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7 août 2011 7 07 /08 /août /2011 00:06

 

Super-8-J_J_-Abrams.jpgFait surprenant dans le cinéma à grand spectacle actuel, J J Abrams a tenté un pari un peu fou… écrire une histoire et créer des personnages. Oui, vous ne rêvez pas,  vous avez bien lu, dans cette nouvelle superproduction, pas de recyclage de super-héros en costume lycra, pas de grosse saga tirée de livres pour enfants, pas d’adaptation de dessin animé, bd, série, jeux vidéo ou vieux films,  et, je vous le garantis, malgré le « 8 » du titre,  ceci n’est pas une suite.

 

Comme je le déplorais ici, depuis l’entrée dans ce nouveau millénaire le cinéma populaire n’invente plus grand-chose et recycle tout ce qui bouge… et même tout ce qui ne bouge plus depuis 20 ans et qu’on pensait mort et enterré. C’est toujours le cas en ce moment, il suffit de voir les blockbusters en salle depuis cet été : un énième épisode (le dernier, enfin !) du sorcier binoclard, Cars 2, Transformers 3, Kung-Fu Panda 2, les schtroumps 3D (et le nouveau X-men un peu auparavant)… et qu’est-il prévu pour la fin de l’été ? La Planète des Singes, Green Lantern ( !),  Captain America (!!), et le remake de Conan le Barbare ( !!!).

 

En ces temps moroses où l’achat de franchises s’est substitué à l’inspiration, reconnaissons à Abrams l’audace étonnante d’avoir voulu raconter une histoire sortie de son imagination, pas d’un vieux comic-book. D’autant plus qu’il a vraiment écrit seul le scénario, pas entouré d’une armée de scénaristes comme cela se fait à Hollywood depuis un moment... du cinéma d'auteur, donc. Faut dire aussi que son précédent film, un énième Star Trek (désolé pour les geeks qui me lisent, mais déjà qu’en série, c’était chiant…) sans grand intérêt, avait de quoi le pousser à ne pas continuer dans cette voie.

 

L'ironie de l’histoire est que ce blockbuster a beau être une « création originale »… l’hommage à Spielberg (producteur du film) est évident. Abrams ne recycle pas une franchise et des personnages, mais plutôt un « genre » de cinéma, typique des années 80. Enfin, on a tellement tellement perdu l’habitude de films à grand spectacle qui soient des créations originales qu’on s’en contentera, c’est toujours beaucoup mieux que rien.

 

Cependant, autant le dire clairement dès maintenant quitte à enfoncer une porte grande ouverte : Super 8, à l’image des films de Spielberg des années 80, n’est sûrement pas un chef-d’œuvre impérissable du 7° art. Juste un divertissement efficace, honnête et sympathique. Ce qui est déjà énorme dans le contexte actuel. Enfin un vrai film « pour tous » (exceptés de trop jeunes enfants) – aller voir Harry Potter à 40 ou même 30 balais (sans mauvais jeu de mots) franchement, ça craint… Enfin un film sans jargon, background particulier ou gros clin d’œil qui vous fait sentir quelque peu exclu si vous ne connaissez pas « l’œuvre » originale. Enfin un film à grand spectacle sans cette horrible 3D artificielle qui vous donne l’impression d’être coincé dans un mauvais jeu vidéo. Enfin un blockbuster spectaculaire sans héros dotés de pouvoirs mutants, magiques, cosmiques, chimiques, technologiques etc. C’est aussi ça qui donne au film sa fraîcheur, pas « d’élu » aux pouvoirs surnaturels comme en débarquent chaque semaine sur les écrans, juste des humains, normaux, attachants, face à une situation exceptionnelle. Et cette fraîcheur se retrouve dans le casting :  aucune star, pas de visages vus et revus , pas de gravures de mode, mais des acteurs au physique tout à fait banal.

 

Pour toutes ces raisons, Super 8 fait l'effet bon bol d’air frais, alors même qu’on aurait pu craindre qu’il sente la naphtaline. Rien de révolutionnaire, certes, mais rien de honteux non plus, bien au contraire, Super 8 est un film à voir en vacances pour passer un bon moment sans se prendre la tête ni avoir la désagréable sensation d’être pris pour un demeuré.

