Après la quête du père en 2009, la séparation en 2011, le thème qui m’aura semblé le plus marquant dans les films de 2012 est celui du « cocon »… Les pertes et séparations, douloureuses, de 2011, mènent d’une manière somme toute logique, à un retour au cocon. Il est loin, le cinéma hollywoodien conquérant des années 50 ou 60… conquêtes de l’ouest, du monde, de l’espace… en 2012, on préfère se recroqueviller dans son cocon.
C’est le premier grand film américain de l’année qui a donné le ton, Take Shelter… un homme qui, pour protéger sa famille d’une menace dont on ne sait si elle est réelle ou le fruit de sa folie, se lance dans la construction d’un bunker. Difficile de trouver mieux comme métaphore du cocon… C’est aussi l’héroïne du très beau Martha Marcy May Marlene qui passe de cocons en cocons, celui d’une communauté / secte à la maison de sa sœur. Des cocons, aussi, pour les héros… James Bond, archétype s’il en est du héros viril sans attaches et conquérant, voyageant de pays en pays et de femmes en femmes ; pour la première fois depuis 50 ans, retourne vers son passé et ses origines, dans son cocon qu’est le manoir familial. Autre manoir-cocon, celui de Batman, reclus depuis des années lorsque débute The Dark Knight Rises, ayant laissé tomber toute vie sociale, professionnelle, aventurière et héroïque. Et s’il reprend du service, c’est moins par volonté de puissance que par désir d’en finir, et, d’une certaine manière, de fuir le monde… Reclus eux aussi, les américains d’Argo en Iran… ils ne sont pas « en cavale », mais planqués dans une maison dont ils ne sortent jamais, en espérant un retour dans le grand cocon qu’est la mère patrie… Un cocon n’est pas forcément une maison, ce peut être une voiture, telle la limousine du Cosmopolis de Cronenberg, au sein de laquelle se déroule les ¾ du film, cocon en mouvement qui protège le personnage principal d’un monde extérieur qui plonge dans le chaos. Ou, dans un registre très différent - mais une idée de mise en scène assez proche - le bus de The We and the I dont on ne sort qu’à la toute fin du film… (voire la barque de L’Odyssée de Pi, film que je n’ai pas vu).
Le cocon, c’est aussi la relation fusionnelle du ménage à trois de Savages d’Oliver Stone, celle des trois frères de Lawless (Des Hommes sans Loi, scénario de Nick Cave), qui cherchent seulement à faire leur petit business tranquillement, dans leur coin, en famille, ou encore celle du héros de Ted incapable, à 35 ans, de se séparer de son ours en peluche (qui vit et parle, certes, mais ours en peluche tout de même). C’est l’islamisme radical dans la Désintégration, la fuite d’un monde extérieur hostile, et l’impression de n’être compris et intégré que lors de ces petites séances intimistes et coupées du monde où le personnage principal se laisse manipuler par un rabatteur. The Secret propose aussi en quelque sorte un « retour au cocon » (je ne peux en dire plus sans dévoiler la fin), quant au « Dictator », il n’est au fond qu’un grand enfant dont le pays est un immense cocon (pour lui, et seulement pour lui), satisfaisant le moindre de ses désirs et caprices, et il n’aspire qu’à une chose, bien entendu, y retourner (contrairement aux deux personnages précédents de Sasha Baron-Cohen, Borat et Bruno, qui, eux, avaient pour souhait de « conquérir » l’Amérique). C’est aussi dans un cocon que vivent les personnages de Margin Call, trader et financiers dans leur bulle… et c’est aussi ce que recherche le héros de Looper, heureux et comblé seulement dans le petit cocon qu’il est parvenu à créer dans une des réalités.
Le cocon, c’est le refuge et le fantasme du paranoïaque, celui de Take Shelter évidemment, mais aussi J. Edgar (d’Eastwood), enfermé dans son bureau où il écoute et répertorie les secrets des puissants, ces secrets qui le protègent de tous ceux voulant l’expulser de sa création et son cocon : le FBI. C’est la réalité fantasmée du remake de Total Recall, ou encore le hacker de Aux Yeux de Tous, qui, sans mettre un pied hors de sa chambre, parvient à explorer et manipuler le réel. C’est aussi, mais à l’opposé, Jack Reacher, refusant la « vie moderne », sa technologie et ses facilités afin d’être impossible à repérer. Pour vivre heureux, vivons caché, dans son cocon…
Autre thème important, lié au cocon : en 2012, les héros sont fatigués, et de moins en moins « solaires ». Le héros de Bullhead a beau se shooter aux hormones de bœufs, il reste face à la femme qu’il aime un petit garçon timide et fragile… et malgré ses excès de violence ou sa musculature qui en impose, il n’a rien du héros fort, dynamique et charismatique, il est hanté par son passé et traîne sa misère tout au long du film. L’aîné des frères de Lawless est le chef de famille, le « mâle dominant »… mais comme le héros de Bullhead, c’est un grand taiseux, un homme toujours sur la défensive. Idem pour le héros du Territoire des Loups, traumatisé par son passé tragique, au bord du suicide au début du film… voire le héros de Looper, pas beaucoup plus solaire que les autres…
On n’avait jamais vu James Bond aussi affaibli, incapable, après son accident et après s’être un moment « coupé du monde », de faire quelques exercices physiques sans s’essouffler, ou de toucher une cible à quelques mètres. Il est même déclaré inapte à reprendre su service, et ne doit sa réintégration qu’à une falsification de son dossier. On n’avait jamais vu non plus Batman aussi déprimé, usé, ne se déplaçant plus depuis des années que dans son manoir, et à l’aide d’une canne… à peine parvient-il à en sortir qu’il se retrouve – pendant une bonne partie du film – au fond d’un puits… bref, il passera la majeure partie du film à simplement tenter de « sortir de son trou ».
