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Classements d'albums

16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 17:53

Un titre un brin provocateur, j’en conviens… car l’année musicale n’a pas été mauvaise, loin de là. Il n’y a pas de véritable « crise » de la musique depuis 10 ans, on continue de découvrir de très bons groupes et albums, mais il manque tout de même ce sur quoi j’insiste depuis quelques temps, en particulier dans cet article et dans mon bilan de l’an dernier, l’apparition d’un nouveau genre qui marque les esprits, une onde de choc musicale vraiment excitante.

 

Puisqu’il est question d’onde de choc, la chanson de l’année est… une chanson de 2010. Car elle a eu un effet considérable sur 2011. Il s’agit de Rayes Lebled (« chef du pays », morceau qui s’adresse directement à Ben Ali) du jeune rappeur tunisien El General. Si elle n’est pas révolutionnaire musicalement, avec sa prod à la Eminem, elle l’a été dans les faits. Une virulente et courageuse critique du pouvoir en place, qui a eu l’effet d’une bombe auprès des jeunes tunisiens puis des jeunes du monde arabe en général, et qui a contribué à mettre le feu aux poudres. Les chansons ne créent pas les révolutions à elles seules - encore faut-il un peuple disposé à se révolter - mais elles peuvent jouer un rôle important, comme cela a été ici le cas (après un 2° titre mis en ligne, Tounes Bledna,  El General a été arrêté puis emprisonné, ce qui a eu pour effet d’attiser encore plus la colère de la jeunesse arabe).

 

El General – Rayes Lebled (avec traduction du texte en français)

 

 

 

Une 2°chanson qui mérite bien ce titre de « chanson de l’année », Irhal de Ramy Essam, chanteur égyptien présent avec sa guitare dès les premiers rassemblements et qui a écrit ce titre, Irahl ! (Dégage !), adressé bien sûr à Moubarak, à partir des slogans des manifestants. Comme quoi, avec une guitare et une voix, il est toujours possible de fédérer et faire la révolution. Cette chanson est devenue l’hymne de la place Tahrir et ainsi l’hymne de la révolution égyptienne.

 

Ramy Essam – Irhal

 

 

 

Une vraie bonne chanson populaire. Simple, directe, accrocheuse… et, pour le coup, véritablement historique (de plus, elle se base sur une suite d’accords avec montée d’un demi-ton puis passage à la tierce mineure, le genre de choses dont je suis très friand… mais ça, c’est pour la toute petite histoire). Reste à savoir ce qu’il adviendra réellement de cet esprit révolutionnaire dans les pays arabes, mais qui ne tente rien n’a rien…

 

Deux chansons fortes au cœur d’un bouleversement géopolitique majeur, deux chansons qui rappellent à notre bon souvenir le lien autrement plus crucial qu’un peuple peut entretenir avec ses chansons qu’un bête lien marchand… et pendant ce temps, on a eu quoi, en France, comme chanson engagée fédératrice de l’année ? Politiquement Correct de Bénabar ? On est foutu...

 

 

Sans transition aucune, un petit tour d’horizon, maintenant, des albums de l’année, des plus grosses déceptions aux meilleures découvertes.

  

Déceptions

 

A tout seigneur tout honneur, commençons par Radiohead. Un des groupes les (si ce n’est « le ») plus passionnants de ces 15 dernières années aura sorti un des albums les plus insipides de 2011, le bien nommé The King of Limbs. Je ne vais pas m’étendre sur cet album, qui ne le mérite pas, j’en ai déjà parlé ici.

 

Radiohead, PJ Harvey, le Wu-Tang Clan, DJ Shadow, Björk, Mogwai, The Roots, dEUS… la crème des années 90. Tous ont sorti un album en 2011… mais un album indigne de ce qu’ils ont été. Le dernier Wu-Tang n’est tout de même pas si mauvais, mais ils peuvent faire tellement mieux… quant à PJ, je ne comprends pas ce que les magazines rock, qui la placent pour beaucoup en tête de leur classement de l’année, lui trouvent. Certes, l’album n’est pas déplaisant, mais la voir évoluer dans ce registre pop-rock mollasson est assez triste, en fin de compte. Bientôt, un « PJ tribute to Phil Collins » ?