 

Le côté rafraîchissant de Super 8, cette manière de faire du neuf avec du vieux, on ne les doit pas à des prouesses technologiques, mais à une vraie bonne idée : celle du film des enfants. Pas besoin d'une débauche d'effets spéciaux dernier cri pour donner l'illusion d'une nouvelle jeunesse à ce genre, le simple fait de voir ces gamins se consacrer avec tant de simplicité et d'enthousiasme à leur film de zombie imprègne le spectateur qui a ainsi l'impression d'assister à un film fait avec la même énergie. Même sans grande originalité (à l'image du film des enfants, qui accumule les clichés comme le font souvent les enfants...), Super 8 n'est pas un film poussiéreux, plutôt un bain de jouvence.     

 

Le paradoxe, qui en dit long sur la baisse de niveau du cinéma grand public depuis la fin des années 70, c’est que les grosses productions de Spielberg des années 80, malgré d'indéniables qualités, contribuaient plutôt à tirer le cinéma vers le bas, n’en déplaisent aux trentenaires nostalgiques de E.T. et compagnie.  Et pourtant, avec ce film aux airs de « revival », Abrams remonte très nettement le niveau des films grand public actuels. Il faut dire aussi, quitte à me faire encore plus haïr des trentenaires nostalgiques de E.T., que Super 8, à mon sens, est mieux foutu que la plupart des Spielberg des 80’s. Là où Spielberg tombait un peu trop souvent dans le mielleux, Abrams parvient à garder un meilleur équilibre, entre l’action et l’émotion, l’intime et le spectaculaire, la tension et la légèreté,  l’effroi et l’humour. Le film d’Abrams n’est pas un « film pour enfant » comme on pouvait parfois le reprocher à Spielberg, juste un film « avec des enfants ».

 

Les critiques font systématiquement référence au cinéma de Spielberg, ce qui est indiscutable dans le final de Super 8 (les dernières minutes sont les plus référencées et les moins intéressantes… par contre, il ne faut pas louper le générique de fin, certains sont sortis un peu trop vite de la salle, tant pis pour eux)…  mais les 2/3 du film me semblent au fond plus proches de Stephen King. Une petite ville américaine, des personnages assez simples, touchants, pas forcément lisses mais qui ont en général un bon fond, des gamins crédibles, et, bien sûr, un phénomène étrange particulièrement flippant.  

 

Enfin, le meilleur pour la fin : le film dans le film. La mise en abyme biographique est assez évidente (on imagine Abrams se revoir, enfant, faire des films comme il peut… une création « originale » mais sans grande originalité non plus , comme tous les gamins, il s’inspire à la limite du copiage de films qui l’ont marqué, sans star, le tout avec beaucoup de détermination et de sincérité…) mais il y en a une autre, plus intéressante, sur l’évolution du cinéma grand public :

 

Le cinéma des 80’s auquel Abrams rend hommage est un cinéma de « grands enfants », un cinéma populaire qui avait certes des prétentions commerciales, mais surtout une volonté de raconter des histoires faites « pour le cinéma », avec des héros et situations sortis le plus souvent de l’imagination de l’auteur…  Ces grands enfants rêvant de faire du cinéma ont été remplacés par des financiers se disputant des franchises. Un phénomène qui a d’ailleurs commencé à se développer dans les années 80, mais on était loin de ce qui se fait actuellement. Les enfants de Super 8 qui veulent faire des films « comme les grands », et y arrivent plus ou moins maladroitement, voilà une bonne métaphore de ce qu’a pu être le cinéma à grand spectacle des années 80. Une naïveté assez enfantine, mais une envie de partager son univers et ses histoires. Maintenant, c’est l’inverse, des adultes qui, avec très peu d’imagination mais beaucoup de pognon et de cynisme, courent après les franchises les plus rentables pour faire des films puérils, des films d’enfants trop gâtés, des films d’enfants tellement gâtés qu’avec un chapeau et un bout de ficelle, ils ne pourront plus inventer un Indiana Jones, mais, les yeux rivés devant des jeux vidéos ultra-chiadés où rien n’est laissé à l’imagination, ne savent plus que reproduire et adapter. 

 

Loin de moi l’idée qu’un film doit forcément être une création originale, beaucoup des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma sont tirés de romans, et beaucoup des pires navets sont des créations originales. Le problème n’est pas d’adapter et copier, il est que le cinéma populaire ne se repose quasiment plus que sur ça.

