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9 janvier 2013 3 09 /01 /janvier /2013 23:33

Tzadik   05/03/2012

Guillaume-Perret---The-Electric-Epic-copie-2.jpg

Avant de vous présenter ma sélection jazz de l’année, il me fallait mettre un peu plus en valeur mon album jazz de l’année, et un grand album tout court. En guise de (long) préambule, j’ai une confession à vous faire. Un lourd secret, de ceux qui ne se disent pas, et surtout pas publiquement sur un blog… un secret terrible, inavouable, et même une des pires tares aux yeux de l’opinion publique de nos sociétés occidentales actuelles… je suis raciste. Eh oui, comment voulez-vous appeler un type qui, lorsqu’il est question de jazzmen blancs et/ou français, a toujours un a priori négatif ? Moi, j’appelle ça un raciste. Jean-François Copé a raison, il existe bien un racisme anti-blanc – même de la part de blancs -, j’en suis la preuve pour tout ce qui touche au jazz. Et le pire, c’est que je m’en fous, je n’ai aucunement l’intention de changer. J’ai des « préjugés racistes » en matière de jazz, et j’assume…

« Il ne faut pas avoir de préjugés ». Voilà bien une phrase que je ne supporte pas. J’ai l’impression, tout au long des années 90, de n’avoir jamais cessé de l’entendre dans les médias, et ça m’a toujours consterné. Bien sûr qu’il faut avoir des préjugés ! Il n’y a pas d’intelligence sans préjugés. Nous faisons tous des associations en fonction de phénomènes, situations, comportements de tel ou tel type de personnes, on synthétise, et tout ça nous permet d’anticiper, de mieux comprendre le monde et nos congénères. Sans préjugés, nous serions aussi cons que des mouches se cognant inlassablement au même bout de fenêtre. Les préjugés sont un premier stade de l’intelligence, mais le suivant, c’est de savoir les nuancer ou, plutôt, ne pas en faire des vérités absolues. Et, à moins d’être psychorigide, il est toujours appréciable de voir nos préjugés démentis en certaines occasions. Ca ne signifie pas qu’ils n’ont pas lieu d’être, mais qu’ils ne doivent pas nous enfermer dans des modes de pensée trop binaires.

Quel était le sujet, au fait ? Ah oui, Guillaume Perret… un saxophoniste de jazz qui cumule deux gros handicaps pour moi : il est blanc, et européen. Est-ce que je pense que le jazz ne peut être joué que par des noirs américains ? Non, bien sûr. Mais, historiquement et par expérience et goût personnel, il n’y a pas photo, le jazz est essentiellement noir américain. Aucun jazzman blanc n’est jamais arrivé à la cheville d’un Ellington, Armstrong, Parker, Basie, Mingus, Davis, Coltrane etc. Et, surtout, blues, gospel, jazz, soul et rap sont des genres musicaux profondément ancrés dans l’identité noire américaine. Ce sont avant tout les expressions musicales d’une population qui a particulièrement souffert, qui a été traitée plus bas que terre, c’est leur histoire et leurs souffrances, et même si nous pouvons les comprendre, y être sensible, elles ne font pas partie de nous, européens, comme elles font partie d’eux… Mais tout cela, au fond, ce ne sont que des explications qui viennent après coup, ce n’est pas ça qui a fait naître mes préjugés « anti-jazz-blanc », c’est l’expérience, l’habitude d’écouter du jazz, le fait que, presque systématiquement, lorsque j’écoutais des albums de jazzmen blancs, je ne retrouvais pas – ou peu – ce qui est l’essence du jazz, son côté physique, terrien, intense, jubilatoire, son swing. Chez les jazzmen blancs, malgré quelques exceptions, on a trop souvent de l’intellect à la place du physique, des mélodies privilégiées au rythme, de la mesure plutôt que de l’intensité, du déballage technique au lieu de l’expression débridée d’une volonté de libération, un son lisse où manquent les aspérités des musiques noires américaines et africaines. Bref, du jazz un peu trop… bourgeois. Il n’empêche, il y a de très bonnes choses dans le jazz « blanc », je prends plaisir à en écouter de temps en temps, je découvre régulièrement quelques très beaux disques… mais rien qui, dans les jazzmen actuels, ne pourrait me fasciner autant qu’un Steve Coleman. Transition idéale pour – enfin – en venir à l’album de Guillaume Perret, puisque mes albums jazz des deux années précédentes étaient, sans surprise, ceux de Steve Coleman, et cette année – faut dire aussi que Steve Coleman n’a rien sorti en 2012 – c’est sans hésitation aucune celui de Guillaume Perret. Avant tout, bien entendu, pour des raisons purement musicales, parce que son album est une très grande réussite, passionnant du début à la fin. Mais aussi, ce qui ne gâche rien, pour des raisons esthético-historiques. Car si Guillaume Perret est un jazzman européen blanc, il a su trouver une voie très intéressante et convaincante, il n’est ni dans le copier-coller du « vrai » jazz noir, ni dans le jazz blanc lisse et bien propre sur lui. Le jazz de Guillaume Perret n’est ni bourgeois ni revival, c’est du jazz actuel avec en prime du souffle, de l’audace, de l’intensité, de la folie… on ne s’étonnera pas de retrouver l’excellent John Zorn à la production. Il y a certes de l’intellect, de l’architecture, mais jamais au détriment du rythme. Et même si les rythmiques ne sont pas celles du jazz noir « traditionnel », elles sont diablement efficaces. Pas du swing à l’ancienne, mais un groove moderne.