 

Déceptions, aussi, de la part de groupes qui ont été parmi les plus excitants du rock des années 2000 : Arctic Monkeys, The Kills, Black Keys. En perte de vitesse cette année (quoique pour les Kills, ça fait un petit moment déjà).

Et je ne parle même pas de The Horrors, leur précédent album était pourtant pas mal, mais celui-ci est consternant. Le side-project de leur chanteur, Cat’s Eyes, est finalement beaucoup plus séduisant…

 

On pouvait attendre beaucoup d’Oneida, après leur impressionnant triple album d’il y a deux ans, Rated o. Mais si leur dernier LP se laisse écouter, il est très loin de l’intensité et de la force du précédent. Un album pseudo-expérimental assez anecdotique. 

 

Dans un tout autre registre, Feist. The Reminder était un modèle d’album pop accrocheur et accessible, mais l’inspiration semble l’avoir quitté sur son dernier, Metals. 

 

Après de magnifiques perles folk-rock (Our Endless Numbered Days, The Shepherd’s Dog), premier faux-pas pour Iron & Wine. Rien de catastrophique, mais un album deux tons en-dessous des précédents.

 

 

Valeurs sûres, bonnes surprises et confirmations

 

-          Steve Coleman - The Mancy of Sound. Mon album de l’année. Steve Coleman est un des plus grands jazzmen de ces dernières décennies, il le confirme à chaque album. The Mancy of Sound étant même à mon sens un de ses tous meilleurs dans sa riche discographie. Pour en savoir plus, voir ma chronique.

-          Tom Waits – Bad as Me. Comme Steve Coleman, une valeur sûre, un géant de la musique de ces 30 dernières années. J’ai rarement (pour ne pas dire « jamais », malgré quelques albums moins marquants que les autres) été déçu par Tom Waits, ce n’est pas Bad as Me qui va changer la donne… un très bon cru !

-          Thurston Moore – Demolished Thoughts. Une excellente surprise. Ces dernières années, la production de Sonic Youth (et disques solos de ses membres) a été plutôt inégale, un peu décevante, mais le grand Thurston remonte la barre avec ce très bel album, entre rock et folk-rock…

-          Anthony Joseph & the Spasm Band. Rubber Orchestras m’aura légèrement moins emballé que le superbe Bird Head Son sorti en 2009, mais ça reste un album de grande qualité, et Anthony Joseph un des artistes à suivre cette décennie…

-          Amon Tobin – ISAM. Ca fait un moment que l’électro peine à se renouveler (j’en parlais ici), malgré la percée du dubstep ces dernières années. Heureusement, il reste Amon Tobin, toujours à l’affût de nouvelles sonorités, de nouvelles manières de composer, et son ISAM aura été à mon sens la proposition électro la plus originale et passionnante de 2011. L’album n’a certes pas fait l’unanimité, il n’y a guère que Nyko et moi, parmi les blogueurs de notre « communauté », qui avons vraiment été fascinés par cet album… mais peu importe, je maintiens, c’est du grand Tobin (cf. chronique).

-          Beans – End it All. Après Fluorescent Black (d’Anti-Pop Consortium), meilleur album rap de 2009 à mon sens, Beans est de retour, toujours au top, son End It All est un des meilleurs albums rap de 2011…

-          Graham Reynolds & the Golden Arm Trio - Duke ! Three Portraits of Duke Ellington. Auteur de l’excellente BO de A Scanner Darkly il y a quelques années, Graham Reynolds revisite en 2011 de manière jubilatoire le répertoire du génial Duke Ellington (cf. chronique).

-          Marissa Nadler. Son dernier album n’est certes pas son meilleur, on pourra lui reprocher de glisser vers des territoires plus pop, mais que voulez-vous, j’aime cette fille, je ne résiste que très difficilement à son chant de sirène…

 

Quelques autres groupes attendus et qui ont répondu à mes attentes cette année : Faust, Plaid, The Field, Black Joe Lewis & the Honeybears, et Dengue Fever.

