Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

Playlist 2024

Classements d'albums

1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 22:35

fighter.jpgmelancholia-copie-1.jpg true-grit.jpg

 

 une-separation.jpgBlack-SwanDrive 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En 2009, la « quête du père protecteur » me semblait être le thème fort des films de l’année (cf. bilan 2009), quel aura été celui de 2011 ? La séparation, comme le dit le titre d’un des grands films de l’année. En 2011, le cinéma nous aura particulièrement interrogés sur la séparation, la perte de ce qui nous est le plus cher, le deuil, et comment se reconstruire…

 

 

Une Séparation (d’Ashgar Farhadi). Dans ce magnifique film iranien, la peur de la séparation touche tous les personnages. Un homme qui craint de perdre son honneur, de se séparer de sa femme, de sa fille ou de son père (et qui risque ainsi de tous les perdre), une femme qui doit choisir entre se séparer de son mari ou renoncer à ses ambitions professionnelles, une fille qui ne veut pas se séparer d’un de ses parents, une employée de maison qui craint de perdre son travail, son mari, et son bébé… Personne ne veut se séparer de ce à quoi il tient, ce qui contribue à amplifier chaque fois un peu plus le drame qui se joue. 

 

Melancholia (de Lars Von Trier). A peine mariée, l’héroïne, hantée par une insondable mélancolie, se sépare de son époux… et, persuadée que la fin du monde n’est plus qu’une question de jours, se prépare à tout perdre. Dialectique entre les contraires : la fusion ultime et la séparation totale (grand thème du Tristan et Isolde de Wagner dont le Prélude rythme tout le film). Une fusion destructrice, celle des deux amants chez Wagner, et des deux planètes dans leur « danse de la mort » chez Von Trier… Le « wagnérien » que je suis aura été gâté cette année, entre la place prépondérante du prélude de Tristan et Isolde dans Melancholia (cf. mon article sur le Prélude de Tristan), et la Siegfried-Idyll qui berce A Dangerous Method de Cronenberg.  

 

Deux frères qui se séparent : Fighter, à mon sens la meilleure surprise de l’année, avec un Christian Bale étonnant. Deux frères particulièrement unis, qui, pendant une bonne partie du film, vont se brouiller, se séparer, devoir apprendre à vivre l’un sans l’autre… et pour l’un des deux, il est aussi question de se séparer de sa mère et de ses sœurs pour évoluer.   

 

Perte d’un enfant, perte d’un frère : The Tree of Life (Terrence Malick). La séparation la plus dure qui soit : la mort de son enfant. Et pour ce sujet terrible, un des films les plus beaux visuellement de l’année. On n’en attendait pas moins de Terrence Malick. Sur la séparation entre des parents et leur enfant, il y aura aussi eu cette année La Guerre est déclarée (que je n’ai pas vu), et Insidious, film fantastique où des parents se retrouvent séparés de leur fils non pas physiquement, mais psychiquement, celui-ci s’étant perdu dans d’autres plans de réalité…

 

Perte de la mère : A priori, Super 8 n’est pas un film sur la séparation… mais c’est une séparation, un deuil qui donne l’impulsion au film : la perte de la mère. Sans être le sujet principal, il sous-tend le film et trouve sa résolution dans les dernières secondes… Perte de la mère (et de la sœur), aussi, dès le début de Sucker Punch. L’héroïne perd tout, et se reconstruit par l’imaginaire pour s’en sortir. Comme dans Super 8, d’une certaine manière, puisque le cinéma, dans lequel se jette le jeune garçon, est aussi fuite dans l’imaginaire… La perte de la mère, c’est la perte de la personne avec laquelle un enfant entretient la relation la plus fusionnelle… tout son monde s’écroule, il lui reste à en recréer un nouveau par l’imaginaire, un univers transitionnel, pour se délivrer de l’angoisse et de la souffrance.   

 

Perte du père : La perte d’un père, à la base de True Grit et Le Discours d’un Roi n’est pas surmontée de la même manière que celle de la mère dans les deux films précédents. On comble le vide laissé par la mort de la mère dans l’imaginaire, et celle d’un père par la volonté et l’action… Le nouveau roi doit vaincre son bégaiement pour succéder dignement à son père et mener son peuple avec assurance, et la jeune Mattie Ross, dans True Grit, tient à venger, avec une détermination sans faille, l’assassinat de son père.

 

Perte du conjoint : Contagion (Soderbergh). Séparation rapide et brutale : une femme (Gwyneth Paltrow) tombe malade, et en quelques heures décède sans que son compagnon (Matt Damon) ne puisse rien y faire. Mais, comme son nom l’indique, le film ne s’arrête pas à une seule perte dans son scénario-catastrophe, il relate une épidémie mortelle d’une ampleur vertigineuse. Des familles, des quartiers et des populations décimées, la séparation à grande échelle… flippant sur le papier, un peu moins dans sa réalisation.

