Randana 03/03/2011
Cet album a un défaut. Un seul défaut, mais un gros : sa qualité sonore est excellente. Et ça, dans les musiques du monde, ça ne pardonne pas. Une faute grave pour les puristes du genre. Rédhibitoire, même. Car le puriste a ses exigences, avec lesquelles il n’accepte que très rarement de transiger, notamment :
- Les morceaux d’un album doivent tous être issus d’un même pays, d’une même région, voire d’un même village. Pas de reprises de morceaux de régions et pays différents, sinon, c’est le bordel.
- Pas question d’entendre cette musique jouée sur n’importe quoi (les instruments occidentaux sont proscrits). Pour vraiment ressentir l’âme de la musique d’une population particulière, il faut que le bois utilisé pour tailler les instruments provienne d’arbres bordant le village. Disons d’arbres dans une circonférence de 2 km maximum autour du village. Pas plus.
- L’enregistrement. Pas de studios hi-tech, d’appareils sophistiqués ou de professionnels du son, non, l’idéal, c’est un ethnomusicologue (en sandales et aux cheveux longs), avec un vieux magnétophone, qui vient saisir discrètement la beauté naturelle de ces musiques. En une prise, évidemment. Et en plein air si possible (jouer pieds nus est un plus, preuve de l’enracinement, de l’attachement à la terre des ancêtres… l’idéal, ce sont des musiciens vêtus de simples pagnes).
- Pas de remixage. Qui est aux musiques du monde ce que sont les pesticides pour les défenseurs des produits bio. Une des particularités du « puriste des musiques du monde », c’est qu’il n’aime rien tant que les « impuretés », les aspérités, qui font le charme de ces musiques exotiques.
- Importance de la tradition orale. Les musiciens présents sur l’album doivent être certifiés appartenant à des familles qui résident depuis au moins 6 générations dans le village. D’une lignée de musiciens qui se transmettent oralement les techniques, codes, rythmes, échelles mélodiques de cet endroit du monde particulier. Leur musique doit éviter le prisme de la partition, et de cette foutue écriture occidentale. Si les musiciens sont illettrés, c’est encore un plus. De toute façon, la règle est simple, plus on est loin de tout apport de l’occident et de ses notions de « civilisation », mieux c’est. Le mythe du bon sauvage joue à plein dans les musiques du monde…
- Le puriste n’est pas raciste. Bien au contraire, puisqu’il se passionne pour ces musiques de cultures si éloignées de la sienne. Il n’est pas raciste… mais pas question de lui présenter une pochette d’un album de musique africaine avec un musicien blanc. Même au milieu de dix musiciens noirs. Même si la famille de ce blanc-bec vit depuis plus de 6 générations dans cette région. Et pourquoi pas des asiatiques jouant des musiques brésiliennes ? Soyons sérieux…
- Qui dit « musiques du monde » dit surtout « musiques du tiers-monde ». Pauvreté, misère et souffrance sont de rigueur. Ne sont acceptées, dans les pays occidentaux, que les musiques de populations ayant subi la cruauté de l’oppresseur blanc. Comme, aux EU, les indiens ou bluesmen noirs. Mais ne leur parlez surtout pas de musique country.
Le Trio Joubran, donc, enfreint malheureusement la plupart de ces règles d’or. Et, pour le puriste, la déception peut s’avérer aussi grande que l’était l’espoir de départ. Car des musiciens palestiniens, un des peuples qui souffrent le plus sur la planète, voilà de quoi affoler leur curiosité. Mais un tel luxe dans la prise de son, une telle précision, une telle maîtrise instrumentale, ça ne cadre pas avec la région. Le puriste n’y trouve pas l’expression de misère et de douleur qu’il attend, et se sent spolié, trahi. Il se dit alors qu’il faudrait vraiment, comme pour le « commerce équitable », un label « musique équitable », qui respecte les règles énoncées ci-dessus, et lui évite ainsi de tomber sur ce genre d'album trop beau pour être... "vrai".
L’album en écoute sur deezer
Sur le même thème (ou presque, je me focalise sur le puriste, Boebis sur les "clichés des musiques du monde") je vous invite à lire le très bon article Vieillards vénérables, enfants rieurs et filles dénudées chez Berceuse électrique...