Dave Brubeck, pianiste et compositeur jazz est mort aujourd’hui à l’âge de 91 ans. Impossible de ne pas mentionner ses deux morceaux les plus célèbres, universels, que vous connaissez tous même si vous n’êtes pas amateurs de jazz, Take Five (surtout) et Blue Rondo à la Turk. On retiendra surtout de Brubeck qu’il a su composer des tubes « planétaires » sur des rythmes inhabituels. Take Five est à 5 temps (5/4), et Blue Rondo à la Turk en 9/8.
Dave Brubeck – Take Five :
Dave Brubeck – Blue Rondo à la Turk :
Un morceau sur un rythme asymétrique en 9/8, voilà qui semble compliqué à comprendre lorsqu’on n’est pas musicien. Et pourtant, c’est très simple à saisir, notamment avec cet exemple. Ecoutez Blue Rondo à la Turk, et, en même temps que les notes du thème, dîtes rapidement « Un deux Un deux Un deux Un deux trois ». Vous répétez ça 3 fois, puis, la 4°, simplement « Un deux trois Un deux trois Un deux trois ». Bref :
1 2 1 2 1 2 1 2 3
1 2 1 2 1 2 1 2 3
1 2 1 2 1 2 1 2 3
1 2 3 1 2 3 1 2 3
On a donc un rythme décomposé en 2 + 2 + 2 + 3 les trois premières fois, puis en 3 + 3 + 3, avant de recommencer (Take Five, sur un tempo plus lent, c'est 3+2, soit "Un deux trois Un deux").
Je vous assure que c’est très simple, si vous n’arrivez pas à le dire correctement sur la musique, c’est que vous n’avez définitivement pas le sens du rythme (ou que j’explique très mal, hypothèse que je me refuse d’envisager).
Bien entendu, ce n’est pas Brubeck qui a inventé ces rythmes asymétriques. Il les a sans doute découverts dans la musique turque et chez Bartok - Brubeck ayant été assez influencé par le classique, comme vous pouvez l’entendre dans ce morceau - Bartok qui les empruntait lui-même à la musique folklorique des pays de l’Est.
Une anecdote assez révélatrice sur Brubeck : en 1954, il a droit à la couverture de Time ; il n’est que le 2° jazzman à la faire dans l’histoire, après Louis Armstrong. Un honneur qui l’a gêné, Brubeck estimait qu’il la devait surtout au fait qu’il était blanc, et qu’un Ellington l’aurait mérité bien plus que lui. Impossible de lui donner tort sur ce point, ni de ne pas saluer sa lucidité et son honnêteté. Car Brubeck a beau être un bon jazzman, tout à fait recommandable et intéressant, il n’est pas non plus de la trempe des plus grands génies du jazz. Pour rendre hommage à la lucidité de Brubeck, sa mort est donc l’occasion de vous faire écouter… Duke Ellington. Pas un de ses tubes, mais un morceau relativement – et injustement - peu connu, On the Fringe of the Jungle, ici dans une excellente interprétation en trio, avec John Lamb à la basse, et Rufus Jones à la batterie. Comme il savait si bien le faire, Ellington met ici particulièrement en évidence ses musiciens, qui ont droit à deux longs solos – et quels solos !
En résumé, sous prétexte de la mort de Brubeck, je vous fais écouter du Ellington, et sous prétexte de vous faire écouter du Ellington, je vous fais écouter John Lamb et Rufus Jones…
On the Fringe of The Jungle, c’est une grille de blues, un excellent thème (ou plutôt un riff au piano), un groove imparable, une remarquable partie de basse, un solo de batterie dantesque (amateurs de solos de batterie, ne loupez pas celui-là)… que demander de plus ? Qu’il soit en stéréo, peut-être, ce qui n’est malheureusement pas le cas, vous ne pourrez donc l’écouter au casque (mais il n’y a pas de raison de l’écouter au casque, une musique pareille, faut en faire profiter tout le monde : famille, voisins et tout le quartier).
Duke Ellington - On the Fringe of the Night (1967)
Brubeck savait tout ce qu’il devait à Ellington, et n’a d’ailleurs pas manqué de composer un morceau en son honneur : The Duke.
Pour conclure et revenir plus précisément à Brubeck, si vous ne deviez connaître qu’un de ses albums, ce serait forcément Time Out (1959), qui contient les deux tubes dont je vous parlais au début de l’article. En écoute sur grooveshark : Dave Brubeck – Time Out
Dave Brubeck (1920-2012)