 

Perte d’un proche : Route Irish (Ken Loach). Un Ken Loach, noir, très noir. Et très réussi. Plus qu’un proche, c’est son meilleur ami que perd, en Irak, le héros qui fera tout pour comprendre ce qui se trame derrière cette mort suspecte. Une « séparation avec sa meilleure amie », aussi, mais dans un registre opposé : Bridesmaids (Mes meilleures amies), sûrement un des films les plus drôles de l’année.

 

Séparation forcée : Présumé Coupable. Basée sur une histoire vraie, celle d’un homme, lors de la fameuse affaire d’Outreau, accusé à tort, séparé de force de toute sa famille. Malgré l’absurdité de cette justice qui n’en est pas une, les mauvais traitements qu’il subit et qu’il est obligé de s’infliger pour qu’on l’entende, ce sur quoi insiste le film, dès la première scène où le héros est littéralement arraché à sa famille, c’est bien la douleur de la séparation. Une famille dont on le sépare et qui lui échappe chaque jour un peu plus… Dans un genre qui n’a absolument rien à voir, Thor de Kenneth Brannagh. Où il est aussi question d’un homme arraché à sa famille, ses proches, et même à son royaume, son univers, ses pouvoirs… les scènes sur terre sont pas mal du tout, assez drôles et sympathiques, mais celles dans le royaume d’Asgard sont franchement kitsch et pompeuses.

 

Séparation intellectuelle : A Dangerous Method – David Cronenberg. La séparation de deux des plus grands esprits de leur temps, séparation du maître et de l’élève, Freud et Jung. Pas le meilleur Cronenberg, mais un film à voir si l’on s’intéresse à la psychanalyse. Là aussi, par ce thème de la séparation, on peut rapprocher ce film d’un autre dans un genre radicalement opposé, (le très surévalué par la critique) X-Men : First Class. Il est encore question de deux brillants esprits, visionnaires, animés tout d’abord par une même cause mais finalement amenés à se brouiller, se séparer, s’opposer. Comparer Freud et Jung à deux personnages des X-Men, fallait oser, mais c’est bien le même acteur – une des révélations de l’année, notamment pour son rôle dans Shame - Michael Fassbender, qui joue dans les deux cas celui qui va s’affranchir (Jung et… Magneto).

 

Séparation homme-singe. La Planète des Singes : les Origines, aurait aussi pu s’appeler « Une séparation »… ou plutôt « Des séparations », puisque le jeune singe héros du film ne cesse de subir des séparations qui finiront par créer le cataclysme que l’on sait. Séparé de sa mère, séparé de ses congénères par cette intelligence « artificielle » qui en fait un être à part, et, surtout, séparé de son « père adoptif humain », ce qui achèvera de le radicaliser et le mener à conduire la révolte des singes. Une bonne surprise que cette Planète des Singes, un vrai bon film d’anticipation.

 

Séparation professionnelle : The Company Men. Film très actuel, l’histoire d’un cadre qui perd son boulot, et doit apprendre à s’en sortir, revoir ses ambitions à la baisse, réapprendre à vivre. Dans Le Stratège, film qui prouve bien qu’il est possible de faire des films intelligents sur le sport, le manager d’une équipe de base-ball se sépare en début de film de ses joueurs stars, puis, pendant la majeure partie de l’histoire, ne cesse de prendre ses distances avec son entourage professionnel (équipe, assistants, entraîneur)…

 

Séparation politique : Pater. La séparation du président et du premier ministre n’est pas le thème central du film, mais c’est cela qui va créer la tension de la 2° partie. Et Pater met en scène, brouille et « dévoile » d’une façon originale (mais qui ne m’a pas totalement convaincu) la séparation de la fiction et du réel, très ténue ici.

 

Séparé de son environnement : Essential Killing. Lors d’un transfert de prisonniers, un Taliban prend la fuite et tente, dans une nature froide et hostile, d’échapper à ses poursuivants. Ou comment survivre quand on n’a plus rien et que l’on est coupé de son environnement naturel…

 

Perte d’identité : Sans identité. Dans une ville étrangère, un homme se retrouve privé d’à peu près tout, même de son identité, usurpée par un autre.

 

Perte de la raison, perte des illusions : Black Swan. On retrouve ici le thème de la séparation avec la mère, l’héroïne se sent étouffée par une mère protectrice, et n’arrive pas à couper le cordon… Mais ce qu’elle perd, surtout, au fil du film, ce sont ses illusions. Plus elle doute et perd ses illusions, plus elle plonge dans l’illusion et en perd la raison. C’est une séparation radicale qu’envisage l’héroïne à la fin pour mettre fin à ce qui l’empêche de se transcender.

 

Perte du succès, de la célébrité : The Artist. Ne l’ayant pas vu, je n’en dirais pas plus, mais c’est bien un thème au cœur du film.

 

Perte du temps : Time Out. Une idée fascinante (et un film qui, sans être mauvais, l’est moins) : la mise en application du proverbe « le temps, c’est de l’argent ». Fini, la monnaie, les pièces et billets, tout se paie en « temps de vie »… un appareil électronique vous permet à chaque instant de voir le temps qu’il vous reste à vivre, qui se compte en heures pour les plus pauvres. Difficile de faire mieux, pour saisir la perte du temps qui passe, que ces bracelets électroniques avec compte à rebours jusqu’à votre mort. Et dans ce film aussi, la perte de la mère joue un rôle déclencheur.   

