Je n’étais pas à Cannes (personne n’a eu la riche idée de m’y inviter…) et n’ai donc pas vu les films projetés. Ce qui ne m’empêchera pas d’en parler. Ou plutôt de vous faire part d’une certaine perplexité face au palmarès. Les 4 films récompensés, Le vent se lève, Flandres, Volver et Indigènes ont tous en commun le fait de s’intéresser à des couches particulièrement défavorisées de la population. Et dans 3 de ces films, ils serviront de chair à canon. Ce qui est quelque peu dérangeant, ce n’est pas ces films en eux-mêmes, mais le cadre de leur diffusion.
Cannes, c’est évidemment la foire aux vanités, des actrices glamour qui prennent la pose dans des robes luxueuses et se noient dans des rivières de diamants, des " happy few " logés gratuitement dans de somptueuses suites d’hôtels, des stars et gens du cinéma qui gagnent des sommes astronomiques… et tout ce petit monde, après avoir minaudé sur les marches, se retrouve entre gens de bonne (et haute) compagnie dans de magnifiques salles de cinéma à regarder de pauvres miséreux se débattre pour survivre aux situations les plus tragiques…. avant de courir dans les fêtes dédiées à ces mêmes films se gaver de mets raffinés entre deux coupettes de champagne.
Tout ça n’est pas bien grave, mais laisse une impression bizarre. Impression d’être dans un livre de Science-Fiction, avec une humanité divisée en deux. Des ultra-favorisés, qui ont la gloire, la beauté, des métiers amusant, l’accès à toutes les richesses, se divertissent du spectacle de l’autre partie de l’humanité, les ultra-défavorisés, confrontés, eux, aux pires malheurs.
On parle souvent de la schizophrénie de Cannes, avec d’un côté le glamour, les starlettes, les " people " et de l’autre un cinéma d’auteur exigeant. On pourrait donc aussi parler d’une double schizophrénie, en ajoutant ce fossé entre deux mondes, celui " dans la salle " et celui " sur l’écran ". Ceux qui étaient dans la salle ont une vie tellement " irréelle " que le spectacle virtuel des défavorisés les ramènent à une certaine forme de réalité, leur permet de redescendre sur terre. Comme si les humains " réels " étaient en fait ceux sur l’écran, pas dans la salle.
Les ultra-favorisés regardent-ils le petit peuple comme ce dernier les observe, fasciné, via les magazines people ? Est-ce un nouveau genre d'exotisme ?
Marrant, en contrepoint, que Marie-Antoinette de Sofia Coppola, pourtant un des films les plus en vu et les plus apprécié des critiques, n’ait eu aucun prix. Car Marie-Antoinette, c’est finalement le reflet d’une grande partie des VIP du festival. Elle jouit d'incroyables richesses et privilèges, elle est observée en permanence par la foule… marrant aussi qu’une des principales critiques entendue au sujet de ce film à Cannes est qu'il manque d’authenticité. C’est sûr que la vie dans les palais du festival doit être tellement plus authentique. Une autre critique récurente est que Sofia Coppola ne montre rien de la révolution française, du peuple qui souffre. Entre deux louches de caviar, les festivaliers ont impérativement besoin de leur dose de misère humaine ? La culpabilité les ronge au point qu'ils ne peuvent se regarder dans un miroir et qu'ils se sentent obligés du coup de se donner bonne conscience ?