Fait surprenant dans le cinéma à grand spectacle actuel, J J Abrams a tenté un pari un peu fou… écrire une histoire et créer des personnages. Oui, vous ne rêvez pas, vous avez bien lu, dans cette nouvelle superproduction, pas de recyclage de super-héros en costume lycra, pas de grosse saga tirée de livres pour enfants, pas d’adaptation de dessin animé, bd, série, jeux vidéo ou vieux films, et, je vous le garantis, malgré le « 8 » du titre, ceci n’est pas une suite.
Comme je le déplorais ici, depuis l’entrée dans ce nouveau millénaire le cinéma populaire n’invente plus grand-chose et recycle tout ce qui bouge… et même tout ce qui ne bouge plus depuis 20 ans et qu’on pensait mort et enterré. C’est toujours le cas en ce moment, il suffit de voir les blockbusters en salle depuis cet été : un énième épisode (le dernier, enfin !) du sorcier binoclard, Cars 2, Transformers 3, Kung-Fu Panda 2, les schtroumps 3D (et le nouveau X-men un peu auparavant)… et qu’est-il prévu pour la fin de l’été ? La Planète des Singes, Green Lantern ( !), Captain America (!!), et le remake de Conan le Barbare ( !!!).
En ces temps moroses où l’achat de franchises s’est substitué à l’inspiration, reconnaissons à Abrams l’audace étonnante d’avoir voulu raconter une histoire sortie de son imagination, pas d’un vieux comic-book. D’autant plus qu’il a vraiment écrit seul le scénario, pas entouré d’une armée de scénaristes comme cela se fait à Hollywood depuis un moment... du cinéma d'auteur, donc. Faut dire aussi que son précédent film, un énième Star Trek (désolé pour les geeks qui me lisent, mais déjà qu’en série, c’était chiant…) sans grand intérêt, avait de quoi le pousser à ne pas continuer dans cette voie.
L'ironie de l’histoire est que ce blockbuster a beau être une « création originale »… l’hommage à Spielberg (producteur du film) est évident. Abrams ne recycle pas une franchise et des personnages, mais plutôt un « genre » de cinéma, typique des années 80. Enfin, on a tellement tellement perdu l’habitude de films à grand spectacle qui soient des créations originales qu’on s’en contentera, c’est toujours beaucoup mieux que rien.
Cependant, autant le dire clairement dès maintenant quitte à enfoncer une porte grande ouverte : Super 8, à l’image des films de Spielberg des années 80, n’est sûrement pas un chef-d’œuvre impérissable du 7° art. Juste un divertissement efficace, honnête et sympathique. Ce qui est déjà énorme dans le contexte actuel. Enfin un vrai film « pour tous » (exceptés de trop jeunes enfants) – aller voir Harry Potter à 40 ou même 30 balais (sans mauvais jeu de mots) franchement, ça craint… Enfin un film sans jargon, background particulier ou gros clin d’œil qui vous fait sentir quelque peu exclu si vous ne connaissez pas « l’œuvre » originale. Enfin un film à grand spectacle sans cette horrible 3D artificielle qui vous donne l’impression d’être coincé dans un mauvais jeu vidéo. Enfin un blockbuster spectaculaire sans héros dotés de pouvoirs mutants, magiques, cosmiques, chimiques, technologiques etc. C’est aussi ça qui donne au film sa fraîcheur, pas « d’élu » aux pouvoirs surnaturels comme en débarquent chaque semaine sur les écrans, juste des humains, normaux, attachants, face à une situation exceptionnelle. Et cette fraîcheur se retrouve dans le casting : aucune star, pas de visages vus et revus , pas de gravures de mode, mais des acteurs au physique tout à fait banal.
Pour toutes ces raisons, Super 8 fait l'effet bon bol d’air frais, alors même qu’on aurait pu craindre qu’il sente la naphtaline. Rien de révolutionnaire, certes, mais rien de honteux non plus, bien au contraire, Super 8 est un film à voir en vacances pour passer un bon moment sans se prendre la tête ni avoir la désagréable sensation d’être pris pour un demeuré.
Le côté rafraîchissant de Super 8, cette manière de faire du neuf avec du vieux, on ne les doit pas à des prouesses technologiques, mais à une vraie bonne idée : celle du film des enfants. Pas besoin d'une débauche d'effets spéciaux dernier cri pour donner l'illusion d'une nouvelle jeunesse à ce genre, le simple fait de voir ces gamins se consacrer avec tant de simplicité et d'enthousiasme à leur film de zombie imprègne le spectateur qui a ainsi l'impression d'assister à un film fait avec la même énergie. Même sans grande originalité (à l'image du film des enfants, qui accumule les clichés comme le font souvent les enfants...), Super 8 n'est pas un film poussiéreux, plutôt un bain de jouvence.
