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Classements d'albums

9 août 2008 6 09 /08 /août /2008 17:01
Article que j'ai déjà publié sur Culturofil (le seul, d'ailleurs, pas le temps pour d'autres ces mois-ci, mais vous pouvez y retrouver Thom, Civil Servant ou Boeb'is, plus prolifiques que moi). Je le republie avec quelques petites modifications et ajouts...


Après une première écoute, on est en droit de se demander pourquoi Portishead a mis dix ans pour sortir ce troisième album. Parce qu’à la vue du résultat final, il n’y avait pas de quoi se creuser la tête et chercher l’inspiration bien loin, la solution était toute simple, devant leurs yeux : suffisait tout bêtement de continuer l’évolution déjà amorcée dès le deuxième album.
Dummy, le premier, c’était du trip-hop groovy, mélancolique, envoûtant, émouvant et accessible, avec pour tête de gondole l’immense tube Glory Box. Le deuxième, Portishead, durcissait le trait : plus sombre et déprimant, plus tendu… et Third ne fait que continuer dans cette voie-là : encore plus sombre, quasiment plus de groove, des guitares rêches et agressives, une musique beaucoup plus dure. Le premier vous berçait par sa mélancolie cotonneuse, le deuxième vous baladait dans une pénombre angoissante… et le troisième vous enferme dans le noir absolu en vous assénant de grandes claques. Une suite somme toute logique, mais radicale.

Sur le papier, comparé aux deux autres groupes essentiels des 90’s, Blur et Oasis - je plaisante - à Radiohead et Massive Attack , on a de quoi trouver Portishead un peu fainéant, au mieux, beaucoup moins créatif et inspiré que les deux autres, au pire. Car passer d’un trip-hop groovy à un trip-hop morbide et anxiogène, Massive Attack l’a déjà fait il y a plus d’une dizaine d’années avec Mezzanine. Et cette dizaine d’années qu’a mis Portishead pour sortir son troisième album, c’est le temps pris par Radiohead pour une évolution autrement plus spectaculaire, de Pablo Honey à Hail To The Thief… sans compter sur le fait que pendant ce temps-là, Radiohead n’a pas traînassé, mais livré rien moins que 5 chefs-d’œuvre (The Bends, OK Computer, Kid A, Amnesiac, Hail To The Thief). Bref, Portishead est le mauvais élève dans une classe de surdoués. Ils nous ont fait attendre plus que de raison et vous pensez qu’ils s’excuseraient ? Au contraire ! Leur but est clairement annoncé dès le premier morceau : refuser de nous caresser dans le sens du poil.

Qui dit Portishead dit : groove mélancolique accompagnant la voix sublime de Beth Gibbons. Dix ans qu’on l’attend, on met l'album dans le lecteur… pas plus de Beth Gibbons que de groove mélancolique. En lieu et place, une cavalcade nerveuse et répétitive qui semble interminable, au point qu’on en vient à se demander s’ils ne sont pas en train de tomber dans la faute de goût ultime quand on dispose d’une telle chanteuse : gâcher une piste de l’album pour en faire un instrumental. Un arrêt assez brusque et, on se rassure, Beth est là et bien là, et chante toujours divinement bien… puis la cavalcade reprend et… s’arrête sans crier gare. Une fin abrupte comme on en connaît peu. On imaginait qu’en dix ans ils auraient eu le temps d’effectuer un véritable travail d’orfèvre, peaufinant leurs morceaux dans les moindres détails… et dès le premier, ils balancent une fin qui pourrait difficilement avoir l’air plus inachevée. Originalité ou foutage de gueule ? De quoi être dubitatif…
Morceau suivant, enfin l’impression d’être en terrain connu : un groove lent et mélancolique, une belle mélodie… même pas le temps de s’y installer confortablement qu’ils remettent ça ! Vrombissement d’une guitare lourde, de nouvelles ruptures… comme dans le magistral dernier morceau de l’album, Threads, où un semblant de groove laisse place à des rythmiques implacables, plombantes et martelées avec une noirceur rare. Le message est clair : ils ne sont pas revenus pour nous cajoler. Des cassures, enchaînements inattendus, l’album en est plein, à la fois dans et entre les morceaux. Comme le passage du technoïde, rapide et puissant We Carry On avec ses guitares dissonantes à la Sonic Youth au neurasthénique Deep Water et son accompagnement au seul ukulélé. (We Carry On pourrait d'ailleurs faire penser, dans un genre assez différent, à River on The Road de QOTSA... rythmique martiale et technoïde, guitares dissonantes, voix émouvante et fragile, mais un River on the Road bien plus terrifiant et désespéré)... 
Si le but était de dérouter à la fois les fans et ceux qui les découvrent, ils l’ont atteint au-delà des espérances. Pourtant, on y retrouve encore de superbes mélodies, la voix de Beth Gibbons est toujours aussi poignante, quelques beaux titres sensibles permettent de souffler un peu (Nylon Smile, The Rip)… mais le cadre a radicalement changé. À un point tel qu’il est légitime de se demander si Portishead a encore quelque chose à voir avec le trip-hop. Loin du trip-hop des 90’s, pas vraiment du rock non plus, pas de l’électro, ni même de l’électro-rock… Un album dont on ne sait pas trop s’il peut vraiment être rattaché à un style défini, c’est plutôt bon signe, signe qu’il s’y passe quelque chose de nouveau.

