Rock 04/2006 - Closed for private party records
Comme cela [était] écrit dans la colonne de gauche, je me suis donné pour but de ne pas ici faire la promo de nouveaux artistes sympas mais dispensables, de ne pas crier au génie au moindre groupe britannique à franges et guitares. Mais celui dont je vais vous parler n’est pas " dispensable ". Et je ne dis pas ça parce que c’est un ami. D’ailleurs, la première fois que je l’ai rencontré - c’était il y a près de 10 ans dans un bar ou il jouait – je me suis pris une grande claque. Fasciné autant par son jeu de piano que sa voix incroyable (le rejeton d'un ménage à trois détonnant : Elvis, Janis Joplin et Tom Waits). Pour vous dire s’il est bon… car à l’époque, le rock des années 50 et le gospel n’étaient vraiment pas mon truc. J’étais insensible à ces genres, voire carrément hostile. Mais ses interprétations de morceaux blues, rock, country ou gospel ont été une… révélation ! Un jeune français blanc qui jouait totalement décomplexé et avec une telle vista ces musiques, comme s’il avait toujours baigné dedans et pouvait se permettre d’en faire ce qu’il voulait… vraiment pas banal.
L’album est exclusivement composé de reprises - à part un instrumental morriconien – reprises très… personnelles. Mais son prochain album, déjà en préparation, comportera beaucoup plus de compos.
En schématisant, on pourrait distinguer 4 manières de faire des reprises :
- L’hommage poli, à la note près, ou l’interprète s’efface derrière l’œuvre… qui consiste finalement plus à enterrer qu’à faire revivre.
- L’adaptation " au goût du jour ", parfois pertinente… souvent opportuniste.
- La parodie : marrant, mais anecdotique et vite lassant.
- Retrouver l’esprit et l’essence du genre, sans se laisser écraser par le poids du passé. La plus intéressante à mon sens et, vous l’aurez deviné, celle dont il est ici question.
Privilégier la rugosité à la joliesse, l’amateurisme foutraque et spontané au professionnalisme lissé et léché, l’expressivité et l’intensité aux bonnes manières, l’urgence et la sensation à la réflexion… tels sont les parti-pris de ce South of hell, France et telles sont les raisons qui font de ce disque un " vrai " disque rock. On est loin ici des groupes de bal soporifiques et proprets qui jouent du rock des années 50 avec l’entrain d’un Vincent Delerm sous tranxène, loin du gospel sans aspérité de l’insupportable Pagny massacrant happy days (avant de massacrer l’opéra), loin du blues light et inoffensif… à ce propos, je lui demandais s’il avait vraiment joué de tous les instruments sur l’album, voilà ce qu’il m’a répondu par mail :
J'ai bien joué de tous les instruments avec mon super 8 pistes anti-moderne et mes amplis pourris. J'en ai discuté pas mal de temps avec le gars du label, et ce qui lui a plu justement, c'est cette ambiance 'live' pas très éloignée des enregistrements de groupes 'garage' dans les 60's voir des premiers bluesmen (avant que le blues ne devienne une musique pour médecins généralistes), bref un peu crade, un peu trash avouons-le…
Si vous hésitez encore à acheter cet album, si le seul fait qu’il soit très bon ne vous suffit pas… ajoutons quelques arguments imparables :
Tout d’abord… le prix ! 7 euros, frais de port compris, c’est vraiment pas grand chose. D’autant plus que l’argent ne va pas dans les poches de cyniques businessmen et directeurs marketings de grosses majors, mais pour moitié dans la sienne, et l’autre dans celle du producteur.
C’est aussi l’occasion de supporter une façon bien plus équitable et moderne de distribuer et produire la musique. Le "Révérend Frost" a son propre blog (Spread the Good Word, destiné à faire connaître des titres de rock – essentiellement des années 50 - piochés dans sa discothèque bien fournie). Il a laissé il y a un certain temps une de ses reprises en écoute et un New-Yorkais, qui songeait à créer un label, a été tellement emballé qu'il a décidé de se lancer et de le produire ! Pas de campagne de pub ruineuse ni de matraquage médiatique, pas d’intermédiaires inutiles et de pros du marketing… ils comptent juste sur le bouche à oreille (ou le blog à oreilles).
Ensuite, South of Hell, France n’est sûrement pas le dernier mot du Révérend Frost, qui a encore beaucoup à dire et faire. C’est un " premier jet " très prometteur, fait seul, avec très peu de moyens dans un laps de temps très court. Son univers musical de prédilection est le blues et le rock des années 50… mais il a une culture musicale très éclectique (comme il le dit lui-même, il écoute de tout, de Abba à Zappa… sauf Abba)
Enfin… parce qu’il faut le voir " en live " ! Habité, fracassant… avec une bonne dose d’humour et de dérision. Mais pour que tous aient la chance de le voir en concert, il faut qu’il puisse tourner en-dehors du sud de la France, et donc que son disque se vende ! Si vous êtes dans le coin et voulez juger par vous-même, il joue ce samedi (29/04) à Marseille au " Cosmic’up ", (à côté de l’espace Julien).
Quand on l’entend, on pense beaucoup à Tom Waits… Voix rauque, grave, chaleureuse et puissante, même goût pour les sons rugueux, les musiques populaires américaines traditionnelles et les adaptations très personnelles. Mais puisqu’il n’a aucun complexe, il va jusqu’à reprendre un titre de Tom Waits, et déconstruire lui-même ce morceau du roi de la déconstruction (si vous connaissez l’original… vous pourrez mesurer la différence). En écoute :
Un autre titre à écouter sur Closed for Private Party Records, le site du label avec le lien pour acheter l’album !
Rev Tom Frost - South of hell, France (Spread the good word, vol.I)
1. Deep River (Trad.)
2. I Walked the Line (Johnny Cash)
3. All the Way Home (St Hubbins/Tunnel)
4. White Lightning (Wooley)
5. Sway (Gimbel/Ruiz)
6. I Saw the Light (Hank Williams)
7. Way Down in the Hole (Tom Waits)
8. Desert Song (Tom Birnbacher)
9. Mercedes Benz (Janis Joplin)
10. You belong to me (King/Stewart/Price)
Un dernier mot : marrant que cet album sorte à la même période que le film Jean-Philippe. Car l'idée d'un monde sans Johnny... on signe tout de suite, surtout si le "Révérend" Tom Frost peut prendre sa place ! Ainsi, les américains arrêteront de croire qu'on est incapable de faire du rock en France !