Deux poids deux mesures. D'un côté, tout le monde - politiques de droites compris - fustige les "patrons voyoux", condamne les capitalistes et spéculateurs "irresponsables"... de l'autre, des médias, politiciens, artistes qui accusent les internautes de "nuire à la musique" et prennent fait et cause pour les majors. Pourtant, il suffit de connaître un minimum l'évolution de la musique au XX° pour réaliser que les majors sont directement responsables de la crise du disque. Ils ont tout fait pour en arriver là, et il faudrait que la société paie pour sauver ce qui n'est que "leur" système ?
Le plus insupportable, c'est d'entendre les majors oser nous faire la leçon sur la "diversité culturelle", le soutien aux petits artistes... alors que leur but a toujours été inverse ! C'est comme si McDo se posait en défenseur de la gastronomie.
D'ailleurs, ils sont où ces fameux "petits artistes" sur lesquels voudraient nous faire pleurer les majors ? Dans la liste des 52 qu'ils ont mis en évidence, il n'y a quasiment que de gros vendeurs de disques et des artistes installés, têtes de gondole des majors. Même lorsqu'il s'agit de défendre les "petits", ils ne mettent sur le devant de la scène que des gros. C'est plus fort qu'eux...
Le comble du ridicule, c'est de laisser sur le site "jaimelesartistes" une vidéo où Thomas Dutronc (présenté comme "jazzman"... Parker et Coltrane doivent se retourner dans leur tombe) insister sur le mal que le téléchargement fait aux artistes les moins connus. Pour parler en leur nom, on n'a rien trouvé de mieux que le fils non pas d'une des stars les plus célèbres de la chanson, mais de deux ! Et lui-même un gros vendeur de chansonnettes variétoches. Les majors n'avaient personne d'autre capable de nous expliquer les galères des musiciens qui peinent à se faire connaître ? Le fils de Johnny et Sylvie Vartan n'était sans doute pas libre...
Depuis un siècle, on ne compte plus les griefs que partagent les mélomanes à l'encontre de l'industrie de la musique... mais nous faire croire maintenant qu'elle combat pour la diversité culturelle, c'est surréaliste. Et que des prétendus "ministres de la culture" se plient à leurs exigences en dit long sur le peu de culture de ces ministres...
1 Vendre le plus possible avec le moins d'artistes
La stratégie des majors n'a jamais été de favoriser la diversité culturelle, au contraire. Leur idéal, c'est d'avoir le moins d'artistes possibles capables de vendre le plus de disques. Elles ne sont en rien des mécènes ; entre cinq artistes qui vendent 200 000 albums et un artiste qui en vend un million, leur choix est vite fait. L'objectif est la rentabilité maximale, pas le partage.
Avant le téléchargement, les majors ne produisaient que 20% du total des albums mis en vente... mais touchaient près de 80% des chiffres de ventes. Des milliers de labels indépendants (plus de 500 en France) d'un côté, 5 (puis 4) majors de l'autre... et les 5 empochent 80% des revenus. C'est cette diversité-là que le gouvernement tente de défendre coûte que coûte ?
On ne compte plus les artistes qui ont regretté d'avoir signé chez une major. Un choix qui leur semblait inévitable, le meilleur moyen d'être bien distribué à l'international et de toucher un plus vaste public... sauf qu'ils ont vite déchanté, passant de groupes stars d'un label indépendant à groupes négligés chez une major (ou obligés de lisser et formater leur musique pour que la major accepte de sortir l'album et d'en faire la promo).
Le mépris de la plupart des passionnés de musique pour les majors n'est pas de l'élitisme, c'est juste qu'ils ont lu et entendu des dizaines - voire des centaines - d'histoire de groupes constamment en lutte contre leurs maisons de disques, maisons de disques qui ne respectent pas leurs choix artistiques, ne s'intéressent qu'au potentiel commercial de leurs chansons et tentent de s'accaparer toujours la plus grosse part du gâteau. Combien d'artistes a-t-on entendu dire "lorsqu'une major sort votre premier tube, vous avez l'impression en signant le contrat que c'est vous qui leur devez de l'argent et qu'il en faudra plusieurs autres par la suite pour les rembourser".