 

Découvertes

 

Une fois n’est pas coutume, la plupart des meilleures découvertes de l’année furent rock. Notamment dans le rock sombre et hanté, avec The Skull Defekts (cf. article), Sisters of Your Sunshine Vapor (merci Thierry), Young Widows et The Oscillation. Mais aussi dans un registre plus garage, l’imparable Don’t Give a damn about Bad Reputation des Driving Dead Girl (voire aussi le Shapes have Fangs), ou, dans un registre très beatlesien, le formidable album de Mini Mansions.

Bref, une bonne année rock…

 

Une fois n’est pas coutume (bis), un album de  metal et un album de rap français m’auront vraiment marqué cette année, ceux de Tombs et La Canaille. Cela méritait bien que je consacre un article à chacun (cf. Tombs, La Canaille).

 

Découvert chez Sunalee, le très beau Queen of the Minor Key d’Eilen Jewell. Un petit bijou folk-country-rock, à consommer sans modération. En folk-rock, citons aussi Declan de Barra et Slackeye Slim (merci Nyko), ainsi que Jim Yamouridis et Mirel Wagner.  

 

Quelques autres bonnes découvertes :

 

-          Electro : Submerged (Space Arabs est un des meilleurs titres électro entendu ces dernières années), Hecq et Semiomime (merci Joris), Nicolas Jaar.

 -          Rap : Damu The Fudgemunk, Action Bronson (deux albums cette année, et j’ai autant aimé les deux, plus une participation sur le dernier Wu-Tang, il n’a pas chômé en 2011), J Rawls, Cunnylinguists, voire DC the Midi Alien (un album inégal, avec quelques samples un peu douteux, mais rattrapés par des morceaux terriblement efficaces).

 -          Jazz : Ambrose Akinmusire et Matana Roberts.

 -          Musiques du monde : Le Trio Joubran (cf. article), Tamikrest, Telebossa.

 

Un mot aussi sur le camarade El Funcionario et son groupe Blue Chill, je vous recommande d’aller jeter une oreille à son Heartlag EP (qui n’en est pas vraiment un, d’EP) si vous ne l’avez pas encore fait.

 

Une année musicale assez riche et satisfaisante… mais un peu bourgeoise, aussi. Manque juste cette étincelle qui ferait souffler un vent nouveau sur le monde de la musique, et, par déflagration, sur la société, comme cela a si souvent été le cas par le passé… en 2012, peut-être ?

 

 

Les 20 meilleurs albums de 2011 (la liste complète est ici) :

 

 steve-coleman-mancy.jpg   

 

1. Steve Coleman & Five Elements - The Mancy of Sound (9,5)

2. The Skull Defekts - Peer Amid (9)

3. The Oscillation - Veils (9)

4. Mini Mansions - Mini Mansions (9)

5. Driving Dead Girl – Don’t give a Damn about Bad Reputation (8,5)

6. G. Reynolds & the Golden Arm Trio - Duke ! Three Portraits of Duke Ellington (8,5)

7. Tom Waits - Bad as Me (8,5)

8. Sisters of Your Sunshine Vapor - Spectra Spirit (8,5) 

9. Le Trio Joubran - As Fâr (8,5)

10. Anthony Joseph & The Spasm Band - Rubber Orchestras (8,5)

11. Amon Tobin - ISAM (8,5)

12. Thurston Moore - Demolished Thoughts (8,5)

13. Tombs - Path of Totality (8,5) 

14. Damu The Fudgemunk – Supply for demand (8,5)

15. Beans - End it All (8,5)

16. La Canaille - Par Temps de Rage (8,5)

17. Eilen Jewell – Queen of the Minor Key (8,5)

18. Submerged – Before Fire I was against other People (8)

19. Ambrose Akinmusire – When the heart emerges glistening  (8)

20. Hecq - Avenger (8) 

 

 

 

Autres classements évolutifs sur :  
 
Le Golb  
 

Et, bien sûr, Le Classement Des Blogueurs 2011

 

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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 22:14

Pour bien commencer l’année… une des chansons les plus tristes, désespérées, sombres et dures de l’histoire. Il ne s’agit pas de rap, de rock ni de protest-song, mais bien d’une chanson datant de plus d’un siècle, écrite par Jules Jouy et mise en musique par Gustave Goublier. Chanson de révolte sur la condition féminine et la condition ouvrière, Filles d’Ouvriers est aussi radicale dans le constat que dans le moyen de s’en sortir : prendre les armes et fusiller les patrons.

