2000 -Berlin Classics *****
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Faut pas croire ce que racontent les journaux. L’événement de l’année, ce ne sont pas ces types qui courent derrière un ballon, mais… le centenaire de la naissance de Dimitri Chostakovitch !
Les médias en ont fait des tonnes sur les 250 ans de la naissance de Mozart (250 ans, pourquoi pas les 225 ans, les 238 ans, les 249 ans… les 100 ans de la naissance de Chostakovitch, c’est tout de même plus significatif !). Pourtant, dès Mars, plus rien. C’est aussi ça la société de consommation. On survend un événement quelconque un moment, mais on s’en lasse très vite et on passe à autre chose. L’année Mozart, c’est sympa deux mois, mais oublié le troisième. Enfin, Mozart n’a pas à se plaindre, il a au moins eu l’honneur des médias. Par contre, Chostakovitch…
En même temps, les anniversaires, on s’en fout. L’intérêt est peut-être de mettre un peu plus en lumière un grand artiste, mais c’est aussi une manière de l’enterrer une seconde fois. Dans un monde meilleur, on n’aurait pas besoin de ces commémorations solennelles, on saurait faire le tri et laisser les artistes phares dans la lumière. On ne s’extasierait pas sur tout et n’importe qui et ne perdrait pas de vue les artistes les plus remarquables.
Célébrer l’anniversaire d’un compositeur… c’est considérer ses œuvres comme des vieilleries, des pièces de musées qu’on écoute avec un respect poli. Alors que la musique classique, c’est tout sauf ça. Ne serait-ce que par l’interprétation, les œuvres anciennes se réinventent constamment. Et encore… même sans interprétations originales, la musique de Chostakovitch (ou Shostakovich, ou Schostakovitch, voire Chosta pour les intimes…) est toujours aussi fascinante et actuelle. Suffit d’avoir deux oreilles, un minimum d’ouverture d’esprit et d’être capable d’émotions pour être saisi.
Fanatique des quatuors de Chostakovitch, j’en parlerais plus en détail une autre fois. Je commencerai ici par les symphonies, plus accessibles. D’autant plus qu’existe un indispensable coffret de 6 CD, chez Berlin Classics (distribué par Naïve), pour le prix dérisoire d’un album (environ 20 euros), contenant 6 de ses 15 symphonies (avec un CD de chants sur des poèmes juifs). Si on ajoute à cela que les symphonies sont dirigées par Kurt Sanderling, LA référence en la matière…
Le problème de la musique savante du XX° siècle, c’est évidemment son étrangeté et sa complexité pour des oreilles non-averties. Loin d’être des œuvres simples et faciles, les symphonies de Chostakovitch n’en demeurent pas moins très abordables. Parce que leur souffle, leur ampleur, leur lyrisme les inscrivent dans la lignée des grandes symphonies du XIX°. Mais Chostakovitch n’a pas le regard perdu dans le passé. Ses dissonances et hardiesses harmoniques sont bien celles du XX°, même s’il n’a pas opté pour l’atonalité (faut dire que le régime communiste l’interdisait…). Les symphonies de Chostakovitch, par leurs thèmes et motifs marquants, leurs tensions et dramatisme, leurs rythmes et leurs richesses réussissent l’exploit d’être à la fois de grands chefs-d’œuvre du XX° et des œuvres accessibles.
Je parlais de souffle… et c’est sans doute une des plus grandes qualités de ses symphonies (et de toute sa musique). Faut beaucoup de mauvaise volonté pour ne pas se laisser transporter et enivrer. Evidemment, on pourrait rattacher cela à l’âme slave. Au lyrisme, à la recherche d’émotions extrêmes, à l’importance du rythme et de l’orchestration, à la noirceur et au mélange russe d’exubérance et de mélancolie. Ce n’est pas complètement faux… même si ce n’est pas exclusivement russe (Beethoven, Berlioz…)
Un élément plus typique de la musique de Chostakovitch est l’ironie, le sarcasme… fréquent, mais pas omniprésent. L’ironie dans la musique de Chostakovitch est d’une grande audace car le régime communiste, très sévère avec ses compositeurs, attendait d’eux qu’ils créent des œuvres majestueuses à la gloire du parti et de la Russie, et on sait que les régimes tyranniques ont beaucoup de mal avec le second degré. L’ironie de Chostakovitch était autrement plus subversive qu’un chanteur rock actuel qui baisse son froc devant les caméras…
Si je ne devais conseiller qu’une seule de ses symphonies, ce serait sans hésiter la 10° (1953). Elle commence sur un incroyable (et interminable) mouvement lent, sombre et hypnotique de 25 minutes, qui tranche avec le bref et vif 2° mouvement (4 mn), sauvage et d’une grande tension (censé représenter Staline). Les 3° et 4° mouvement sont magnifiques d’expressivité, de nuances - puissance rythmique et climats plus rêveurs – et de couleurs orchestrales, avec une utilisation obsessionnelle de la " signature " de D. SCHostakovitch (motif sur DSCH = Ré Mi b Do Si). Comme le quatuor n°8 en ut mineur (qui utilise abondamment ce même motif), c’est une de mes œuvres de chevet et un sommet dans la production de Chostakovitch.
A lire aussi : La symphonie n°11 de Chostakovitch
Catalogue des œuvres de Chostakovitch, à la médiathèque de l’IRCAM :
http://mac-texier.ircam.fr/textes/c00000017
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)