Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

Playlist 2024

Classements d'albums

10 novembre 2011 4 10 /11 /novembre /2011 23:44

Michel vote depuis toujours à gauche. Parce qu’il est pour une meilleure redistribution des richesses, parce qu’il est foncièrement anti-libéral… pourtant, il ne partage absolument pas la plupart des « valeurs morales » de la gauche. Il est contre le mariage gay ou l’adoption des enfants par des homosexuels, il est contre la dépennalisation du cannabis, pour un contrôle plus strict de l’immigration etc…

 

Jean, c’est l’inverse. Il est « libéral », dans tous les sens du terme. Pour lui, l’état doit intervenir le moins possible, laisser les individus entreprendre et vivre comme ils l’entendent. Il vote à droite pour des raisons économiques, mais se sent bien souvent plus de gauche du point de vue des valeurs morales.

 

François est écolo. Il adore la nature, il vote pour les verts mais il est en total désaccord avec leurs valeurs de gauche. La nature, ce sont les grosses bêtes qui mangent les plus petites, la nature n’est ni égalitaire, ni marxiste, ni féministe… mais il ne voterait pas pour un parti écolo de droite, trop confidentiel, mieux vaut un maximum de voix pour le principal parti écologiste, histoire de montrer avec plus de poids que la nature doit être au cœur des préoccupations.

 

Sylvia aussi est écolo, mais elle est 100% d’accord avec les verts. Pourtant, elle vote à chaque élection… socialiste. Parce qu’elle croit au « vote utile ». Elle sait que verts et socialistes s’allieront, et ce qui compte, c’est de faire barrage à la droite et avoir un PS fort dès le premier tour. Le 21 Avril 2002 l’en a définitivement convaincu.     

 

Luc lui, est vraiment socialiste… mais aucune chance qu’il vote pour Hollande. Ce type représente tout ce qu’il déteste dans le socialisme, un socialisme hypocrite, trop soumis au libéralisme… et la gueule de petit comptable de Province de Hollande lui revient vraiment pas.

 

Mylène est de droite… mais aucune chance qu’elle revote pour Sarkozy. Elle est pourtant d’accord avec 90% de ses idées, mais elle ne supporte pas le personnage. Pour elle, il fait honte à la droite, et il fait honte à la France. Elle ne votera pas non plus pour Marine Le Pen, et se demande si elle ne va pas finir par voter Hollande au premier comme au deuxième tour, pour virer définitivement Sarkozy.

 

 

Les exemples de ce genre sont légions. Et ils nous disent quelque chose de fondamental : on sait pour QUI les gens votent, on ne sait pas pour QUOI ils votent. Pour quoi ont voté ceux qui ont élu Sarkozy en 2007 ? Pour tout le « packaging » : le personnage, les idées, le parti, la vision économique et sociale ? Plusieurs de ces éléments, un seul, voire aucun s’ils ont voté pour lui juste parce qu’ils pensaient qu’avec Royal, ce serait encore pire ?

 

Quand est-ce qu’on vous a vraiment demandé votre avis ces 15 dernières années ? Non pas sur un chef à élire, mais sur des idées ? Une fois, sur la constitution européenne ! La seule fois où l’on interroge le peuple en 15 ans, c’est sur un traité particulièrement complexe, avec 80% de la classe politique qui considère ce réferendum comme une formalité administrative, nous dit qu’il faut répondre « oui », et basta. Résultat, le peuple a répondu non. On nous a expliqué que ce « non » était un rejet du pouvoir en place… mais il est sûrement aussi un rejet de ce sytème. Pour une fois qu’on nous demande notre avis, et puisqu’on nous précise qu’il faut répondre "oui", on répond "non", ne serait-ce que pour se donner l’impression d’avoir son mot à dire.