Le trip-hop n’est plus à l’ordre du jour en 2008, c’est peu de le dire… une musique qui semble presque d’une autre époque. C’est pourtant d’un des groupes emblématiques du genre que nous vient l’album le plus passionnant et novateur du moment. Que dis-je, du moment… ça, c’est après l’avoir écouté seulement deux-trois fois, sans en avoir percé toutes les richesses, restant encore en surface plus ou moins dérouté par ses audaces et sa noirceur… mais passé le cap de la « surprise » face à ces ruptures qui sont en fin de compte partie d’un tout parfaitement organique, cohérent et fascinant ; lorsqu’on accepte enfin de s’y abandonner on se dit qu’on tient là un authentique chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre d’une profondeur, d’une richesse, d’une mélancolie et d’une noirceur toutes exceptionnelles. On en viendrait presque à penser que leurs deux précédents disques, pourtant parmi les tous meilleurs des 90’s, n’étaient que des esquisses un peu timides pour aboutir à l’impressionnant Third. Qui aurait imaginé que la hargne, la puissance et l’âpreté iraient si bien à Portishead ?

En 95-97, l’électro-rock sombre et puissante, c’était Only Heaven des Young Gods, c’était Prodigy… pendant que Portishead, avec le succès de Glory Box, incarnait plutôt la douce mélancolie sensuelle. En 2008, les Young Gods font de leurs anciens titres un album acoustique (pas mal du tout, ceci-dit), Prodigy, tout le monde s’en fout… et Portishead sort un des disques les plus inquiétants, déchirants et ténébreux entendu depuis longtemps.

S’il fallait trouver un album auquel rattacher Third, ce serait peut-être le monstrueux et monumental The Drift de Scott Walker. Ce n’est sans doute pas un hasard si cet album a lui aussi mis dix ans à voir le jour. La comparaison ne s’arrête pas là, The Drift était déjà excessivement noir, original, intelligent, profond, riche, intense, déroutant et très loin au-dessus de la mêlée. Trop loin, même… trop peu accessible pour des oreilles non-averties. Ce que le Portishead perd en radicalité (ce qui est très relatif, car face à The Drift, 99% de la production pop et rock a l’air de variétoche gentillette), il le gagne, ça tombe sous le sens, en accessibilité. Enfin… une accessibilité là encore toute relative. Car il ne faut surtout pas avoir peur du noir pour s’aventurer dans les nouveaux univers défrichés par Portishead. Des univers qui ont de quoi nous fasciner encore longtemps… Alors s’ils ont besoin d’encore dix ans pour nous ramener une telle pépite de leurs explorations, on est prêt à attendre le temps qu’il faudra pour une récompense à la hauteur de ce chef-d’œuvre. Même s’il est plus question, ici, d’abîmes que de hauteurs…

En bref...

