Félix Mendelssohn - Symphonie n°3 "Ecossaise" en la mineur, op. 56 (1842), 1er mouvement
Compositeur romantique, Mendelssohn reste, par bien des aspects, assez "classique". Musicalement, il n'a pas la profonde mélancolie d'un Chopin, l'introversion d'un Schubert, la fougue ou le caractère aventureux d'un Liszt, la noirceur narcotique d'un Wagner, ni l'audace d'un Berlioz et de tous ceux-là.
Pourtant, une des oeuvres de Mendelssohn est aussi une des plus emblématiques de l'esthétique romantique. A la question "qu'est-ce que la musique romantique ?", plutôt que de longs discours, il suffirait de faire écouter le premier mouvement de sa 3° symphonie. Tout y est, ou presque. La contemplation et le mystère comme l'intensité fiévreuse et les tourments, lyrisme et dramatisme poussés à leur paroxysme, la mélancolie et les sensations fortes, la finesse et la puissance. Et aussi, d'un point de vue plus formel : la cohérence de l'ensemble et les contrastes. Car tout découle d'un thème, qui ne cesse de varier et se déployer.
Malheureusement, je n'ai pas trouvé sur les sites de streaming la version de ce premier mouvement que je préfère, celle de Claudio Abbado. Mais l'interprétation de Karajan qui suit est tout à fait recommandable :
Une longue introduction, majestueuse, solennelle, contemplative, brumeuse (il souhaitait notamment figurer l'ambiance des brumes écossaises), entre 3 et 4 minutes selon les versions, qui suggère et amène l'exposition du thème principal. Et quel thème ! Un des plus marquants que je connaisse. Autant par sa beauté et son expressivité que sa construction.
Contraste : on passe de l'Andante de l'intro à un Allegro, mais cohérence et fluidité, puisque le thème est basé sur celui de l'introduction et commence tout en douceur. Tourbillonnant, il évolue crescendo, et passe de la plus douce mélancolie aux tourments les plus enfiévrés. A écouter fort (ou au casque), pour en saisir toute la puissance. Les plus tatillons me diront : lorsque la musique s'emballe vraiment avec le tutti orchestral, on sort du thème au sens strict... certes, il faudrait parler plutôt de "groupe thématique" (avant le 2° thème, plus "bohémien"), mais bon, mieux vaut perdre un peu en précision que de tomber dans le jargon...
Le contraste à l'intérieur d'un thème (ou groupe thématique), ce n'est pas les romantiques qui l'ont inventé. Au contraire, on en retrouve plus fréquemment chez les classiques, qui aimaient associer des motifs distincts dans un même thème. Un exemple typique, clair et bref, dans le 4° mouvement de la symphonie n°40 de Mozart :
Le thème commence sur un arpège ascendant en notes piquées, et joué piano, avant de passer tout de suite sur un petit motif qui tourne sur lui-même, en croches liées et en forte.
Les thèmes du premier mouvement de la 3° symphonie de Mendelssohn et celui du 4° mouvement de la symphonie 40 de Mozart illustrent bien ce qui peut différencier le "contraste et la cohérence" dans le romantisme et le classicisme. Le contraste romantique passe le plus souvent par des "sentiments extrêmes"... d'une tendre et douce mélancolie aux tourments les plus violents. Quant à la cohérence et l'homogénéité de l'ensemble, elle se fait en grande partie dans le classicisme par l'architecture, les proportions, la symétrie, alors que les romantiques jouent en général plus sur la variation, le déploiement d'un thème ou la création d'atmosphères. Non pas que le travail formel soit absent chez les romantiques, loin de là (ce premier mouvement de la 3° symphonie de Mendelssohn est d'ailleurs une forme sonate à deux thèmes), mais on ne sent pas un "découpage" aussi net, symétrique et précis que chez Mozart.
Pour caricaturer, on pourrait dire : le classicisme nous donne des repères, le romantisme nous perd. Comme le fait ce thème envoûtant et tourbillonnant de Mendelssohn, qui nous balade d'un extrême à l'autre et semble ne jamais vouloir vraiment se terminer...
Le désir d'universalité des classiques (une musique claire avec des repères précis) contre l'individualisme romantique (seules les passions individuelles comptent, peu importe qu'elles semblent excessives ou maladives pour la société)... voilà aussi ce qui se joue lorsque l'on écoute ces deux thèmes de Mozart et Mendelssohn. Mais il n'y a bien entendu pas à choisir son camp, il serait dommage de se priver du génie de l'un ou de l'autre...