 

Il y a quelques temps, Eva Joly disait qu’elle aimait à entendre le vote des militants qui l’ont élu lors des primaires des Verts comme le fait que l’écologie, c’est bien, mais le plus important, le cœur du problème de nos sociétés est le financier. C’est donc ça, la démocratie, de « l’interprétation » ? Des gens votent pour des raisons diverses et variées en faveur d’un individu, et les élus interprètent ce vote comme ça leur chante ? Qu’est-ce qu’elle en sait, Eva Joly, de ce qu’ont voulu dire ceux qui ont voté pour elle ? Et si plus que la question financière, la raison de ce vote est que les militants écolos n’ont pas voulu d’un Hulot trop « électron libre » et fédérateur ? Parce qu’on a entendu dans leur campagne des critiques contre Hulot « payé par Bouygues »… c’est sûr que d’insister plus qu’aucun autre en France sur l’écologie, depuis tant d’années, sur une chaîne qui touche un vaste public, c’est un gros handicap chez les Verts qui n’aiment rien tant que rester entre eux en petit comité…

 

Pour quoi ont voté ceux qui ont élu Hollande aux primaires socialistes ? Pour son programme ? Ses valeurs, ses idées ? Parce qu’il était le plus consensuel ? Parce qu’il a l’air plus sympathique qu’Aubry ? Parce qu’il était en tête des intentions de vote, et qu’il fallait lui donner une large majorité pour le rendre plus légitime ? Parce qu’il semble plus fédérateur et mieux armé que les autres pour battre Sarkozy ? Allez savoir… le peuple vote pour des individus, et « on » interprète ce vote. Mais pourquoi ne pas directement demander aux gens ce qu’ils veulent vraiment ? Je sais, dans nos démocraties, ça semble être une idée folle, issue d’un fumeux (non, il n’y a pas de faute de frappe) blog musical, et pas d’un sérieux édito de journaliste politique, où l’on débat de questions autrement plus importantes, telles X sera-t-il ministre du gouvernement de Y si Y est élu, sachant que X et Y ne s’apprécient pas puisque X avait refusé de le soutenir lors des élections pour la présidence du parti…

 

Processus démocratique, débat démocratique, bla bla démocratique….  Les politiciens adorent ce mot, « démocratique », qu’ils nous sortent à tout bout de champ et nous servent à toutes les sauces, en prenant la pose, l’air digne et inspiré. Comme si le répéter sans cesse était le meilleur moyen de convaincre le peuple qu’il appartient à une belle et grande démocratie. Mais nous ne vivons pas dans une véritable démocratie, une « démocratie directe ». Nous ne sommes que dans une « démocratie représentative ». Tout ce qu’on nous demande, c’est de voter pour des chefs, en légitimant ainsi la totalité de leur « packaging », même si l’on n’est d’accord qu’avec quelques points de tel ou tel programme, et en total désaccord avec d’autres. Un type qui vit dans un quartier mal famé et pour lequel la délinquance est le problème n°1 a pu voter pour Sarkozy parce qu’il était le plus convaincant de ce point de vue. Est-ce qu’il a vraiment voté pour le bouclier fiscal et Hadopi ?

 

Demander son avis au peuple, vous n’y pensez pas ! Et pourquoi pas lui donner le pouvoir, tant qu’on y est…  L’exemple qu’on nous sortira sur la question est celui de la peine de mort. Si l’on s’était contenté de demander son avis au peuple, elle n’aurait pas été abolie. Soit. L’abolition de la peine de mort est certes une avancée, mais elle n’est pas une avancée démocratique. A un moment, faut choisir son camp, soit on est un vrai démocrate, et l’on estime que la volonté du peuple prime (qu’elle soit politiquement correcte ou pas), soit on se revendique d’une forme de monarchie élective, de dictature éclairée… parce que le peuple est trop con, et ne peut pas décider de ce qui est bon ou non pour lui.

 

Le peuple est trop immature ? Normal, si on l’entretient dans un tel système. Le meilleur moyen de rendre le peuple plus responsable… c’est de lui donner des responsabilités. Et pas de le faire voter une fois tous les 20 ans pour autre chose que des chefs, en lui disant qu’il doit répondre « oui » à la question posée. Les référendums ne peuvent être que problématiques dans un pays où le peuple n’est pas sollicité suffisamment sur des questions précises.

 

« Débat démocratique »… personnellement, j’en ai jusqu à la nausée de cette expression. Parce qu’en France, il n’y a aucun débat démocratique ! Un vrai débat démocratique, c’est soumettre une idée, une loi, faire intervenir des spécialistes de la question (et pas seulement des politiciens) d’un camp comme de l’autre, et, enfin, de laisser le peuple trancher ! Mais cette dernière phase, on ne la connaît pas en France, le « débat démocratique » n’est qu’un « bavardage pseudo-démocratique » entre politiciens, sans qu’on nous demande directement notre opinion sur la question.