Originalité (9/10)
Bien que l'évolution de Portishead soit "logique", elle est aussi radicale, risquée et surprenante... un album original dans la production du groupe, et, surtout "original tout court"... ce n'est plus vraiment du trip-hop, pas du rock, pas de la musique industrielle ni de l'électro... mais un grand album, avec une forte personnalité. 

Ambiances (10/10)
Un voyage fascinant, qui vous emporte loin, très loin...

Orchestrations (10/10) 
Riches, intelligentes, originales, subtiles, saisissantes... rien à redire, elles sont parfaites.

Mélodies (9/10)
Pas de mélodies "grand public", pas de tubes pour radios FM, bien sûr, mais des mélodies superbes, émouvantes, dignes, qui ont de quoi vous hanter longtemps une fois que vous les aurez apprivoisées. 

Chant (10/10)
Beth Gibbons, plus émouvante et poignante que jamais...  une voix et une interprète au-dessus des autres. Et pas qu'un peu.
 
Intensité (8/10)
C'est pas du rock nerveux, plusieurs morceaux sont assez calmes... mais ce n'est pas non plus du trip-hop lent et "cool". Beaucoup de passages très secs et tendus, l'impression d'être quasiment toujours sur le fil du rasoir... même sur les quelques morceaux où le tempo est plus lent.
  
Accessibilité (6/10)
Mieux vaut ne pas avoir peur du noir... ni l'écouter distraitement. Une "oeuvre", qui demande l'attention qu'elle mérite, et elle en mérite...


Place dans la discographie du groupe    
A mon sens, leur meilleur... et je suis pourtant fana des deux précédents, Portishead était un de mes groupes favoris dans les années 90. Mais au bout d'une vingtaine d'écoutes, je ne me demandais même plus si Third était leur meilleur album, juste s'il n'était pas tout simplement le meilleur album que j'aie jamais écouté...

Note d'ensemble (rien à voir avec une quelconque moyenne des notes précédentes) : 10/10
Un chef-d'oeuvre.


Portishead - Third

Silence
Hunter
Nylon Smile
The Rip
Plastic
We Carry On
Deep Water
Machine Gun
Small
Magic Doors
Threads


Le tragique, torturé et tétanisant Threads :



Third sur 7and7is

Sur Du Bruit qui Pense

Sur Mange Disque

Chez Dr Franknfurter

L'avis de Crafty

L'article "original" sur
Culturofil

Classement des albums de 2008
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19 mai 2008 1 19 /05 /mai /2008 22:03

Suite à l'excellent article de Ska sur le polémique clip de Justice, Stress, j'ai décidé d'y aller moi aussi de mon commentaire. Le paradoxe, c'est que je ne comptais pas alimenter cette polémique alors que le visionnage de cette vidéo m'a laissé plutôt perplexe... je partage le ressenti assez général, que l'on retrouve dans les commentaires de l'article de Ska, trouvant qu'il y a quelque chose d'assez désagréable et méprisable dans cette utilisation caricaturale de la violence de jeunes de banlieues... pourtant, je ne suis pas d'accord avec la plupart des arguments que je lis contre ce clip, et c'est pourquoi je choisis, malgré tout, de le défendre.

Tout d'abord, pour ceux qui ne le connaissent pas et veulent se faire leur propre opinion avant de lire la suite, voici l'objet du délit :
 



- Alimenter des tensions, susciter la violence, pour que Justice vende sa musique et sa marque de fringues, c'est lamentable.

Je suis entièrement d'accord (ça part mal, pour les défendre). Mais, à côté de cela, combien de groupes ont flatté les "bas instincts", joué sur la violence, la provoc', pour vendre leurs musiques ? 

Les Stones se sont bien fabriqués une image de mauvais garçons, par opposition aux Beatles, et parce que c'était "vendeur"... et ont ainsi influencé la jeunesse de l'époque...

