Pourquoi diable est-ce que Every You and Every Me de Placebo me plaît ? Pas pour les paroles, je ne sais pas de quoi il parle, pas pour le groupe, qui est une de mes têtes de turc favorites...
Et il y a bien pire encore... Not Gonna Get Us de T.A.T.U. Ce morceau représente à peu près tout ce que je déteste (les entendre hurler "Not gonna Get Us" à tout bout de champ, quelle horreur)... pourtant, il y a quelque chose dans cette chanson à la con qui me touche :
A l'époque où je l'ai découvert, j'étais en Italie, et il passait constamment à la radio. Je me disais : peut-être le dépaysement, on s'attache à un morceau qu'on associe à ce voyage... mais non, je rentre en France, et là, c'est le drame, j'entends leur 2° single, All The Things She said, et, si je le trouve encore plus racoleur et lamentable que le précédent, j'avoue qu'il a lui aussi un petit quelque chose qui me plaît.
C'est tout mon monde qui s'écroule, je me dis que ça y est, je suis foutu, je n'ai plus aucun goût, je suis tombé dans le côté obscur de la pop... tout cela m'interpelle, je prends ma guitare pour jouer le premier et voir de quoi il est fait... une suite d'accord
A G#m C#m E (que l'on jouerait plutôt en accords de quinte : A5 G#5 C#5 E5).
A - G#... pas étonnant que ça me plaise, j'aime bien les 1/2 tons... et, surtout, de C#m à A, il y a une sixte (certes, on passe plutôt de A à C#m, mais ce n'est que le renversement de la sixte), et une "véritable sixte" de C#m à E. J'avais déjà remarqué, en composant et en reprenant des morceaux que j'aimais, un certain goût pour les accords du VI° degré et les intervalles de sixte, ça se confirme. Et Every you and Every me de Placebo est particulièrement centré sur la sixte, puisque dans le court riff qui se répète tout au long du morceau, après la première mesure et le premier accord, on passe chaque fois à la basse sur la sixte.
Je reprends ensuite le 2° morceau de T.A.T.U, All The Things She said... et c'est exactement la même suite d'accords que le premier. Il y en a qui ne s'emmerdent pas... une suite d'accords, deux gros tubes. Efficacité et rentabilité maximum pour Trevor Horn (Buggles, Franky Goes to Hollywood, Art of Noise et l'homme derrière T.A.T.U.)
Une suite d'accords que j'ai déjà entendu par ailleurs... je cherche un peu, et réalise qu'elle est (à peu près) celle du riff d'une de mes chansons pop préférées, This Is Not A Love Song de P.I.L. (dont j'ai déjà parlé ici). La basse lourde du célèbre Relax de FGTH est très similaire à celle de This is Not a Love Song, là, c'est la suite d'accords empruntée à celle du refrain (et riff) du morceau de P.I.L....
A G#m C# (en le transposant, sinon, c'est F Em Am sur l'original) :
PIL - This is not a Love Song :
Et cette suite est à peu près la même que celle d'Un Jour en France de Noir Désir :
(G#5) A5 G#5 C#5 G#5 A5 G#5 E5
Noté comme ça, ce n'est peut-être pas évident, mais écoutez This Is Not A love Song puis Un jour en France, vous verrez que la similitude saute aux oreilles.
Un Jour en France et T.A.T.U, même combat (harmonique)... si vous jouez de la guitare ou du piano, essayez de jouer ces accords et chanter en même temps, vous pouvez facilement passer de Noir Désir à T.A.T.U, qui ont la même base (si j'ai réussi à faire jouer et chanter du T.A.TU. à un de mes lecteurs, je n'aurais pas perdu ma journée...)
Et cette suite A G#m C#m E chez T.A.T.U, vous la retrouvez sur Where is my Mind des Pixies... à l'envers : E C#m G#m A
Revenons à Not gonna Get Us, si vous le voulez bien (vous ne le voulez pas, et vous avez raison, mais tant pis... au cas où ça n'était pas clair suite à la discussion dans le précédent article, je n'en fais ici qu'à ma tête...)
A ma grande honte, j'aime particulièrement le 2° couplet (à 2'15, We run away...), et ces décrochages en voix de tête... je joue la mélodie, premier saut, une quarte augmentée (sur sim-ple), le fameux "diabolus in musica", intervalle dont je suis friand, et le 2° saut... une sixte (sur an-gel). On s'y retrouve.