Un chanteur qui, après avoir vendu 100 000 exemplaires d'un de ses morceaux, se retrouve au RMI en n'ayant touché que 477 euros de sa maison de disques, un groupe qui a vendu 2 millions d'albums, n'a rien reçu pour cela d'EMI qui - ces gens-là n'ont pas de scrupule - estime que le groupe leur doit 1,4 millions de dollars de dette et réclame 30 millions de dollars de dédommagement... "Les labels s'arrangent souvent pour qu'à chaque nouvel album, l'avance soit supérieure aux recettes du précédent, de façon à ce que les artistes touchent le moins possible et soient obligés de continuer à enregistrer chez eux. C'est le cercle infernal." (voir l'article sur numerama)
Les artistes qui militent au côté des majors pour Hadopi sont victimes du syndrome de Stockholm... ou sont atteints de servilité aiguë (les deux ne sont pas incompatibles).
2. Erreurs fatales de stratégie
Pourquoi faudrait-il absolument sauver une industrie incapable de prendre le train en marche d'une des plus grandes révolutions technologiques de l'histoire ?
Les maisons de disques n'ont pas su s'adapter à temps, utiliser au mieux ce formidable outil de diffusion de la culture qu'est internet et, pire encore, ont réagi en accumulant les erreurs stratégiques.
- Aucune alternative au CD. Fin des années 90, la plupart des mélomanes avaient fini de racheter en CD leur discothèque. Il fallait s'attendre à une baisse conséquente des ventes. Nouvelles technologies, arrivée du DVD... le CD vieillissait, mais l'industrie du disque n'a pas su le remplacer par un format attrayant, ni baisser les prix alors que le coût de production d'un CD avait nettement baissé. Les SACD étaient trop chers, demandaient à renouveler son matériel hi-fi sans que la différence de qualité sonore soit considérable...
- DRM. Lorsque les majors se décident enfin à mettre leur catalogue en vente sur internet, elles imposent un procédé qui a de quoi dégoûter ceux qui tenaient vraiment à payer pour leurs productions : les protections anti-copies ou DRM. D'un côté existe la possibilité de télécharger "illégalement" et de faire ce que l'on veut des mp3, de l'autre, on paie, mais on ne peut les copier à loisir ni les lire sur tous les lecteurs. Lorsque la contrefaçon est de meilleure qualité que "l'original", c'est l'entreprise qui doit s'interroger sur ses produits...
- Criminalisation des clients. De nombreuses études l'ont montré, les plus grands téléchargeurs de musique sont des passionnés et ceux qui achètent toujours le plus de disques. L'industrie n'a pas su le prendre en compte ni faire la distinction entre ceux qui téléchargent gratuitement pour découvrir et achètent s'ils aiment vraiment, et ceux qui téléchargent pour ne plus payer. Etre traité de "pirate" et de "fossoyeur de la musique" lorsque vous continuez à acheter 5 à 10 albums par mois, voilà de quoi vous faire réfléchir à deux fois avant de racheter un disque d'une industrie qui vous criminalise.
"Pourquoi les consommateurs achèteraient-ils nos disques alors qu'ils peuvent écouter de la musique gratuitement ?" Cette phrase que l'on a entendu de la part des majors ne date pas des années 2000 et de l'arrivée du net... mais des années 1920 et de l'arrivée de la radio. Les maisons de disques ont souffert un temps de cette nouvelle technologie, mais ont su faire avec, réagir, améliorer la qualité de leurs disques, trouver des terrains d'entente, et prospérer.