Les mouvements rock, hard, punk, rap, électro, sont des mouvements qui ont toujours eu à voir avec la rébellion, la provoc, des musiques destinées au "défoulement" des frustrations, défoulement souvent "bête et méchant".
Depuis les origines du rock, les musiciens cherchent à choquer la société, les bonnes moeurs, usant parfois de provoc' facile, et avec des intentions commerciales, souvent... On pense aux Stones, à Mc Laren avec les Sex Pistols, à Manson, à N.W.A., Eminem, 50cent... pour citer les exemples les plus marquants.
Rock, rap & co ne sont pas des mouvements de purs philanthropes humanistes désintéressés...

En faire des tonnes dans la provoc' pour vendre et se faire remarquer, c'est monnaie courante dans le rock et le rap, Justice ne sont pas les premiers, ni les derniers... de plus, il faut tout de même leur accorder une vraie prise de risque, leur énorme tube D.A.N.C.E. leur a ouvert un vaste public international... et avec cette nouvelle vidéo - et ce morceau particulièrement sombre - ils font tout pour rebuter le grand public.   

- Ce clip donne du grain à moudre à l'extrême-droite et aux sarkozystes, il présente la même image des jeunes de banlieues que eux font passer auprès de la population.

C'est vrai...  si on se met dans la tête d'un sarkozyste ou d'un type d'extrême-droite, on voit bien que c'est de nature à alimenter leurs fantasmes sur les jeunes de banlieues "tous des sauvages, inintégrables et ingérables, des dangers pour la société"...

Mais... ils n'ont pas attendu ce clip pour présenter cette image "déplorable" et se convaincre de cela, il leur suffit d'avoir entendu les paroles de titres de rap et d'être tombé sur les clips ! Et pas seulement dans le gangsta-rap. Les Roots, groupe de rap bien plus subtil et modéré que la moyenne, qui ne joue d'ordinaire pas sur les clichés "gangsta" et critique même les discours tendancieux que l'on trouve chez bon nombre de rappeurs... les Roots, justement, viennent de sortir un clip qui n'a pas grand chose à envier à celui de Justice de ce point de vue. A voir non seulement pour l'exemple, mais aussi parce que c'est un excellent morceau de rap, le meilleur et plus intense que j'ai entendu cette année :



Dans un autre genre, le Wu-Tang Clan... pas du gangsta-rap, et pourtant, mettez-vous 2 minutes dans la tête d'un mec d'extrême-droite (ou de quiconque ayant pas mal de préjugés sur les noirs, jeunes de banlieues, immigrés etc...) et regardez leur fameux Wu-Tang Clan ain't nuthing ta f' wit (un de mes titres préférés tous genres confondus) :




Que voulez-vous penser d'autre, de ce point de vue, que : "ce sont des sauvages et des dangers pour la société"... Mais c'est aussi l'image que souhaitent donner cette jeunesse des quartiers, une manière d'incarner ce qui fait peur pour renverser symboliquement le processus de domination, ce que j'expliquais dans mon analyse de Wolves du même Wu-Tang Clan. 

Il y aurait des centaines de clips de rap qui auraient fait aussi bien l'affaire, qui ont de quoi rebuter radicalement les xénophobes, racistes, et les conforter dans leurs opinions. Et alors ? Le rap, le rock, l'électro n'ont pas vocation à remplacer l'éducation nationale ou les institutions, ce sont des cris de révolte, du défoulement, de la contestation, de la provocation.

- Il n'y a pas de propos "intelligent", pas de nuances.

