En parfait contrepoint au dernier Kanye West, le dernier Dizzee Rascal. Autant Kanye West a étonné par le virage sombre et dense de son dernier album, rare de la part d’une superstar mondiale, autant Dizzee Rascal étonne – ou plutôt consterne - par le virage hyper-commercial de The Fifth.
Dizzee Rascal est – ou était – un des plus remarquables rappeurs anglais. Il est un des pionniers et chefs de file du Grime, et sort son formidable premier album, Boy in da Corner (2003), alors qu’il n’a que 18 ans. Avec Maths + English, il offre en 2007 un autre très grand album au rap anglais. En 2009, il déçoit quelque peu sur Tongue’n’Cheek. Plus pop/électro, plus lisse, moins intense. Mais pas de quoi s’affoler, l’album n’est pas honteux, c’est juste un album un peu trop léger et moins inspiré que les précédents. Aucun artiste, même parmi les meilleurs, n’est à l’abri d’un petit faux-pas… Le problème, c’est qu’avec the Fifth, il n’est plus dans le faux-pas, mais le grand écart. Tout comme je ne voyais pas réellement d’exemples d’artistes aussi populaires que Kanye West capable de sortir d’album aussi sombre que Yeezus (la première partie de l’album surtout), j’ai du mal à trouver d’exemples d’artistes honorables se compromettant dans une soupe aussi indigeste que ne l’est The Fifth. C’est comme si Radiohead se mettait à faire du Muse, Autechre du David Guetta, ou PJ Harvey du Miley Cyrus. Et non, je n’exagère pas, je trouve sincèrement la musique de David Guetta moins putassière que celle de The Fifth. Il y a certes sur cette daube quelques couplets écoutables de Dizzee Rascal, qui n'a pas perdu la qualité de son flow, mais ils sont noyés sous les prods vulgaires au possible et les rengaines affligeantes. Un peu comme sur Recovery d’Eminem... mais en pire. Dizzee est vraiment tombé au plus bas. Dirtee Cash chantait-il sur Tongue’n’Cheek… c’était prémonitoire. Il n’y a donc eu personne dans sa maison de disques pour lui dire que cette daube était un véritable suicide artistique ? Argh, c’est vrai qu’il vient de passer chez Universal…
Pour vous convaincre de tout cela, et pour bien mesurer le gouffre qui sépare le Dizzee Rascal d’il y a quelques années à l’actuel, et le gouffre, donc, entre du bon rap et de la merde, un morceau tiré de Maths and English, suivi par un morceau du dernier album (Love this Town) :
Dizzee Rascal - Where's da G's ft. Bun B. (Maths and English)
(Si j'ajoute parfois les morceaux sur grooveshark, c'est parce qu'ils ont trop vite fait d'être supprimés de youtube)
Dizzee Rascal - Love this town ft. Teddy Sky (The Fifth)
The Fifth en écoute sur Spotify et sur Deezer. Il faut l'écouter, cet album, pour savoir tout ce qu'il ne faut pas faire en musique...
Est-ce moi qui suis trop élitiste ? Je ne pense pas. Preuve en est que sur Tongue’n’Cheek, j’ai beaucoup aimé l’efficace et même « tubesque » Dance wiv me… mais là est toute la différence entre du rap accrocheur et accessible, et la soupe infâme qu’est The Fifth.
Dizzee Rascal - Dance wiv me ft. Calvin Harris (Tongue'n'Cheek)
Alison Goldfrapp a bien su relever la tête cette année, avec un bel album folk-rock épuré, mélancolique et délicat, qui tranche avec les errements électro-pop insipides de Head First, dont je parlais ici. Espérons que Dizzee Rascal saura lui aussi faire de même (enfin, pas nous sortir un album folk-rock délicat, hein, juste d’excellents morceaux rap comme il savait si bien en faire), mais quoi qu’il en soit, sa carrière sera toujours entachée par cette monstruosité pop, esthétiquement plus proche du pire de l'italo-dance que du grime auquel il a su donner ses lettres de noblesse.