En 1979, on nous expliquait que la K7 allait "tuer la musique"... les deux décennies suivantes n'ont jamais été aussi bénéfiques pour l'industrie (sans parler de maisons de disques, comme Sony et Philips, qui vendaient le matériel et les supports pour copier la musique). Même refrain avec les graveurs de CD.
Lorsque l'industrie du disque s'est emparée du net, elle l'a fait soit au détriment de ses clients (DRM), soit au détriment des artistes eux-mêmes... en ne payant pas de royalties tout d'abord (ou très peu) à leurs artistes sur la musique vendue en ligne, et même en contrôlant totalement leurs sites web :
le contrat donne aujourd'hui la possibilité à Universal de s'approprier la communauté de l'artiste. Il prévoit en effet que l'artiste "reconnaît, sans restrictions ni réserves, que la SOCIETE (Universal, ndlr) est seule propriétaire du Site ARTISTE, en particulier de tous éléments, de toutes informations relatives à ses usagers ainsi que de tous droits qui y sont attachés de manière directe ou indirecte". Toutes les bases de données d'adresses e-mail de fans collectées par Universal, tous les messages des forums officiels des artistes, toutes les images ou vidéos postées par la communauté restent ainsi la propriété d'Universal Music, qui n'a pas a priori l'obligation de les rétrocéder à échéance du contrat. (source : numerama)
Vous êtes un artiste signé chez Universal, vous désirez créer un petit site web pour parler de vous... tous les noms de domaines avec votre propre nom sont la propriété d'Universal, 92% des recettes publicitaires doivent lui revenir, et elle a le droit de disposer de toute votre base de données d'amis et de fans. Quand on vous dit que les majors travaillent avant tout dans l'intérêt de l'artiste...
3. Mépris de la musique et de l'artiste
Des chansons stupides, racoleuses, mièvres, il y en a toujours eu. Mais les années 80 marquent un véritable tournant de ce point de vue, une nouvelle donne musicale où règneront le marketing et les pires produits industriels et commerciaux. Si la vague disco annonçait déjà à la fin des années 70 cette nouvelle ère de paillettes et de tubes insipides et bêtas, ce n'était rien face à ce qui allait suivre.
Le problème, quand un artiste vend beaucoup, c'est qu'il risque de vouloir renégocier son contrat, se montrer trop gourmand et - scandale - toucher autant d'argent sur sa musique que la major qui l'a signé. Les majors ont trouvé la parade imparable : le "one-shot", l'artiste jetable... un pantin à qui ont fait chanter un gros tube niais, et qu'on jette dès qu'il passe de mode. Aider un groupe à se développer, à évoluer, ça demande du temps et de l'investissement, ça ne cadre que très peu avec l'impératif de rentabilité maximale des majors... il en faut quelques-uns pour avoir un peu de "prestige" dans son catalogue, mais un minimum, mieux vaut investir massivement sur les coups marketing juteux.
On a eu droit à tout dans ces foutues années 80, la pire décennie pour la musique, la meilleure pour les majors. Un concept de grande classe : "la chanteuse aux gros seins"... Samantha Fox, Sabrina... ce qui était mis en avant - c'est le cas de le dire - était en premier lieu leur poitrine généreuse. Puis des gamines (Elsa, Vanessa Paradis), des David et Jonathan, un footballeur (Jean-Pierre François), les premiers boys-band (New Kids on the Block), les consternants "Débuts de Soirée", Forbans, Licence IV, Partenaire Particulier, Karen Chéryl, Bros, Rick Astley, Kylie Minogue, Stéphanie de Monaco... pas eu besoin de faire des recherches pour les citer, j'étais un enfant qui écoutait en boucle la radio - pas d'internet, on n'avait pas le choix et on devait écouter les pires daubes musicales - et même si je les détestais, je ne pouvais échapper à leur matraquage. Alors que je n'ai jamais entendu parler durant cette décennie des Smiths, de Sonic Youth, des Pixies, Cocteau Twins, de tous ces groupes indépendants et exigeants que l'on considère maintenant comme fondamentaux dans l'histoire du rock. C'est cette diversité culturelle-là que défendent les majors et le gouvernement ? Avoir le choix entre Samantha Fox et les Forbans ?
