Wu-Tang Clan Ghostface Killah
7 ans que le Wu-Tang Clan n’avait pas sorti d’album « officiel », leur nouvel album ne pouvait être que très attendu, et susciter de grandes espérances… mais il a de quoi décevoir. L’album n’est pas mauvais, loin de là, on y retrouve quelques prods inspirées de RZA et le flow toujours au-dessus de la mêlée des membres du Wu-Tang (même si on les a connus meilleurs), mais il a aussi ses lourdeurs. Un album assez inégal, et parfois déroutant. A l’image du surprenant Miracle… le morceau idéal pour piéger les participants d’un blind-test, impossible d’imaginer, à l’écoute des 45 premières secondes, qu’on est chez le Wu-Tang. New-York toujours, certes, mais à Broadway, pas à Staten Island ni dans le Bronx.
Le pire morceau du dernier Wu-Tang n’est, à mon sens, pas ce If a Miracle, mais le single A Better Tomorrow. Dénicher et retravailler des pépites soul 70’s, RZA sait faire, mais là, mauvaise pioche, un titre qui aurait plus eu sa place dans un épisode d’Arnold & Willy que sur un album du Wu-Tang Clan…
Ce dernier album divise, et si je peux comprendre – voire partager sur quelques points - la déception relative de certains, il n’y a pas lieu non plus de s’inquiéter ou se lamenter du fait qu’il ait fallu attendre 7 ans pour un album inégal, loin s’en faut. D’une certaine manière, ce serait appliquer une grille de lecture héritée du rock et de son histoire à un collectif rap qui fonctionne complètement différent. Il ne s’agit pas ici d’un grand groupe rock, où chaque musicien joue sa partie, et qui a réussi à atteindre une parfaite alchimie, groupe dont les membres, de temps en temps – ou une fois partis du groupe - sortiraient des side-projects ou albums solos anecdotiques. La jurisprudence Beatles : géniaux ensembles, beaucoup moins inspirés en solo. Split, mort d’un des membres du groupe ou désir simplement de s’exprimer seul, les musiciens des plus grands groupes rock, à quelques rares exceptions près, n’ont jamais retrouvé le niveau et la qualité de leur groupe au grand complet. Beatles, donc, mais aussi Led Zep, Pink Floyd, Doors, Who, Clash, Pixies & co. Et si, dans le rock, les membres d’un grand groupe peuvent se permettre quelques petites escapades en solitaire, les albums du groupe restent bien plus attendus, quand bien même un des leurs ferait une honorable carrière solo. Le Wu-Tang Clan, c’est une toute autre histoire. Et une histoire singulière, il n’y a pas d’autres exemples, dans le rock comme dans le rap, d’une telle réunion de personnalités (9 au départ, avant la mort d’ODB il y a quelques années). Ils ont aussi contribué à changer les règles, imposant dès leur début un contrat inédit à leur label, contrat qui permet à chaque membre de sortir en solo des albums quand il le souhaite, sur le label de son choix. Et ils ont su en profiter. Le Wu-Tang Clan ne nous a pas laissé 7 ans à attendre fébrilement un nouvel album, il n’a cessé d’être actif par l’intermédiaire de ses différents membres, et cela fait maintenant plus de 15 ans que l’on sait qu’ils sont tous capables de sortir des albums solos meilleurs que ceux du collectif.
Le Wu-Tang, ce n’est pas deux chefs-d’œuvre (leurs deux premiers albums), puis des albums un peu décevants, mais une production constante d’albums depuis 20 ans, avec quelques chefs-d’œuvre, beaucoup d’excellents albums, et, inévitablement, quelques albums plus dispensables et quelques ratés. On n’est jamais en manque de Wu-Tang Clan, chaque année, un ou plusieurs albums estampillés « Wu-Tang » sortent. Deux des meilleurs albums de l’an dernier étaient l’œuvre de MC’s du Wu-Tang : Inspectah Deck, et Ghostface Killah. Ce dernier qui, la semaine de la sortie du dernier album du collectif, livre un nouvel album solo : 36 Seasons. Même pas le temps de se demander si ce nouveau Wu-Tang est une déception ou pas, et encore moins de craindre le manque de Wu-Tang, Ghostface Killah est là pour nous injecter notre dose et nous faire oublier les quelques lourdeurs et fautes de goût de A Better Tomorrow. Moins musclé et clinquant que ce dernier, 36 Seasons est beaucoup plus nerveux, saignant et cohérent (musicalement, mais aussi par les textes qui, comme le précédent, 12 reasons to die, sont centrés autour d’une même histoire). Après avoir sorti un des meilleurs albums de l’an dernier, Ghostface Killah nous offre cette fois le meilleur album rap de 2014. C’est lui qui porte le flambeau du Wu-Tang actuellement, et nul doute que s’il faiblit, un autre saura le récupérer (tel Inspectah Deck, qui n’avait jamais brillé en solo jusqu’en 2013 et son redoutable Czarface). Bref, le Wu-Tang, c’est une hydre, il y a toujours une tête prête à mordre, si l’une fatigue, le temps qu’elle se refasse une santé, une autre aura pris le relais…
Wu-Tang Clan - A Better Tomorrow (8), en écoute sur Grooveshark et sur Youtube
Ghostface Killah – 36 seasons (9), en écoute sur Grooveshark et Youtube