 

On ne peut laisser le peuple décider de tout, certains problèmes sont trop complexes, nécessitent d’être réglés par des gestionnaires, législateurs ou technocrates… mais faut-il le laisser décider de rien pour autant?  

 

Il ne s’agit pas de faire des référendums chaque mois, mais, une fois par an, le peuple devrait être sollicité sur un certain nombre de questions. On paie bien ses impôts en ligne, pourquoi ne pas interroger le peuple via le web ? Les quelques personnes qui n’ont pas internet pourraient voter dans des organismes publics qui mettraient à disposition des ordinateurs connectés au site du gouvernement.

 

Il existe certes des sondages, mais :

 

- Les politiques les rejettent ou les minimisent quand ils ne sont pas en leur faveur («Ah, vous savez, les sondages…»)

- La très grande majorité du peuple n’étant pas questionnée par les sondeurs, elle n’a donc pas l’impression que son avis a une quelconque importance.

 

Savoir que vous pouvez vous exprimer, notamment sur les questions de société qui nous concernent tous, et que cet avis sera pris en compte, voilà ce qui devrait être la règle dans une « vraie démocratie ». Voilà ce qui devrait responsabiliser les citoyens, leur donner l’impression que c’est bien le peuple qui a le pouvoir, pas une petite élite. Et voilà ce qui devrait freiner ce que tout le monde condamne mais contre lequel personne ne fait rien : la peoplisation de la vie politique. Et au-delà de ça, l’extrême personnalisation du débat politique.

 

La « monarchie de droit divin », un système archaïque qui nous fait sourire… on ne devrait pas. Car on retrouve toujours deux de ses composantes essentielles : culte du chef et mysticisme. A chaque élection présidentielle, c’est pareil, on attend « l’homme providentiel », celui sur lequel vont se cristalliser tous les espoirs, celui dont on pense qu’il va « changer la vie », celui dont on veut croire les promesses irrationnelles, celui qui, par sa seule présence à la tête de l’état, va réussir là où les autres ont échoué. Etait-il vraiment la peine de couper la tête d’un roi pour en arriver là où nous sommes ? On peut se poser la question… Il serait grand temps que le peuple prenne vraiment son destin en main, et que les politiques lui donne les moyens de le faire. Des moyens démocratiques, qui passent par une consultation plus fréquente sur l’évolution du pays, les priorités et les valeurs à respecter.

     

Une vision utopique ? Non, une vision démocratique. Si elle ne plaît pas aux politiciens, qu’ils arrêtent de nous bassiner avec leur « démocratie ».

 

L’alternance de la droite et de la gauche, signe de « vitalité démocratique » ? Au contraire. Ce serait le cas si le peuple était globalement satisfait des politiques de ses gouvernants, et décidait de changer de temps en temps pour corriger certains points, pour essayer une autre voie… mais non, à chaque élection, les sondages le montrent bien, le mécontentement est fort, et le rejet du pouvoir en place déterminant. Cela fait 30 ans que le peuple désavoue son gouvernement. En 88, Mitterrand est certes réélu. Mais c’est la droite qui était aux affaires, Chirac était le premier ministre de cohabitation. A droite, Le Pen réussit un score historique, et la gauche l’emporte.

En 95, Balladur est premier ministre, et donné gagnant par les sondages… mais c’est Chirac qui est finalement élu. Deux septennats d’un président socialiste, la France en avait marre, on savait qu’elle voterait pour un président de droite. Mais elle envoie une grande claque au premier ministre, Balladur, même pas au second tour, et vote pour son ennemi, Chirac. Nouvelle cohabitation, et à l’élection suivante en 2002, le premier ministre de l’époque n’est encore une fois même pas au second tour ! Ce n’est évidemment pas un vote d’adhésion qui permet à Chirac d’être réélu, mais la peur de Le Pen.

Sarkozy avait beau faire partie du gouvernement, lorsqu’il est élu en 2007, ce n’est là aussi pas par adhésion au gouvernement, mais parce qu’il faisait figure d’opposant n°1 à Chirac et Villepin, bien plus que Royal, et qu’il a basé toute sa campagne sur la « rupture ».

 

Combien de temps est-ce que ce jeu de chaises musicales va encore durer ? Qu’attend la classe politique ? Une révolution ? Elle finira par l’avoir, si les français décident un jour de sortir de leur torpeur… mais elle a un allié de taille : la naïveté du peuple. Qui se fait avoir à chaque fois, croit aux boniments de ceux qui leur assurent qu’ils vont « vraiment » changer les choses, faire de la politique « autrement » etc.

