvo Pärt. Notamment ce magnifique "Standing Stones" que vous retrouverez dans mes playlists.  

Et j'avoue aussi un gros faible pour la musique de Protoype 2... un must dans le genre "musique sombre"... L'album n'est pas disponible sur grooveshark, mais vous le trouverez complet sur Youtube.  

 

Aux portes du top 10, quelques autres BO de grande qualité :

The Last of Us : Recommandé par plusieurs lecteurs dans les commentaires, et c'est en effet une excellente BO. 

Crysis 2, Far Cry 3, Borderlands 2, Half-Life 2, Splinter Cell Double Agent

Jesper Kyd - Assassin's Creed 2 (8)

 

Ajout 2013 :

Christopher Drake - Batman Arkham Origins (BO) (8)

 

2014

Brian Reitzell - Watch Dogs (8)

 

2015

Inon Zur - Fallout 4 (8,5)

Martin Przybylowicz - The Witcher 3 (8)

 

2016

Yuka Kitamura - Dark Souls III (8.5)

 

2019

Ludvig Forssell - Death Stranding (8.5)

 

2023

Floex - Shoulders of Giants (8)

 

   

- Playlists 

Dans la playlist « version longue », je mets – un peu comme pour ma playlist de l’année – tous les morceaux qui me semblent intéressants… je suis arrivé à 136 morceaux, voilà pourquoi un « best-of du best-of » s’imposait, une playlist avec une vingtaine de titres, les tous meilleurs de la musique de jeu de mon point de vue. Ces playlists, comme la liste d’albums, seront mis à jour de temps en temps, je compte bien continuer à m’intéresser à la musique de jeux et enrichir cet article dans le futur…

 

Playlist version "courte" 

 

Mark Morgan - The Vats (Fallout)

Sascha Dikiciyan & Cris Velasco - Alex Theme (Protoype)

Behavior - Iceland Extract part 2 (Splinter Cell Double Agent)
Andrew Hale - Redemption part 2 (L.A. Noire)
Jason Graves - Hospital Escape (Dead Space 2)
Jeremy Soule - Standing Stones (Skyrim)
Brian Tyler - Lost Child (Far Cry 3)
Sascha Dikiciyan & Cris Velasco - Dam Interior (Borderlands 2)
Hans Zimmer & Lorne Balfe - Of Their Own Accord / Crow's Nest (Call of Duty Modern Warfare 2)
Jeremy Soule - Auriel's Ascension (Oblivion)
Extrait de Half-Life 2
Jack Wall - Theme from Edanna (Myst III : Exile)
Tomas Dvorak - Mr. Handagote (Machinarium)
Tomas Dvorak - The Black Cap Brotherhood Theme (Machinarium)
Mike Moraksy - Final Showdown (Portal 2)
Jack Wall - Overlord (DLC Mass Effect 2)
Jack Wall - The Attack (Mass Effect 2)
Laura Karpman - Character Creation (Everquest II)
Jesper Kyd - Lord of the Black Stone (Darsiders II)
Kärtsy Hätakka & Kim Kajasto - Max's Passion - Mona (Max Payne 2)
Gustavo Santaolalla - The Quarantine Zone (20 Yrs Later) (The Last of Us)
 
[Edit] Ces 2 playlists ont disparu avec l'arrêt de Grooveshark, je les remplace par des playlists sur Youtube et Spotify : 
 
 
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