 

Pour transposer cela dans l’univers musical, faire des reprises n’est pas un problème en soi. Mieux vaut évidemment une bonne reprise qu’une mauvaise compo, ça tombe sous le sens. Mais si tout le monde ou presque ne composait plus rien et se contentait de faire des reprises, il y aurait vraiment de quoi s’inquiéter, non ? Si on en arrivait là, Super 8 serait l’équivalent d’un bon album pop de compos originales dans un monde de reprises, un album très plaisant qui, certes, ne révolutionne pas le genre, mais tout en s’inspirant de tubes pas trop ringards des 80’s (si si, il y en a quelques-uns), arriverait à proposer des chansons tout à fait honorables et écoutables… et c’est déjà pas mal du tout.

 

  

A lire en complément : cinéma dépotoir 

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19 avril 2011 2 19 /04 /avril /2011 13:37

twin-peaks-loge.jpgNon, je n'ai pas l'intention d'ouvrir sur Music Lodge une catégorie "le programme télé de votre soirée", mais je ne pouvais ne pas glisser un mot sur la diffusion de Twin Peaks à partir de ce soir, 22h30 sur Arte. Glisser un mot pour vous dire... de ne pas la regarder. Pourquoi ? Parce qu'Arte a la très mauvaise idée de la diffuser en VF, comme elle le fait d'ailleurs pour toutes ses excellentes séries : Breaking Bad, les Tudors, The Killing (à la limite, pour la série danoise The Killing, ça peut se comprendre). 

 

Les films de Lynch sont faits pour être vus sur grand écran, ce sont des expériences cinématogrpahiques qui perdent beaucoup sur une petite télé. Twin Peaks est une série télé, mais ça reste du Lynch, le visuel et le sonore y ont une place... j'allais dire "à part", mais ce n'est pas le terme qui convient, puisqu'ils sont partie intégrante de l'oeuvre. Les mots prononcés, la façon de les prononcer ont bien plus d'importance que dans une série policière lambda. Je n'irais pas jusqu'à dire que Twin Peaks en français, c'est comme du Bob Dylan chanté par Hugues Auffray, mais c'est tout de même une grosse perte. Difficile de s'immerger totalement dans cettte Amérique profonde idéalisée / fantasmée / cauchemardesque bloquée dans les 50's sans la VO.

 

Si Arte passait Twin Peaks en prime time, on pourrait accepter qu'elle veuille toucher le "grand public" mais comme ses autres séries, elle passe qu'en deuxième partie de soirée... pourquoi alors se priver de la VO ?

 

Je ne suis pas un ayatollah de la VO. Il y a des films et séries pour lesquels VF ou VO ne changent pas grand chose. Mais pas Twin Peaks. Tout comme bon nombre de films d'auteurs américains où la langue a son importance, films que diffuse maintenant Arte en VF, alors qu'elle les passait en VO auparavant. Une véritable régression pour la chaîne qui se targue d'exigence. 

 

Bref, si vous n'avez encore jamais vu cette série géniale (mais qu'avez-vous donc fait de plus important ces 20 dernières années ?), je ne saurais que trop vous conseiller de vous procurer les DVD pour la VO. Une dérogation, tout de même, pour ceux qui ne sont pas de grands amateurs des oeuvres lynchiennes, qui n'iront jamais jusqu'à acheter les DVD de la série, mieux vaut encore la suivre en VF sur Arte que de ne jamais la voir...  

 

A lire (si vous avez déjà vu la série, sinon, vous serez vite largués), mon article sur une explication de l'univers et des personnages de la série à partir d'une de ses musiques : Audrey's Dance

 

L'article de Thom

 

 

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30 mars 2011 3 30 /03 /mars /2011 11:24

 

Black-Swan.jpg   

Cette chronique vient un peu tard, le film est déjà sorti depuis un bon bout de temps… mais je viens à peine de le voir. Les critiques assez négatives (dans les articles et les commentaires) chez Dr. F et Playlist Society m’avaient refroidi, j’y suis finalement allé au dernier moment… et je ne le regrette pas. Plutôt que de poster un commentaire de 50 lignes (ce que j’étais en train de faire) sous des articles qui datent d’un mois ou plus et que seuls leurs auteurs liront, j’ai choisi de consacrer un billet à défendre ce film contre ce que j’ai pu en lire chez mes confrères blogueurs, assez sévères – même si Blake est un peu plus clément :

 

    

Dr. F.   