Le saut de sixte... un des plus connus, c'est celui par lequel commence une des oeuvres que j'ai le plus écouté et aimé, Tristan et Isolde de Wagner. Ce saut de sixte (mineure, celle que je préfère) aux violoncelles qui ouvre l'oeuvre et amène sur le plus célèbre accord de l'histoire de la musique, l'accord dit "de Tristan" :
Dans un genre tout à fait différent, un morceau qui m'a lui aussi longtemps fasciné (et continue), Overcome de Tricky :
Le "riff" du morceau est entièrement basé sur le saut de sixte (mineur, le meilleur) : un premier saut, que l'on répète 1/2 ton plus bas. Deux sixtes mineures qui se suivent, séparées par un demi-ton, voilà de quoi faire mon bonheur...
Bref, Wagner -Tricky, même combat (pour la sixte mineure...)
Je pourrais aussi parler de la Marche Funèbre de Chopin, un des premiers morceaux classiques que j'ai adoré... avec sa basse pesante qui descend sur la sixte...
(Je mets tous les morceaux qui vont suivre dans un même lecteur, pour ne pas surcharger la page)
Les Red Hot, par contre, ça n'a jamais été vraiment mon truc. Sauf une petite ballade, jolie mais un peu mielleuse, Road Trippin'... la suite d'accords ? Em C B (il y a un passage avec d'autres accords, dans tous ces exemples, je vais me contenter de donner ceux qui sont à la base du morceau). On est dans la tonalité de mi mineur, et on passe par l'accord de do, VI° degré de la tonalité (le superbe Eleanor Rigby des Beatles est construit sur ces deux accords Em et C). Je n'ai jamais aimé non plus Eurythmics, sauf Here Comes the Rain Again, et, forcément, Sweet dreams, un des tubes de ma jeunesse... la suite d'accords ?
Em C B
Je défie quiconque de me dire qu'avant de lire cet article, il trouvait un air de ressemblance entre Road Trippin et Sweet Dreams. Pourtant, écoutez Road Trippin, chantez Sweet Dreams dans votre tête en même temps (il faut le ralentir un peu pour suivre les accords), et vous verrez aussi que les deux mélodies ont des points communs (c'est frappant dans le 4° vers : Let's go get lost anywhere in the USA chez les Red Hot, Everybody's lookin' for something chez Eurythmics ....) Comme quoi, certains disent qu'en musique, on a déjà tout fait, il n'y rien de nouveau à apporter, ne les croyez surtout pas, avec une même suite d'accord et des mélodies qui suivent le même mouvement, on peut faire deux morceaux qui n'ont rien à voir...
Quelques autres exemples de morceaux que j'ai beaucoup aimé où l'accord du VI° degré est mis en évidence :
Portishead - Wandering star
La suite d'accords est
B5 G B5 F#, le G est le VI° degré de B, la tonalité initiale.
Radiohead - Karma Police
Le moment que je préfère dans Karma Police... a toujours été le passage sur le Fa (donc le VI° degré, puisqu'on est en en la mineur), pendant "he talks" (in maths) ou "her hitler" (hairdo)...
Chris Isaak - Go walkin' down there :
Em C A A7 (on retrouve ce Em -C)
Blue Hotel :
La suite de base est
Bbm Eb Ebm puis on passe sur
Gb F7 (Gb est le VI° degré de la tonalité de Bbm)
Salad - Drink The Elixir
Je me suis longtemps demandé pourquoi cette chanson indie-pop m'avait autant charmé à l'époque (et je ne suis pas le seul, n'est-ce pas Lyle...) c'est pas compliqué, sur les 3 accords qui reviennent constamment, après l'accord de do, on a ce passage à la basse sur la bémol auquel je ne résiste pas (la bémol est la sixte mineure de do).
Scott Walker - The 7th Seal
J'en parlais pour illustrer mon article sur les tonalités, en disant à quel point j'adore cette chanson... sa suite est :
Em D - Em C-D Am
On fait tourner le mi mineur et le ré, puis on passe au VI° degré, le do... et on finit la grille sur le VI° degré de do, le Am.
Un de mes morceaux de musique traditionnelle russe favori... Plaine, ma Plaine. On est en Bm, on joue sur Bm - F#m, puis on passe sur le VI° degré, le G.