 

Perte du libre arbitre : L’Agence. Un scénario parano très K. Dickien, où le héros découvre qu’une « Agence » tire les ficelles de la destinée de chacun… mais le film est trop léger et anecdotique pour un tel sujet.  

 

Bien entendu, les thèmes de la perte et de la séparation sont très fréquents et n’ont rien de nouveau en 2011. Il y a toujours un moment où l’on perd quelque chose… et je vous rassure tout de suite, je ne me suis pas séparé et n’ai rien perdu de grave l’an dernier, rien qui aurait pu me pousser à voir les films à travers ce prisme.

S’il y a bien une perte / séparation dans un des films de l’année, Drive, il aurait été trop artificiel de le lister avec les autres, le film s’articule beaucoup plus autour d’une rencontre. Comme dans le gros succès français de l’année, Intouchables. Ou, d’une certaine mesure,  dans le très recommandable Avant l’Aube.    

 

Ce qui est intéressant dans le thème de la perte / séparation des films listés ci-avant est :

 

1.      Il est soit l’impulsion du film, soit le déclencheur qui fera basculer l’histoire.

2.      Il se décline vraiment de toutes les manières possibles. On aura vraiment tout perdu en 2011… ses parents, ses enfants, ses frères, sa famille, ses proches, son boulot, ses illusions, son identité, son libre arbitre, le temps, la célébrité, son mentor, son environnement…   

 

Pourquoi ce thème traverse-t-il tant les films de cette période ? Parce que l’on est dans une période de crise… pas seulement économique, mais une crise de confiance dans l’avenir, qui s’accroît chaque année un peu plus. Melancholia aurait aussi été un bon titre pour résumer l’année… Le cinéma nous prépare et nous travaille non pas à la perte d’un quelconque triple A, mais à ce sentiment plus diffus de la perte et la séparation, et à comment le surmonter. Les artistes captent une part des malaises et angoisses des sociétés, qu’ils transposent et reformalisent. S’ils sont, dans le meilleur des cas, visionnaires, il ne faut pas oublier qu’au cinéma, ils ont forcément un train de retard, il faut du temps pour faire un film. Entre-temps, les peuples ont commencé à se prendre en main (révolutions arabes, mouvements des indignés, Anonymous…) Reste à savoir si c’est le début d’un vrai changement, ou un simple râle d’agonie…  

 

Mon classement :

 

1.      Fighter – David O’Russell

2.      Drive - Nicolas Winding-Refn True Grit - Joel & Ethan Coen

3.      Melancholia - Lars Von Trier 

4.      Une Séparation - Ashgar Farhadi 

5.      Black Swan - Darren Aronofsky

6.      True Grit - Joel & Ethan Coen 

7.      The Tree of Life - Terrence Malick 

8.      Le Discours d’un Roi - Tom Hooper

9.      Le Stratège - Bennett Miller  

10.  Hugo Cabret - Martin Scorsese

11. Route Irish - Ken Loach

12.  Super 8 - JJ Abrams 

13.  Mission : Impossible – Protocole Fantôme - Brad Bird

14.  La Planète des Singes : les origines - Rupert Wyatt 

15.  Detective Dee - Tsui Hark

16.  L'Irlandais - John Michael McDonagh

17.  A Dangerous Method - David Cronenberg    

18.  The Company Men - John Wells 

19.  Avant l’Aube - Raphaël Jacoulot

20.  Sucker Punch - Zack Snyder   

21.  Mes Meilleures Amies (Bridesmaids) – Paul Feig  

22.  Sans Identité - Jaume Collett-Serra 

23.  Pater - Alain Cavalier 

24.  Mr Nice - Bernard Rose 

25.  Time Out - Andrew Niccol 

26.  Essential Killing - Jerzy Skolimowski 

27.  Scream 4 - Wes Craven 

28.  Contagion - Steven Soderbergh    

29.  Présumé Coupable - Vincent Garenq 

30.  Limitless - Neil Burger 

31.  Insidious - James Wan 

32.  Animal Kingdom - David Michôd       

33.  Captain America : First Avenger - Joe Johnston 

34.  La Défense Lincoln - Brad Furman

35.  Source Code - Duncan Jones 

36.  L’Assaut - Julien Leclercq 

37.  Thor - Kenneth Brannagh 

38.  Blitz - Elliott Lester 

39.  Priest - Scott Charles Stewart 

40.  L’Agence - George Nolfi  

41.  The Green Hornet - Michel Gondry  

42.  The Prodigies - Antoine Charreyron 

43.  X-Men First Class - Matthew Vaughn 

44.  Hell Driver - Patrick Lussier  

45.  Le Dernier des Templiers - Dominic Sena 

46.  Tron Legacy - Joseph Kosinski  

 

J’ai pas mal hésité pour le n°1… les 4 premiers se tiennent dans un mouchoir de poche, chacun ayant ses (grandes) qualités et quelques (petits) défauts… A partir de la 36° place, je vous les déconseille. Les 3 derniers étant de vrais navets.