Playlist Society

Benoît – HopBlog

Blake

Spiroid

 

(Si vous comptez voir le film, je vous déconseille de lire ce qui suit, j’y révèle beaucoup de choses, et même le dénouement)…

 

Il est certain qu’il règne une impression de déjà-vu dans Black Swan, que le coup du personnage qui devient schizo, souffre d’hallucinations et se mutile, on l’a vu et revu. Mais que tout soit bien surligné et que l’on devine assez aisément ce qui va se passer n’est au fond pas dérangeant, à mon sens. Black Swan n’a rien du thriller avec un « twist » final qui va retourner le spectateur, c’est bien plus un film qui joue sur la symbolique… ça m’a semblé évident dès le début, ne serait-ce que parce qu’on est dans le monde du ballet, un monde où ce qui compte n’est pas l’histoire, le suspense, mais les symboles. Et les symboles sont, par nature, rarement d’une grande finesse (le cygne blanc et le cygne noir du Lac des Cygnes, justement… et pour répondre à Guic sur « l’evil twin »…peu importe que ce ne soit pas à l’origine dans le Lac des Cygnes, c’est l’interprétation que veut en faire le chorégraphe, et c’est une interprétation qui me semble tout à fait valable). 

 

Beaucoup critiquent la lourdeur de Black Swan, notamment Blake chez Dr. F qui parle de « ce film-bulldozer sans finesse (un comble quand on parle de danse et de ballet!) »

 

J’aurais plutôt tendance à penser que le manque de finesse est, au contraire, parfaitement en accord avec le sujet. Tout d’abord parce qu’on a dans les ballets de « gros symboles » plutôt que des histoires complexes et subtiles, comme je viens de l’évoquer. Et si j’ai toujours eu du mal avec la musique de ballet – avant le XX° - c’est bien parce que j’ai du mal avec sa « lourdeur ».

La finesse, dans la musique romantique, on la trouve dans les pièces pour piano, la musique de chambre, les œuvres de Chopin, Schubert, Fauré, Schumann, Liszt… ou même le traitement orchestral et harmonique de l’opéra chez Wagner. Mais surtout pas dans la musique de ballet, qui était l’œuvre de compositeurs de troisième zone avant Tchaïkovski, et reste encore assez « lourde » avec lui. Que ce soit dans cette succession de numéros bien distincts composés de différentes danses (valses, danses folkloriques etc…), et les rythmes très marqués (normal, c’est une musique faite pour être dansée, on y appuie les rythmes plus que dans d’autres types d’œuvres… mais, du coup, elle semble assez « lourde » voire pompière à l’auditeur de musique classique en quête de subtilité). La délicatesse, la finesse et la grâce sont dans les mouvements des danseurs, et peu, à mon goût, dans la musique et les sujets des ballets romantiques.

 

Ensuite, Aronofsky ne fait pas un film « sur la danse », à aucun moment son film ne prétend être une déclaration d’amour à cet art, ce qui l’intéresse, ce sont les coulisses. Et là aussi, rien n’y est léger. La concurrence, la rigueur, les sacrifices et tout ce que les danseurs / danseuses doivent faire subir à leur corps pour atteindre le niveau d’excellence demandé sont particulièrement lourds. Sur scène, rien de tout cela ne doit transparaître, mais en dehors, c’est bien la réalité de la danse classique. Traiter ce sujet avec une certaine grâce et légèreté aurait été totalement à côté de la plaque, mais Black Swan est plutôt dur et éprouvant, à l’image du milieu qu’il dépeint.

 

Comme cela a été noté dans les articles de Dr. F, Blake, Benoît et Playlist Society, on se dit souvent qu’on a déjà vu tel ou tel élément chez Argento, De Palma ou encore Cronenberg… mais la principale critique que je pourrais faire à Black Swan est la similitude avec Mulholland Drive (qui, à ma connaissance, n’a pas été évoquée). Une actrice / danseuse qui rêve de gloire ; une femme plus sensuelle qui est à la fois amie et rivale, qui la fascine comme elle la jalouse… ce qui se concrétisera par un fantasme érotique lesbien d’un côté, et un conflit pour s’attirer les faveurs du  réalisateur / chorégraphe de l’autre. Tourmentée par la crainte de ne pas arriver à réaliser son rêve, l’actrice / danseuse sombre dans la schizophrénie... le parallèle est saisissant. Bien sûr, chez Lynch, tout cela est mis dans le désordre, et le spectateur a beaucoup plus de mal à distinguer ce qui tient du fantasme de l’héroïne que de ce qu’elle a réellement vécu. Autre différence de taille : chez Lynch, pas de psychologie, l’actrice est broyée par un système (« l’usine à rêves » hollywoodienne) alors que chez Aronofsky, malgré les pressions extérieures, on sent bien plus l’héroïne s’enfermer seule progressivement dans la folie (notamment par la réalisation caméra à l’épaule). Les deux traitent d’un même sujet par le biais de leurs obsessions : dérouter le spectateur avec l’interpénétration surréaliste des mondes réels et rêvés/fantasmés chez Lynch, autodestruction chez Aronofsky où, comme dans Pi et Requiem for a Dream, le personnage central torture son propre corps pour exprimer/fuir sa détresse mentale.