Il n'y en a pas plus dans bon nombre de morceaux rock et hip-hop. 
Entre Bono et Sid Vicious, le rock a choisi son camp, depuis longtemps. Suffit de lire des blogs de rock pour constater que U2 est un des groupes les plus détestés, moqués, et les Sex Pistols un des plus respectés. Pourtant, on a de quoi être totalement d'accord avec Bono : oui, il faut sauver la forêt amazonienne, aider l'Afrique... et trouver malsain et crétin de voir Sid Vicious affublé d'une croix gammée. Mais cette échelle de valeurs ne fonctionne pas dans le rock, les sermons de Bono sont emmerdants, et les provoc' de Sid Vicious sont rock'n'roll...  
Certes, des Dylan et des Springsteen ont su, eux, écrire des textes politisés, responsables, intelligents,sensibles... mais ils sont des exceptions, ce n'est pas l'essence du rock que de suivre cette voie casse-gueule.
Vous imagineriez Jim Morrison, Hendrix, Joplin, après une vie saine et raisonnable, discuter aujourd'hui politique intérieure américaine autour d'un thé vert (du commerce équitable, bien sûr) ?

Ce qu'on attend du rock ou du rap, c'est que ça cogne, ça groove, de se prendre des claques, pas des leçons de morale. Avoir l'impression, lorsqu'on écoute du rock, d'entendre un discours de Ségolène Royal, c'est chiant... 

Sincèrement... ça intéresse quelqu'un du rap modéré et poli, avec un texte du genre :

Hier, j'ai croisé un flic qui m'a légèrement importuné,
Il a quelque peu abusé de son pouvoir,
Mais pour autant, ne les mettons pas tous dans le même panier
La plupart font juste leur devoir
Leur vie est pas toujours facile non plus
Mes frères, ne faisons pas d'amalgames
Il faut que le respect règne dans nos rues
Ceci afin d'éviter de bien tristes drames

Amis policiers, serrons-nous la main
Que cela augure de joyeux lendemains    

Je le laisse à votre disposition, libre de droits, à condition que vous m'indiquiez le nom de votre groupe, que je ne l'écoute jamais...

- Justice n'a pas de légitimité

On peut comprendre qu'un groupe de rap de jeunes de quartiers défavorisés ait "la haine", crie sa révolte, ses frustrations, provoque... Par contre, des versaillais qui font de l'électro... sûr qu'ils semblent pas les mieux placés pour traiter de ce sujet. Pourtant, s'il est normal de se demander pourquoi Justice a choisi un tel clip, il n'y a pas lieu de leur refuser le droit de s'emparer de ce phénomène. Sinon, on n'aurait pas le droit de faire du blues si l'on n'est pas noir américain, de faire du rap si l'on ne vient pas d'un ghetto... chacun resterait enfermé dans sa petite niche, et ce serait assez pathétique (dans les commentaires de son article, Ska démonte assez bien cet argument).  

- C'est un très mauvais exemple, ça pourrait influencer les jeunes, les pousser à l'acte...

Les mauvais exemples, qui ont influencé la jeunesse, ils sont légions dans le rock et le rap, même parmi les plus illustres.
Des jeunes qui se sont pris pour Jim Morrison, jouant les équilibristes sous LSD sur la rambarde du balcon, au 5° étage... des fanas de Syd Barrett tombés dans le même état que leur idole... des fans de gangsta-rap qui ont voulu faire comme les stars du genre... des amateurs de black metal qui se lancent dans le satanisme, qui profanent des cimetières... des types devenus fous qui ont découpé toute leur famille parce qu'ils n'en pouvaient plus de leur fille mettant du Lorie à fond (bon, ça, c'est autre chose).
On pourrait  aussi reparler du fameux massacre de Columbine, par un fan qui s'est dit influencé par Marilyn Manson.

L'argument de la "mauvaise influence" a été très souvent utilisé, aux Etats-Unis, par des associations chrétiennes, des gens de droite et d'extrême-droite, depuis les tous débuts du rock... musique satanique, qui pervertit la jeunesse avec ses rythmes trop rapides et ses paroles provocantes. Et le rock ayant toujours eu à coeur d'aller chaque fois plus loin dans la provoc', les puritains ont toujours trouvé de bonnes raisons pour se scandaliser : paroles qui poussent au suicide ou à la violence, apologie de la drogue et des moeurs "dissolues", références sataniques dans le hard, anti-christianisme etc, etc...    