 

43 films vus au cinéma cette année (soit environ un par semaine). Pour les 3 autres, je plaide coupable, monsieur le juge, je suis un infâme pirate qui détruit l’industrie du cinéma et le monde de la culture en téléchargeant. Promis, j’le referais plus (de toute façon, c’est plus possible, maintenant que l’on se retrouve « séparé » de force de MegaUpload).

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 22:58

Drive.jpgEn règle générale, lorsque le héros d’un film – et d’un film américain en particulier – est dans sa bagnole, vous ne risquez pas d’entendre de musique techno ou électro (à part, bien entendu, dans les films de SF). Et ce pour plusieurs raisons :

 

La voiture est un des éléments clés du mythe américain. Elle a remplacé le cheval du cowboy, elle incarne les valeurs américaines essentielles, celles des pionniers : liberté, aventure, individualité, propriété. Se déplacer en toute liberté à travers les grands espaces dans « sa » voiture. Retrouver l’esprit nomade fondateur de sa nation. L’évasion, la conquête, le sentiment de ne devoir rendre de compte à personne ; liberté d’action, liberté de mouvement, liberté tout court. Liberté et quête d’identité, la base du road-movie. La voiture comme double et comme extension de soi. La voiture américaine n’est pas le simple objet fonctionnel permettant de se rendre d’un point A à un point B, ou ce lieu clos quelconque propice à la discussion comme elle est présentée d’ordinaire dans le cinéma français…

 

Les musiques utilisées dans l’autoradio du héros ou comme accompagnement d’une scène en voiture sont le plus souvent rock, pour la liberté, l’aventure, l’excitation. Ou rap, si le héros est un jeune noir (ou soul si c’est un noir un peu plus âgé, ou jazz s’il est beaucoup plus âgé… je caricature, mais on n’en est pas loin). De temps en temps des ballades, ou des chansons plus délicates, la voiture est ce cocon où l’on sort des turpitudes du quotidien pour revenir aux origines, ce monde de pionniers idéalisé… Qu’il s’agisse de rock, rap, soul, jazz ou ballades folk, une constante, typiquement américaine : la coolitude. Car forcément, on se sent bien dans « sa » voiture ; on y a fière allure tel le cowboy sur sa monture.

 

Du blues au rap en passant par le jazz ou le rock, le swing et le groove comme le grain de voix des chanteurs créent cette sensation de « coolitude ». Des éléments qui se retrouvent rarement dans la techno où, au contraire, le beat est martial, binaire, et les sons froids. Associer de la techno à un personnage dans une voiture, c’est en faire un « robot », lui retirer sa liberté, son authenticité, le priver de toute la dimension émotionnelle et chaleureuse que retrouve le héros dans sa voiture, dans son « intériorité ». 

 

Autre raison, plus pragmatique, et qui n’est pas spécifiquement américaine : voiture + musique techno évoque facilement ces jeunes bourrins qui circulent en ville avec la techno à fond. Rarement l’image que l’on veut donner d’un héros de film, et même d’un anti-héros. Trop immature, trop primaire. Et des poursuites en bagnole avec musique électro peuvent créer l’impression de se trouver dans un jeu vidéo, un combat de machines, pas un « combat d’hommes ».

 

Voilà pourquoi ce qui m’a le plus marqué, dans Drive, c’est la BO électro de Cliff Martinez, inhabituelle pour un film américain où il est tant question de voiture (si l'on excepte, bien sûr, le Christine de Carpenter). Inhabituelle, mais en parfaite adéquation avec le film, et en particulier son héros. Personnage fascinant par sa… froideur. Ce message, toujours identique et précis qu’il laisse à de « potentiels employeurs », et son sang-froid dans la course-poursuite avec les flics au tout début du film. La course-poursuite, scène vue et revue dans le cinéma américain avec ses visages tendus, grimaçants, jurons, coups de gueule… rien de tout ça ici. Il reste imperturbable, d’une efficacité sans faille, réglé comme la plus parfaite des machines. Au Québec où les titres américains sont systématiquement traduits, Drive a été renommé « Sang-froid »… au moins, c’est en accord avec le héros, et c’est toujours mieux que « Conduire » ou « Roule ».

Le « héros froid », une espèce rare au cinéma où l’on joue tant sur l’empathie et l’identification du spectateur avec le héros. Lorsque ça arrive, on nous fait assez vite comprendre qu’il a vécu des événements particulièrement douloureux, le spectateur s’en veut d’avoir jugé un peu vite ce personnage a priori antipathique, il compatit, c’est dans la poche. Pas de psychologie ici, et c’est tant mieux. Il est froid, faites-en ce que vous voulez. Cohérence entre le film et son personnage : il ne se livre pas, ne s’explique pas, le film ne l’explique pas non plus. Mais sur la longueur, la froideur d’un personnage peut devenir vite lassante, on reste extérieur au personnage comme il reste extérieur aux autres… il faut un minimum d’émotion, et c’est ce qu’il vivra en rencontrant cette jeune femme et son enfant. Un « minimum », c’est bien le mot. A chaque fois qu’il se retrouve avec cette femme, le plus marquant, ce sont les silences. Qui ne semblent pas exprimer de sa part une « timidité maladive », un lourd secret ou un coup de foudre qu’aucun mot ne peut exprimer… plutôt qu’il n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un sourire béat qui traverse son visage dans ces moments, il n’y a rien d’extatique, mais un léger sourire, discret, comme s’il commençait à ressentir quelques bribes d’émotion. Rien qui le bouleverse ou le tourmente outre mesure, juste quelques émotions agréables, qu’il découvre et qui lui conviennent, pas besoin d’aller vraiment plus loin ni de s’épancher.