Les ondes étaient saturées de tubes médiocres, qui tournaient en boucle, ne laissant que très peu de place aux vrais artistes... Depeche Mode et Cure n'étaient que des exceptions.
La musique vue par l'industrie dans les années 80 donnait l'impression que tout ce qui comptait... ce n'était pas la musique, mais l'apparence. On prend une fille sexy (si elle ne chante pas vraiment bien, c'est accessoire, on pourra toujours retravailler sa voix au mixage et la faire chanter en playback). Pas la peine de s'embarrasser de groupes pour l'accompagner et de payer des musiciens, on mise tout sur les boîtes à rythmes et synthés. Mépris de l'artiste, négligé au profit de pantins qui ne sont que des produits jetables, mépris de la musique, qu'on n'imagine plus vendre sans vidéo-clip.
On ne dira jamais assez le mal qu'a fait le clip à la musique. Suggérant, par ses débauches de moyens, sa volonté de raconter des histoires - parfois sans lien réel avec les paroles - que la musique ne se suffit plus à elle-même, qu'elle doit s'accompagner d'images, de filles sexy et de beaux mecs pour toucher vraiment le public. La priorité des majors, c'était le tube et le clip qui va avec. L'impression dominante, chez les amateurs de musiques, était que l'album devenait un produit secondaire, fait à la va-vite, pour capitaliser sur un tube et un clip qui se vendent bien. Les albums avec deux tubes et 8 chansons qui ne sont que du pur remplissage étaient la règle. Tout est dans le packaging... le contenu n'est qu'anecdotique.
Le consommateur se faisait avoir par l'industrie, et on s'étonne qu'il soit maintenant méfiant et préfère écouter un album, quitte à le télécharger illégalement, avant de l'acheter. Les majors ont tellement contribué à faire de la musique un produit de bas-étage qu'il est normal qu'on en arrive à une situation où le public n'ait plus le respect qu'il pouvait avoir pour les oeuvres musicales.
Les années 90 n'ont pas été beaucoup plus reluisantes... dance-music au kilomètre, boys-band ridicules, Spice Girls, Ophélie Winter, Obispo, tubes de l'été, compils, on fait même chanter des bébés (Jordy)...
Il faut reconnaître une chose aux majors, c'est leur étonnante capacité à tomber toujours plus bas. On pensait que Jordy et les boys-band des années 90, ça ne pouvait être pire... mais si, ils l'ont fait, avec des émissions de type "Star Academy". Ils n'ont même plus à payer pour apprendre à un pantin un minimum de chant et de danse, pour lancer une étude sur son potentiel charismatique, le téléspectateur fait une partie de son travail en appelant des numéros surtaxés. On franchit une nouvelle étape dans le développement "d'artistes" préfabriqués...
Pascal Nègre qui parade à la star academy et vient nous expliquer qu'il lutte pour les "petits artistes"... on comprend mieux ce que sont les "petits artistes" pour les majors. Sûrement pas des musiciens exigeants, audacieux... mais des pantins encore peu connus qui pourraient bien servir leur soupe à l'avenir.
4. Les gros mangent les petits
Un des arguments les plus fallacieux des majors, c'est de nous faire croire que "les plus gros financent les plus petits", que le succès des tubes de leurs pantins rapporte des sommes qui seront reversées aux artistes moins médiatisés. Face à ça, toute personne de bon sens répondrait "pourquoi ne pas carrément médiatiser ces artistes au lieu de leur laisser des miettes ?" Mais c'est une question que ne semblent pas se poser les médias comme le gouvernement.
