Ecrire sur l’album d’un ami n’est jamais facile. Si l’album est bon, on a tendance à le survendre, et, s’il est mauvais, on se retrouve face à un cruel dilemme : se ridiculiser en le parant de qualités qu’il n’a pas, ou dire la vérité à ses lecteurs et se fâcher avec son pote. Fort heureusement, le Reverend ne m’a pas encore placé face à un tel dilemme, il a la bonne idée de ne sortir que de bons albums. S’il y a une chose que je pouvais reprocher à son premier et précédent album, c’est qu’il n’était composé que de reprises (mis à part un instrumental). C’est un grand interprète (il faut le voir en live), multi-instrumentiste et doté d’une voix exceptionnelle, mais à une époque où il est si dur de se faire une place dans le rock, n’être qu’un excellent interprète n’est pas suffisant. Il est d’ailleurs amusant de constater que la fascination pour les interprètes se retrouve avant tout dans les deux publics « extrêmes » : amateurs de classique et jazz d’un côté, et de variétés bas de gamme (pléonasme) de l’autre (d’où les émissions débiles de télé-réalité musicale où tout le monde se fout des créations de l’un ou de l’autre, et ne se soucie que de prestations, prouesses vocales, interprétations de tubes archi-connus).
J’ai beau être un grand passionné de classique, je n’ai jamais eu cette fascination pour les interprètes. Bien sûr, avec le temps et l’habitude, on apprend à connaître et apprécier quelques grands interprètes plus que d’autres, on cherche différentes versions de ses œuvres favorites pour trouver celles qui nous conviennent le mieux, mais, contrairement à la majorité des passionnés de classique, ce qui m’intéresse est presque exclusivement les compositeurs et leurs œuvres. Le cas du jazz est un peu différent, puisque l’interprétation est au centre, elle est elle-même composition… mais même en jazz, j’aime plus particulièrement les « vrais » compositeurs (Ellington, Mingus).
Pourquoi diable est-ce que je vous parle de mon rapport au jazz et au classique dans cette chronique d’un album du Reverend Frost ? Ah oui, la question de la composition et de l’interprétation… Ce qui manquait au Reverend, c’était des compositions originales. J’ai même plusieurs fois pensé à lui en proposer… après tout, on avait de quoi bien se compléter : c’est un excellent interprète qui se contente de jouer des reprises, je n’ai aucune ambition d’interprète mais j’aime la composition. J’ai dû lui dire une ou deux fois que je devrais un jour où l’autre lui proposer des compos pour un album… mais il commençait lui-même à écrire ses morceaux. Et, comme vous pourrez le constater sur cet album, ses compos sont vraiment très réussies. Très légère déception au début pour ma part, je ne serais pas le « compositeur attitré » du Reverend, il n’a besoin de personne pour cela, suivie tout de suite par une vraie satisfaction et même un certain soulagement, ç’aurait été dommage qu’il n’arrive pas à composer, c’est finalement beaucoup mieux ainsi, et je n’ai qu’à me préoccuper de mes propres compos. Pourquoi lui proposer des chansons médiocres (oui, je sais, ma modestie légendaire me perdra) alors qu’il peut en écrire seul de très bonnes ?
On connaissait son grand talent d’interprète, et voilà qu’on découvre son talent de compositeur… enfin, par « talent de compositeur », il ne faut pas comprendre « orfèvre subtil de la composition » genre Beatles ou Nick Drake, mais musicien capable de trousser de très bons morceaux dans le genre de rock qu’il affectionne, un cocktail revigorant de garage-blues-surf-rock 50’s-pub rock aux accents des Cramps, Nick Cave, 16 Horsepower, Calexico, Johnny Cash et autres Dr. John…
(t’as vu, j’ai pas cité Tom Waits…)
(non parce qu’à force, ça le lasse un peu qu’on cite toujours Tom Waits lorsqu’on parle de lui… même s’il en est un immense fan)
(mais bon, si tu veux qu’on freine un peu sur les comparaisons avec Tom Waits, commence déjà par retirer ce putain de chapeau !)
Un formidable interprète doublé d’un bon auteur de chansons… que demander de plus ? Qu’il perfectionne le mixage de ses albums ? Peut-être que certains trouveront à y redire, pas moi… ce type de rock n’a pas besoin d’une armée d’ingénieurs du son, le côté un peu brut/foutraque/do it yourself le sert plus qu’il ne le dessert…
S’il fallait vraiment que je mette un bémol… ce serait un tout petit bémol, et très subjectif… j’aurais aimé que ce Every Goddam Thing to Hell n’ait que des morceaux genre A Bloody Life (mon titre favori, que j’écoute en boucle, tout le monde doit maintenant le connaître par cœur dans mon quartier) ou Black Cabin… du rock rageur, sombre et intense, tout ce que j’aime. Il a plutôt joué la diversité, et s’en sort d’ailleurs très bien dans des registres variés, même celui de la ballade. Moi qui les zappe presque systématiquement sur les albums rock (excepté chez Nick Cave et Tom Waits… argh, je m’étais juré de ne pas le citer… tant pis, ce sera pour la chronique du prochain), j’ai vraiment été emballé par Wolf.
Bref, si vous aimez le rock, le vrai, sous toutes ces facettes - qu’il soit sauvage, ludique, sombre, lumineux, chaotique, accrocheur etc. – précipitez-vous sur cet album, et si vous l’aimez vraiment, achetez-le (via son site) ! Je le disais dans ma chronique du précédent, je le redis ici (car c’est après tout un argument de vente de poids) : pas un de vos sous n’ira dans la poche de Pascal Nègre ou d’un quelconque producteur vénal, tout ira dans la sienne !
(et il en a grand besoin pour soigner sa grand-mère malade, qu’il est obligé d’héberger dans sa roulotte, tout en espérant ne pas se faire expulser par les roms qui l’ont accueilli temporairement dans un de leurs camps)
(mouais, là, j’en fais peut-être un peu trop…)
Le site web du Reverend
Chronique de son précédent album : South of Hell, France
L’album sur spotify