 

Le film brouille chaque fois les pistes avec les clichés attendus. Le mari qui va sortir de prison… on attend la grosse brute, la rivalité avec le héros, le mari qui va deviner qu’il se passe quelque chose entre lui et sa femme, il va la punir, le héros va s’interposer… mais c’est loin d’être aussi balisé. Car la froideur du héros n’est pas une carapace destinée à protéger son « petit cœur meurtri » ou le préserver des horreurs et drames auxquels il est confronté depuis trop longtemps (le cas classique du flic ou du militaire distant ou cynique), elle est dans sa nature. Ce n’est pas quelque chose en plus, qu’il met entre lui et le monde, mais l’expression de quelque chose en moins, d’une certaine forme de vacuité. Un manque d’humanité, d’émotion, de chaleur. Il n’est pas cascadeur ni chauffeur pour braqueurs par goût du risque, révolte, désir de vivre vite et intensément ; mais juste parce qu’il a les capacités pour. Malgré l’histoire d’amour qui se joue, tout chez lui ramène à ce côté froid et mécanique. D’où la musique techno…

  

Le cowboy dompte sa monture, le héros américain moderne dompte sa voiture. S’il fait corps avec elle, il ne se laisse pas dominer par la machine mais lui insuffle une part de sa personnalité, de son humanité… alors que la musique techno tend à figurer le contraire : la machine domine. Mais dans le cas de Drive, ce n’est pas le héros qui se fait dominer par sa machine, il est lui-même machine.

 

A l’excellente BO électro de Cliff Martinez se greffent de temps en temps quelques chansons. Pas le genre de chansons qu’on entend d’habitude dans le cinéma américain, pas de rock, de folk ni de blues, mais des chansons très typées synthpop 80’s. On tremble, d’ailleurs, au début du générique, avec ses lettres roses et les synthés du Nightcall de Kavinsky… le film va-t-il se parer d’une regrettable esthétique kitsch 80’s ? Fausse piste, encore une fois.

 

Les morceaux de synthpop sont assez peu indiqués dans un film. Ils sonnent datés, artificiels, ils n’ont pas l’intemporalité de chansons folk, rock ou blues. Une voix et une guitare, ça n’a pas d’âge… les sons de synthé à la Erasure, A-Ha et autres Pet Shop Boys, si. Et non, je ne dirais pas de mal de Depeche Mode, il m'est impossible de taper sur la musique qui a bercée mon enfance, et eux ont su faire des synthés une utilisation bien plus audacieuse que les autres. Bref...

Des sons synthétiques peu indiqués au cinéma, mais qui fonctionnent ici à la perfection. Le héros de Drive est aux héros traditionnels ce que la synthpop est à la chanson des décennies précédentes. Pas désagréable en apparence, mais relativement froide et mécanique. Ce sont elles, d’une certaine manière, qui nous permettent de mieux comprendre les émotions qu’il ressent au contact de cette femme et de son enfant. Et de deviner qu’il n’y a là pas d’amour fou ou de passion dévorante, juste des sensations agréables et des sentiments encore timides. La techno, c’est « ce qu’il est » : froid, vide, mécanique, réglé au millimètre. La synthpop, c’est ce qu’il devient : entre la machine et l’humain, entre la techno et la chanson traditionnelle.

 

Un élément pourrait sembler contrecarrer ce "portrait en musique de la froideur du héros" : la violence dont il fait part à certains moments. Mais au fond... elle le renforce. Lorsqu’il fracasse à grands coups de pied le crâne de celui qui est venu le tuer, il ne le fait pas en « explosant de rage », mais de manière mécanique, répétitive. Ce qui n’en est que plus dérangeant. Quant à la confrontation avec les deux criminels – ne lisez pas la suite de la phrase si vous n’avez pas encore vu le film – elle n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, le schéma habituel avec héros en fuite, criminels qui le pourchassent, le retrouvent, course-poursuite chaotique, coups de feu, bagarre et héros qui triomphe, mais un héros qui a un plan, et qui, autant que faire se peut, l’exécute… froidement.