Une des grandes qualités de cet album est de varier les ambiances et les plaisirs, on passe de moments oniriques et planants à d’autres particulièrement furieux, sans ne jamais s’ennuyer, car sa musicalité et la manière qu’il a de parvenir à toujours maintenir une certaine forme de tension dans ses constructions sonores sont remarquables. Du jazz-rock sauvage, sans le côté trop démonstratif – et chiant - du genre, avec des touches dub, fusion ou ethio-jazz inspirées… mais peu importe les influences et les genres ici, ce qui frappe, comme souvent dans les grandes œuvres, c’est sa richesse et son côté « album-monde » doté d'un véritable univers… il y a de tout dans cet album : finesse et puissance, intensité et ambiances, noirceur et jubilation, du groove et de très bons thèmes, de l’architecture et un grand sentiment de liberté ; un album capable de vous prendre aux tripes, de vous faire vivre des émotions fortes et de stimuler vos neurones… c’est pas si fréquent, surtout lorsque c’est aussi bien fait, et avec une telle cohésion.   

Alors merci à toi, Guillaume Perret, de rappeler à notre bon souvenir que le jazz n’est pas forcément une musique feutrée pour clubs chics, mais aussi une musique physique d’audace et d’intensité. Merci à toi de me rappeler que, ce qu’il y a de meilleur avec les préjugés, ce n’est pas lorsqu’on s’aperçoit qu’on a une nouvelle fois raison, mais plutôt qu’on a parfois tort, ce qui nous oblige chaque fois à un peu plus de souplesse. Et puisque j’en suis aux remerciements, je n’oublie pas Christian, un de mes meilleurs amis, à qui je dois la découverte de ce grand disque !

Une vidéo pour voir le groupe et vous faire une idée rapide de sa musique :

 

Mon titre favori de l'album en extrait : 

Lego 

 

L'album en écoute sur Grooveshark

Musiciens :

   Guillaume Perret: saxophones, effets
   Philippe Bussonnet: basse, effets
   Jim Grandcamp: guitare, effets
   Yoann Serra: batterie, samples
Musiciens additionnels:
   Médéric Collignon: voix, cornet, effets (1, 3-6)
   Sir Alice: voix (5)

L’article de Nyko sur Alternative Sound

 