A côté, les textes des morceaux de rap actuels qui font polémique ont, pour la plupart, l’air bien sages. L’occasion de rappeler que la subversion, la révolte ou l’engagement dans les chansons  remontent loin, très loin, contrairement à ce que pensent certains pour lesquels Dylan, le rock et la contre-culture 60’s ont « inventé » les chansons rebelles et engagées. Il est toujours bon de se replonger dans l’histoire de la musique pour relativiser la subversion du rock et du rap…

Filles d’Ouvriers n’est pas qu’une chanson forte, c’est aussi une très belle chanson. L’alliance du texte et de la musique en fait une des chansons les plus poignantes qui soient. Et l’interprétation de Michelle Bernard, dans la version ci-dessous, est parfaite :

 

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 23:56

Imaginez… imaginez que l’on invente, dans le futur, une « machine à dupliquer ». Une grosse machine tout d’abord, qui sera commercialisée ensuite en modèle réduit – le Duplicator S21 - composé de deux tubes d’environ 60 cm de hauteur et 50 cm de circonférence. On introduit un objet dans le premier, on met en marche la machine et, au bout de 5 secondes, une copie parfaitement identique  sort dans le second.

 

Bien évidemment, l’industrie dans son ensemble a tout fait pour empêcher la commercialisation de cette machine révolutionnaire. Mais, pour une fois, les gouvernements ont pris le parti du peuple et ont estimé que ce progrès technologique majeur devait profiter à tous. Pour la modique somme de l’équivalent de 1500 euros actuels, vous pouvez vous offrir le Duplicator S21. C’est pas donné a priori, mais vu les incroyables bénéfices que vous pourrez en tirer, vous la rentabiliserez très vite. En 2100, tout le monde aura son Duplicator S21.

 

Objets, nourriture, et même de petits animaux (un chat, mais pas un berger allemand) peuvent se dupliquer avec cette machine géniale. Pendant que le Duplicator S21 se vend comme des petits pains, l’industrie ne cesse de tenter de faire pression sur les gouvernements pour qu’on en interdise l’usage et la vente. Des pertes considérables pour tout le secteur industriel, et c’est bien ça son problème, mais puisque cet argument ne convainc pas, l’industrie axe toute sa communication sur les millions d’emplois perdus maintenant qu’il n’est plus besoin de fabriquer des objets à la chaîne…

 

Prenons l’exemple du secteur agro-alimentaire, particulièrement touché et virulent contre cette nouvelle technologie. Plus personne n’achètera 6 tomates, 8 pommes, 3 poires, un sachet de noix, 2 kilos de pommes de terre etc. Tout ne s’achètera plus qu’à l’unité. Vous achetez une pomme, vous la dupliquez chez vous, et pendant 2 semaines vous aurez des pommes à volonté. Une pomme = une pomme chaque jour pour chaque membre de la famille, des tartes aux pommes, compotes de pommes etc.

La machine duplique à l’identique, donc lorsque votre pomme (ou une de ses copies) est vieille de 10 jours, vous obtiendrez une pomme vieille de 10 jours… il vous faut donc renouveler régulièrement vos stocks de produits frais. Une fois toutes les deux ou trois semaines, vous faites vos courses, vous achetez une tomate, une pomme de terre, une poire, un citron, un poivron, une pomme, une salade (même pas, une seule feuille de salade suffit), un grain de raisin… les riches qui ne voudront pas s’emmerder à dupliquer un grain de raisin 40 fois achèteront une grappe… 

Avec un seul steak surgelé, un sachet de pâtes et un sachet de riz, vous pouvez faire manger des steaks, du riz et des pâtes pendant 3 ans à toute votre famille. Plus besoin de tuer des milliers de bovins pour les steaks surgelés, une seule vache suffit à nourrir la planète…

