Jazz – Hip-hop 1995-BMG
Le jazz n’est pas une musique qui se marie aisément avec tout. Le jazz-rock, malgré quelques réussites, a donné une flopée de disques pompeux, vains, qui perdaient en route le swing du jazz et l’intensité brute du rock pour se fourvoyer dans un étalage de technique assommant. Je ne parle même pas de la varièt’, où Jonasz est au jazz ce qu’André Rieu est au classique. Les mariages jazz-électro sont fréquents, avec une poignée de bons albums, mais beaucoup où la greffe ne prend pas.
Il existe aussi des mélanges digestes, des productions bien ficelées, sympathiques sans être transcendantes (St Germain, Norah Jones), et certains, plus rares (comme Amon Tobin, particulièrement dans Permutation, ou Magma, dans un autre genre), qui arrivent à intégrer avec intelligence et inspiration des éléments Jazz à leur musique.
De nombreux samples de Jazz sont utilisés dans le hip-hop, mais rares sont les véritables cross-over, où des rappeurs rejoignent une formation jazz. Un terrain qui reste à défricher, à explorer, ce que n’a pas manqué de faire le génial saxophoniste Steve Coleman (un des jazzmen les plus passionnants de l’époque, pour ne pas dire " le " plus passionnant). Loin d’être une simple curiosité, The way of the cipher fonctionne à merveille, comme si rien n’était plus évident et naturel que de mêler Jazz et rap. C’est un enregistrement live (au Hot Brass, à Paris, en 1995), mais avec une prise de son de grande qualité (pas le genre d’album live pirate ou on a l’impression qu’un seul micro a été utilisé, et placé à côté d’un cancéreux en phase terminale qui n’en finit plus de cracher ses poumons…).
Pourquoi cet album est une vraie réussite ? Parce que le jazz tel que le pratique Steve Coleman est le terreau idéal pour accueillir le hip-hop. Des rythmiques imparables, hypnotiques, un sens du groove hallucinant… Le jazz de Steve Coleman n’est ni un jazz figé dans le passé, répétant inlassablement les mêmes standards et incapable de couper le cordon avec les grandes figures du genre, ni un jazz consensuel avide de reconnaissance et prêt à tous les compromis. Steve Coleman est un artiste radical, insoumis engagé et véritablement concerné par la cause des noirs. Par certains côtés, il est assez proche de l’esprit du be-bop (le jazz des années 40-50, avec Parker, Gillespie…), jazz qui ne voulait plus distraire les blancs, mais exprimer une véritable identité " noire ", notamment par des rythmes trop rapides pour faire danser les blancs et des chorus nullement destinés à charmer l’auditeur. Cet esprit, ce côté " revendicatif ", on le retrouve chez Steve Coleman, mais il est aussi indissociable du rap. Pas étonnant que les deux aient pu se rencontrer et s’entendre à la perfection sur The way of the cipher.
D’ailleurs, la réunion du rap et du jazz fonctionne ici tellement bien qu’on se demande pourquoi l’expérience n’a pas tenté plus d’artistes. Peut-être tout simplement parce que Steve Coleman a placé la barre trop haut…
The way of the cipher
1 Freestyle (14:22)
2 Fast Lane (7:42)
3 Slow Lane (8:02)
4 S-Ludes (1:30)
5 Black Genghis (7:57)
6 Chaos (Tech Jump) (1:49
7 Hyped (3:16)
8 Laxed & Warped (7:47)
9 Night Breed (15:04)
Why give away music ?
Steve Coleman est non seulement un musicien incroyablement supérieur à Zazie (comparaison aussi absurde que de comparer Beethoven à Annie Cordy…), il est aussi bien plus généreux, ouvert et pertinent sur la question du téléchargement. Il faut lire ce qu’il a écrit sur le partage de musique, plein d’humanité et de bon sens, avec un zeste de spiritualité (il est un passionné d’Egypte ancienne, d’ésotérisme, et utilise, comme Bach en son temps, les nombres et leurs significations pour construire ses œuvres). L’article traduit (avec un lien vers l’article original) se trouve à l’adresse suivante :
http://ccomb.free.fr/mp3_philosophy_fr.html
Parce que ces paroles ne sont pas que… de belles paroles, un lien sous le titre permet d’accéder et de télécharger de très nombreux mp3, dont 3 de The way of the cipher, et ses premiers albums en intégralité.