 

 

Un mot tout de même sur ce ridicule procès qu’une femme du Michigan fait au film (ou, plus précisément, au studio FilmDistrict). Un procès pour… « trailer mensonger ». Elle pensait que le film serait du genre « Fast & Furious », alors qu’il en est loin (encore heureux). Bref, une situation totalement absurde qui pourrait se résumer par « la bande-annonce me laissait croire que le film serait une grosse daube, mais c’est un beau film, c’est intolérable et scandaleux, remboursez ! » Si l’on pouvait intenter des procès pour mauvais goût, on ne manquerait pas de lui en faire un… Pire, elle ne s’arrête pas là et va encore plus loin dans la bêtise, puisqu’elle accuse aussi le film d’antisémitisme ! Pour quelle raison ? Les deux méchants du film sont des juifs qui, comme les mafieux italo-américains, mettent en valeur leurs racines. Un méchant dans un film ne peut pas être juif sans que le film soit taxé d’antisémitisme ? Il faudra que son avocat nous explique de quelles origines peuvent être les personnages négatifs au cinéma… j’imagine qu’un criminel noir, arabe ou asiatique, c’est aussi du racisme. Une criminelle femme, c’est du sexisme. Un criminel gay, c’est de l’homophobie. Un criminel doit-il être forcément un mâle blanc hétéro ? Mais dans ce cas, ne serait-ce pas aussi du racisme anti-mâle blanc hétéro ? Bref, on nage dans un grand n’importe quoi. Pour que le film soit raciste, il faudrait que soit signifié que les personnages sont mauvais « parce qu’ils sont juifs », mais ce n’est évidemment pas le cas. Dépasser le racisme, c’est ne pas s’empêcher de faire de personnages noirs, juifs, nains, handicapés ou homos des criminels. Après tout, ce sont des hommes comme les autres, capables d’être aussi mauvais que n’importe quel salaud d’hétéro blanc catholique… bon, si le méchant du film est un nain juif noir homo et handicapé, ça fait un peu beaucoup, mais pourquoi pas… au moins, on comprendrait qu’il en a bavé. On ne dira jamais assez les dommages que peut faire sur le cerveau le visionnage en boucle des films du genre Fast & Furious… heureusement – à moins d’être comme cette femme irrémédiablement atteint - il nous reste des Drive 

 

 

La BO de Drive sur Spotify.

 

Partager cet article
Repost0
1 septembre 2011 4 01 /09 /septembre /2011 21:24

Mardi soir, je laisse en fond une émission de France 2 sur Monet. Histoire de voir ce qu’ils peuvent bien en dire en prime time… mais je décroche très vite (rien que la présentation de Stéphane Bern, je peux pas…) Les seules choses qui me font dresser l’oreille et quitter mon écran de pc des yeux pour les tourner vers l’écran télé… ce sont les illustrations musicales. La BO de The Dark Knight, tout d’abord. Etonnant de l’entendre dans une émission sur Claude Monet, mais, depuis la sortie du film, c’est vrai que la télé la met à toutes les sauces. Besoin d’une musique dramatique, intense et sombre ? Une seule réponse depuis quelques années de la part des types peu imaginatifs qui s’occupent d’illustrations musicales : The Dark Night. Qui remplace la musique usée jusqu’à la corde de Requiem for a Dream. Je veux devenir programmateur musical, y a pas plus simple comme boulot…

 

 

 

 

Quelques minutes après la BO de The Dark Knight, voilà celle de… Star Wars ! Bon, pas le thème pétaradant du générique, encore heureux, mais le « love theme » (enfin, sans doute). Batman, Star Wars, Claude Monet. Cherchez l’erreur. Et pour terminer, quelle est la musique du générique de l’émission (c’est une série d’émissions sur des personnages historiques) ? La BO de X-Men 3 !

  

 

 

 

Vous allez me dire « que tu reconnaisses les BO de The Dark Knight et Star Wars, on peut comprendre, mais, franchement, la BO de X-Men 3 ? » C’est très simple. Lorsque j’ai vu le film, ce thème m’avait agréablement surpris… malgré son côté très pompeux… je me suis demandé pourquoi ça me plaisait, j’ai relevé la grille d’accords : II : Am – F – G – Dm – A – F –G – Dm : II

 

Et ça confirme ma théorie, je ne résiste pas à la sixte et aux passages sur le VI° degré (ici, Am-F).

 

Mais revenons-en à cette utilisation pour le moins curieuse de la musique dans les émissions télés… imaginons un instant le brainstorming pour choisir les musiques d’illustration :

 

-         Bon les gars, là, on a fait une émission sur Claude Monet, il nous faut des musiques d’accompagnement. Si je vous dis « Claude Monet », « fin XIX° début XX° », « peinture impressionniste », ça vous évoque quoi ?

-         Euh… Batman !

-         Bien, une autre idée ?

-         Bah, Star Wars, évidemment…

-         Parfait !

 

Et pour choisir le thème du générique :

 

-         Notre série d’émissions sur des personnages historiques s’appellera « Secrets d’Histoire ». On y parlera de la reine Victoria, de François 1er, de Claude Monet… une idée de musique pour le générique ? …

-        

-         Rien ?

-         Euh… X-Men ?

-         Vendu !