 

L’industrie râle, elle est en crise, mais elle diminue aussi de manière considérable ses coûts de production. Un objet à fabriquer, machine à dupliquer, et elle peut l’envoyer partout dans le monde… L’abondance de biens dans les foyers créera plus de déchets ménagers, mais ce ne sera rien, d’un point de vue écologique, face à tout ce qu’on gagnera par ailleurs. Des milliers d’usines fermeront. On ne pillera plus les ressources naturelles de la terre. Il suffit d’extraire une poignée de matières premières, et de dupliquer. Plus besoin de faire tourner d’énormes machines qui créent des centaines d’exemplaires d’un objet. Il n’y a qu’à créer un objet unique, et le dupliquer. Plus de gros camions qui transportent des centaines de caisses d’un même produit à travers toute l’Europe. Un seul objet à envoyer par colis aux distributeurs, qui dupliqueront eux-mêmes. Plus besoin de grandes étendues de terrain pour produire des objets ou de la nourriture. Un plant de tomate ou un poirier suffisent, vous dupliquez ensuite. Les produits jetables ? Pas besoin de rasoirs jetables en paquets de 5, on les achète à l’unité, et ils durent des années. Tout s’achète à l’unité. Des emballages beaucoup plus petits, et un seul emballage, dupliqué, pour emballer chaque objet. Bref, le gain écologique sera gigantesque. Et, surtout, la machine à dupliquer signera la fin de la faim dans le monde ! Une avancée exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité. Une baisse spectaculaire de la délinquance, aussi… et une sociabilité beaucoup plus grande entre les hommes. Pourquoi voler ce qui peut se dupliquer gratuitement ? Les cambrioleurs ne vous braqueront plus avec une arme pour vous forcer à leur filer vos bijoux et objets de valeur, ils frapperont gentiment à la porte, et vous demanderont si vous auriez l’amabilité de leur dupliquer cette jolie Rolex qu’ils ont vue à votre poignet dans la rue. A 50 ans, tout le monde aura une Rolex, tout le monde aura réussi sa vie…

Vous faites une soirée chez vous… chacun repartira avec un sac de livres, DVD, CD et objets divers qu’il aura dupliqué chez vous. Fini, les amis qui vous rendent un livre avec des marques de cafés ou de doigts sales, des CD rayés (quand ils vous les rendent)… ils se contenteront de dupliquer l’objet chez vous. On se partagera tout, puisque ça ne coûte rien de le faire.

 

L’ère de la duplication, c’est aussi le renouveau de l’artisanat. Exit les grosses usines qui fabriquent en série, il suffit de créer un objet, et le dupliquer en autant d’exemplaires nécessaires.        

Finie, aussi, l’attente pour les greffes d’organes… on aura toujours un foie, un rein, un cœur à dupliquer et transplanter.

 

Gain de temps à tous les niveaux, même pour les producteurs. Un boulanger n’a qu’à faire,

 le matin, une baguette, un croissant, un pain au chocolat etc. puis il duplique pour chaque client. Pas de surplus, pas de manque.

 

(D’ailleurs, si les boulangers du temps du Christ - le premier « duplicateur », capable de multiplier les pains - avaient eu la mentalité des rapaces de l’industrie du disque, il aurait été crucifié bien avant l’heure pour « concurrence déloyale et contrefaçon »…)

L’arrivée sur le marché du Duplicator S21, il faut l’avouer, va entraîner une vague de chômage comme on n’en avait jamais vu auparavant. A travers le monde, cela ne se chiffrera pas en dizaines de milliers, mais en centaines de millions. Une crise sans précédent, le chaos total ? Non. Parce que cette nouvelle société, révolutionnée par la machine à dupliquer, ne sera plus une société basée sur l'économie de la rareté, mais une société d’abondance. Il y aura toujours des riches et des très riches (constructeurs automobiles ou de tout objet trop gros pour les duplicateurs individuels…) mais il n’y aura plus vraiment de misère. Les avantages considérables procurés par la machine à dupliquer font qu’un pays peut se permettre d’avoir la moitié de sa population au chômage, et de lui fournir le nécessaire pour vivre et se loger. C’est tout le système économique qui en est bouleversé, mais à lui de s’adapter à ce progrès incroyable, pas l’inverse…  

 

Les producteurs vont pourtant augmenter leur prix, sachant qu’à partir d’un seul de leur objet, les distributeurs pourront en vendre des centaines. Les distributeurs aussi, puisqu’à partir d’un objet vendu, le consommateur en aura autant qu’il voudra.

