Le 4° des Moments Musicaux (en mi mineur, Op. 16, composé en 1896) de Sergueï Rachmaninov est un exercice de haute volée. Non pas pour sa virtuosité, aussi spectaculaire soit-elle, mais parce que Rachmaninov touche ici à l’extrême du romantisme et de la virtuosité, sans ne jamais tomber dans leurs excès :
A la main gauche : un tourbillon ininterrompu (ou presque) de sextolets. Œuvre virtuose pour la main gauche, mais qui n’a pas une note en trop. On connait les dérives de la virtuosité, trop souvent employée comme poudre aux yeux, comme moyen de masquer un manque d’idées musicales et de musicalité. Mais ici, la virtuosité est au service de l’œuvre, pas l’inverse. Elle n’est pas un artifice, bien au contraire, elle nous entraîne toujours plus profond, et avec une remarquable intensité, dans cet abîme de tourments et de fièvre romantique.
A la main droite : un thème romantique, poignant sans verser dans le sentimentalisme sirupeux ; affirmé voire héroïque, mais en aucun cas pompier. Un thème qui sait rester digne. Digne comme le sont toujours les interprétations de l’excellent Nikolaï Lugansky, incontournable lorsqu’il est question de Rachmaninov :
Les 6 moments musicaux de Rachmaninov sont en écoute sur Grooveshark (voir aussi leur page wikipedia)
Comment parvenir à faire aimer des œuvres classiques à un public qui connaît peu ou mal cette musique, ou qui reste conditionné par quelques clichés (musique aristocratique, guindée, poussiéreuse, ennuyeuse, trop complexe, trop sérieuse et tout ce genre de conneries…) Une question que je me pose à chaque fois. Je pourrais aller au plus simple, parler de mon expérience très personnelle de cette musique, vous dire par exemple que cette pièce de Rachmaninov est une des plus belles et captivantes que je connaisse. Elle fait partie des quelques œuvres qui ont fait naître ma passion pour le classique (et pour la musique russe). C’est ce Moment Musical n°4 qui m’a vraiment permis de comprendre ce que devait être la virtuosité. Guitariste débutant à l’époque, j’étais, comme à peu près tout musicien débutant, fasciné par la virtuosité. Il m’a fallu la découverte de cette pièce pour enfin réaliser que la virtuosité n’avait de sens qu’entièrement au service de l’œuvre, jamais pour elle-même.
Cependant, la question que je me pose en partageant cette œuvre ici est moins « comment vous la faire aimer » que « comment ne pas l’aimer » ? J’ai beaucoup de mal à imaginer qu’on puisse rester insensible face à une telle œuvre. Une prof de piano qui vous martyrisait quand vous étiez petit ? Une allergie à la musique classique ? La mafia russe a massacré un de vos proches ? Trop psychorigide pour accepter de plonger dans les émotions et tourments romantiques ? Bref, si ce moment musical n°4 vous laisse de marbre, n’hésitez pas à me le dire, voire m’en donner les raisons…