D'un côté, tout cela est ridicule et mensonger, car cette influence est très limitée... des milliers de jeunes ont écouté et aimé Necrophiliac de Slayer, ils ne sont pas devenus nécrophiles pour autant.
Ceux qui en viennent à des actes délictueux, criminels, après avoir écouté tel ou tel groupe... ont de
toute façon un problème et auraient d'une manière ou d'une autre basculé dans le "côté obscur". 
Mais on ne peut se cacher derrière cette évidence et faire comme s'il n'y avait aucune influence. L'adolescence est un âge critique, on se cherche, on s'identifie à des modèles... qui sont souvent des stars du rock, du rap.
Mais la liberté de création, d'expression, est aussi à ce prix, savoir que des gens influençables risquent de confondre fiction et réalité, expression artistique et manifeste politique... Ce n'est pas aux artistes de se substituer aux parents, institutions, politiques...

De plus, Justice n'est sûrement pas un groupe qui a une forte influence chez les jeunes de banlieues... ceux qui pensent qu'il faudrait censurer cette vidéo à cause de sa "mauvaise influence" (Justice ne veut de toute façon pas qu'il soit diffusé à la télé), devraient avant tout demander à ce que l'on interdise Scarface, bien plus "influent" auprès des jeunes de quartiers, un modèle beaucoup plus fort... mais si on commence par là, faudra ensuite s'occuper de pas mal de titres de rap, de rock... et la censure d'oeuvres qui ont une mauvaise influence, ça nous ramène tout de même aux politiques culturelles de Staline et Hitler...   

- Il n'y a pas de "point de vue"

C'est une des critiques les plus pertinentes... parce que l'art, ce n'est pas du "réel à l'état brut", c'est un propos, une métaphore, une vision. Rien de tel ici, on ne sait absolument pas ce que veulent signifier Justice. Si encore il y avait des paroles... certes, il y a un titre, et l'on peut interpréter les images comme l'incarnation de ce qui angoisse et "stresse" le plus une partie de la société française, cette peur - parfois irraisonnée et raciste - des jeunes de banlieues, ou le "stress" de ces jeunes qui ont l'impression de vivre dans une société hostile, sans perspectives d'avenir, et expriment leurs frustrations par le biais de cette violence.

Que le spectateur se sente autant perdu devant ces images sans message, ça me semble tout de même intéressant. On vit dans un monde et une société où l'on voudrait tout expliquer, comprendre, décrypter, où chacun, sur le net, y va de son commentaire sur n'importe quel sujet (forums, blogs) puisque tout le monde se sent autorisé à donner son avis sur tout (et surtout ce clip, comme je le fais ici). Le problème de la délinquance dans les banlieues est un des plus discutés, peut-être le plus sensible en France actuellement... Alors proposer des images choquantes, très réalistes qui touchent au coeur de la peur la plus forte d'une partie de la population, sans le moindre point de vue, ce n'est pas inintéressant.

Ce clip, s'il a un mérite, c'est d'être un des moins consensuels qui soit. Il a de quoi choquer tous les gens de gauche "c'est scandaleux, ce n'est pas que ça, les jeunes de banlieues"... mais en mettant de côté cette bonne conscience de gauche, faut bien avouer que c'est aussi ça, il y a une attirance pour la violence gratuite qui n'est pas négligeable... "l'angélisme de gauche", cette politique de l'autruche sur des questions qui angoissent beaucoup de français, c'est aussi une des raisons de l'échec récurrent de la gauche depuis les années 90. Et de quoi choquer tout autant les sarko-lepénistes car, même si cela peut les conforter dans certains préjugés, le clip met en scène leur "cauchemar", il a un effet repoussoir et je doute que beaucoup puissent regarder la vidéo en entier. 

Alors quand on voit le nombre de gens qui ont de quoi être choqués par ce clip, même parmi des fans de rock et rap qui en ont vu, eux, des provocations outrancières... on a quelque part envie de leur dire "vous avez tout de même vraiment réussi un truc, là..."

  
Les explications moyennement convaincantes de Justice,
ici.