 

Tout le monde sera riche, il suffira de dupliquer des billets ? Non, bien sûr. L’argent n’aurait aucune valeur dans ce cas. On en aura fini avec les pièces et billets, les transactions ne se feront plus que de comptes à comptes, par cartes bancaires. Vous pouvez dupliquer autant de fois que vous le voudrez votre carte bancaire, ça ne dupliquera pas l’argent dont vous disposez sur votre compte…

 

Mais reprenons le cas de la tomate. Les producteurs souhaiteront vendre « leur » tomate 200 euros, les distributeurs la dupliqueront et revendront ces tomates dupliquées 15 euros pièce. Même chose pour tous les produits alimentaires. Le consommateur trouvera que ça fait tout de même cher, 15 euros pour un produit frais, même s’il peut le dupliquer à l’infini pendant le temps de sa conservation. Alors les gens s’organiseront. Par exemple, dans un immeuble, chacun pourrait avoir la charge d’acheter un produit. Un premier achète un œuf, un deuxième une feuille de salade, un troisième une tomate, un quatrième un poireau, un cinquième une pomme, un sixième du lait etc. Et tout ce petit monde se retrouve un soir toutes les deux semaines autour de la machine à dupliquer… avec un sachet de course, vous nourrissez un immeuble pendant deux semaines, et à un prix très abordable. Encore un gros manque à gagner pour les producteurs et distributeurs, qui augmenteront à nouveau leurs prix !

 

Mais voilà qu’arrive une nouvelle révolution… le Duplicator S25 ! Qui permet de connecter votre duplicateur à internet, et ainsi de partager un objet avec n’importe qui à travers le monde.  

 

L’industrie râle de plus belle, « ses » objets se retrouvent maintenant à disposition de tous, gratuitement, illégalement, sans que cela ne lui rapporte rien. Les gens ne vont même plus au marché, il suffit qu’un internaute achète une tomate, la « mette en ligne », pour que tout le monde la « téléplique ». Les médias nous parlent alors des dangers du Duplicator S25, de la possibilité pour des terroristes d’empoisonner des produits alimentaires et de les mettre à disposition sur le web… mais les internautes ne sont pas cons, ils savent s’organiser et se débrouiller pour se refiler les bonnes adresses. 

 

La question des « droits » reviendra sans cesse, les producteurs de tomates voudront toucher des « droits d’auteurs » sur leurs tomates télépliquées, on créera des labels NourriPUR avec des produits alimentaires à télépliquer légalement…mais l’industrie devra se faire une raison, elle n’a pas su s’adapter suffisamment à ces nouvelles technologies, elle continue de vendre ses produits beaucoup trop chers alors que cette technologie lui permettait de réduire fortement les coûts. Et puis les consommateurs ont très peu apprécié l’introduction des DRM (Duplication Rights Management). Une tomate de l’industrie pouvait se dupliquer 5 fois seulement, puis s’auto-détruisait. Voilà qui a radicalisé bon nombre de consommateurs qui estiment qu’en 2105, quand on a acheté un produit, on a le droit de le dupliquer comme on le souhaite. Ne parlons même pas de ces clips ridicules de l’industrie agro-alimentaire, où l’on voit le jeune Sigismond (les prénoms anciens seront tendance au début du XXII° siècle) rêver de créer un « cassoulet aux chamallows » qui ne verra jamais le jour si ces salopards de tépliqueurs continuent de se partager illégalement de la nourriture…

 

 

L’industrie agro-alimentaire, entre autres, nous expliquera que le téléplicage aura des conséquences désastreuses, qu’on « pensait en avoir fini avec la faim dans le monde, mais que ce sera l’inverse, plus personne ne produira de nourriture puisqu’elle se téléplique librement, et tout le monde va crever de faim ». Sauf que les gens, encore une fois, sauront s’organiser, les adeptes du partage pour lesquels la nourriture, comme la culture, ne doit pas être un luxe mais un droit à partir du moment où elle ne coûte quasiment rien, feront pousser leurs produits, et les mettront à télépliquer librement.   