 

Mais si le peuple est naïf et immature, c’est bien parce qu’on fait tout pour, en le cantonnant à voter pour des chefs sans ne l’interroger jamais sur des questions précises. Dans un tel système, le mécontentement récurrent du peuple est tout aussi légitime que… puéril.

 

Va-t-on continuer encore longtemps à baser la vie politique sur le clivage droite-gauche ? Vous n’en avez pas marre d’entendre depuis toujours les gens de droite vous expliquer qu’il faut plus de libéralisme, de flexibilité, de liberté d’entreprendre et moins d’impôts, et les gens de gauche qu’il faut faire payer toujours plus les riches ? Si l’un des deux partis détenait la vérité, ou du moins la recette miracle, ça se saurait, depuis le temps qu’ils sont aux affaires…

Il reste Bayrou, une alternative à la division binaire droite-gauche ? Même pas. Comme tous les autres, il se situe sur la même échelle. Le centre ne propose pas « autre chose », il ne fait que s’emparer d’un créneau au sein du système droite-gauche, pile au milieu.

Mais pourquoi pas voter Bayrou… ce serait une manière de dire « l’UMP et le PS, on n’en veut plus, les extrêmes, on n’en veut pas, il faut penser à un système moins clivant, plus fédérateur...» sauf qu’on en revient encore au point de départ, le sens qu’on veut donner à son vote, dans notre pseudo-démocratie, peut toujours être interprété de façon très différente, tant qu’on n’interroge pas directement le peuple sur les idées et le système. Je pourrais voter pour cette proposition, mais mon vote ne serait en rien un vote d’adhésion à Bayrou et aux valeurs du centre. J’ai fait mienne cette phrase de Desproges « A part la droite, il n’y a rien au monde que je méprise plus que la gauche », à laquelle j’ajouterais « Ni de droite, ni de gauche, et encore moins du centre… »

 

Un coup à droite, un coup à gauche, le peuple vote moins par adhésion que par rejet. Même constat dans les diverses élections entre les présidentielles, si elles sont relativement proches de la dernière, le peuple confirme logiquement son vote, mais dès qu’elles s’en éloignent un peu, le peuple en a déjà assez, et sanctionne le parti du gouvernement.

 

Le pouvoir de dire non, c’est très bien, mais lorsque le peuple dit chaque fois « non », il faudrait peut-être s’en inquiéter. Se dire qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans le système, quelque chose dans la vie politique du pays qui ne convient pas au peuple. Mais pour savoir quoi, encore faudrait-il oser poser la question aux citoyens, et que les politiques se remettent véritablement en question.

 

Depuis les scores importants des islamistes suite aux révolutions arabes, on ne cesse d’entendre nos politiques donner des leçons de démocratie (ce sont les mêmes, quelques jours après, qui critiquent l’éventualité d’un référendum en Grèce), brandir notre système comme modèle à suivre… Avec un gouvernement désavoué à chaque élection par un peuple qu’on ne laisse JAMAIS s’exprimer par le vote sur des questions précises, il ne me semble pas qu’on soit les mieux placés pour donner des leçons de démocratie… alors avant de vouloir installer la démocratie chez les autres, sans doute faudrait-il penser, un jour, à l’installer chez nous.

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 22:58

Drive.jpgEn règle générale, lorsque le héros d’un film – et d’un film américain en particulier – est dans sa bagnole, vous ne risquez pas d’entendre de musique techno ou électro (à part, bien entendu, dans les films de SF). Et ce pour plusieurs raisons :

 

La voiture est un des éléments clés du mythe américain. Elle a remplacé le cheval du cowboy, elle incarne les valeurs américaines essentielles, celles des pionniers : liberté, aventure, individualité, propriété. Se déplacer en toute liberté à travers les grands espaces dans « sa » voiture. Retrouver l’esprit nomade fondateur de sa nation. L’évasion, la conquête, le sentiment de ne devoir rendre de compte à personne ; liberté d’action, liberté de mouvement, liberté tout court. Liberté et quête d’identité, la base du road-movie. La voiture comme double et comme extension de soi. La voiture américaine n’est pas le simple objet fonctionnel permettant de se rendre d’un point A à un point B, ou ce lieu clos quelconque propice à la discussion comme elle est présentée d’ordinaire dans le cinéma français…

