Bad Boy Records / Warner 18/05/2010
Une intro avec applaudissements, orchestre symphonique et choeurs... un concept album... une pochette kitsch... du r'n'b "moderne"... une production raffinée et très propre... une reprise du fameux Clair de Lune de Debussy... des solos de guitare (en 2010 ? quelle idée...) n'en jetez plus, on a assassiné des albums pour 10 fois moins que ça. The ArchAndroid accumule les tares et fautes de goût pour tout rockeur digne de ce nom.
Mais qu'on l'aime ou pas, cet album est un... régal. Un régal pour les critiques, car il donne en apparence tous les bâtons du monde pour se faire battre. Il est tellement facile de taper dessus, tellement facile de sortir les gros mots "kitsch", "surproduit", "boursouflé" etc... Mais cela relèverait de la posture, voire même de l'imposture, musicale autant que politique (je déconne, là, hein, c'est juste un clin d'oeil à cet article...) Un régal, donc, pour les critiques qui peuvent, à peu de frais, s'en donner à coeur joie... et un régal, aussi, pour tous ceux qui sont capables, parfois, de laisser leurs habits d'esthètes pointus de côté pour s'abandonner simplement au plaisir d'écouter de la très bonne musique pop. A partir du moment où l'on estime que la pop, ça peut être juste léger, coloré, varié, séduisant, agréable... il n'y a pas de raisons de bouder son plaisir. Esthétisme vs hédonisme...
Quel que soit l'avis que l'on ait sur cet album, je ne vois pas trop comment on pourrait nier son efficacité, sa maîtrise et sa générosité. Il y a tant d'albums, même des bons, avec 2-3 titres plus ou moins intéressants et une dizaine d'autres qui ne sont que des redites, tant d'albums basés sur très peu d'idées musicales (et pas toujours bien exploitées), tant d'albums bâclés (par manque de temps, ou, plus grave, d'inspiration), et tant d'arnaques dans les albums pop grand public, avec deux tubes et 10 titres de remplissage... Rien de tout cela ici, bien au contraire. Bien sûr, il y a quelques moments un peu plus faibles sur l'album (notamment à la fin, et, à mon sens, surtout Make the Bus - feat. Of Montreal - et Wondaland). Mais des idées, variations, mélodies imparables, instrumentations riches, cet album en fourmille... en déborde, même. Alors si vous ne jurez que par la sobriété et l'austérité en musique... fuyez...
Une production bluffante, qui permet à chaque nouvelle écoute de découvrir toujours de nouveaux éléments, et d'admirer autant sa diversité que la cohérence de l'ensemble (l'enchaînement des premiers morceaux est assez remarquable, ils semblent vraiment couler de source). Janelle Monae aime brouiller les pistes. On imagine avoir affaire à du r'n'b, puis de la pop, du soul-funk, de l'électro etc... elle emprunte à tous ces genres sans tomber dans l'exercice de style ; elle se déplace avec grâce de l'un à l'autre et crée "sa" musique. Et dire que ce n'est que son premier album...
J'en entends déjà certains s'interroger... "Comment peux-tu fustiger Muse, qui reprend du Chopin, et encenser Janelle Monae, qui reprend du Debussy ? Comment peux-tu taper sur la boursouflure du rock prog, du metal symphonique, et parler ici de générosité ?"
C'est tout simple. Il y a une énorme différence, qui tient en deux mots : légèreté et fluidité. C'est bien cela qui sauve Janelle Monae des envolées pachydermiques des autres. Ce n'est pas une musique qui nous gueule "We are the Champions of the Word", mais qui reste toujours suffisamment légère, groovy, ludique, peu importe les intentions et le concept. La "jurisprudence Beatles", en quelque sorte... la musique pop peut être ambitieuse, généreuse, emprunter à tous les genres, se baser sur des concepts et un gros travail de production tant qu'elle n'oublie pas ce qui fait sa force et son charme : légèreté, fluidité, immédiateté.
Si je ne vous ai pas convaincu d'y jeter une oreille... sachez que Systool et Mlle Eddie ont été encore plus emballés que moi. Leurs chroniques :
Et l'on pourrait difficilement nous accuser d'être les blogueurs musicaux les plus accros à ce genre de pop (à nous trois, il faut aussi ajouter Dahu et El Funcionario...) Il faut vraiment que cet album soit d'une qualité peu commune pour avoir réussi à nous séduire autant (que fait le label ? on attend au plus vite sur l'album des stickers "écouté et approuvé par Mlle Eddie, Systool, Dahu Clipperton, El Funcionario et G.T."...)
L'album en écoute sur deezer.
Si vous ne deviez écouter que deux titres... je vous recommande BaBopbyeYa, qui mêle John Barry, swing, Broadway, pop et cabaret avec un talent rare, et le groovy Tightrope.
La légèreté et la fluidité sont autant dans la musique et le chant de Janelle Monae... que dans sa façon de danser, comme le prouve le clip de Tightrope :