 

Pour leur prochain numéro, sur « Sissi Impératrice », j’imagine qu’ils sont allés piocher dans Matrix, Hulk et Terminator…

 

Tout cela prouve bien, si besoin était, que le « sens » d’une musique n’a rien de strict ou figé, une même musique peut être utilisée dans des cadres complètement différents, voire opposés, et fonctionner malgré tout. Mais peut-on vraiment faire n’importe quoi ? Je ne le pense pas… une musique a tout de même une histoire, on ne peut faire abstraction de son utilisation originale, surtout quand elle a rencontré le succès sous cette forme et qu’on l’associe, dans le cas présent, à des films particuliers. Et Claude Monet entre Batman, Star Wars et les X-Men, c’est carrément grotesque.

 

Je noircis un peu le trait, je n’ai pas entendu l’émission du début à la fin, et il y a bien eu quelques notes de Wagner (le Prélude de Lohengrin). Déjà plus en phase avec l’époque et le personnage. J’espère au moins qu’il y a eu du Debussy, on ne peut mieux illustrer la peinture impressionniste que par… la musique impressionniste. Et même pour des passages de l’émission plus « lyriques », dramatiques ou intenses, il y avait chez Debussy (si ce n’est chez Debussy, au moins chez des compositeurs romantiques) de quoi trouver d’excellentes illustrations musicales, pas la peine de se tourner vers des BO de films de SF.

 

L’excuse qu’on pourrait imaginer de leur part « on veut toucher un large public, il nous faut des musiques plus fédératrices et puissantes » ne tient pas une seconde. Il y a des flopées d’airs classiques célèbres (ou pas) et au moins aussi accrocheurs et grandioses qui feraient bien plus l’affaire que les musiques de Dark Knight, X-Men ou Star Wars… Notamment chez les contemporains de Monet, les César Franck, Dvorak, Fauré, Brahms, Moussorgsky, Mahler, Rimsky-Korsakov, Debussy et compagnie.

 

Les types qui s’occupent d’illustrations musicales, plutôt que de passer leurs journées au cinéma à se goinfrer de pop-corn devant de gros blockbusters feraient peut-être mieux… d’écouter de la musique.

 

Tout cela n’est pas bien grave me direz-vous. Sans doute. Mais je trouve que ça témoigne (et participe) d’un véritable appauvrissement culturel. Une bouillie culturelle où l’on mélange tout et n’importe quoi, où programmateurs comme producteurs ne voient rien de bizarre, incongru et ridicule dans le fait d’illustrer la vie de Claude Monet à l’aide des musiques de Batman, Star Wars et des X-Men.

 

Entendons-nous bien, je ne milite pas pour que toute émission culturelle ou historique soit accompagnée de musique classique, loin s’en faut. Je ne suis pas à ce point élitiste (ou réac, selon d’où l’on se place). Je souhaiterais simplement qu’on respecte un peu plus la musique et le public. Prendre en compte le fait que les individus ont aussi une mémoire musicale, et ne pas leur servir n’importe quoi. Prendre en compte le fait qu’ils ne sont pas des benêts qui se disent : « chouette, j’aime la musique de Star Wars, je l’entends dans cette émission sur Monet, je suis content », mais qu’ils ont un cerveau, une capacité de jugement qui leur ferait plutôt dire « mais qu’est-ce que Batman et Star Wars viennent foutre chez Claude Monet ? »

 

Remarquez, c’est au fond plutôt marrant… le problème, c’est que le comique de la situation est ici parfaitement involontaire. Donc ridicule.

 

Cette forme de bouillie pseudo-culturelle n’est même pas le pire. Plus préoccupant : la surenchère constante depuis plusieurs années à la télé de musiques grandiloquentes. Pour tout et n’importe quoi. Un type fait cuire des œufs dans une émission de télé-réalité culinaire, quelle musique pour accompagner l’attente et la réaction du jury sur la cuisson ? Ce genre de musique :

 

 

 

Ca tombe sous le sens, non ? La musique parfaite pour illustrer l’angoisse d’un type qui se demande si ses œufs seront bien cuits. Sûrement ce qui a dû pousser Verdi à composer son Requiem… En général, ce n’est pas ce tonitruant Dies Irae du Requiem de Verdi que l’on utilise dans les émissions télés… mais c’est tout comme. Exactement le même genre de musiques : chœurs apocalyptiques, grands orchestres symphoniques à pleine puissance, gravité et noirceur de tonalités mineures, intensité dramatique maximum.