 

Les musiques utilisées dans l’autoradio du héros ou comme accompagnement d’une scène en voiture sont le plus souvent rock, pour la liberté, l’aventure, l’excitation. Ou rap, si le héros est un jeune noir (ou soul si c’est un noir un peu plus âgé, ou jazz s’il est beaucoup plus âgé… je caricature, mais on n’en est pas loin). De temps en temps des ballades, ou des chansons plus délicates, la voiture est ce cocon où l’on sort des turpitudes du quotidien pour revenir aux origines, ce monde de pionniers idéalisé… Qu’il s’agisse de rock, rap, soul, jazz ou ballades folk, une constante, typiquement américaine : la coolitude. Car forcément, on se sent bien dans « sa » voiture ; on y a fière allure tel le cowboy sur sa monture.

 

Du blues au rap en passant par le jazz ou le rock, le swing et le groove comme le grain de voix des chanteurs créent cette sensation de « coolitude ». Des éléments qui se retrouvent rarement dans la techno où, au contraire, le beat est martial, binaire, et les sons froids. Associer de la techno à un personnage dans une voiture, c’est en faire un « robot », lui retirer sa liberté, son authenticité, le priver de toute la dimension émotionnelle et chaleureuse que retrouve le héros dans sa voiture, dans son « intériorité ». 

 

Autre raison, plus pragmatique, et qui n’est pas spécifiquement américaine : voiture + musique techno évoque facilement ces jeunes bourrins qui circulent en ville avec la techno à fond. Rarement l’image que l’on veut donner d’un héros de film, et même d’un anti-héros. Trop immature, trop primaire. Et des poursuites en bagnole avec musique électro peuvent créer l’impression de se trouver dans un jeu vidéo, un combat de machines, pas un « combat d’hommes ».

 

Voilà pourquoi ce qui m’a le plus marqué, dans Drive, c’est la BO électro de Cliff Martinez, inhabituelle pour un film américain où il est tant question de voiture (si l'on excepte, bien sûr, le Christine de Carpenter). Inhabituelle, mais en parfaite adéquation avec le film, et en particulier son héros. Personnage fascinant par sa… froideur. Ce message, toujours identique et précis qu’il laisse à de « potentiels employeurs », et son sang-froid dans la course-poursuite avec les flics au tout début du film. La course-poursuite, scène vue et revue dans le cinéma américain avec ses visages tendus, grimaçants, jurons, coups de gueule… rien de tout ça ici. Il reste imperturbable, d’une efficacité sans faille, réglé comme la plus parfaite des machines. Au Québec où les titres américains sont systématiquement traduits, Drive a été renommé « Sang-froid »… au moins, c’est en accord avec le héros, et c’est toujours mieux que « Conduire » ou « Roule ».

Le « héros froid », une espèce rare au cinéma où l’on joue tant sur l’empathie et l’identification du spectateur avec le héros. Lorsque ça arrive, on nous fait assez vite comprendre qu’il a vécu des événements particulièrement douloureux, le spectateur s’en veut d’avoir jugé un peu vite ce personnage a priori antipathique, il compatit, c’est dans la poche. Pas de psychologie ici, et c’est tant mieux. Il est froid, faites-en ce que vous voulez. Cohérence entre le film et son personnage : il ne se livre pas, ne s’explique pas, le film ne l’explique pas non plus. Mais sur la longueur, la froideur d’un personnage peut devenir vite lassante, on reste extérieur au personnage comme il reste extérieur aux autres… il faut un minimum d’émotion, et c’est ce qu’il vivra en rencontrant cette jeune femme et son enfant. Un « minimum », c’est bien le mot. A chaque fois qu’il se retrouve avec cette femme, le plus marquant, ce sont les silences. Qui ne semblent pas exprimer de sa part une « timidité maladive », un lourd secret ou un coup de foudre qu’aucun mot ne peut exprimer… plutôt qu’il n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un sourire béat qui traverse son visage dans ces moments, il n’y a rien d’extatique, mais un léger sourire, discret, comme s’il commençait à ressentir quelques bribes d’émotion. Rien qui le bouleverse ou le tourmente outre mesure, juste quelques émotions agréables, qu’il découvre et qui lui conviennent, pas besoin d’aller vraiment plus loin ni de s’épancher.