Les gens écoutent ce qu'on leur donne, c'est aussi simple que ça. Il n'y a rien dans notre code génétique qui nous prédispose à préférer la musique de Britney Spears à celle de Mozart, celle de Rihanna à Billie Holiday, les chansons d'Obispo aux chansons de Sufjan Stevens. Tout est question de conditionnement. C'est pourquoi certaines musiques "exotiques" peuvent nous sembler étranges, difficile d'accès... alors qu'elles sont bien plus abordables, évidemment, que nos "tubes" pour ceux qui ont baigné dans ces musiques. Les majors ont d'ailleurs elles-mêmes utilisées le "piratage" pour leur profit (et là, on peut vraiment parler de "piratage", contrairement au cas d'individus qui téléchargent pour découvrir de nouveaux albums)... Elles ont senti que le marché chinois allait devenir très profitable et les majors américaines ont fait parvenir en masse dans les années 90 des copies pirates de leurs produits sur le marché chinois, pour les habituer à cette "culture occidentale", et espérer qu'une fois la Chine convertie aux joies de la consommation, elle se tournera vers leurs oeuvres (cf. Aymeric Pichevin : Le Disque à l'Heure d'Internet).
Si les majors avaient mis en valeur des groupes plus exigeants, si elles les avaient matraqués autant qu'elles l'ont fait avec leurs productions médiocres, ces groupes auraient eu la place qu'ils méritent. Mais voilà, elles n'ont cessé de nous entraîner vers toujours plus de facilité, de niaiserie... et des artistes aux mélodies pourtant séduisantes se trouvaient relégués dans la catégorie "musique pointue"... Elliott Smith était en France réservés aux lecteurs des Inrocks et à une petite frange d'amateurs de rock.
Que l'on n'imagine pas que Sonic Youth puisse passer en heavy-rotation sur la bande FM, je veux bien (et je le regrette), mais que l'on estime que des mélodistes pop aussi talentueux qu'Elliott Smith ou Neil Hannon ne soient pas capables de plaire au grand public, c'est la conséquence d'une politique d'abrutissement et de nivellement par le bas considérable. Où est la diversité culturelle lorsque même de bons groupes pop sont considérés comme trop "segmentants" ?
Les majors investissent des sommes colossales dans la pub, et la plus grande part de ces sommes... pour la promotion d'artistes installés et de chanteurs-kleenex, qui sont déjà multi-diffusés en radio et n'ont donc pas besoin de toute cette pub pour vendre déjà beaucoup. L'intérêt des majors, c'est que soient matraqués quelques-uns de leurs gros tubes, pas que tous ses artistes puissent se faire entendre.
5. Labels indépendants, dommage collatéral et disquaires
Si l'idée d'une fin du règne des majors sur la musique a de quoi enthousiasmer les mélomanes, personne ne peut vraiment se réjouir du fait qu'elles entraînent les labels indépendants dans cette chute, voire même qu'ils en souffrent plus qu'elles. Mais si c'est le prix à payer pour que les majors perdent leur emprise sur la musique...
Les labels indépendants ont aussi leur part de responsabilité dans leurs difficultés actuelles. Eux non plus n'ont pas su s'adapter rapidement au net. Ils avaient pourtant une chance inespérée, celle de ne plus être tributaire des majors pour la distribution, de ne plus se soumettre à leur bon vouloir sur ce plan-là, de se faire mieux connaître à l'international, de créer des liens plus forts avec leurs clients, de faire leur promotion sans trop dépenser en pub... mais la plupart n'ont pas su en profiter intelligemment.
Ils auraient aussi pu se liguer, se montrer beaucoup moins complaisants et soumis face aux majors.
Des quotas de chansons françaises ont été imposés aux radios... mais quel intérêt pour la diversité, lorsque les artistes français diffusés ne sont que de mauvais clones de chanteurs de variété internationale ? Les indépendants auraient dû se battre pour un quota de leurs artistes diffusés en radio... où est la diversité culturelle quand tant de radios, ayant passé des contrats avec les majors, ne passent que leurs produits et rien de ceux qui sortent 80% des albums ?
