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4 août 2010 3 04 /08 /août /2010 18:37

Les longs discours sur le téléchargement et les majors, j’ai déjà donné. C’est pourquoi je compte maintenant plutôt privilégier, après Edwyn Collins vs Warner, des anecdotes éloquentes sur certains comportements des majors…

Le texte qui suit est extrait de l’ouvrage indispensable – pour tout amateur de musiques électro – de Laurent Garnier, Electrochoc :   

 

« En 1999, Underground Resistance [label essentiel de la techno de Detroit] avait publié le maxi de DJ Rolando sous le pseudonyme de The Aztec Mystic, Knights of the Jaguar. Un disque sublime, éternel, alliant toutes les caractéristiques de la techno de Detroit : le groove, l’expérience, la vitesse, l’émotion, et une certaine magie. Jaguar était instantanément devenu un classique, au même titre que Strings of Life ou No UFOs. Ce disque était le pont idéal entre la house et la techno et à ce titre, son succès fut instantané, abattant les frontières entre les chapelles, s’inscrivant dans les sets de Djs aussi différents que Joe Claussel, Gilles Peterson ou Jeff Mills.
Quelques semaines seulement après la publication de Jaguar, Sony Music contacta Mike Banks et lui demanda l’autorisation de mettre ce titre sur une compilation. Mike refusa, et l’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais plusieurs mois plus tard, des messages d’insultes où Underground Resistance était en substance traité de « vendu » inondèrent la boîte e-mail de UR. Les courriers provenaient parfois d’artistes européens ayant toujours entretenu jusque là un rapport amical avec le label. Mike ne comprenait pas. Il enquêta et découvrit que Sony avait publié une cover (reprise) de Jaguar sans lui demander au préalable, une quelconque autorisation. Une pratique qui, si inélégante soit-elle, demeurait légale, n’importe qui étant en droit d’enregistrer une reprise d’un titre (Satisfaction des Stones, par exemple), pourvu que les royalties soient reversées et les auteurs crédités. Mais un vent de panique traversa le monde de la techno. Un des bastions mythiques incarnant l’intégrité techno avait été trompé, pillé, par une major.

Avec pour seule arme internet, une bataille rangée s’ouvrit, opposant la ténacité de l’underground à l’avidité des cols blancs des multinationales. »

 

Laurent Garnier laisse ensuite Mike Banks s’exprimer sur le sujet :

 

« Notre communauté a des traditions très profondes dans la musique, des choses qui ont survécu à l’esclavage : la vaudou, le pouvoir du rythme, une certaine magie aussi. Et parfois ces choses retrouvent une vie dans le monde réel à travers la musique et les disques. C’est toute l’histoire de Knights of the Jaguar. Le spirituel contre le matériel. Le nom de Aztec Mystic vient de ces restaurants mexicains où on va souvent avec Rolando. Il y a toujours sur les murs ces dessins représentant les vestiges de la culture aztèque. Un soir on était dans un de ces restaurants et avec Rolando on imaginait ce que pouvait être la musique et les mélodies utilisées dans la musique aztèque au plus fort de leur civilisation. Quelle était la part de mystère contenue dans leur musique. Comment elle pouvait sonner. Le résultat, ça a été Jaguar.
Lorsque ces types des majors ont fait la cover de Jaguar ça m’a beaucoup perturbé. Ils n’avaient aucune conscience des raisons pour lesquelles on avait fait ce morceau, aucune conscience de son aspect spirituel. Ce qui m’a choqué, c’est leur ignorance. C’était très bizarre de voir des gens s’approprier un titre sans  en comprendre le contexte et de les voir en faire une version pop commerciale. Je conçois que dans le monde de la musique on se sample les uns les autres, c’est pas un problème, ça fait partie de notre culture. Mais d’être plagié de cette façon, ça m’a fait mal ! Le fait que la cover de Jaguar sorte sur Sony, c’est une chose, mais le nom de l’auteur n’est même pas mentionné sur le disque (ce qui est obligatoire) ! Et ils avaient même choisi une pilule d’ecstasy pour illustrer la pochette !
Les commandos ont commencé à s’agiter sur Internet. Lorsque nous avons découvert l’affaire nous avons tenté de joindre les gens de Sony mais ils ne nous rappelaient jamais. Une pluie d’e-mails de contestation s’est alors abattue sur leurs dirigeants. A ce moment là, ils ont changé d’attitude et nous ont contactés. Soudain ils voulaient trouver un arrangement. Ma réponse a été très simple : « Pas d’arrangement. Retirez ce disque de la vente. » Il n’y avait aucun deal à envisager avec ces types ! Avec cette histoire, je pense que Sony a appris une leçon : internet peut devenir une arme. Puis ils ont essayé de nous berner, ils ont cessé de sortir leur cover en Europe, mais ils ont continué à la vendre en Amérique du Sud. C’était sale ! Mais au delà de l’aspect légal, pour nous c’était une violation spirituelle. »

 

Laurent Garnier : « Le disque de Rolando est devenu un symbole de la résistance techno underground. A travers lui, une communauté s’était mobilisée contre le cynisme des majors. On dit que le harcèlement des internautes défendant la cause de UR fut tel que les numéros de téléphone et les boîtes e-mail des dirigeants de Sony et BMG (qui licenciait la cover) furent littéralement saturés. Ces compagnies de disques tentaculaires n’avaient jamais connu pareille agression. Jaguar fut d’une certaine manière le cheval de Troie de la techno, là pour rappeler que la soul, l’âme de cette musique, n’est pas à vendre, et qu’il n’y a pas d’arrangement possible face aux agressions et aux pratiques vicieuses des gangsters du music-business. »

 

 

Laurent Garnier – David Brun-Lumbert, Electrochoc, 2003, Flammarion, P. 263-267

 

 

The Aztec Mystics - Knights of the Jaguar :

 

 

 

 

 

Je ne résiste pas non plus à vous citer cet autre extrait, lorsque Garnier fait écouter un de ses morceaux à un type de chez Barclay :

 

« Après le silence qui précède généralement la sanction, il jura qu’il trouvait ça pas mal et proposa de le soumettre à son patron, un certain Pascal Nègre, qui mettra fin à cette initiative : « C’est du Jean-Michel Jarre, c’est nul ! »

 

P. 115

 

Nul doute que ce « Pascal Nègre », complètement largué sur cette nouvelle musique au début des années 90, n’a pas pu faire long feu dans l’industrie de la musique…

 

 

A voir aussi sur le sujet :

 

Edwyn Collins vs Warner

 

De la responsabilité des majors dans la crise du disque

 

 

 

 

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