Innova 2011
Enfin ! Voilà enfin un album qui sort un peu le jazz de sa torpeur. Après avoir été ce qu’il y a de plus excitant des années 1920 aux années 50-60, le jazz s’est embourgeoisé et – à part quelques exceptions – a oublié ses fondamentaux comme dirait les sportifs. Exit le côté physique, terrien, urgent, spontané, sensuel et la primauté du rythme ; le jazz est passé de « musiques de jeunes noirs épris de liberté » à « musique pour vieux blancs raffinés ». Une musique qui lorgne sur le classique, qui privilégie la pureté du son et les harmonies délicates à l’expressivité débridée, à l’urgence et au swing.
Heureusement, Graham Reynolds vient rappeler à notre bon souvenir que le jazz, c’est aussi du rythme, de la puissance et de l’intensité. On ne compte plus les versions du célébrissime Caravan, mais celle qui ouvre l’album est remarquable. Pas du jazz pour cocktails mondains ou soirée cosy entre amoureux, non, on l’imaginerait bien plus facilement comme bande-son survoltée d’un film de Tarantino. Une vraie bombe, comme le It don’t mean a thing qui suit. Je ne vois aucun morceau rock depuis ce début d’année qui soit aussi jubilatoire, accrocheur, explosif et tendu.
Mais qui est ce Graham Reynolds ? Un jeune saxophoniste noir en colère qui souffle comme un damné ? Pas du tout. L’ironie de l’histoire est que Graham est un pianiste et compositeur texan blanc doté d’une bonne formation classique, et en partie reconnu grâce à son excellente BO, assez trip-hop, de A Scanner Darkly. Les pianistes blancs de jazz, depuis quelques décennies, semblent avoir plus écouté Debussy ou Satie que Mingus, Monk ou Parker, mais en voilà un pour lequel piano et jazz ont plus à voir avec la percussion qu’avec une manière d’effleurer délicatement les touches.
Un album très particulier et surprenant, en trois parties comme son nom l’indique… et trois parties qui n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres (si ce n’est, bien sûr, que les morceaux sont des reprises du génial Duke Ellington). Après une première partie (en réponse au « style jungle » d’Ellington) menée tambour battant par des cuivres, une batterie et un piano qui jouent sans retenue, Reynolds nous emmène sans crier gare dans la direction totalement opposée : un quatuor à cordes tout en finesse. Puis nouvelle volte-face : il passe de ce quatuor à une série de remix (notamment un de DJ Spooky), et de très bons.
Un album réjouissant et sans complexes, à tous points de vue. Reynolds ne craint pas de s’attaquer au plus grand compositeur de l’histoire du jazz, il commence l’album sans préliminaires en sortant direct l’artillerie lourde et enchaîne de manière inattendue des parties très hétérogènes. Les puristes trouveront sûrement à y redire, mais peu importe, après tout, pour nombre de puristes de la musique dans les années 1930, Ellington, c’était du bruit et de la musique de sauvages…
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L'album dans le classement 2011