 

 

Si Black Swan ne fait pas toujours dans la finesse, il n’en est pas pour autant exempt. Il évite ainsi pas mal de clichés assez attendus pour ce type de film, par exemple :

 

- La mère. Des parents durs et intransigeants, d’une exigence extrême avec leurs enfants et qui attendent d’eux qu’ils réalisent leurs propres rêves, on en a vu des centaines dans les fictions (comme dans la réalité). Et dans le cas si particulier de la danse classique, avec une mère qui a elle-même été danseuse et a dû mettre un terme à sa carrière pour sa fille, on sait d’autant plus à quoi s’attendre. Dans la grande majorité des cas, dès le premier plan, on sait qu’on est face à ce type de parents. Pas de nuances, il faut nous montrer que l’enfant n’a jamais eu de répit, qu’il a un père ou une mère psycho-rigide et en souffre depuis toujours. Sauf qu’Aronofsky traite ce sujet avec bien plus d’ambiguïté. Par bien des aspects, Nina est plus dure avec elle-même que sa mère l’est avec elle. Lorsqu’elle pense n’être pas prise et rentre en pleurs, ce qu’on attend, c’est que la mère montre sa déception, lui sorte quelques phrases cassantes… au contraire, elle la console et la rassure, tente de lui faire comprendre que ce n’est pas si grave. Et lorsqu’elle est finalement prise pour le premier rôle, la scène cliché aurait été de voir la mère ne pas relâcher la pression, lui refuser ce gâteau, par exemple… et là, c’est encore l’inverse, c’est la mère qui achète la gâteau, et insiste pour que sa fille en prenne une part et s’autorise quelques petits plaisirs. Les scènes où la mère se montre dure en sont d’autant plus flippantes, car on n’est pas dans le cadre habituel d’une mère monolithique, froide et rigide, qui ne laisse rien passer… la mère de Nina est aussi sa « meilleure amie », sa confidente, et a une affection réelle pour sa fille.



- Le cliché de l’artiste d’exception, trop sensible pour être compris, porté par une idée si haute de son art que son exigence va finir par le détruire. Si Black Swan avait été un film plus cliché, plus convenu, Nina aurait été une danseuse géniale fascinant tout le monde lors de la première audition, et tellement habitée par ces personnages de cygne noir et de cygne blanc qu’elle en aurait sombré dans la folie… mais Black Swan, ce n’est pas du tout ça. Nina est une très bonne danseuse, certes, mais elle n’a rien d’exceptionnel. Comme cela est dit et montré tout au long du film, elle a la technique, elle bosse dur… mais c’est au fond une « laborieuse » plus qu’une grande artiste. Sortie de ce qu’elle sait faire, de sa technique, elle se révèle incapable de se transcender, de réaliser ce qui est le propre des grands artistes : dépasser la technique et subjuguer ainsi le public. D’où sa difficulté à incarner le cygne noir. Elle est comme un interprète lambda capable de jouer les notes de la partition, mais qui ne saurait en livrer une véritable « interprétation ». De plus, elle ne semble jamais portée par une haute idée de l’art. Sa boîte à musique et sa sonnerie de portable, sur le fameux air du Lac des Cygnes, en témoignent… son rapport à la danse, à l’art, garde quelque chose de très puéril, c’est un rêve d’enfant qui l’obsède, une chimère plus qu’une vocation. Et c’est aussi ça qui rend ce personnage si attachant, et peu courant dans la fiction : au fond, Nina n’est qu’une petite fille timide et fragile, qui veut absolument réaliser son rêve et répondre aux attentes de son entourage, au point d’opter pour la solution la plus radicale, la seule capable de lui permettre enfin de « lâcher prise »… Nina n’a rien de ces artistes de génie charismatiques perdus dans les hautes sphères de l’art, elle est comme ces milliers d’artistes classiques qui restent dans l’ombre, qui ont sacrifié tant pour atteindre un excellent niveau, mais auxquels il manquera toujours ce truc en plus, cette étincelle qui les distinguent des autres, et leur permettrait vraiment de faire carrière.

