Après Blue Chill et The Bankees, il était temps que je me lance aussi dans l’histoire d’une de mes compositions. J’ai choisi celle qui m’aura posé le plus de problèmes, Tribal R… une des premières écrite pour cet album, et pourtant, 6 mois après l’avoir commencée, j’en étais encore insatisfait, et j’ai continué de la modifier alors même que je venais de vous présenter l’album. La première partie a été composée assez rapidement, deux jours (et quasiment pas modifiée depuis, si ce n’est quelques très légères nuances), c’est uniquement le final qui m’a demandé tant de temps avant que je ne trouve la « clé ».
Akland - Tribal R
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Première partie (0’00 à 4’00)
Après 2 morceaux qui utilisaient quelques boucles (surtout rythmiques) du logiciel, j’ai décidé à partir de celui-là de tout écrire, de la première à la dernière note. Pour le rythme, je n’ai pas eu à hésiter longuement, j’adore les rythmes « tribaux », c’était ma première idée.
Le morceau commence donc par la batterie seule, avec un rythme plutôt martial et simple au départ, qui va s’enrichir au fur et à mesure. A partir de 0’06, un coup de caisse claire s’ajoute au rythme… j’ai hésité à le placer, parce qu’il donne un côté moins tribal et plus « rock » à ce rythme… mais je l’ai gardé car j’aime bien l’impression qu’il crée. Un coup de caisse claire en plus, et pourtant le rythme se ralentit et perd de son côté martial.
La batterie s’enrichit au fur et à mesure et devient assez dense, il me fallait donc, pour trouver l’équilibre et ne pas surcharger, une ligne de basse plus minimaliste. Une ligne de basse simple, sur quelques notes rapprochées, saccadées et chromatiques (sol – sol # – fa – fa #), un peu à la Massive Attack. Après la batterie et la basse, entrée du piano… j’aime particulièrement les notes graves et tenues au piano, qui servent de ponctuation (ça me vient d’un de mes morceaux favoris, la 2° Musica Ricercata de Ligeti, et… du fameux thème de Laura Palmer dans Twin Peaks).
0’40 : Percussions tribales, basse à la Massive Attack, chromatisme, demi-ton, notes graves de piano… des éléments que j’affectionne particulièrement, il en manquait un, les cordes. Et des cordes comme je les aime : graves avec un thème orientalisant. Tout au long de cette première partie, ce thème va monter, comme un danger qui se rapproche (c’est en tout cas de cette manière que je l’entends).
1’27 : J’aime ces différents éléments, j’aime aussi les musiques hypnotiques, donc je voulais faire tourner tout ça un moment… sans tomber dans quelque chose de trop répétitif non plus, il me fallait un ou deux autres éléments qui à la fois cadrent avec le reste et perpétuent cette même ambiance, mais amènent aussi quelque chose d’un peu nouveau. Tout d’abord, des nappes de synthé, pour accentuer le côté hypnotique et planant… j’ai fait pas mal d’harmonies avec, puis je les ai retirées toutes pour ne laisser que… deux notes. Et puisque la basse, le piano et les cordes partaient chacun d’une montée d’un demi-ton, je me suis dit qu’il serait pas mal de partir ici d’une descente d’un demi-ton… ce son électronique est censé apporter quelque chose de plus aérien, mais lui descend alors que les autres montent.
2’05 : Histoire de ne pas revenir ici directement sur le son électronique « planant », de créer un peu plus de tension (le son électronique, lui, la faisait baisser), j’ai mis cette partie de percussion. A la fois en contraste avec le son « planant », et cohérent avec le rythme tribal (mais aussi le petit passage percussif, autour de 1’00, avec les coups de baguette sur le cercle de la caisse claire – le terme technique est « rimshot »).
2’44 : Le passage avec le son planant dure ici plus longtemps, mais je sentais qu’il manquait quelque chose à cet endroit. Tout, depuis le début, est sombre et grave, je me suis dit qu’il serait pas mal d’introduire là une petite touche d’émotion, un motif mélancolique… d’autant plus que ça permet de préparer l’auditeur à la 2° partie qui sera, elle, plus dans « l’émotion ». J’ai pris le piano pour cela, qui n’avait jusqu’alors qu’une partie limitée…
3’22 : Il me fallait un thème pour servir de transition avec la partie suivante… je ne savais pas grand-chose de ce à quoi elle ressemblerait, si ce n’est qu’elle serait plus lyrique et puissante. Ce que j’ai alors décidé de composer, c’est un thème qui va se développer de cette partie à l’autre… Des thèmes avec les mêmes notes de départ, qui s’enrichiront de nouvelles notes au fur et à mesure…
3’50 : Transition, où l’on retrouve le thème précédent suivi de nouvelles notes… pour la première fois, on quitte le rythme de basse et batterie qui tenait depuis le départ. Je voulais que ce passage donne l’impression qu’on est sur le point de décoller… à la fois dans la retenue, et le mouvement (rythme jouant particulièrement sur les contretemps).
Deuxième partie :
4’09 : C’est là où arrive le thème qui m’a tant posé problème. L’accompagnement de ce thème a été écrit assez rapidement, mais le thème en lui-même, j’y suis revenu de nombreuses fois, sans trouver la solution. Voilà comment il était lorsque j’ai sorti l’album (à 4’09) :
C'était avant le mixage, le son est donc nettement moins bon que sur la dernière version...
