1989. J'ai 16 ans. L'âge de la révolte. Mais pas grand chose dans le rock français qui puisse l'exprimer. Indochine et Téléphone ? J'ai toujours détesté ces deux groupes rock variétoches habitués des top 50... La Mano Negra et les Negresses Vertes ? Pas pour moi, trop festif, pébiscité par mes camarades de classe, je n'y trouve pas la gravité et la rebellion que je recherche. Trust me plait déjà un peu plus (certains textes sont vraiment très virulents), mais ça reste lourdingue. Les Béruriers Noirs, j'aime bien, je lis leurs paroles avec jubilation... mais le côté très punk-crado-minimaliste, ce n'était pas non plus mon truc. Un soir, en écoutant la radio, je tombe sur Les écorchés de Noir Désir... et là, c'est une vraie grande claque (certains me diront : ah, ça, pour les claques, Cantat...) Comme tout le monde, je connaissais d'eux Aux sombres héros de la Mer, tube multi-diffusé... une chanson que je trouvais pas mal, sans plus. Les écorchés, c'est autre chose... enfin du rock français digne et sauvage, lyrique et rageur. Enfin, dans le pays de Baudelaire, Rimbaud et Lautréamont (cité justement dans les écorchés), du rock rebelle qui a intégré la noirceur romantique et prend un peu de hauteur. Ce qui le distingue nettement de toute la scène alternative de l'époque qui n'aime rien tant que se vautrer dans la crasse, cette scène dont la musique pue le tabac froid, les gitanes maïs et la bière bon marché. Enfin un groupe de rock français avec un nom qui a de la gueule et un chanteur, aussi... enfin une voix incantatoire idéale pour exprimer les frustrations et aspirations de la jeunesse.
Pourtant, je n'ai jamais été un grand "fan" de Noir Désir. Jamais suivi leur carrière avec attention, et, contrairement à une bonne partie de ma génération et de la génération suivante, je n'ai jamais pris Cantat pour un "modèle". Je reconnaissais néanmoins une immense qualité à Noir Désir : celle de prouver que le rock français pouvait être respectable, et pas totalement ridicule face aux anglo-saxons. Noir Désir, ce sont des rencontres, des morceaux découverts chaque fois un peu au hasard... l'excellent En route pour la Joie, qui, après les Ecorchés, rappelle Noir Désir à mon bon souvenir... Tostaky, enfin un tube rock français qu'on prend plaisir à entendre quand on allume la radio ou qu'on traîne dans les bars et les pubs, l'excellent duo de Cantat avec Bashung sur Volontaire, la collaboration de Cantat avec 16 Horsepower pour la reprise de Fire Spirit du Gun Club, A l'arrière des Taxis découvert sur le tard et, en apothéose... un grand album : Des Visages, des Figures. Mais bien sûr, ce sont les écorchés qui restent le moment le plus fort de mes "rencontres" avec Noir Désir.
"Nous les Ecorchés vifs".... voilà un morceau qui pouvait parler à ceux dont la révolte était profonde, viscérale... et pour les ados lambdas dont la révolte se limitait à "franchement, les politiques sont pourris, y a trop d'injustices, la guerre et le racisme, c'est nul", il y avait ça, c'est vraiment toi et je rêvais d'un autre monde où la terre serait ronde... des insupportables Téléphone. Ceci-dit... s'il y a bien un truc que je reproche à Cantat... ce sont ses diatribles anti-FN un peu trop systématiques. De la part d'un type comme lui, on aurait attendu mieux, plus de hauteur et de subversion... parce que taper sur le FN, rien de plus facile, consensuel et démago en France. Même Bruel et Zazie le faisaient, c'est dire... Penser que le pire, chez Bertrand Cantat, ce n'est pas la fameuse "baffe tragique", mais ses attaques contre le FN, c'est spécial, j'en conviens. Mais un fait divers, aussi dramatique soit-il, reste un fait divers... je ne comprends pas comment certains ont pu rejeter Noir Désir après l'affaire Trintignant. Fallait ne pas vraiment aimer leur musique, juste voir Cantat comme une icone, un saint... ce qu'il n'était bien entendu pas. Un groupe ne s'appartient pas totalement, une oeuvre, ce n'est pas juste de la création, mais aussi de la "réception". Peu importe que McLaren ait été un manipulateur vénal, ce qui compte, c'est tout ce que les Sex Pistols ont pu représenter pour la jeunesse de l'époque. Si Cantat avait eu la bonne idée, comme Jim Morrison, Brian Jones ou Hendrix (qui pouvaient se montrer eux aussi violents avec les femmes) de se tuer avant de tuer, il serait devenu un mythe du rock devant lequel se prosterneraient les mêmes qui le voient actuellement comme le pire des sales types. Tout ça ne tient finalement pas à grand chose... mais ce qui reste, et qu'on ne pourra jamais enlever à Noir Désir, c'est qu'ils sont un groupe essentiel, fondamental dans le rock français, le groupe qui a su faire mentir la fameuse phrase de Lennon : "le rock français, c'est comme le vin anglais..."
Ils sont de retour avec deux titres, avouons-le, pas terribles... souhaitons-leur de retrouver l'inspiration et de sortir un digne successeur à Des Visages, des Figures... En attendant, une petite playlist avec, en tête, ces Ecorchés... rien que pour ce titre et ce qu'il a représenté pour moi à l'époque, Cantat aura toujours ma sympathie (c'est pas grand chose, mais c'est déjà ça)...
L'article de Yosemite sur Noir Désir