Nina tombe dans la folie parce qu'elle est constamment dévorée par la peur. Elle a peur de décevoir sa mère, peur de ne pas répondre aux exigences du chorégraphe, peur qu’une autre prenne sa place… peur de ne pas y arriver, ce qui rend ses mutilations symboliquement pertinentes, car une danseuse doit imposer tant à son corps pour atteindre un tel niveau que tous ces efforts, si elle se met à douter, lui apparaissent comme de vaines mutilations. De plus, Nina se retrouve systématiquement dans un rapport de soumission avec les personnages qui l’entourent. C’est aussi pour cela qu’elle ne peut « dominer » son sujet, qu’elle ne peut se libérer. Sa peur est un tel carcan qu’elle n’a plus qu’une solution pour s’en défaire : transcender la peur primale, la peur de la mort. Et la symbolique est ici très forte : que sont les peurs, si ce n’est des pesanteurs qui nous empêchent de nous transcender, de nous libérer, de « sortir de nous »… et comment sortir de soi, de la pesanteur de nos peurs et de nos corps d’une manière plus radicale et symbolique qu’en se donnant la mort ? C’est là aussi où Black Swan est passionnant : pour l’illustrer, il fait le grand écart entre un domaine où la légèreté semble aller de soi, et un personnage principal incapable de se libérer de ses pesanteurs. La danse classique, en apparence, est d’une extrême légèreté : les filles sont si maigres qu’on les imagine volontiers s’envoler au premier coup de vent, les pointes donnent l’impression qu’elles ne touchent pas vraiment terre… et Nina a tout, en apparence, de la parfaite danseuse à la technique irréprochable… mais lorsqu’elle danse pendant les répétitions, ce sur quoi Aronofsky s’attarde, c'est le regard de Vincent Cassel, des yeux qui ne voient pas une fille légère et gracieuse, mais un hippopotame… Voilà aussi pourquoi les thèmes du double et de la schizophrénie, pourtant archi-rebattus et mis à toutes les sauces, ne sont pas purement artificiels ici. Au contraire, ils s’intègrent parfaitement à ce grand écart entre l’image de délicatesse et de légèreté de cette timide et fine danseuse classique d'un côté, et ce qu’elle ressent et que perçoit le chorégraphe de l'autre : ses peurs la minent totalement. Elle voudrait s’élever, mais ne fait que s’enfoncer. Une belle – et terrible – métaphore de l’artiste, et de l’artiste classique en particulier… qui doit, lui aussi, composer avec cette situation schizophrénique : dès son plus jeune âge, il doit s’astreindre à une discipline de fer, à un travail lourd, usant, pesant, répétitif et complexe ; un travail d’une exigence considérable… tout ça pour quoi ? Pour arriver sur scène et donner l’impression de la plus grande facilité. Personne n’a envie de voir un pianiste classique « faire ce qu’il peut », « lutter tant bien que mal contre la partition », non, ce qu’on veut, c’est qu’il nous donne l’impression que tout lui coule sous les doigts de la manière la plus naturelle possible, qu’il nous fasse oublier tout le travail qu’il a dû accomplir pour en arriver là.

 

Là où tant de réalisateurs se montrent superficiels dans l’explication de la chute dans la schizophrénie (chez Lynch, c’est clair et net, la psychologie et les causes ne l’intéressent pas vraiment, ce sont sur les effets qu’il se focalise), Aronofsky se montre, lui, très convaincant. Car Nina est prise dans un véritable « tourbillon schizophrénique », tout concourt à l’y faire plonger :

-         Sa mère, ambivalente, qui l’a – sans doute depuis toujours – nourri de messages contradictoires. Compréhensive et affectueuse autant qu’elle peut se montrer dure et exigeante.

-         La nature de son art et du travail sur le corps qu’il impose : rigueur et souffrances en coulisse, le tout pour donner l’impression de grâce, de naturel et de légèreté sur scène.