 

Le film brouille chaque fois les pistes avec les clichés attendus. Le mari qui va sortir de prison… on attend la grosse brute, la rivalité avec le héros, le mari qui va deviner qu’il se passe quelque chose entre lui et sa femme, il va la punir, le héros va s’interposer… mais c’est loin d’être aussi balisé. Car la froideur du héros n’est pas une carapace destinée à protéger son « petit cœur meurtri » ou le préserver des horreurs et drames auxquels il est confronté depuis trop longtemps (le cas classique du flic ou du militaire distant ou cynique), elle est dans sa nature. Ce n’est pas quelque chose en plus, qu’il met entre lui et le monde, mais l’expression de quelque chose en moins, d’une certaine forme de vacuité. Un manque d’humanité, d’émotion, de chaleur. Il n’est pas cascadeur ni chauffeur pour braqueurs par goût du risque, révolte, désir de vivre vite et intensément ; mais juste parce qu’il a les capacités pour. Malgré l’histoire d’amour qui se joue, tout chez lui ramène à ce côté froid et mécanique. D’où la musique techno…

  

Le cowboy dompte sa monture, le héros américain moderne dompte sa voiture. S’il fait corps avec elle, il ne se laisse pas dominer par la machine mais lui insuffle une part de sa personnalité, de son humanité… alors que la musique techno tend à figurer le contraire : la machine domine. Mais dans le cas de Drive, ce n’est pas le héros qui se fait dominer par sa machine, il est lui-même machine.

 

A l’excellente BO électro de Cliff Martinez se greffent de temps en temps quelques chansons. Pas le genre de chansons qu’on entend d’habitude dans le cinéma américain, pas de rock, de folk ni de blues, mais des chansons très typées synthpop 80’s. On tremble, d’ailleurs, au début du générique, avec ses lettres roses et les synthés du Nightcall de Kavinsky… le film va-t-il se parer d’une regrettable esthétique kitsch 80’s ? Fausse piste, encore une fois.

 

Les morceaux de synthpop sont assez peu indiqués dans un film. Ils sonnent datés, artificiels, ils n’ont pas l’intemporalité de chansons folk, rock ou blues. Une voix et une guitare, ça n’a pas d’âge… les sons de synthé à la Erasure, A-Ha et autres Pet Shop Boys, si. Et non, je ne dirais pas de mal de Depeche Mode, il m'est impossible de taper sur la musique qui a bercée mon enfance, et eux ont su faire des synthés une utilisation bien plus audacieuse que les autres. Bref...

Des sons synthétiques peu indiqués au cinéma, mais qui fonctionnent ici à la perfection. Le héros de Drive est aux héros traditionnels ce que la synthpop est à la chanson des décennies précédentes. Pas désagréable en apparence, mais relativement froide et mécanique. Ce sont elles, d’une certaine manière, qui nous permettent de mieux comprendre les émotions qu’il ressent au contact de cette femme et de son enfant. Et de deviner qu’il n’y a là pas d’amour fou ou de passion dévorante, juste des sensations agréables et des sentiments encore timides. La techno, c’est « ce qu’il est » : froid, vide, mécanique, réglé au millimètre. La synthpop, c’est ce qu’il devient : entre la machine et l’humain, entre la techno et la chanson traditionnelle.

 

Un élément pourrait sembler contrecarrer ce "portrait en musique de la froideur du héros" : la violence dont il fait part à certains moments. Mais au fond... elle le renforce. Lorsqu’il fracasse à grands coups de pied le crâne de celui qui est venu le tuer, il ne le fait pas en « explosant de rage », mais de manière mécanique, répétitive. Ce qui n’en est que plus dérangeant. Quant à la confrontation avec les deux criminels – ne lisez pas la suite de la phrase si vous n’avez pas encore vu le film – elle n’est pas, comme on aurait pu s’y attendre, le schéma habituel avec héros en fuite, criminels qui le pourchassent, le retrouvent, course-poursuite chaotique, coups de feu, bagarre et héros qui triomphe, mais un héros qui a un plan, et qui, autant que faire se peut, l’exécute… froidement.

