Au moment même où, aux Etats-Unis, les lois « anti-piratage » SOPA et PIPA suscitent de nombreuses critiques et contestations (même Obama et son administration prennent leurs distances), coup de tonnerre sur le web, le FBI vient de fermer MegaUpload et d’arrêter ses dirigeants !
Coup de tonnerre et coup dur, pour tous les défenseurs de la liberté et du partage sur le net. Car le problème principal est moins de ne plus avoir à disposition le contenu hébergé sur le site que de voir le FBI capable de fermer en toute impunité un des 20 sites les plus importants au monde. Certes, MegaUpload est un des sites privilégiés par les « pirates », un des meilleurs moyens de stocker et récupérer illégalement des œuvres… tout simplement parce qu’il est un des meilleurs moyens de récupérer et stocker n’importe quel type de contenu ! MegaUpload (MU pour les intimes) n’est qu’une plate-forme de stockage, aux usagers d’en faire ce qu’ils veulent. MegaUpload, comme le p2p, ne met pas à disposition des œuvres, mais de l’espace de stockage, ce sont les usagers qui y partagent ce que bon leur semble. Et MegaUpload supprimait déjà les contenus illégaux, lorsqu’un ayant droit se plaignait.
Que des ayants droit, en s’appuyant sur une institution, puissent maintenant, si facilement, si brusquement, sans procès au préalable, obtenir la fermeture d’un site aussi gros, ça fait froid dans le dos. Et ça a de quoi susciter la colère des internautes, en particulier des Anonymous qui ont mené une attaque ciblée contre plusieurs sites (celui d’Universal, du FBI, et même d’Hadopi…) La guerre est déclarée ?
Des entreprises ont des comptes MegaUpload, non pas pour télécharger le dernier film de Bruce Willis, mais bien pour échanger facilement des données. Des artistes ont des comptes MegaUpload, qu’ils utilisent pour partager leurs œuvres en toute légalité, des particuliers ont des comptes MegaUpload destinés à stocker et faire circuler pour leurs proches des photos, vidéos et documents personnels, sauvegardes de leurs créations diverses, sites webs, disques durs… et tout ça, poubelle. Le site est fermé par la volonté aveugle du FBI et des ayants droit, impossible d’y avoir accès.
Quelle sera la prochaine étape ? La fermeture de Youtube ? Parce qu’on y trouve toujours quantité de contenus « illégaux ». Clips, extraits de films, reprises de chansons, jusqu’à de simples vidéos personnelles avec pour bande-son des musiques qui ne sont pas libres de droit.
Ensuite… la fermeture des blogs et plate-formes de blogs, des forums, des réseaux sociaux ? Après tout, on y trouve beaucoup de contenus illicites, de photos, vidéos ou liens vers des œuvres qui ne sont pas libres de droit. Et les boîtes mails, tant qu’on y est.
Il est vrai que les dirigeants de MegaUpload ne sont pas accusés seulement de fournir de l’espace de stockage, mais aussi d‘avoir rétribué des uploaders de contenus illégaux, ainsi que de blanchiment d’argent. Et alors ? Qu’ils soient jugés pour cela et bénéficient d’un procès équitable avant que l’on ne pense à fermer leur site. Au plus haut sommet de l’Etat en France, on a bien un individu accusé d’être impliqué dans l’affaire Karachi (et plusieurs membres de son parti accusés de rétro-commissions, blanchiment d’argent)… le même qui est le premier politique à se féliciter de la fermeture brutale du site, avant procès, et de l'arrestation de ses dirigeants.
Deux poids deux mesures. Les banques ont leur part de responsabilité, et non des moindres, dans la crise qui a fait tant de dégâts ces dernières années (c’est là encore bien plus grave que ce dont on accuse MegaUpload). Est-ce qu’on a fermé les banques, est-ce qu’on les a sévèrement sanctionnées ? Non, on leur a filé plus de pognon ! Mais la grande différence, c’est que MegaUpload ne fait pas partie du sérail, on peut donc tout se permettre avec leur site. Sans prendre en compte une seconde toutes les utilisations parfaitement légales et utiles de cette plate-forme.