Le site web de Guillaume Perret

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commentaires

G
<br /> BUENO_COCO : Tu as raison, c'est vrai que je n'ai pas assez insisté - je m'en suis rendu compte après coup - sur le fait que cet<br /> album avait tout de même un côté très "rock", ce qui le rend assez abordable pour les fans de rock peu versés dans le jazz... <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> LOU : J'ai entendu dire beaucoup de bien du dernier Humair, mais je ne l'ai pas encore écouté, je m'y mets tout de suite !<br />
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L
<br />  <br /> <br /> <br /> Dans ta sélection jazz 2012, tu n'oublieras pas Daniel Humair, Sweet & Sour.<br /> <br /> <br /> C'est vrai qu'il est blanc de peau, mais de coeur ?<br /> <br /> <br />  <br />
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B
<br /> C'est du jazz avec des gros morceaux de rock dedans quand même ! (et c'est pas pour me déplaire, comme quoi il y a de l'avenir dans la fusion, et qu'on peut faire autre chose que du déballage<br /> technique totalement chiant...) En tout cas c'est super original, et captivant même pour un non initié au jazz comme moi...<br />
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G
<br /> BOEBIS : Certes, pour un article américain des années 80, c'est plutôt original, et, en effet, là-bas, on n'a pas cette<br /> volonté "d'indifférentiation républicaine" qui est la nôtre... mais lorsque je parle de "politiquement correct", c'est pas ça qui me dérange ou que je critique, le politiquement correct<br /> n'est pas forcément une tare : ne pas être raciste, c'est politiquement correct, et c'est très bien^^ Le problème pour moi n'est pas tant le politiquement correct, que<br /> cette forme de dérive qui consiste à refuser les catégorisations sous prétexte qu'il y a toujours des exceptions, et que l'on pourrait froisser telle ou telle communauté...<br /> <br /> <br /> Je suis pourtant d'accord avec lui sur pas mal de choses, bien sûr que, comme il le dit, "musique noire" n'est pas un terme très scientifique ou musicologique... et bien sûr que ce<br /> n'est pas une expression idéale... ce n'est pas idéal, mais c'est un bon raccourci. Comme tous les raccourcis, ça ne peut prétendre englober un phénomène dans sa totalité, ni être<br /> parfaitement juste, mais c'est un bon moyen pour communiquer simplement, de plus, c'est aussi un terme qui se défend, et que je trouve assez légitime. Parce que blues, jazz, soul et rap<br /> notamment sont véritablement liés à l'identité noire américaine, et à la couleur de peau dans le sens où c'est parce qu'ils sont noirs qu'ils ont subi ces discriminations, c'est parce qu'ils<br /> sont noirs qu'ils descendent pour beaucoup de familles d'esclaves, et qu'ils ont eu besoin de renouer avec leurs racines africaines, de se retrouver, se recréer une identité, une culture,<br /> l'exprimer et la porter fièrement... alors qu'on leur a tout pris par le passé, il faudrait aussi maintenant les priver de "leurs" musiques ? Je pense que non, et c'est pourquoi il<br /> me semble pertinent de parler de "musiques noires"...  <br />
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B
<br /> Je ne sais pas si c'est politiquement correct, c'est au contraire assez provocateur comme théorie! Surtout que l''article date de 1987 et est paru aux Etats Unis où non seulement il n'y a pas de<br /> politiquement correct sur la race mais qu'elle est au contraire partout (sans doute car les US sont un pays d'esclavage alors que la France, hors Dom Tom, est un pays colonial et d'immigration où<br /> l'obsession médiatique est plus sur l'immigration que sur la "race").<br /> <br /> <br /> Hallucinant d'ailleurs, rien qu'on pense aux questionnaires et aux quotas dans les universités US. Je me demande si un Noir ou métisse de colombie doit cocher Latino, ou afro-américain, sans<br /> parler d'un Blanc sud africain, il coche quoi,blanc ou afro-américain? Et un blond aux yeux bleux argentin, il coche quoi? Ca me laisse perplexe.<br /> <br /> <br /> Donc au contraire je trouve que c'est un article, assez radical et qui a posé des questions inédites même si ses conclusions sont discutables et à nuancer bien sûr.<br /> <br /> <br />  <br />
