On ne dira jamais assez tout le mal que la pub fait à la musique.
Transformer les génies que sont Bach, Mozart, Beethoven en VRP pour des marques de pâtes, ordinateurs, parfums, crédits immobiliers ; utiliser les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique comme vulgaires emballages pour des produits à la con… peut-être la revanche de « créatifs de pubs » qui savent qu’ils n’auront jamais le talent nécessaire pour créer de grandes œuvres, et se contentent de saloper celles des autres.
Dernier méfait de la pub : The Ecstasy of Gold de Morricone, tiré du génial « Le bon, la Brute et le Truand » de Sergio Leone, ridiculisé par ces ******* de GDF-Suez.
On me dira : « Tu viens de nous expliquer ici qu’une œuvre n’appartient pas qu’à son auteur, et que tout le monde peut se l’approprier, et là, tu viens pester contre les publicitaires qui s’approprient de grandes musiques… c’est très paradoxal. » Bien au contraire. Cet article sur la musique de pubs, je l’ai pensé avant le précédent, et si j’ai eu besoin de faire cette mise au point sur l’auteur et son œuvre, c’est pour faire comprendre que l’auteur, même s’il est d’accord pour vendre son œuvre à une pub, ne devrait pas en avoir le droit (à moins, évidemment, que cette œuvre ait été créée spécialement pour une pub, où qu’il s’agisse d’un tube débile sans autre prétention que de faire du pognon), car, après tout, elle n'appartient pas qu'à lui. Je ne sais pas dans quelle mesure Morricone a pu approuver que l’on utilise ce morceau dans une pub… peut-être est-ce sa maison de disques qui en décide, peut-être s’en fout-il parce que ça concerne juste la France, peut-être n’a-t-il pas autant d’estime pour ce titre que pour certaines de ses œuvres plus ambitieuses… peu importe.
Je ne m’arrête pas uniquement sur le cas de The Ecstasy of Gold parce que Le Bon, La Brute et le Truand est un des 2-3 films qui m’ont le plus captivé dans l’enfance, mais aussi, comme vous le verrez, parce qu’il est particulièrement intéressant...
Pour comprendre l’imbécillité de l’utilisation de cette musique dans la pub GDF, il faut la replacer dans son contexte original :
A la seule écoute de cette musique, on imaginerait volontiers une chevauchée héroïque de fiers cow-boys partant sauver la veuve et l’orphelin. Pourtant, le génie de Leone et Morricone, c’est d’avoir su l’utiliser dans un cadre totalement opposé. Pas de fiers cow-boys, mais un seul type affreux, sale et méchant. Il est « The Ugly » dans « The Good, The Bad and the Ugly ». Après toutes les crasses que les personnages principaux se sont faites durant le film pour s’emparer du trésor, Tuco, « The Ugly », pense avoir réussi à berner les deux autres et court dans le cimetière à la recherche de la tombe qui contiendrait le fameux butin. Il n’est pas question d’héroïsme ici, uniquement d’avidité et de fourberie. Mais bon, ça n’a pas dû déranger les cadres d’EDF, qui ont dû se dire « on s’adresse à des cons, on s’en fout que cette musique, à la base, soit destinée à illustrer l’avidité et la fourberie… personne ne fera le rapprochement. A part peut-être un fan de Morricone sur un blog quelconque dont l’audience ne représentera pas le millième des gens que l’on touchera avec cette pub. »
Ce qui fait tout le talent du duo Morricone-Leone dans l’utilisation de cette musique, GDF le gomme, en la sortant de son contexte et en la prenant au premier degré, avec cette pub pompeuse et dégoulinante de bons sentiments où l’on voit les gentils p’tits gars de GDF se démener avec enthousiasme pour nous satisfaire. Les bourrins de Metallica ont aussi pris ce morceau au premier degré, puisqu’ils l’utilisent comme intro emphatique avant de monter sur scène… mais ça, c’est moins grave, il existe un moyen très simple de ne jamais tomber dessus : ne pas aller voir Metallica en concert. Alors qu’éviter la pub, c’est déjà beaucoup plus compliqué… même moi qui zappe ou coupe le son en général quand il y a des pubs, je n’ai pu éviter de la subir plusieurs fois.
