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11 mai 2013 6 11 /05 /mai /2013 10:53

En guise d’illustration de l’article sur les « nouveaux moralistes », une petite saynète sur l’absurdité et l’impossibilité d’une œuvre qui réponde à toutes les exigences du politiquement correct et n’utilise aucun stéréotype.

Après avoir posé les bases de leur scénario, 3 auteurs rentrent plus en détail sur la caractérisation des personnages :

« Bon, alors là, le héros passe devant un petit dealer black… »

« Pourquoi black ? Franchement, c’est raciste, c’est un cliché, il n’y a pas que des blacks chez les dealers… »

« OK, donc un petit dealer blanc… »

« Ah non, pas d’accord, ce petit dealer représente tout de même une population dans la misère et à l’abandon et, en proportion, ce sont les noirs et les maghrébins les plus touchés. »

« OK, alors on revient sur le dealer black… »

« Mais faut pas laisser à penser qu’un black est forcément un dealer, il nous faut aussi par exemple de chef d’entreprise noir, pour ne pas tomber dans les stéréotypes, et montrer qu’un noir peut très bien aussi être capable d’accéder à n’importe quel métier en haut de l’échelle sociale… »

« Non, ça voudrait dire qu’un noir aurait autant de chances dans notre société d’être dealer que chef d’entreprise, et donc que le dealer ne l’est pas pour des raisons socio-économiques, mais parce qu’il aurait choisi cette voie… »

« Alors on met une dizaine de petits dealers blacks, pour un chef d’entreprise noir, ça permet de montrer qu’il n’y a pas autant de chances pour un noir d’être chef d’entreprise que dealer dans nos sociétés… »

« Et pourquoi UN chef d’entreprise ? Vous êtes sexistes ? Vous pensez pas qu’une femme noire pourrait elle aussi être cheffe d’entreprise ? »

« OK, va pour une femme noire… »

« Pas d’accord, puisque le petit dealer est un mec, on pourrait laisser penser que chez les couches défavorisées de la société, il est plus facile pour une femme de réussir alors que les hommes restent bloqués en bas de l’ascenseur social… et donc une femme des couches inférieures de la société serait moins méritante si elle parvient à gravir les échelons…»

« Alors on n’a qu’à faire du petit dealer une petite dealeuse black… »

« Ouais mais on a dit qu’ils étaient une dizaine, alors qu’est-ce qu’on fait, on n’en met qu’une sur 10 Ou 10 dealeuses blacks ? »

« Non non, parité chez les dealers, 5 mecs, 5 filles… »

« Je suis pas d’accord, ce sont tout de même le plus souvent les hommes de ces milieux défavorisés qui tombent dans la petite délinquance, on risque de faire croire aux gens que les femmes sont aussi nombreuses dans la délinquance, et c’est pas vrai, c’est tout de même une chose positive qu’on ne peut enlever aux femmes. »

« OK, alors mettons 8 petits dealers et 2 dealeuses… »

« Elles risquent de passer pour infériorisées, soumises aux hommes qui sont en nombre… »

« Alors faisons de l’une d’elles la cheffe du clan… »

 « Tu n’y penses pas ! Mais c’est quoi le message que l’on va envoyer comme ça ? Que les femmes dans ces populations peuvent sans problème diriger une bande de mecs ? C’est une insulte à leur condition, à leur réalité et leur oppression… les gens qui verront notre film risquent de croire que ces connards de mâles arrogants ne le sont pas tant que ça et acceptent de se laisser diriger par une femme… »

« En même temps, c’est un exemple que l’on peut donner aux jeunes filles des cités, leur montrer qu’elles peuvent et qu’elles doivent prendre le pouvoir… »

« Un exemple ? D’en faire des dealeuses ? »

« Non mais attendez, on va pas y passer des plombes, c’est une scène qui ne dure que dix secondes dans le film, on finira jamais l’écriture si l’on s’embarque là-dedans… »

« Mais c’est important, ce sont des images qui restent après, à un niveau inconscient, dans l’esprit du spectateur, faut surtout pas les conditionner avec des stéréotypes… »

« Et c’est notre grand moment d’humour lacanien, le héros demande l’heure au dealer… »

« Qui lui répond « t’es ouf ! Qu’est-ce tu m’parles à moi ? Tu veux qu’j’te dis l’heure ? »

« Mouais, faut avouer que c’est tout de même plus proche de Ruquier que de Lacan… »

« Je ne suis pas vraiment à l’aise avec cette scène… elle contribue à faire passer l’idée que les gens issus de l’immigration ne savent pas parler correctement le français, et les conforte, eux, dans un langage discriminant et clivant, qui leur barre de nombreuses possibilités… »

« Ben ouais, mais s’il lui dit « tu veux que je te dise l’heure », le gag marche moins bien… »

« Surtout si c’est pas un dealer mais une dealeuse… »

« Non, laissons le dealer… mais ce serait bien d’avoir une femme-flic qui vient le contrôler, ça permettrait de montrer une figure féminine qui a de l’autorité et ne craint pas ces racailles… »