 

Des musiques qui, dans les œuvres du XIX° et le cinéma du XX° étaient utilisées dans des cas précis, pour illustrer ou accompagner des situations extrêmes. Combat métaphysique du bien contre le mal, victoires historiques, exploits héroïques, fin du monde, jugement dernier… Mais depuis plusieurs années, la télé utilise jusqu’à l’indigestion ces musiques paroxystiques, et ce pour illustrer le plus trivial. Ce qui crée nombre de cas absurdes et d’un ridicule achevé. De jeunes chanteurs de karaoké viennent « interpréter » des tubes pop à deux balles dans la Nouvelle Star et, sans transition aucune, grand orchestre et chœur apocalyptique : « Vont-ils continuer l’aventure ? Le jury a-t-il été sensible à l’interprétation de Myriam et sa reprise folk-jazzy du Dancing Queen d’Abba ? Vous le saurez après la pub… »

 

Le décalage entre la musique utilisée et ce qu’on nous présente à l’écran est énorme… Aussi absurde, si l’on inversait les rôles, que Star Wars accompagné par une musique de bal-musette. Mais il y a bien sûr une raison à ces musiques inversement proportionnelles à l’anecdotique que l’on nous présente à l’écran. Pas étonnant que cela se soit développé avec la télé-réalité. Des émissions d’une telle vacuité, des situations d’une telle trivialité qu’il faut « gonfler au maximum » la forme pour faire oublier la nullité du fond. De la poudre aux oreilles. Bien sûr, il y a tromperie sur la marchandise, on tente de vous faire croire à une saga épique genre Seigneur des Anneaux alors qu’il ne s’agit que d’un type qui se demande s’il a bien réussi son cake aux olives.

 

Une des premières fois où j’ai entendu ce type de musique utilisée pour un programme télé… c’est la bande annonce d’une des pires daubes de l’histoire, l’île de la tentation. Bimbos silliconnées et crétins au dernier degré qui se tripotent sur une plage sous l’œil des caméras, quelle musique pour illustrer cela dans la bande annonce de l’émission? Requiem, chœurs puissants, musique métaphysique et orchestre de la fin du monde. Voilà ce que les programmateurs musicaux imaginent comme musique idéale pour représenter les grandes questions existentielles télévisuelles de ce nouveau siècle, telles que « Est-ce que je vais tromper ma copine avec cette chaudasse qui m’allume depuis hier soir ? », « Est-ce que ce putain d’œuf sera suffisamment cuit ? », « Est-ce que ma version bossa de Every Breath You Take va plaire à Philippe Manœuvre ? » « Est-ce que Cindy pardonnera à Léa de lui avoir piqué son rouge à lèvres ? » Vous le saurez après la pub… car c’est aussi de temps de cerveau disponible qu’il s’agit. Tout bénef pour l’annonceur. On assomme le spectateur avec des musiques puissantes, saisissantes, dramatiques, on fait grimper l’émotion au maximum pour le rendre encore plus vulnérable aux injonctions publicitaires. Pourtant, c’est un matériau musical propre à transporter l’auditeur au plus haut, à lui faire vivre les émotions les plus intenses, puissantes, métaphysiques… mais là, on en fait une musique d’abrutissement. Une musique pour illustrer et vendre n’importe quoi. C’est dans une optique similaire que les dictatures ont utilisé ce type de musique. On ne vit certes pas en dictature, mais la manipulation par la musique n’en est pas moins importante…

 

 

Dernier élément, la dramatisation perpétuelle. Typique de l’époque. En particulier de l’après 11 septembre. Si l’on était d’un cynisme extrême, on dirait que la leçon principale retenue par les gens de télé à la suite des attentats du World Trade Center et de la planète qui regarde en boucle les tours s’effondrer, c’est que le tragique, le drame, la fin du monde, y a vraiment rien de mieux pour scotcher les téléspectateurs derrière leurs écrans.

Le choc du 11 septembre qui a accentué cette perte de repères, de valeurs, de foi en l’avenir et au progrès, et, surtout ce sentiment d’impuissance très moderne dans les sociétés occidentales. On nous bassine avec la crise économique, mais il y a une crise plus profonde de l’homme occidental depuis un moment. A quoi bon le progrès qu’on a tant valorisé auparavant, s’il détruit la planète ? A quoi bon une super-puissance même pas foutue d’empêcher quelques types armés de cutters de la toucher en plein cœur et de faire des milliers de morts ? Nos valeurs « progressistes, démocratiques et humanistes » sont-elles aussi universelles qu’on voudrait le penser ? On en doute quand on voit ce qu’elles ont pu engendrer… On ne croit plus en grand-chose, on ne sait pas où l’on va ni pourquoi, bref, on est paumé. Ce qui a pour effet deux phénomènes qui sont apparemment opposés : le refuge dans de grands mythes (une volonté de puissance pour compenser notre impuissance réelle), et le recroquevillement dans l’intime. Le premier explique le succès dans les années 2000 de grandes sagas épiques au cinéma (Le Seigneur des Anneaux, Matrix, les Nouveaux Star Wars), qui ne sont pas étrangères à l’utilisation de musiques grandiloquentes dans les émissions télés, le deuxième le succès du voyeurisme de la télé-réalité et la « peoplisation ».

 

Les musiques pleines d’emphase pour illustrer les programmes de télé-réalité les plus quelconques, au fond, c’est une réconciliation de ces deux tendances. On vous balance de l’intime, de l’anodin, et on vous fait passer ça pour une saga mythique. Et la télé le fait… à sa manière. C'est-à-dire sans le moindre début de sens esthétique, sans la moindre once de cohérence, de pertinence ou d’intelligence… si ce n’est pour accrocher le spectateur et manipuler de potentiels clients pour les annonceurs, car ça ils savent faire.     

 

Partager cet article
Repost0