Les nouveaux super-héros de cinéma ne partent pas, capes et cheveux au vent, sauver le monde, leurs ambitions ont été revues à la baisse… ils utilisent leurs pouvoirs pour se faire des blagues de potache, jouer à la baballe au milieu des nuages, et se laissent dominer par leurs émotions négatives (tout ça dans Chronicle).
Nous vivons dans un monde hostile et déprimant, qui pousse à se recroqueviller dans son cocon. Que nous reste-t-il, faire la révolution ? Même ça, les anars rigolards de Groland n’y croient plus, Le Grand Soir est un constat d’échec ; les lendemains qui chantent, c’est de l’histoire ancienne, plus qu’une chimère dans l’esprit de sympathiques losers…
Tous les héros n’auront pas été fragiles, déprimés, taiseux, tourmentés ou affaiblis… il y en a eu au moins deux particulièrement sûrs d’eux, virils, efficaces et imposants, bref, deux héros à l’ancienne… sauf qu’il s’agit de deux crapules cyniques, deux tueurs implacables, Killer Joe & Cogan. Auxquels on pourrait ajouter le « héros » de Cosmopolis, tout autant cynique et sûr de lui que les deux autres… En 2012, il faut être un salaud sans états d’âme pour oser être sûr de soi, dominant et bien dans sa peau…
Pourquoi au juste, ce cocon et cette déprime ? La réponse la plus simple serait bien entendu « la crise ». Sauf que c’est un peu court… comme je l’ai déjà dit dans mon bilan de l’an dernier, ce n’est pas tant la crise économique qu’une crise plus profonde qui sourd dans les œuvres. Car on n’attend pas du cinéma et de l’art en général qu’ils nous expliquent qu’il y a une crise économique et que les gens sont inquiets… Pas besoin d’œuvres et d’artistes pour cela ; une télé, un journal et de simples journalistes font l’affaire… Non, ce que nous disent plutôt tous ces films, c’est qu’à notre époque, l’aspiration majeure est de se créer son petit cocon et s’y fondre (même les homos veulent reproduire la cellule familiale traditionnelle, couple + enfants)… signe de peur et de déclin pour les uns, de prudence et de sagesse pour les autres, ou un peu des deux, à chacun de l’interpréter comme il l’entend.
Seuls quelques films ne m’auront pas vraiment plu en 2012, les 6 derniers du classement, les autres se tiennent à pas grand-chose, quasiment tous les films que j’ai vu cette année (et tous vus au cinéma, à part Wrong et Ted) ont des notes entre 7 et 8… de bons films, même si j’ai des réserves pour chacun (ce qui n’est pas le cas pour les premiers du classement)…
1. Bullhead – Michael R. Roskam 9
2. Take Shelter – Jeff Nichols 8,5
3. Killer Joe – William Friedkin
4. Cosmopolis – David Cronenberg
5. Martha Marcy May Marlene – Sean Durkin
6. The Descendants – Alexander Payne
7. The Dark Knight Rises – Christopher Nolan 8
8. Killing Them Softly (Cogan)- Andrew Dominik
9. La Taupe – Tomas Alfredson
10. Millenium – David Fincher
11. Argo – Ben Affleck
12. Margin Call – J.C. Chandor
13. Savages – Oliver Stone
14. La Cabane dans les Bois – Drew Goddard
15. Chronicle – Josh Trank
16. Des Hommes sans Loi – John Hillcoat
17. The We and the I – Michel Gondry
18. La Désintégration – Philippe Faucon
19. J. Edgar – Clint Eastwood
20. Skyfall – Sam Mendes 7,5
21. Moonrise Kingdom – Wes Anderson
22. The Dictator – Larry Charles
23. Wrong – Quentin Dupieux
24. Total Recall – Len Wiseman
25. Prometheus – Ridley Scott
26. Jack Reacher – Christopher McQuarrie
27. Aux Yeux de Tous – Cédric Jimenez
28. Sherlock Holmes 2 : Jeu d’Ombres – Guy Ritchie
29. Le Grand Soir – Kervern / Delépine
30. Looper – Rian Johnson
31. The Secret – Pascal Laugier
32. End of Watch – David Ayer
33. La Dame en Noir – James Watkins
34. The Amazing Spider-man – Marc Webb
35. Faust – Alexandr Sokurov 7
36. The Bourne Legacy – Tony Gilroy
37. La Part des Anges - Ken Loach
38. Securité Rapprochée – Daniel Espinosa
39. Ted – Seth McFarlane
40. The Avengers – Joss Whedon
41. Le Hobbit, un voyage inattendu – Peter Jackson
42. Blanche neige et le Chasseur – Rupert Sanders
43. Le Territoire des Loups – Joe Carnahan 6,5
44. John Carter – Andrew Stanton 5
45. Les Infidèles – Collectif
46. Félins – Keith Scholey, Alastair Fothergill
47. The Expendables 2 – Sylvester Stallone
48. La Colère des Titans – Jonathan Liebesman
49. Hunger Games – Gary Ross 4
Envie de noter ces films (ou d'autres) ? Direction le Cinéma Des Blogueurs (ouvert à tous), il ne reste que très peu de temps avant que je ne fasse les comptes et publie le classement 2012 définitif...
Bilans cinéma des années précédentes :