Wolves , du Wu-Tang Clan

L'article de Ska

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23 mars 2007 5 23 /03 /mars /2007 00:38

Electro             03/2007 - Ninja Tune *****

 

Un peu moribonde, l'électro, ces derniers temps. Les artistes novateurs du label Warp (Aphex Twin, Plaid, Squarepusher) se sont en 2006 reposés sur leurs acquis. Rien de bien nouveau en 2005 non plus, malgré un très bon album de Boards of Canada (The Campfire headphase), et The Chaos Theory d'Amon Tobin, bon lui aussi, mais plus bourrin qu'à l'habitude et un peu en-dessous de ses précédents chefs-d'oeuvre. Faut dire que c'était un album un peu particulier, la bande-son d'un jeu vidéo (Splinter Cell), et la première fois qu'un éditeur de jeu faisait appel à une vraie "pointure" en s'offrant le "magicien des sons" anglo-brésilien. Moribonde, disais-je avec un peu de sévérité, mais il y a de tels artistes passionnants dans l'électro qu'on est en droit d'attendre plus régulièrement des albums qui expérimentent de nouvelles voies.

 

Avec Foley Room, Amon Tobin place à nouveau la barre très haut. J'écrivais il y a peu sur ce 5 mars étonnant par la densité d'albums de qualité sortis ce jour-là... mais l'ironie de l'histoire, c'est que deux des albums les plus attendus de l'année souffrent la comparaison avec deux autres sortis plus "discrètement" le même jour. Le dandy Nick Cave, avec Grinderman, donne une leçon de hargne à ceux qui ont si longtemps incarné au mieux la sauvagerie du rock, les Stooges, et Amon Tobin met une belle claque à Air, plutôt décevants avec leur mollasson Pocket Symphony.   

 

Très instructif et bienvenu, le DVD accompagnant le CD de Foley Room montre Amon Tobin se livrant à des expérimentations électro-acoustiques, délaissant les samples pour recueillir des sons à l'extérieur (grognements de tigres, bruits de la rue etc...) ou travaillant les sons en studio (la "foley room" est la pièce où sont enregistrés les bruitages de film). Sa démarche tient plus de la musique "concrète" que de la techno, mais il ne crée pas pour autant des oeuvres aussi froides et cérébrales que celles de la musique concrète, et n'a pas renoncé aux machines et sons électros. 

 

Comme il l'a toujours fait, Amon Tobin nous transporte avec Foley Room dans un formidable voyage sonore, à la fois sensuel, intelligent, ludique, musical, foisonnant. Un album envoûtant, mais aussi exigeant car il demande une véritable attention (une écoute au casque ou à un volume sonore assez fort sur du bon matériel change tout). Il est d'une telle richesse dans les détails et textures sonores qu'on perd beaucoup à ne pas lui prêter l'écoute qu'il mérite. C'était déjà le cas sur ses précédents albums, quoique ceux-ci bénéficiaient de mélodies et rythmes plus efficaces et faciles d'accès (sans êtres simples ou simplistes non plus). Ainsi, Foley Room n'est sans doute pas le meilleur moyen pour rentrer dans l'oeuvre d'Amon Tobin. Les exceptionnels Out From, Out Where, Permutation et Bricolage sont plus judicieux pour le découvrir et s'aventurer dans ses paysages sonores hors du commun. Mais si l'électro et l'expérimentation vous sont familières, jetez-vous sans tarder sur ce génial Foley Room.   

 

A écouter :

 

Amon Tobin - Keep Your Distance

 

L'album en écoute sur grooveshark

 

Trailer du DVD :

 

 

Amon Tobin - Foley Room    

  1. Bloodstone [feat. Kronos Quartet]
  2. Esther's
  3. Keep Your Distance
  4. The Killer's Vanilla
  5. Kitchen Sink
  6. Horsefish
  7. Foley Room
  8. Big Furry Head
  9. Ever Falling
  10. Always
  11. Straight Psyche
  12. At The End Of The Day

Précédent article sur Amon Tobin : Permutation

 

La fiche d'Amon Tobin (avec tous ses albums en écoute)

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