On s'inquiète du sort des indépendants... mais qui s'est inquiété du sort des disquaires ? Les disquaires étaient généralement de vrais passionnés de musiques, qui prenaient le temps de discuter avec leurs clients, qui savaient les conseiller, qui les connaissaient... rien à voir avec les FNAC et Virgin où les vendeurs sont là... pour vendre, pas pour discuter. Ils étaient près de 3000 dans les années 70, et, avant même que le téléchargement n'ait le succès que l'on connaît, il n'y en avait plus que 270 à la fin des années 90. De 3000 à 270... une "crise" bien plus grave que celle de l'industrie du disque, mais on n'a pas beaucoup entendu les majors s'en plaindre. Les arguments qu'ils utilisent maintenant "perte d'emploi dans l'industrie du disque", "danger d'un manque de diversité"... auraient très bien pu servir pour alerter de la disparition des disquaires, mais non, ce n'était pas dans l'intérêt des majors, alors on les a laissé crever. Non seulement ce n'était pas dans leur intérêt de les aider, mais elles ont surtout leur part de responsabilité dans la disparition des disquaires.
Les disquaires sont trop nombreux, ne vendent pas suffisamment chacun, on ne peut les contrôler... l'intérêt des majors a été de permettre que la vente de disques en supermarché soit autorisée. Il est beaucoup plus rentable pour elles de traiter avec des chaînes de supermarchés et des FNAC, de leur imposer quelques disques en têtes de gondole. Avant le téléchargement, plus de 50% des disques étaient achetés en supermarché (une spécificité française). Au moins dans un supermarché, on peut imposer Zazie et Obispo en tête de gondole, et ne pas voir un disquaire hirsute dire au type qui s'approche de la caisse "T'es sûr que tu veux acheter ça ? Parce que si t'aimes la pop, je te conseille plutôt l'excellent Promenade de Divine Comedy, sorti chez Setanta Records".
Les supermarchés, c'est l'idéal des majors... la musique comme produit de consommation courante, quelques gros vendeurs mis en évidence, et très peu de choix.
Cette logique de concentration et le manque de diversité culturelle ne sont en rien des causes du téléchargement, ils découlent tout simplement de la politique menée par les majors depuis maintenant longtemps.
Les labels indépendants ne sont pourtant pas voués à disparaître, ils peuvent toujours trouver des moyens pour profiter du net... (l'occasion d'un prochain article). Mais entendre certains indés dire que le téléchargement est leur principal problème, c'est assez grotesque. Leur problème "majeur" est et a toujours été ces majors qui ne leur laissent que des miettes, qui tirent toute la musique par le bas... ne pas le réaliser et ne pas le combattre, c'est avoir une mentalité de "soumis".
6. Les majors ne nous aiment pas, nous le leur rendons bien
Le ressentiment des passionnés de musique à l'encontre des majors a donc des causes légitimes et profondes. Existe-t-il beaucoup d'autres secteurs que la musique où les leaders du marché témoignent d'autant de mépris pour leurs plus fidèles clients ?
Petit exemple personnel... même lorsque je faisais attention à privilégier les indépendants et à me fournir le moins possible chez les majors, j'achetais toujours 10 fois plus de disques de leurs artistes que la moyenne des français. Pas difficile, sachant que la moyenne était, avant l'arrivée du net, de 2 disques par personne achetés chaque année. A en croire certains discours, tout le monde achetait beaucoup de disques avant le net et ce "fléau" qu'est le téléchargement illégal. Faux, bien entendu, la grande majorité des gens achetait très peu de disques, voire pas du tout. Mais ce ne sont pas les milliers de mélomanes qui intéressent les majors, leurs cibles, ce sont plutôt les acheteurs occasionnels - bien plus nombreux - et les ados.