Je trouvais que le thème fonctionnait pas trop mal, il était en plus issu de ce qui précédait, donc je ne voyais pas trop comment le laisser tomber pour en écrire un autre… mais le gros problème, c’est qu’il restait beaucoup trop lyrique à mon goût, voire pompeux… dès le début, ça m’a dérangé, et la première chose que j’envisage (et garderai jusqu’au bout), c’est un accompagnement qui « pervertisse » le thème. C’est comme si je me disais à moi-même, d’une manière un peu schizophrénique « Tu tiens à garder ce gros thème lyrique ? Alors je vais le massacrer par l’accompagnement… » Par un accompagnement lourd, sombre, de plus en plus chaotique, comme si ce chaos allait engloutir et détruire ce lyrisme. Le thème essaie de nous tirer vers quelque chose de grandiloquent, mais l’accompagnement va l’étouffer et finalement tirer l’auditeur vers la noirceur… Cet accompagnement, une forme de « bourdonnement chromatique » dans le grave, commence au piano, puis se poursuit avec des sons électro, et enfin avec une guitare saturée. C’est d’ailleurs le seul passage de l’album avec un son de guitare (alors que je suis tout de même guitariste à la base). Et, dans la fin des phrases du thème aux cordes, j’ajoute à chaque fois de nouvelles notes, des harmonies de plus en plus dissonantes… A partir de 5’07, des notes tenues aux cordes viennent s’ajouter au thème, un procédé que j’affectionne particulièrement… comme les coups de timbales, qu'on entend pendant toute cette 2° partie, et qui me viennent de loin, de la BO de Blade Runner (même si ce n'est pas le même rythme)
(première apparition des timbales à 15'') :
Cette idée d’accompagnement qui va faire tomber le lyrisme dans le chaos, ça me plaisait beaucoup… mais, plus tard, en réécoutant le morceau, je continuais à être gêné par ce thème. J’ai essayé de le retravailler de nombreuses manières, mais ça ne me satisfaisait jamais. Je sors tout de même l’album… et une semaine après, c’était vraiment le seul passage de l’album que je n’assumais pas vraiment. J’y suis revenu, et là, j’ai enfin trouvé une manière de le faire sonner qui me convenait. J’ai enfin trouvé comment lui faire perdre le côté lyrique un peu « naïf » qui m’emmerdait pour ajouter plus d'ampleur et de gravité. C’est une question de rythme et de mélodie dans le thème, mais que l’on pourrait presque résumer à une note au fond, un fa (tierce mineure du ré), voire un si qui traînait aussi en même temps que le fa… il suffisait en fait juste de tenir plus longtemps la note précédente, de virer celle-là, et ça change complètement – de mon point de vue – l’impression que suggère le thème. Et d’y arriver, c’était un soulagement, jubilatoire, même... mais aussi un motif de consternation : comment est-ce que j’ai pu avoir tant de mal à résoudre un problème compositionnel finalement si simple ? Alors que dans d’autres morceaux, je suis arrivé à résoudre plus facilement des problèmes plus complexes ? Une bonne leçon d’humilité, au fond…
Il reste une chose qui ne me satisfait pas totalement dans ce morceau : la conclusion (5’45). J’ai là aussi essayé pas mal de choses, j’ai même écrit à un moment une véritable cadence de symphonie classique aux cordes… j’étais fier de ma cadence, qui sonnait bien, je me repasse le morceau pour voir l’effet qu’elle donnait avec l’ensemble… et c’était complètement ridicule. J’ai éclaté de rire tellement c’était grotesque et inapproprié. Finalement, j’ai trouvé une solution de compromis, une cadence plus originale, même si elle me semble un peu trop « sèche »…
Le problème aussi, dans cette 2° partie, c’est qu’on ne distingue pas forcément bien certaines harmonies aux cordes… le prix à payer pour donner cette impression « chaotique ». Pour l’occasion, j’ai isolé la partie de cordes de la 2° partie, juste accompagnée « discrètement » par la batterie dont j’ai baissé le volume :
Pourquoi le morceau s’intitule-t-il Tribal R ? Je compose en général sans « concept », sans chercher à exprimer quelque chose de précis, les images viennent au fur et à mesure. Donc lorsque je sauvegarde les premières esquisses de mes compositions, je leur donne juste un nom tout bête à partir des éléments musicaux utilisés. Par exemple, un morceau avec un piano rapide sera nommé « fast piano »… et « Tribal R » pour rythme tribal… à la fin, je change n général le nom, sauf que j’aimais bien "Tribal R", et puisque je suis souvent revenu sur ce morceau, il s’était imposé avec ce nom dans mon esprit.
Quelles images est-ce qu’il m’évoque ? Qu’est-ce qu’il me raconte ? Je visualise le plus souvent, dans la première partie, une forêt d’un pays du Sud (d’Afrique ou d’Amérique du Sud, selon les jours), mélangé à quelques images du Moyen-Orient. Un phénomène dangereux, mystérieux et indéfinissable s’approche, inéluctablement… puis, 2° partie, surgit de la terre quelque chose de monstrueux qui s'étend en largeur… quoi donc ? J’en sais foutre rien…
Vous me direz, c’est vraiment très vague comme sens donné à une de ses propres compos qui dure plus de 6 minutes… mais lorsque je compose, et lorsque j’écoute mes morceaux, j’essaie de ne pas les enfermer dans des significations trop précises. C’est ce qui permet de garder le plus de liberté dans la manière de faire évoluer un morceau, d’ajouter ou non tel élément, de le transformer en profondeur… bref, de se laisser guider dans l’écriture avant tout par des considérations musicales. C’est aussi pour cela que j’ai toujours été attiré par la musique instrumentale, c’est elle qui nous laisse en général le plus de liberté d’imagination…
L'album à écouter sur bandcamp
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