Bm F#m Bm F#m G F#m G F#m :
Lorsque j'ai découvert mon penchant très prononcé pour la sixte, je me suis dit qu'il serait tout de même marrant que les deux morceaux qui ont vraiment été à l'origine de ma passion pour la musique, les deux morceaux qui ont le plus marqué ma jeunesse (j'en parlais ici), utilisent aussi ce VI° degré... et c'est le cas, plus encore que je ne l'imaginais, le VI° degré n'y est pas qu'un simple accord de passage, mais un accord déterminant.
Talk Talk - Such a Shame
La chanson commence sur un C#m... puis on passe sur la sixte, A. Et on fait tourner C#m A Fm Fm.
A est à une sixte de C#m, Fm est à une sixte de A...
Depeche Mode - Shake the Disease
Le morceau qui aura été vraiment "la" révélation de ma jeunesse... et ici, je tombe sur une véritable orgie de sixte / VI° degré.
On a d'abord :
Dm C F Bb Dm
Le C est un accord de passage, puis on passe sur le F (tierce, donc renversement de la sixte en Dm), et le Bb (VI° degré de la tonalité initiale de Dm) pour revenir au Dm.
Après un pont (F C F C Bb), arrive le refrain :
Dm Fm Db Bb
De Fm à Db, il y a une sixte, puis de Db à Bb, une nouvelle sixte. Bref, un refrain composé essentiellement d'accords qui passent de sixte en sixte (et en tierce, le renversement de la sixte, pour le premier...)
A tout hasard, je jette aussi un oeil sur Billie Jean, autre morceau qui a vraiment eu un grand impact dans ma jeunesse... et ça ne loupe pas. On est dans la tonalité de fa # mineur, on tourne sur les accords de fa # mineur et si mineur (le I et le IV), et le troisième accord important, celui qui va faire monter en intensité vers le refrain (sur People always told me, etc...), c'est ici le VI° degré, le ré majeur.
Tout ça pour quoi ?
Pour deux raisons :
1. Maintenant, si on se fout de vous et remet en cause votre bon goût parce que vous aimez tel ou tel morceau lamentable, vous pourrez toujours dire : "c'est pas ma faute, je suis particulièrement sensible à tel intervalle, tel enchaînement d'accords, et ce morceau en abuse..."
Pour être honnête, il faut avouer que ça n'excuse pas tout, il y a des morceaux qui jouent sur l'accord du VI° degré et que je n'aime pas... comme, heureusement, des tas de morceaux sans VI° degré que j'adore... Ce n'est pas parce que vous avez un penchant pour les blondes que vous ne pouvez pas tomber amoureux de brunes...
2. C'est une chose dont on ne parle que trop peu. J'ai souvent dit qu'il n'était pas nécessaire de connaître l'harmonie et la théorie musicale pour comprendre la musique, pour en parler de manière intelligente, profonde... mais sur 2-3 petites choses, ça peut apporter un plus, notamment pour comprendre, parfois, pourquoi telle musique nous parle et moins telle autre... Car que peu de personnes réalisent qu'on a tous des types d'accords, d'harmonies, d'intervalles qui nous touchent plus que d'autres. Tout n'est pas que question de timbre de voix, de style musical et d'instrumentation... Par exemple, je sais que j'aime particulièrement le mineur, les secondes et 9°, la quarte augmentée (le triton), les chromatismes, et, bien sûr, le VI° degré et les sixtes (labels, attachés de presse, si vous vous occupez d'un groupe qui utilise abondamment le mineur, les chromatismes et 1/2 tons, les 9° et les accords du VI° degré, ça peut m'intéresser....)
La question que l'on peut se poser est : d'où vient cette sensibilité particulière à tel type d'intervalle ou enchaînement d'accord ? Est-ce parce que je suis naturellement sensible au VI° degré que Billie Jean, Such a Shame et Shake the Disease ont marqué ma jeunesse ? je ne pense pas... Est-ce parce qu'avant ces morceaux, dans ma plus petite enfance (voire dans la vie intra-utérine), j'ai été marqué inconsciemment par une musique en particulier qui se basait sur le VI° degré ? pourquoi pas...
Un intervalle entre deux notes ou un enchaînement d'accord ne sont pas réductibles à une émotion particulière. Mais j'ai tendance à penser qu'au fond, c'est une forme de mélancolie que peut amener le VI° degré dans la musique tonale qui a "conditionné" mon penchant pour cet accord, parce que je la cherche, parce que j'ai associé à la sixte cette émotion-là... le débat reste ouvert...
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