 

Les industries voudront que se mettent en place des systèmes de contrôle de tout ce qui se transmet par le Duplicator S25… téléflicage vs téléplicage, toujours la même histoire.

 

Je pense que vous avez compris où je veux en venir. Si les gouvernements, dès le départ, s’étaient rangés du côté de l’industrie, le Duplicator n’aurait peut-être jamais pu voir le jour. Soit on l’aurait interdit, soit on l’aurait tellement taxé qu’il aurait peut-être eu beaucoup de mal à se développer, avec chaque industrie voulant récupérer une part du gâteau puisque se sentant « lésée » par cette machine capable de reproduire leurs produits.

 

La nourriture libre, gratuite (après avoir tout de même acheté le Duplicator) et reproductible à l’infini pour tous, ce serait un immense progrès pour l’humanité, non ? Peu importe que certains perdent leurs emplois, que les producteurs se retrouvent dans des situations difficiles, soient obligés de revoir tout leur système de fonctionnement, de fermer des usines… A chacun de s’adapter, à l’état de gérer et de trouver d’autres moyens de financement. La seule vraie question à se poser est : est-ce un progrès pour l’humanité ou pas ?

 

C’est un peu comme le débat actuel autour du nucléaire. S’il y a moyen de le remplacer par une énergie moins dangereuse sans que cela ne représente un coût exorbitant, il est absurde de s’y opposer sous prétexte que cela détruira des milliers d’emploi. A ce compte-là, on n’aurait jamais autorisé toutes les machines permettant de travailler dans les mines et les carrières, on aurait gardé des dizaines de milliers d’hommes pour faire ce travail à la place…   

 

L’arrivée de cette technologie révolutionnaire qu’est Internet permet de partager de manière simple, libre et gratuite tout le savoir et la culture de l’humanité. Vous scannez un livre, vous copiez une symphonie, vous les mettez sur le web, et tout le monde peut y avoir accès. Reproductible à l’infini, sans coût de production, que l’œuvre soit copiée 5, 100, 1000 ou 100 000 fois.

Une technologie qui permet la diffusion libre, gratuite (enfin, l’achat d’un ordinateur et le coût de la connexion exceptés) de l’information, du savoir et de la culture. Un progrès formidable dans l’histoire de l’humanité ? Pas au regard de l’industrie et de la plupart des gouvernants. Faut-il considérer le net comme une gigantesque bibliothèque ou un gigantesque supermarché ? Malheureusement, ils ont fait leur choix. Et ce, depuis le début. Sans ne jamais sembler être un tant soit peu intéressés par l’idée d’une véritable culture libre. Je ne dis pas qu’il faille absolument laisser toute œuvre à disposition libre et gratuite sur le net. Mais ce sont des choses qui auraient pu se discuter, se négocier. Il aurait dû y avoir un vrai débat sur le sujet. L’accès à la culture et au savoir, c’est tout de même fondamental dans une société, et ça mérite un débat de fond. Pas un « niet » catégorique d’une industrie qui dicte ses lois et de gouvernements qui exaucent ses volontés. Tout le monde est d’accord pour dire que les artistes doivent être rémunérés pour leur travail (si leur travail suscite de l’intérêt). Mais pourquoi ne pas réfléchir sérieusement à d’autres moyens de financement ? Une nouvelle économie de la musique ? Comment peut-on considérer comme avant tout néfaste pour la culture une technologie permettant l’accessibilité rapide et simple pour tous à des œuvres de toutes les époques et de toutes les régions du monde ? Cela reviendrait à condamner l’usage du futur « Duplicator S21 », et de préférer que les choses restent en l’état (pénurie, pollution etc.) plutôt que de risquer le « désordre » et le saut dans l’inconnu d’une technologie capable de rendre à peu près tout accessible à tous…     

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