-         L’ambiguïté du chorégraphe, qui, tour à tour, lui montre qu’il la désire, puis qu’il ne ressent rien et attend que ce soit elle qui parvienne à se montrer désirable. Une ambiguïté qui vient aussi de la difficulté, pour Nina, de saisir si ce désir est « professionnel » ou « personnel ». C’est d’ailleurs bien amené dans une scène intéressante, qui évite aussi le cliché attendu : celle où, après la réception, il lui propose de venir prendre un dernier verre chez elle. Pour le spectateur, c’est évident : il va profiter de la situation pour lui sauter dessus ou, de manière un peu plus perverse, lui faire croire qu’en s’abandonnant à lui, elle prouvera qu’elle peut s’abandonner pour le rôle du cygne noir… mais pas du tout. Il lui parle du rôle, la jauge et la pousse dans ses retranchements, et la raccompagne sans ne rien tenter en lui donnant un « devoir à faire à la maison »…

-         Le rôle qu’elle doit jouer : être à la fois le cygne blanc et le cygne noir.

-         Pour réaliser ce qui est son « rêve de petite fille »… elle doit se débarrasser de la petite fille qui est en elle, une petite fille appliquée et sérieuse qui n’a pas la maturité et la sensualité nécessaires pour interpréter le cygne noir.

-         L’effort schizophrénique qu’on attend d’elle : apprendre à désapprendre. Ne pas oublier de s’oublier.

-         Les sentiments extrêmes et contradictoires qu’elle ressent au contact de sa rivale/amie, qu’elle n’arrive pas à cerner et dont elle ne sait jamais si elle cherche à l’aider ou lui prendre sa place.    

 

Au sein d'un tel environnement, Nina, très vite, ne sait plus sur quel pied danser… et toute cette instabilité la bloque complètement.

 

Dans un monde où l’on ne compte plus les fictions qui ne cessent de rabâcher qu’il faut « croire en ses rêves », se battre, persévérer - et tant pis si l’on trébuche, si de nombreux obstacles vont se dresser, si l’on aura à subir des injustices - il faut toujours se relever, se donner à fond et ça finira par sourire (ce qui est aussi typiquement américain, et ça ne m’empêche pas de vous recommander très vivement d’aller voir l’excellent Fighter)… le propos de Black Swan est particulièrement noir, limite subversif. Car Nina y croit, elle donne tout ce qu’elle a, ne compte pas ses heures ni les sacrifices, elle fait vraiment tout ce qui est en son pouvoir, tient une chance inespérée avec ce rôle qui lui est offert… et pourtant, ça ne fonctionne pas. On souffre avec elle, on aimerait qu’elle parvienne enfin à se dépasser… d’autant plus qu’on a l’habitude, on en a vu, des dizaines de films avec des artistes ou sportifs qui luttent, peinent, puis parviennent après de nombreuses souffrances à se transcender, et tout le monde est content… mais là… c’est encore plus dur qu’on pouvait l’imaginer. Cette délivrance, cette résolution arrivent enfin, le public, sa mère, le chorégraphe, les danseuses et le spectateur sont heureux et soulagés… sauf qu’on s’aperçoit que le prix à payer était bien trop lourd. Et met le spectateur dans l’embarras. Car il n’est pas question ici de la vision romantique d’un art « sacralisé » qui consume les artistes d’une manière quasi-mystique. Ce n’est pas l’art qui les consume, c’est nous, le public, par nos attentes et notre exigence. C’est nous qui voulons voir Nina se libérer, qui attendons d’elle qu’elle se dépasse comme on attend chaque fois l’excellence de la part des artistes, et donc nous qui sommes en partie responsables de ce drame… En l’espace de quelques secondes, Aronofsky nous fait passer de « enfin, voilà ce qu’on attendait, sa métamorphose… » à « merde, pauvre fille, rien ne méritait qu’elle aille jusqu’à une telle extrémité pour nous satisfaire… »

 

Alors certes, Black Swan n’est pas un film parfait, il a ses défauts, mais au fond… je n’ai pu m’empêcher, en sortant, de me dire « s’il y a une part de Nina en lui, mieux vaut ça qu’un film parfait où Aronofsky se serait réellement tué à la tâche »… J’en suis sorti ému, conquis par la remarquable interprétation de Natalie Portman (Vincent Cassel, Mila Kunis et Barbara Hershey sont aussi parfaits dans leurs rôles), le film m’a donné matière à de nombreuses réflexions… c’est déjà beaucoup, et bien plus que ce que nous proposent la plupart des films…    

  

 

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