 

 

Un mot tout de même sur ce ridicule procès qu’une femme du Michigan fait au film (ou, plus précisément, au studio FilmDistrict). Un procès pour… « trailer mensonger ». Elle pensait que le film serait du genre « Fast & Furious », alors qu’il en est loin (encore heureux). Bref, une situation totalement absurde qui pourrait se résumer par « la bande-annonce me laissait croire que le film serait une grosse daube, mais c’est un beau film, c’est intolérable et scandaleux, remboursez ! » Si l’on pouvait intenter des procès pour mauvais goût, on ne manquerait pas de lui en faire un… Pire, elle ne s’arrête pas là et va encore plus loin dans la bêtise, puisqu’elle accuse aussi le film d’antisémitisme ! Pour quelle raison ? Les deux méchants du film sont des juifs qui, comme les mafieux italo-américains, mettent en valeur leurs racines. Un méchant dans un film ne peut pas être juif sans que le film soit taxé d’antisémitisme ? Il faudra que son avocat nous explique de quelles origines peuvent être les personnages négatifs au cinéma… j’imagine qu’un criminel noir, arabe ou asiatique, c’est aussi du racisme. Une criminelle femme, c’est du sexisme. Un criminel gay, c’est de l’homophobie. Un criminel doit-il être forcément un mâle blanc hétéro ? Mais dans ce cas, ne serait-ce pas aussi du racisme anti-mâle blanc hétéro ? Bref, on nage dans un grand n’importe quoi. Pour que le film soit raciste, il faudrait que soit signifié que les personnages sont mauvais « parce qu’ils sont juifs », mais ce n’est évidemment pas le cas. Dépasser le racisme, c’est ne pas s’empêcher de faire de personnages noirs, juifs, nains, handicapés ou homos des criminels. Après tout, ce sont des hommes comme les autres, capables d’être aussi mauvais que n’importe quel salaud d’hétéro blanc catholique… bon, si le méchant du film est un nain juif noir homo et handicapé, ça fait un peu beaucoup, mais pourquoi pas… au moins, on comprendrait qu’il en a bavé. On ne dira jamais assez les dommages que peut faire sur le cerveau le visionnage en boucle des films du genre Fast & Furious… heureusement – à moins d’être comme cette femme irrémédiablement atteint - il nous reste des Drive 

 

 

La BO de Drive sur Spotify.

 

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 13:05

Vous aussi, vous êtes déjà lassés de la campagne présidentielle avant qu’elle ne commence réellement ? Vous aussi, la perspective d’avoir soit Hollande, soit Sarkozy président jusqu’en 2017, ça vous déprime ?

 

Heureusement, il nous reste l’art. Quelques grammes de sublime dans un monde médiocre. Le plaisir de l’esthète : fuir la morosité, la lourdeur et la vulgarité du monde en s’abandonnant totalement à des œuvres de génie. Comme le 3° mouvement du premier quatuor de Brahms. Plonger dans ce mouvement, c’est neuf minutes dans un monde sans Sarkozy, Morano, Hollande, Aubry, Mélenchon, Le Pen, Joly, DSK, Coppé… neuf minutes dans un monde de rêve, de finesse et d’élégance. Il n’est pas nécessaire de s’y plonger pour être saisi par la beauté mélodique, mais le plaisir est décuplé lorsque vous lui accordez l’attention qu’il mérite et suivez en même temps les différentes lignes des quatre musiciens. Des mélodies qui s’entrelacent avec une musicalité et une subtilité remarquables.

 

J’insiste à chaque fois que je vous parle de classique sur le fait d’écouter « attentivement »… car la musique pop habitue à une écoute assez simpliste, avec une mélodie accompagnée par de la rythmique et quelques riffs ou gimmicks simples… du coup, l’oreille paresse, et il faut un minimum d’effort, face à de la musique classique, pour entendre simultanément des thèmes et harmonies nettement plus riches et complexes. Mais ce n’est pas un effort « austère et scolaire » qui vous est demandé, juste un effort d’attention et d’abandon pour retirer un plaisir encore plus grand et des émotions beaucoup plus fortes. Si j’osais, je dirais que, pour le sens auditif, la différence entre la pop et le classique est la même qu’entre la pornographie et l’érotisme…  

   

Il n'est pas toujours évident de trouver les meilleures versions des oeuvres classiques sur Grooveshark, là, par chance, il y a ma favorite, celle du quatuor Amadeus...

 

Johannes Brahms – Quatuor à cordes n°1 en do mineur, op. 51, 3° mouvement (1873)

 

 

 

Partager cet article
Repost0