Dans cette histoire, nous devons tous nous sentir concernés. Car si l’on se met à fermer aussi brutalement, sans procès préalable, tout site qui ne rentre pas totalement dans la légalité, il ne restera très vite plus grand-chose sur le net (qui n’aurait d’ailleurs jamais pu se développer autant si l’on avait suivi cette politique). Vous pensez être à l’abri parce que vous n’avez jamais mis de liens pour télécharger des œuvres protégées par le droit d’auteur ? Mais êtes-vous sûr d’avoir les droits sur toutes les photos placées en illustration de vos billets ? Etes-vous sûr que les vidéos Youtube hébergées sur votre blog sont celles d’uploaders qui en ont les droits ? Est-ce que vous payez la taxe SACEM ? Avez-vous bien vérifié (puisque l‘on est responsable des propos tenus sur nos sites), dans les commentaires de vos blogs, messages de vos forums, qu’absolument rien ne tombe sous le coup de la loi, qu’il n’y a pas de propos diffamatoires, homophobes, racistes, insultants etc. ? Que celui qui peut assurer être dans la légalité la plus totale et détenir les droits sur tous les contenus disponibles, visibles ou linkés sur son blog me jette la première pierre… Car, d’une manière ou d’une autre, nous nous sommes tous développés dans une relative illégalité, et si l’on voulait nous chercher des poux, fermer nos sites et ainsi détruire des années de travail et de passion, on le pourrait…
Que l’on censure un site destiné essentiellement à la diffusion de contenus criminels (site pédopornographique, par exemple), c’est bien normal. Que l’on censure un site basé uniquement sur le téléchargement illégal de contenus protégés par le droit d’auteur, on peut le comprendre. Que l’on taxe (sans les étouffer non plus), des sites genre MegaUpload qui se font beaucoup d’argent grâce au téléchargement illégal, soit. Tout comme on taxe déjà disques durs, CD et DVD vierges, qui sont aussi de l’espace de stockage. Mais on ne devrait pas pouvoir fermer si facilement un site qui ne tourne pas qu’autour du téléchargement illégal. Peu importe ce dont leurs créateurs sont responsables.
Il y a de quoi s’interroger sur les méthodes du FBI… si plusieurs appartements d’un immeuble hébergent des terroristes, ils font sauter tout l’immeuble ? Je l’avoue, j’aime les exemples extrêmes et caricaturaux. Pas le meilleur moyen de saisir précisément un phénomène, j’en conviens, mais assurément celui de pousser dans leurs retranchements les logiques imbéciles. Et pour en rajouter une couche, en cette période où sort le film d’Eastwood sur J. Edgar Hoover, ne faudrait-il pas penser fermer le FBI ? Qui a, au fond, bien plus à se reprocher que Megaupload. Créé et dirigé pendant près d’un demi-siècle par une des grandes crapules du XX°, il s’est développé dans l’illégalité : chantages, écoutes, manipulations politiques, campagnes de diffamations, assassinats, liens avec la mafia etc. Les responsables de Megaupload sont des enfants de chœur à côté du sinistre J. Edgar Hoover.
Pour en revenir au sujet, la grande question, dans cette affaire, c’est de savoir si MegaUpload a été fermé avant tout parce qu’on y trouve des contenus illicites, ou principalement pour les autres chefs d’accusation. Mais dans les deux cas, cette fermeture est une… connerie.
- Si le seul stockage de contenus illégaux n’est pas une raison suffisante pour le fermer, ce n’est qu’un coup d’épée dans l’eau, il existe des tas d’autres sites de stockage, les « pirates » se déplaceront sans problème de l’un à l’autre, cela n’aura en définitive pas une grande incidence sur le téléchargement illégal. Une stratégie qui n’aura servi à rien d’autre, de ce point de vue, que de susciter encore un peu plus la colère et la radicalisation des internautes contre des ayants droit et une police qui ne font pas dans le détail et pénalisent tout le monde pour les fautes de responsables d’un site. Car fermer Megaupload (4% du trafic total de l’internet, c’est pas rien), ce n’est pas comme fermer le blog d’un individu lambda ayant tenu des propos condamnables, c’est priver les internautes d’un outil universel de partage de contenus qui peuvent très bien être légaux et personnels.
