C'est El Funcionario qui m'a appris la triste nouvelle, le grand Gil Scott-Heron est mort hier. Je n'ai malheureusement pas le temps ce week-end d'écrire un article plus complet - ce sera pour une autre fois, il mérite amplement qu'on s'attarde en détail sur sa carrière et son influence - mais impossible de ne pas en dire un mot aujourd'hui.
Une petite vidéo en hommage, avec une de mes chansons de chevet, mon titre soul-funk favori, le superbe Home is where the Hatred Is.
La situation a beau être dramatique au Japon, j'avoue - humain trop humain - que l'annonce hier du décès de Nate Dogg m'a plus marqué.
Pour commenter sa mort, la phrase cliché la plus évidente serait "Une voix du rap west coast qui disparaît"... sauf que Nate Dogg n'est pas "une voix", mais LA voix du rap de L.A. C'est bien simple, lorsque j'ai commencé à écouter du rap, je pensais que Nate Dogg était le seul rappeur qui savait chanter, puisqu'on ne cessait de le trouver sur les refrains (les "hook"), chez Dr. Dre, Eminem, Snoop Dogg, 2Pac, Xzibit et les autres. Nate Dogg, c'est "le rappeur qui ne rappe pas mais qui chante". Le plus remarquable, c'est qu'il avait une façon de chanter tout à fait personnelle, un chant cool, limpide et posé devenu un des "sons" caractéristiques du G-Funk / Gangsta rap. Jamais d'emphase ou de lyrisme, son chant restait cool en toute occasion, volontiers minimaliste, et se distinguait des traditionnelles voix noires très expressives à la James Brown.
Avec la disparition de Nate Dogg, le rap west coast perd sa voix et un de ses membres "historiques" : Nate Dogg, Snoop Dogg et Warren G sont devenus amis au lycée - Snoop est aussi son cousin - ils ont monté un groupe ensemble, et lorsqu'il les a découvert, le "parrain" Dr. Dre les a pris sous son aile.
L'apport de Nate Dogg (Nathaniel Dwayne Hale de son vrai nom) au rap west coast était original, sa mort précoce l'est tout autant pour un "gangsta rappeur", elle n'est pas due à une overdose, un assassinat ou une fusillade... mais à une attaque cérébrale (une double, même).
Pour lui rendre hommage et le faire mieux connaître, je vous ai concocté une playlist avec ses titres emblématiques, où, pour la plupart, il est en charge du refrain.
On commence par un de mes morceaux de chevet, The Hardest Mutha Fucka's, avec Kurupt... le chant de Nate Dogg y précède le premier couplet de Kurupt, ce qui vous permettra d'identifier sa voix si vous la découvrez. On passe ensuite à un des tous meilleurs titres d'Eminem, Bitch Please II, puis au célèbre Regulate de Warren G et Nate Dogg, qui les a mis tous deux sur le devant de la sène en 1994. Un titre un peu plus hargneux pour continuer, My Name d'Xzibit avec Eminem et Nate Dogg, puis... que de bonnes choses, si vous n'êtes pas allergique au gangsta rap : du 2Pac, Snoop Dogg, Dr. Dre, Notorious B.I.G, The Game, 50 cent, Obie Trice ; des titres où les interventions de Nate sont toujours impeccables :
Du rap français, voilà de quoi faire peur. Peur de s’ennuyer ferme, surtout, à l’écoute de sermons édifiants d’un gamin de 20 piges qui prétend avoir tout compris à la vie. Ou d’ego-trip cliché genre « Moi, j’suis authentique, j’défonce tout avec mon mic’ »… et peur, aussi, d’un cruel manque de musicalité et de flow.
Un mélange rap/rock, voilà de quoi faire peur. Le rap n’a pas grand-chose à gagner à intégrer de grosses guitares saturées et de rythmes rock, bien au contraire. C’est souvent le meilleur moyen de perdre sa félinité, son groove, de sombrer dans le lourdingue… une panthère transformée en hippopotame…
Des textes engagés et révoltés, de la critique sociale… idem. Un exercice aussi toujours très casse-gueule. Difficile de ne pas redire ce qui a été déjà dit mille fois, de sortir des sempiternels « y a des riches trop riches, des pauvres trop pauvres, ça craint, le capitalisme c’est pas bien ». Soit on a droit à une succession de poncifs, une vision du monde binaire et naïve, soit des textes plus politiques, argumentés et… chiants. Voire les deux, qui ne sont pas incompatibles. S’il faut se taper aussi les discours de Mélenchon en musique, sans façon.
La Canaillepart ainsi avec de sacrés handicaps, il est donc d’autant plus remarquable qu’ils parviennent à ne tomber dans aucun de ces écueils. Pas de guitares et batteries body-buildées ; ils sont plus proches de ce que fait Zone Libre (le projet rap de Serge Teyssot-Gay) ou même par endroits au Tue-Loup période Penya. Leur musique est subtile, les ambiances sont volontiers sombres sans être trop plombées, et si l’album est loin du rap funky, il ne néglige pas totalement le groove (mention spéciale à la contrebasse sur Le Soulèvement aura lieu – par le jazzman Michel Benita). Quant aux textes, ils ont le grand mérite d’arriver à concilier maturité, regard distancié, nuancé (Trop facile… avec une pique, bien vue, aux discours moralisateurs d’Abd al Malik) et sentiment d’urgence et de révolte.
Leur précédent album Une goutte de Miel dans un Litre de Plomb était déjà très bon, celui-là est encore plus abouti et a de quoi séduire les auditeurs habituellement réfractaires au rap français, et même au rap en général. Bref, ne passez pas à côté, c'est pas tous les jours (ni toutes les semaines, ni tous les mois, ni tous les ans...) que vous tomberez sur un album rap français de cette qualité.