Quel aura été le fait le plus marquant dans le monde du cinéma depuis le début de ce nouveau siècle ?
Le piratage ? Les salles n'ont jamais été aussi pleines.
L'arrivée de la 3D ? Encore beaucoup trop gadget.
Non, le fait le plus marquant - et alarmant - est sans doute cette inflation d'adaptations de tout et n'importe quoi. A croire que le cinéma est devenu un "dépotoir culturel", où tout produit, même le plus anecdotique et débile a droit à "son film".
Dans la première décennie des années 2000, les séries ont montré qu'elles n'avaient plus grand chose à envier au cinéma en terme d'audace, de créativité, d'écriture ou de profondeur. Face à cette nouvelle concurrence, le cinéma aurait pu monter la barre plus haut... mais non, il est au contraire tombé au plus bas, se contentant trop souvent d'adapter la moindre connerie qui a eu un petit succès à telle ou telle époque.
Pendant que les séries ne cessaient de proposer des histoires et formats originaux et forts (Les Sopranos, Six Feet Under, 24, Lost, The Shield, The Wire & co)... le cinéma adaptait de vieilles séries ringardes et pathétiques (Sheriff fais moi peur, Ma sorcière bien aimée, Starsky & Hutch). Tout un symbole. Et ça continue, avec ces temps-ci l'Agence Tous Risques sur grand écran.
Bien sûr, ce n'est pas le sujet qui fait la qualité d'une oeuvre, mais son traitement. Les sujets les plus remarquables peuvent donner lieu aux pires oeuvres, et vice-versa. Mais qui peut s'attendre à ce qu'une adaptation de l'Agence Tous Risques ou Ma Sorcière Bien Aimée donne un grand film ? Et pour un Dark Knight très réussi, combien de films de super-héros grotesques pour ados attardés ?
Il est vrai aussi que l'adaptation a toujours existé au cinéma. La différence, c'est qu'avant, les adaptations étaient essentiellement celles de romans et nouvelles, moins de séries, bd, jeux vidéos et dessins animés. Des adaptations d'oeuvres où le visuel restait à inventer, pas à réadapter au goût du jour avec la contrainte de "plaire aux fans", fans qui doivent s'y retrouver et ne pas se sentir trahis.
Le monde du cinéma "populaire" donne l'impression d'être en grande partie tenu, actuellement, par une bande de gamins stupides et sans imagination. De grands enfants trop gâtés qui ont passé la trentaine, jouent encore avec leurs figurines GI Joe et Transformers, et utilisent des centaines de millions de dollars pour en faire des films. C'est quoi, la prochaine étape ? Barbie, le film ? Ils en sont bien capables, ces cons...
C'est aussi le signe d'une époque particulièrement régressive et puérile, où, au lieu d'avancer, d'affiner leurs goûts, de se diriger vers des oeuvres plus exigeantes, profondes, beaucoup se réfugient dans une enfance bêta marquée par des programmes télés médiocres.
Des films débiles, il y en a toujours eu. Mais force est de reconnaître que cette décennie, le cinéma destiné à un large public a été souvent consternant dans le choix de ses sujets. On délaisse les créations originales et on a l'impression que le cinéma est devenu une gigantesque poubelle dans laquelle tombe tous les sujets, qu'ils viennent de comics, jeux vidéos, séries médiocres, dessins animés, bd... et même jouets et d'attractions de parcs pour enfants (Pirates des Caraïbes). Sans parler de tous les remakes et biopics...
Heureusement, il y a encore de très bons films, mais ce n'est pas la question. Le problème est que le cinéma populaire semble avoir de moins en moins d'imagination, et se contente de recycler la moindre "franchise" un peu connue. Car c'est bien en terme de "franchise" que semblent réfléchir (le mot est un peu fort, je l'admets) les grands pontes du cinéma. Il faut juste un "nom" qui évoque quelque chose au public, et on en fait un film.
Il serait un peu facile de pointer du doigt Hollywood, car même s'ils ont une grosse part de responsabilité dans cette situation, ils ne sont pas les seuls. Même chose en France, avec Astérix, Lucky Luke, le Petit Nicolas, Iznogoud etc... Ces ouvrages amusants, qui pouvaient avoir un certain charme, avaient-ils vraiment besoin d'une adaptation cinématographique ? Non, bien entendu. Je ne les ai pas vu, mais les bande-annonce et les critiques confirment ce qu'on pouvait en penser : ce charme qui pouvait les caractériser ne passe pas sur grand écran. Et Spielberg dont le dernier "grand projet" est l'adaptation de Tintin... sans commentaires.
Quelle sera la prochaine étape ? Des adaptations cinématographiques de programmes de "télé-réalité" ? Loft Story, le film ? L'île de la tentation, le film ?
Des adaptations de blogs ? Music Lodge, le film ?
En même temps, ils ont encore suffisamment de conneries à exploiter dans les bd, jeux vidéos, séries has-been et dessins animés... je compte sur l'imagination et le mauvais esprits de mes lecteurs pour proposer les adaptations d'oeuvres les plus stupides et ridicules... ceux qui auront vu juste et deviné les projets absurdes qui verront le jour auront droit à un rôle dans "Music Lodge, le film"... Pour ma part, je crains fort un "Goldorak" ou "Capitaine Flam" prochainement dans les salles obscures...
Face à ce torrent d'adaptations dans le cinéma populaire, on a finalement de quoi regretter... Star Wars. Malgré tout ce qu'on peut reprocher à cette saga, elle est au sens propre du "cinéma d'auteur", l'oeuvre d'un créateur, d'un type qui a su inventer tout un univers, et un univers qui a dépassé le cadre du cinéma pour devenir un véritable "mythe" populaire moderne. Qui n'a pas entendu parler de Dark Vador, Luke Skywalker, Yoda, Han Solo ? Des personnages devenus des archétypes présents dans l'inconscient collectif comme l'étaient ceux des contes et légendes dans les anciens temps... Lucas a décliné ensuite sa "franchise" en jeux, figurines, bd etc... maintenant, c'est malheureusement dans l'autre sens que ça se passe, le cinéma est un dépotoir où l'on balance le moindre jeu, la moindre série, bd etc...
A la fin des années 90, Matrix était encore une saga "d'auteur", conçue et réalisée par des cinéastes, pour le cinéma. Quelles sont les "grandes sagas populaires cinématographiques" qui ont fasciné les jeunes dans les années 2000 ? Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, Twilight. Des adaptations.
Les 10 films qui ont fait les plus grosses recettes ce premier semestre 2010 dans le monde :
Des adaptations de livres : Alice in Wonderland, Shutter Island, Robin Hood, How to train your Dragon
Des suites d'une "franchise" de films d'animations : Shrek Forever After, Toy Story 3
Un remake : Clash of the Titans
Un personnage de comic-book : Iron Man 2
Une adaptation de série : Sex and the City 2
Une adaptation de jeu vidéo : Prince of Persia
Et en France, on a Adèle Blanc-Sec, adaptation de bd.
Pas un film qui soit une véritable et nouvelle "création originale".
A qui la faute ? A tout le monde, sans doute. Un mélange de frilosité et de puérilité partagés par les producteurs qui ont besoin d'être rassurés par des franchises connues, des cinéastes qui se reposent sur des oeuvres existantes et cachetonnent, et un public prêt à aller voir n'importe quoi, tant qu'on lui en fout plein les yeux.
Pour finir sur une note positive, je vous recommande vivement le très beau film argentin Dans ses yeux... qui est aussi une adaptation de roman, certes, mais du vrai bon cinéma...