Tout l’art de Leone et Morricone, dans cette scène, n’est pas simplement cette géniale opposition qui fonctionne à merveille, entre ce que peut vouloir signifier la musique et ce que dit le film, il est aussi dans la façon avec laquelle ils parviennent à rendre cette scène fascinante.
Sur le papier, que se passe-t-il ? Rien. Un type, seul, en plein jour, sans dire un mot, cherche un nom sur une tombe dans un grand cimetière. Imaginer le casse-tête que cela pourrait représenter pour un cinéaste de moindre talent. Pas moyen de faire parler l’acteur, pas moyen de créer des effets plus ou moins inquiétants ou stylisés comme cela pourrait être le cas dans une scène de nuit au cimetière… comment tenir 3 minutes avec ce type de scène ? Impossible pour un cinéaste lambda, alors que Leone en fait une formidable scène épique, un classique, un tourbillon sonore et visuel captivant que l’on peut écouter et regarder sans modération. Mais tout ça, GDF le balaie… je plains les malheureux qui ne découvriraient Le Bon, la Brute et le Truand que maintenant. Lorsqu’ils tomberont sur ce passage génial, au lieu d’être complètement envoûtés, ils ne pourront que se dire « tiens, c’est marrant, c’est la musique de la pub GDF »… enfoirés de publicitaires…
Autre cas qui me tient à cœur : Such a Shame de Talk Talk. J’ai eu maintes fois l’occasion de le dire ici, avec Shake the Disease de Depeche Mode, c’est le morceau qui a vraiment fait naître ma passion pour la musique dans l’enfance. Un morceau que j’adorais, qui m’obsédait, que j’ai écouté en boucle plusieurs mois. Et lorsque je le réécoutais quelques temps plus tard, il était LE morceau qui faisait remonter à la surface tout mes souvenirs de cette période. C’est aussi ça, la magie de la musique, cristalliser des images, des sensations, des sentiments, etc… Mais la pub l’a détruit. Car Such a Shame a eu le malheur d’être utilisé par Peugeot pour vendre une putain de bagnole. Et cette pub a tourné de longues années sur les écrans. Lorsque j’entends ce morceau, plus aucun de mes souvenirs d’enfance ne reviennent, tout ce que je vois, systématiquement, ce n’est plus qu’une bagnole à la con qui fait des dérapages dans le désert. Voilà par quoi les publicitaires ont remplacé mes souvenirs d'enfance, les sensations qui étaient liées à ce moment de mon existence. Heureusement qu’il m’en reste quelques autres liés à des chansons qui n’ont jamais été pourries par la pub… mais ceux de cette période précise ont disparu... Such a Shame, le titre est de circonstance…
On se croirait dans un film SF, mais c’est la triste réalité : des types qui viennent trafiquer votre cerveau pour vous déposséder de certains souvenirs, sensations, des moments forts de votre existence, constitutifs de votre identité, et qu’ils remplacent par des conneries.
Le Bon la Brute et le Truand, c’était le grand film de ma jeunesse… Such a Shame, la chanson de mes 10-11 ans… maintenant, les voilà devenus des putains d’emballages pour Peugeot et GDF… paraît même qu’on paie cher, très cher, les connards qui polluent d’une manière aussi dégueulasse l’art, nos cerveaux et nos souvenirs…
Il n'y a aucune bonne raison pour un artiste d'accepter de se vendre à la pub. Si l'artiste est installé, gagne déjà suffisamment d'argent pour vivre ; accepter que des pubs s'approprient ses oeuvres ou son image, tout le monde en déduira que c'est par pure vénalité. Et s'il débute et n'arrive pas vraiment à vivre encore de sa musique, c'est un mauvais calcul, il se fera connaître comme "le chanteur de la pub machin". Il n'existe qu'un seul cas où l'on puisse comprendre cette forme de "prostitution artistique", celle d'un artiste totalement ringard, qui n'a plus un rond, et pense que c'est le seul moyen qui lui reste pour gagner un peu de sous. Mais s'il est totalement ringard, ses chances d'intéresser les publicitaires seront maigres... et même dans ce cas, accepter de se vendre serait l'ultime constat d'échec de sa carrière... Tant qu'un artiste a un minimum de talent et d'espoir d'arriver à remonter la pente, il ne devrait jamais accepter que les sinistres parasites que sont les publicitaires pourrissent ses oeuvres...