50 000 passionnés qui s'emballeraient pour un disque pointu, ça ne fera que 50 000 ventes. Pour atteindre le million dans l'année, il faudrait produire 20 groupes de ce genre... ce n'est pas rentable, ça demande trop d'investissements... le plus simple, c'est de privilégier un artiste très "commercial", concentrer l'essentiel des efforts et de la promotion sur lui, et là, on touche les millions d'acheteurs occasionnels et le jackpot par la même occasion.
L'autre cible, ce sont les ados... notamment les filles. Un producteur de boys-band expliquait avec cynisme qu'il fallait surtout viser les filles, un marché plus intéressant pour la vente de produits dérivés (T-shirts, accessoires divers, posters, magazines genre "fan de"...)
La musique dominante, celle qu'imposent les majors, est à l'image du public qu'ils visent. Une musique simpliste pour ados et acheteurs occasionnels, les cibles les plus moutonnières, faciles à manipuler. On soigne le packaging, on lance de grosses campagnes de pub pour marteler que tel artiste est l'artiste à connaître, à écouter, on le fait passer en boucle en radio... et ça marche. Comme le disait Coluche : "ça va être interdit la vente forcée comme ils font là. Parce que si on vous passe des conneries, des conneries toute la journée, vous finissez par les acheter, hein."
Il avait entièrement raison sur ces "conneries que les gens finissent par acheter"... mais, malheureusement, tort sur le fait que ce type de vente forcée serait interdit. Non seulement on ne l'interdit pas, mais le gouvernement ne cesse lui-même de défendre ce système-là.
Les majors sont dans une logique de concentration, mais aussi de meilleure intégration possible. Il leur faut être présentes sur tous les marchés, racheter des catalogues, des labels. Mais leur idéal de "diversité culturelle", c'est surtout de vendre beaucoup de rock variétoche (Superbus), rap variétoche (MC Solaar), chanson variétoche (Obispo, Goldman), metal variétoche (Evanescence), électro variétoche (David Guetta, Bob Sinclar), classique variétoche (Rieu, Pagny), jazz variétoche (Thomas Dutronc)...
Bien sûr, elles signent aussi quelques vrais bons groupes... à condition qu'ils leur assurent un certain nombre de ventes, et parce qu'il est tout de même non négligeable pour elles d'avoir quelques artistes de "prestige" dans leur catalogue.
S'il fallait trouver un bon côté dans les produits des majors... ce serait par exemple leurs nombreux coffrets de grandes interprétations classiques. A l'image d'Universal qui a racheté l'illustre label classique Deutsche Grammophon, elles disposent souvent des enregistrements de référence. Elles sortent beaucoup de coffrets à des prix intéressants (les coffrets 4-5 CD d'EMI à moins de 15 euros, par exemple...) Mais si le consommateur a de quoi s'en réjouir, cette politique pose un sérieux problème aux jeunes interprètes classiques. Vous désirez acheter des sonates de Beethoven... pourquoi choisir un CD à 18 euros d'un jeune interprète contenant 2 ou 3 sonates, si vous pouvez trouver un coffret de l'intégrale des sonates par un grand pianiste en 4 CD pour 15 euros ? Les politiques de rééditions constantes nuisent gravement aux nouveaux interprètes classiques.
La diversité culturelle est incompatible avec la stratégie des majors. Dans un monde musical archi-dominé par leurs produits (plus de la moitié des revenus de l'industrie pour seulement 2 majors, Sony/BMG et Universal, 80% pour les 4), être un grand passionné de musique vous laisse la curieuse impression d'être un "paria"... et lorsqu'on a l'impression d'être un paria, le téléchargement illégal ne fait pas peur. En ciblant les ados et acheteurs occasionnels, les majors se sont coupées des passionnés. Tout se passe comme si elles faisaient tout pour nous exclure. Matraquage de produits formatés et de tubes insipides, artistes-kleenex mis en valeur, contrats avec les radios, mépris des indépendants, ventes en hypermarchés privilégiées et disparition des disquaires, rachat d'artistes talentueux qu'elles négligent ou pressent comme des citrons... criminalisation des internautes qui téléchargent pour découvrir au même titre que ceux qui téléchargent pour ne plus acheter... pourquoi les majors n'ont jamais fait la distinction entre les deux ? Parce que les passionnés qui ont difficilement accès à des oeuvres plus pointues, c'est le dernier de leur problème. Ces gens-là ne les intéressent pas. Pour elles, le consommateur, c'est un mouton qui achète peu de disques, mais qu'il faut arriver à convaincre d'acheter les têtes de gondoles.