Le paradoxe, qui en dit long sur la baisse de niveau du cinéma grand public depuis la fin des années 70, c’est que les grosses productions de Spielberg des années 80, malgré d'indéniables qualités, contribuaient plutôt à tirer le cinéma vers le bas, n’en déplaisent aux trentenaires nostalgiques de E.T. et compagnie. Et pourtant, avec ce film aux airs de « revival », Abrams remonte très nettement le niveau des films grand public actuels. Il faut dire aussi, quitte à me faire encore plus haïr des trentenaires nostalgiques de E.T., que Super 8, à mon sens, est mieux foutu que la plupart des Spielberg des 80’s. Là où Spielberg tombait un peu trop souvent dans le mielleux, Abrams parvient à garder un meilleur équilibre, entre l’action et l’émotion, l’intime et le spectaculaire, la tension et la légèreté, l’effroi et l’humour. Le film d’Abrams n’est pas un « film pour enfant » comme on pouvait parfois le reprocher à Spielberg, juste un film « avec des enfants ».
Les critiques font systématiquement référence au cinéma de Spielberg, ce qui est indiscutable dans le final de Super 8 (les dernières minutes sont les plus référencées et les moins intéressantes… par contre, il ne faut pas louper le générique de fin, certains sont sortis un peu trop vite de la salle, tant pis pour eux)… mais les 2/3 du film me semblent au fond plus proches de Stephen King. Une petite ville américaine, des personnages assez simples, touchants, pas forcément lisses mais qui ont en général un bon fond, des gamins crédibles, et, bien sûr, un phénomène étrange particulièrement flippant.
Enfin, le meilleur pour la fin : le film dans le film. La mise en abyme biographique est assez évidente (on imagine Abrams se revoir, enfant, faire des films comme il peut… une création « originale » mais sans grande originalité non plus , comme tous les gamins, il s’inspire à la limite du copiage de films qui l’ont marqué, sans star, le tout avec beaucoup de détermination et de sincérité…) mais il y en a une autre, plus intéressante, sur l’évolution du cinéma grand public :
Le cinéma des 80’s auquel Abrams rend hommage est un cinéma de « grands enfants », un cinéma populaire qui avait certes des prétentions commerciales, mais surtout une volonté de raconter des histoires faites « pour le cinéma », avec des héros et situations sortis le plus souvent de l’imagination de l’auteur… Ces grands enfants rêvant de faire du cinéma ont été remplacés par des financiers se disputant des franchises. Un phénomène qui a d’ailleurs commencé à se développer dans les années 80, mais on était loin de ce qui se fait actuellement. Les enfants de Super 8 qui veulent faire des films « comme les grands », et y arrivent plus ou moins maladroitement, voilà une bonne métaphore de ce qu’a pu être le cinéma à grand spectacle des années 80. Une naïveté assez enfantine, mais une envie de partager son univers et ses histoires. Maintenant, c’est l’inverse, des adultes qui, avec très peu d’imagination mais beaucoup de pognon et de cynisme, courent après les franchises les plus rentables pour faire des films puérils, des films d’enfants trop gâtés, des films d’enfants tellement gâtés qu’avec un chapeau et un bout de ficelle, ils ne pourront plus inventer un Indiana Jones, mais, les yeux rivés devant des jeux vidéos ultra-chiadés où rien n’est laissé à l’imagination, ne savent plus que reproduire et adapter.
Loin de moi l’idée qu’un film doit forcément être une création originale, beaucoup des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma sont tirés de romans, et beaucoup des pires navets sont des créations originales. Le problème n’est pas d’adapter et copier, il est que le cinéma populaire ne se repose quasiment plus que sur ça.
Pour transposer cela dans l’univers musical, faire des reprises n’est pas un problème en soi. Mieux vaut évidemment une bonne reprise qu’une mauvaise compo, ça tombe sous le sens. Mais si tout le monde ou presque ne composait plus rien et se contentait de faire des reprises, il y aurait vraiment de quoi s’inquiéter, non ? Si on en arrivait là, Super 8 serait l’équivalent d’un bon album pop de compos originales dans un monde de reprises, un album très plaisant qui, certes, ne révolutionne pas le genre, mais tout en s’inspirant de tubes pas trop ringards des 80’s (si si, il y en a quelques-uns), arriverait à proposer des chansons tout à fait honorables et écoutables… et c’est déjà pas mal du tout.
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