L'Elite de Brooklyn (Brooklyn's Finest) - Antoine Fuqua
L'Elite de Brooklyn... une bande de super-flics virils et inflexibles qui font régner l'ordre à Brooklyn ? Non, bien au contraire, il ne s'agit pas de ce genre de nanards ; le titre est ironique (mais certains pourraient s'y tromper, surtout avec sa traduction française). Très loin de ces mauvais films, Brooklyn's Finest n'est pas simplement un bon film policier, c'est un grand film, un superbe "polar crépusculaire" dans la lignée du génial Collateral de Michael Mann, des films de James Gray ou du très sombre Le Prix de la Loyauté.
Trois destins croisés de flics de Brooklyn, mais, à la différence des films d'Inarritu ou, plus récemment, du très réussi Ajami, on n'y observe pas avec quelques distances une "mécanique implacable" où les actions des protagonistes vont, malgré eux, avoir des effets inattendus sur la vie des autres. Antoine Fuqua ne traite pas ses personnages comme des pions sur un échiquier, ne cherche pas à faire le malin avec un clin d'oeil au spectateur histoire de lui dire "admire cette brillante construction", ce qui l'intéresse, c'est avant tout l'humanité de ses (anti-)héros.
Un flic dépressif à quelques jours de la retraite, usé par des années à fréquenter ce qu'il y a de plus sordide dans Brooklyn (Richard Gere), un autre infiltré dans un gang et ne sachant plus trop de quel côté il est (Don Cheadle), et un troisième ne voyant plus que la corruption pour subvenir aux besoins de sa famille nombreuse (Ethan Hawke)... a priori, rien de bien original, rien que l'on n'ait déjà vu ou lu des centaines de fois par ailleurs. Mais peu importe, c'est bien pour cela que le style est aussi déterminant en art : selon la façon dont il est traité, le sujet le plus original peut donner naissance au film le plus soporifique, et le sujet le plus banal au film le plus fascinant. Dans Brooklyn's Finest, Antoine Fuqua ne révolutionne certes pas le polar ou le cinéma, mais livre un film d'une telle maîtrise, d'une telle justesse et d'une telle force que l'on ne s'y ennuie pas une seconde. Pas de fusillades spectaculaires et chorégraphiées à la John Woo, ici, lorsqu'une balle est tirée, l'effet est toujours brutal et soudain, et les détonations assourdissantes. Un trio d'acteurs remarquable (on avait oublié que Richard Gere pouvait être un si bon acteur), complété par un Wesley Snipes impeccable en caïd (d'ordinaire plutôt habitué aux navets, le voir si convaincant dans un film de cette qualité est une bonne surprise).
Brooklyn's Finest vs The Wire
La référence à The Wire n'est pas seulement pertinente parce que plusieurs seconds rôles du film sont des acteurs de la série, mais bien parce que l'influence de la géniale The Wire est assez patente dans Brooklyn's Finest. Les deux sont habités par une grande mélancolie, des flics touchants et un peu paumés, des voyous "humains" qui ne sont pas uniquement des caricatures de petites frappes bling-bling, et un vrai souci de réalisme. Forcément, Brooklyn's Finest n'atteint pas la complexité d'écriture et le réalisme de The Wire... mais ce qu'il perd de ce point de vue, il le gagne en atmosphères, en puissance dramatique, et dans la réalisation et la beauté visuelle. C'est bien pour cela que l'une est une série, l'autre un film (qu'il faut impérativement voir sur grand écran)... chacun utilisant au mieux les caractéristiques du format qui est le sien. Depuis une dizaine d'années, il est vrai que les séries, en général, se sont montrées beaucoup plus inventives et passionnantes que le cinéma... mais tant qu'il y aura de magnifiques films comme Brooklyn's Finest, qui prennent toute leur dimension sur grand écran, le cinéma continuera à rester une expérience irremplaçable, même lorsqu'il lorgne du côté des séries.
En guise de conclusion, mention spéciale à la BO de Marcelo Zarvos, qui accompagne le film à la perfection... et qui ne fait pas "qu'accompagner", d'ailleurs, elle joue un rôle à part entière, apporte au film un souffle, une gravité et un dramatisme peu communs, et le fait baigner dans des climats sombres et envoûtants.
La BO est disponible sur deezer... mais, aussi réussie soit-elle (elle ressemble pas mal par endroits à une BO dont je suis un fan absolu, celle de Crash de Cronenberg) il est certain que de l'écouter sans avoir vu le film ne permet pas de l'apprécier à sa juste valeur (par exemple, ces percussions qui semblent un peu lourdes, parfois, mais qui contribuent à merveille à l'ambiance pesante du film).
En écoute : BO Brooklyn's Finest
La fiche du film sur Allocine