Pamela Hute - Turtle Tales from Overseas WM / 2010
"PJ Harvey ne me fera jamais oublier Patti Smith". Voilà ce qu'on peut lire sur musicme de la part de la chanteuse du trio rock français Pamela Hute (je précise "français", car je ne m'en serais pas douté à la première écoute, ce qui est plutôt un compliment...) Mais balancer un truc pareil, c'est vraiment donner le bâton pour se faire battre. Car tout ce qu'on a envie de répondre à Pamela Hute, c'est : Pamela Hute ne me fera jamais oublier PJ Harvey. S'il y a quelques éléments dans leur musique qui font penser à du PJ (notamment sur You Made me a Lady et The Umbrella, des titres plutôt réussis dans leur genre, je les ai même mis dans ma radio), c'est du PJ tellement plus lisse et pop-rock que l'originale qu'ils souffrent vraiment la comparaison. Si j'étais salaud, j'irais jusqu'à dire "Pamela Hute ne nous fera pas oublier Mademoiselle K"...
Turtle Tales from Overseas n'est pas suffisamment mauvais pour mériter un article dans la catégorie Poubelle aux côtés de Slash et Goldfrapp, ni suffisamment intéressant pour s'étendre dans une chronique plus détaillée... mais cette petite phrase, elle, mérite bien que l'on s'y attarde.
Je sais pas vous, mais lorsque je lisais, dans ma jeunesse, des mags de rock et de nombreuses interviews de groupes, j'ai toujours été frappé par le fait que les groupes que l'on compare régulièrement à d'autres artistes plus prestigieux et toujours en activité rejetaient fréquemment la comparaison. Alors que n'importe qui doté de deux oreilles en état de marche pouvait entendre les similitudes. Comme si le groupe craignait de passer pour un "sous-machin" (ce qui est le cas en général), un ersatz, et avait besoin la plupart du temps de faire comme s'il n'avait jamais trop prêté attention à ceux qui, à leur époque, sont la référence du genre. Et ça - on va finir par croire que je m'acharne - je l'ai particulièrement observé dans le metal... Par exemple, fin des années 80, des groupes de thrash qui racontaient que non, Slayer ou Metallica ne les ont pas tant influencés que ça... en gros, ils sont passés directement, comme des grands, de Black Sabbath, Maiden et Judas Priest au thrash, sans passer par la case Slayer/Metallica. Limite s'ils n'ont pas inventé le genre seuls dans leur coin, découvrant, stupéfaits, que d'autres avaient fait la même chose un peu avant. Et pourtant, je réécoutais leurs albums puis ceux de Slayer/Metallica, j'y retrouvais les mêmes plans, les mêmes sons, les mêmes riffs... pure coïncidence, sûrement. Même chose pour les infâmes groupes de hard FM/Glam/Hair Metal style Poison et Warrant, qui faisaient comme s'ils n'avaient jamais entendu, apprécié ni chercher à copier les non-moins infâmes groupes du genre qui les précédaient. A les entendre, ils sont passés directement de Led Zep à leur style. Et là, je ressortais les vieux Led Zep, mais rien à faire, je ne voyais pas le rapport entre Led Zep et ces groupes. Tout ça prend parfois des proportions délirantes, on ne compte plus dans le monde du rock (voire de la pop en général) les groupes qui pompent tout, de la musique aux fringues, à tel autre dont le style fait recette, et font mine d'être surpris quand un journaliste leur fait remarquer ("c'est bizarre cette comparaison, parce qu'en fait, nous, juré craché, on les a jamais vraiment écoutés...")
Pourquoi ce "déni d'influence" ?
Tout d'abord parce que se réclamer d'un groupe en activité, c'est pas très rock'n'roll, ça fait limite "fan"... C'est une forme de posture de soumission, où vous admettez que dans le genre que vous pratiquez, vous n'êtes qu'un second couteau, un suiveur, voire un mauvais clone... pourquoi vous écouter plutôt que l'original, qui est, de plus, toujours créatif ? Voilà la raison pour laquelle les types d'influences le plus souvent revendiquées par les groupes rock sont soit de "grands anciens", qui ont fait leur temps (là, vous ne passez plus pour un suiveur, mais pour la "relève"), soit d'obscurs petits groupes qui ne vous feront pas d'ombre... et dans ce cas, vous aurez l'air d'un artiste pointu très au fait de tout ce qui sort. Il existe une 3° possibilité : se référer à des artistes dans des styles très différents de celui que vous pratiquez. Par exemple, tel groupe d'indie-rock qui dit ne jurer que par le hip-hop et l'électro, être fan de Dälek et s'en inspirer... mais sonne comme la copie conforme du groupe indie-rock du moment. Non seulement c'est un bon moyen pour éviter de se ranger volontairement dans l'ombre du groupe qui domine le genre, mais aussi une manière de prouver son "ouverture d'esprit".
Vous jouez du rock bluesy/garage nerveux, on vous prend pour des clones des White Stripes ? Et pourtant, vous ne les connaissez que mal, votre truc, ce sont juste de vieux bluesmen inconnus, et vous avez pas mal écouté les Sonics dans votre jeunesse.
Vous faites, comme tant d'autres, du sous-Radiohead ? Mais non, Radiohead, connais pas, vos influences, ce sont Mark Hollis, Eno, les Beatles, Robert Wyatt (vous pouvez citer des artistes encore en activité si leur période la plus créative est derrière eux).
Lorsqu'on vous écoute, on jurerait entendre du sous-Placebo (ce qui relève de l'exploit) ? Etrange coïncidence, parce que vous, vous n'écoutez que Johnny Cash, Public Enemy, Coltrane, Ravel et de la musique d'Inde du sud... allez, c'est vrai que dans votre jeunesse, vous avez écouté un peu de Joy Division et de Cure, ceci explique sûrement cela...
Qui sait, peut-être que Pamela Hute (qui ne sonne pas non plus comme un clone de PJ Harvey... mais qui sonne encore moins comme du Patti Smith) n'a jamais vraiment écouté ou apprécié PJ, mais même dans ce cas, cette phrase, typique de ce que l'on peut entendre chez nombre de groupes rock, ne peut prêter qu'à rire, tant l'écart qui sépare la grande PJH de la petite PH est immense... L'arrogance, dans le rock, c'est bien, encore faut-il en avoir les moyens... sous peine de franchir la limite qui sépare le "cool" du "ridicule".
(J'ai commencé ce billet comme une "mini-chronique" de l'album, il est devenu un article sur la question des influences revendiquées dans le rock, et, au final, il ressemble à un nouveau chapitre du Guide du rockeur...)