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G
<br /> BOEBIS : Je ne connaissais pas cet article (ou alors, je l'avais oublié...), merci de me passer le lien, je viens de lire, c'est<br /> intéressant... mais je ne suis qu'assez peu d'accord avec ses conslusions et son interprétation. On a l'impression, dans le plus pur style "politiquement correct" tel qu'on le connaît depuis<br /> plusieurs décennies, qu'il pense démontrer qu'on ne peut pas généraliser tout simplement parce qu'il existe des exceptions... et qu'il ne faudrait pas généraliser parce qu'il y aurait un risque<br /> "raciste". Mais le fait de parler de musiques noires ou afro-américaines, contrairement à ce qu'il dit, ne signifie pas que c'est de ce point de vue la "couleur" de peau qui mènerait à<br /> une certaine manière de faire de la musique, c'est avant tout quelque chose de culturel, identitaire. Et les jazzmen noirs eux-mêmes, pendant les périodes bop et hard-bop, ont vraiment tenu, pour<br /> beaucoup, à renouer encore plus avec les "racines africaines" du jazz, à ne pas donner au public blanc ce qu'il attendait et ce qui pouvait lui plaire dans le jazz plus lisse des big-band<br /> blancs des années 30. Bien sûr, il n'y a pas UNE musique noire, ni UNE musique africaine, bien sûr qu'en musique, les frontières sont assez poreuses... mais il y a des<br /> caractéristiques assez marquantes... et, comme les préjugés, s'il ne faut pas s'y enfermer ou en faire des vérités absolues, elles sont tout de même à prendre en considération pour<br /> comprendre la musique et son évolution dans le temps et l'espace. Je réponds un peu rapidement, faudrait que je développe tout ça, je pense d'ailleurs depuis longtemps à un article sur la<br /> question, c'est un sujet qui m'intéresse particulièrement et que j'aborde fréquemment dans mes articles sur le rap ou le jazz...  <br />
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B
<br /> Ce débat me fait penser à ce fameux article que tu connais sans doute "Lettre ouverte sur les musiques « noires », « afro-américaines » et « européennes "<br /> http://www.cairn.info/revue-volume-2009-1-page-135.htm je t'invite vraiment à le lire!<br /> <br /> <br /> Il y a aussi des réponses très intéressantes qui ont été faites dans l'ouvrage collectif "peut on parler de musique noire ? mais peut on ne pas en parler?".<br /> <br /> <br /> Et comme fan absolu de Django Reinhardt, je tenais à le caser dans ce commentaire!<br /> <br /> <br /> D'ailleurs, j'y reviens toujours ahah, les deux musiciens clés de Meta Meta (et de Sambanzo) sont blancs, alors qu'il joue une musique empreinte de musique afro-brésilienne, et africaine tout<br /> court d'ailleurs. Sans que ça passe par la tête de quelqu'un de leur faire remarquer. Mais le débat se pose différement là bas, car la construction identitaire au Brésil - certes contestée- est<br /> pas le one-drop qui fait qu'un métisse clair est considéré comme afro-américain, mais plus que tous sont métisses, et qu'il n'y a donc ni Noirs ni Blancs. Et c'est pas tout à fait faux dans les<br /> faits au moins au niveau culturel, ce qui importe en vérité, car par exemple Kiko Dinucci et Thiago França sont adeptes du candomblé, religion afro-brésilienne mais qui a de nombreux Blancs<br /> fidèles...Et d'ailleurs, dès les années 20-30 de très grands noms de la samba étaient blancs (ary barroso, noel rosa...) ce qui a été le cas du jazz sans doute plus tardivement.<br /> <br /> <br /> Enfin bref ,faut que j'écoute cet album qui semble avoir tout pour me plaire!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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