« Une femme-flic arabe… »

« Arrête tes conneries… ça contribuerait encore à mettre dans la tête des gens que chez les minorités visibles, les femmes sont plus aidées et valorisées par la société, qui leur file même des postes de flic, profession pourtant plutôt masculine, alors que les mecs en sont réduits à dealer pour vivre… »

« Alors une femme blanche… »

« C’est pire ! T’imagine le message que cela ferait passer ? Un message qui va plaire à tous ces salauds de masculinistes, avec l’idée que les relations de pouvoir sont sociales avant d’être sexistes, avec la femme-flic blanche dominante et le petit dealer black dominé… ce serait minimiser le sexisme, c’est inenvisageable…»

« Bon, oublions la femme-flic… notre héros, donc… »

« Et pourquoi un héros, pourquoi pas une héroïne ? »

« Ben, il est tout de même déménageur, l’intrigue de l’histoire repose là-dessus et sur ce qu’il trouvera dans l’appartement… »

« Et alors, une femme ne peut pas être déménageuse, peut-être ? »

« J’sais pas trop, il doit pas y en avoir des masses, non ? »

« Justement, il faut montrer que les femmes peuvent faire les mêmes métiers que les hommes, dans tous les domaines… »

« Et faut pas en faire une femme forte, genre stéréotype de la camionneuse lesbienne, il faut qu’elle soit vraiment féminine… »

« OK, donc notre déménageuse, 1m65 pour 55 kgs, en talons-aiguilles et petit tailleur Chanel… »

« Pfff… manquait plus que tu nous fasses de l’humour sexiste, là, on tombe très bas… »

« Comme notre déménageuse qui va dégringoler les escaliers  après s’être pris les talons dans… non, me tape pas, j’arrête, promis… »

« Reprenons, on  a notre déménageuse, musclée mais féminine, et pas lesbienne… »

« Ah non, on retombe dans une histoire hétéro-normative… alors qu’on partait d’un déménageur gay qui va retrouver dans cet appart une photo de l’homme qu’il aimait… »

« Alors prenons un déménageur transgenre… »

« Oui mais un homme devenu femme, ou une femme devenue homme ?»

« Plutôt un homme devenu femme, ce qui expliquerait sa force physique, et qu’il ait pu être déménageur par le passé… »

« Euh… tu penses vraiment qu’un mec qui se sent femme au plus profond de lui puisse choisir de devenir déménageur ? »

« Et pourquoi pas ? C’est justement une bonne manière de dépasser les stéréotypes… »

« Le mec se sent oppressé depuis sa plus tendre enfance parce qu’on l’a forcé à adopter les caractéristiques d’un sexe qui n’est pas le sien, il a lutté de toutes ses forces contre les stéréotypes macho, contre les visions traditionnelles de la masculinité… et il devient déménageur ? »

« Et ça règle pas le problème des talons aiguilles… non, j’déconne, désolé, c’est juste que je commence à péter les plombs, là, on va pas s’en sortir… »

« Putain, en fait, c’est impossible de faire un film sur des humains, soit on risque d’entretenir des stéréotypes, soit de laisser penser qu’il y a moins d’inégalité qu’on ne le croit… c’est un cercle vicieux… »

« Ouais, laissons tomber, mettons-nous plutôt au documentaire animalier, là, au moins, on se contente d’observer, on n’a pas à plancher sur un scénar… »

« Pourquoi pas sur les lions ? C’est tout de même la plus majestueuse des créatures terrestres, j’ai toujours rêvé de les filmer… »

« Les lions ? T’es malade ! Ces connards de mâles qui ont leur harem de femelles, les laissent faire l’éducation des enfants et même la chasse, et se taillent la plus grosse part de la bouffe, salopards d’oppresseurs machistes… »

« Bon, oublions les lions… pourquoi pas les chats, c’est mignon, les chats ? Et tout le monde aime les chats, ils font péter les audiences sur youtube… »

« T’y penses pas sérieusement ? Ces enfoirés de chats, qui viennent baiser les femelles en les agressant, puis les laissent seules se démerder avec les petits, pendant que ces messieurs se roulent dans l’herbe au soleil ? Putain de phallocrates de chats… »

« Laissons tomber ces cons d’animaux… reste une solution… filmons des cailloux. »

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commentaires

G
<br /> GALENE : De rien :-)<br /> <br /> <br /> Et je suis tombé il y a peu sur une déclaration de David Lynch qui, sans surprise, reflète parfaitement ce que je pense de tout ça :<br /> <br /> <br /> "Il est dangereux, je pense, de dire qu'une femme dans un film représente toutes les femmes, ou qu'un homme dans un film représente tous les hommes. Certains critiques raffolent des<br /> généralisations. Mais attention, il s'agit de ce personnage particulier dans cette histoire particulière, engagé sur cette voie en particulier. Ces spécificités créent<br /> leur propre monde. Et il arrive que ce soit un monde dans lequel on ait envie de pénétrer, et qu'on ait envie d'expérimenter."  <br />
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G
<br /> Merci pour le fou rire :)<br />
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