Les majors misent tout sur "l'achat impulsif". Leur idéal, c'est le consommateur lambda, qui fait ses courses en hypermarché, voit en évidence le nouveau Zazie sur les présentoirs... il a cette rengaine du dernier tube de Zazie en tête (normal, il l'a entendu 3 fois à la radio dans la matinée), a vu la pub télé sur cet "album événement", la pochette est attrayante... il achète.
Mais le passionné de musique, qui va chez son disquaire favori pour acheter tel groupe dont il a entendu dire beaucoup de bien dans divers journaux, qui passe du temps à écumer les bacs, tombe sur un import d'un groupe qu'il affectionne, passe au rayon jazz et se dit que sa discothèque manque cruellement d'albums de Thelonious Monk - tout de même plus essentiel que le dernier groupe rock indie plébiscité par la presse - discute avec son pote disquaire qui lui conseille vivement tel obscur groupe post-rock... il peut très bien ressortir avec 3 disques d'occasion, mais sûrement pas le dernier Zazie pour lequel Universal a dépensé une fortune colossale en promo.
Lorsque vous entendez, actuellement, des patrons de majors et gros vendeurs dire que leur problème principal dans leur lutte contre le téléchargement n'est pas Zazie, qui vendra toujours des disques, mais les petits groupes plus fragiles... ce n'est pas vrai. Ils ont l'habitude de perdre de l'argent sur la plupart de leurs disques - et ce, même avant l'arrivée du web - mais ce n'est pas un gros problème pour eux. Ils n'investissent pas des sommes folles pour ceux-là, et espèrent juste qu'un jour qu'un jour ils leur permettront de leur rapporter du fric. Un artiste qui vendait 50 000 exemplaires de ses albums et n'en vend plus que 30 000, ça ne les dérange pas plus que ça (mais ça ne les empêchera pas de s'en servir comme bonne excuse pour le virer). Non, ce qui les dérange véritablement, ce sont les baisses des ventes des têtes de gondoles et coups marketing, sur lesquels ils misent tout, et qui sont censés leur faire toucher le jackpot. Leur souci n'est pas que Britney Spears gagne ou non de l'argent avec sa musique, il est qu'elle leur en rapporte le plus possible et que chacun de ses albums puisse être le plus rentable possible.
Il ne faut jamais perdre de vue que leur politique, encore une fois, est à l'opposé de toute idée de diversité culturelle. Ce qu'elles privilégient, ce sont quelques méga-stars internationales qui doivent occuper tout l'espace musical, puis quelques grosses stars nationales bien installées... par contre, un monde où un maximum d'artistes auraient le même accès aux médias, se partageraient les revenus... c'est leur pire cauchemar, cela va à l'encontre de leur optique de rentabilité maximale. Quatre majors qui se partagent 80% des revenus, quelques artistes qui touchent le jackpot et font des disques hyper-rentables... voilà leur vision de la musique. Le net aurait pu bouleverser ce rapport de force, mais le gouvernement a choisi son camp.
Le combat pour la diversité culturelle, je suis totalement pour. Mais faut pas se tromper d'ennemi, l'ennemi de la diversité, de la qualité, de l'exigence, ce ne sont pas les internautes, ce sont avant tout ces 4 majors qui détiennent le monopole de la musique sur toute la planète...
Si vous aimez les longs articles sur la question... je vous conseille ceux d'Arbobo :
Les Indépendants ou la victoire d'Internet
Le mp3 a-t-il vraiment tué le CD