- Si le stockage de contenus illégaux est une raison suffisante… c’est peut-être le début d’une vraie cyber-guerre, déclenchée par cette atteinte à la liberté des internautes et au développement du web. Car TOUS les sites de stockage seraient maintenant visés. Mais il est impossible de contrôler les contenus qui y transitent. Demander aux sites de stockages de supprimer les liens vers des contenus protégés par le droit d’auteur, ça existe déjà, et Megaupload s’y pliait. Mais on ne peut les menacer de fermeture sous prétexte que des œuvres protégées circulent, puisqu’il ne leur est pas possible de vérifier chacun des contenus avant de les mettre en ligne… ou alors, les internautes, après y avoir uploadé un de leurs documents, devraient attendre des jours, des semaines, des mois avant que leur document soit certifié « légal », ce qui serait le comble de l’absurde, à l’ère de « l’info en temps réel ».
Fermer de la sorte les espaces de stockage et rendre inaccessibles des milliers de données légales et personnelles, c’est véritablement scandaleux. Malgré Obama, les Etats-Unis semblent ne pas avoir compris que le web, comme le monde, ne leur appartient pas. Que la police d’un Etat, sans crier gare et sans aucune forme de procès rende inaccessible à la planète entière un site qui représente 4% du trafic total sur le net, ce n’est pas une avancée, un progrès, une victoire, mais bien une grande défaite pour le web et la liberté. Certains serveurs de MegaUpload se trouvaient en Virginie, ce qui a permis cette action, mais le site dépasse de très loin le seul territoire américain. Créé par un allemand, basé à Hong-Kong et, surtout, utilisé dans le monde entier par des millions d’individus chaque jour.
Protéger les artistes, je veux bien (le téléchargement illégal est-il un fléau si dangereux qu’ils nous le disent ? plus il est facile et rapide de télécharger illégalement des films, plus l’industrie du cinéma bat des records, ce qui a encore été le cas l’an dernier). Mais il faudrait surtout penser à protéger internautes et sites webs contre les polices autoritaires des Etats !
Il est aussi dommage que les industries du cinéma et de la musique aient si peu de connaissance de leur propre histoire… sinon, elles sauraient qu’elles se sont elles aussi en bonne partie développées par le « piratage » ou dans l’illégalité (ce sera le sujet d’un futur article). Et comprendraient ainsi que la censure n’est sûrement pas la meilleure réponse. Que les artistes, qui, à travers l’histoire, ont tant eu à souffrir de la censure pour les motifs les plus divers, se retrouvent maintenant si souvent du côté des censeurs face aux nouvelles technologies ne cesse de m'affliger.
Plus les années défilent, plus les gouvernements s’immiscent sur le web, tentent de le contrôler, et plus nos libertés s’y réduisent. Jusqu’à quand faudra-t-il accepter de se laisser faire ? Jusqu’à ce que chaque article de blog soit validé, avant publication, par un « comité de censure » vérifiant qu’on n’y trouve pas de contenus protégés par le droit d’auteur, ou des passages qu’eux jugeront comme de la désinformation, de la diffamation, de l’injure ?
Quels que soient les délits des dirigeants de MegaUpload, cette fermeture brutale du site a tout d’une déclaration de guerre. De "guerre virtuelle", tout du moins... en tout cas, c’est ainsi que les Anonymous l’ont pris, et on les comprend. Nul doute que cette opération du FBI leur permettra de recruter en nombre (les Anonymous, pas le FBI…) Car c’est vraiment la question de la liberté sur le net qui se joue ici. Une question qui aurait pu se résoudre par la discussion, le débat, les compromis de part et d’autre, la réflexion, la prise en compte de tous les intérêts, y compris ceux, souvent oubliés, du public… malheureusement, nous sommes face à un mur, une industrie et des politiques qui ne veulent rien lâcher de ce qui concerne le droit d’auteur, et qui privilégient à chaque fois la répression au dialogue. S’ils veulent vraiment le conflit, qu’ils se rassurent, ils l’auront. Et tomberont sur plus de répondant et de capacité de nuisance qu’ils ne le pensent…