Hip-Hop 1990 - Def Jam *****
Le point commun entre le be-bop, Steve Coleman, et Fear of a Black Planet de Public Enemy ? Rendre la musique plus "noire", voire même écarter le public blanc.
Le be-bop est la révolution esthétique la plus importante de l'histoire du jazz. Les noirs-américains des années 40, frustrés des constantes discriminations et inégalités sociales alors qu'ils envoient en masse les leurs mourir à la guerre "pour la patrie", commencent à affirmer clairement leur mécontentement. Ils revendiquent le droit au respect... et les jazzmen ne seront pas en reste. Il fallait en finir avec les big-bands swing, destinés à faire danser les blancs, car les musiciens jazz en ont assez de jouer les "faire-valoir". Ils vont abandonner ces grands effectifs, accélerer les tempos de telle sorte que cela devienne "indansable" pour les blancs, et complexifier considérablement leur musique, histoire de prouver qu'ils sont de grands musiciens dont l'art n'est pas un art "mineur".
Le jazz est devenu, depuis la fin de l'ère free-jazz, plus lisse, acceptable, taillé pour les "élites" blanches. Mais Steve Coleman, grand militant pour la cause noire, a une démarche qui rappelle par certains côtés celle du be-bop. Des emprunts au hip-hop (particulièrement sur un album dont j'ai déjà parlé, The way of the cipher), une musique intense, où le rythme et le groove sont mis à l'honneur. Mais un grove dense, sombre, rien à voir avec le groove putassier du r'n'b actuel. Il en est de même avec ce Fear of a Black Planet, sans doute l'album le plus "noir" et groove de Public Enemy, symbole vivant du rap engagé et contestataire. Très peu des quelques éléments rock présents dans leurs autres albums, des samples et lignes de basses hérités du funk (mais un funk souvent plus martial et tendu que festif), des sons qui fusent dans tous les sens, illustrant cette idée de "jungle urbaine" que l'on retrouvait dans certains orchestres de jazz... bref, leur musique est noire, et fière de l'être. Cette imparable machine à groover est aussi... particulièrement éreintante. Comme le bop - trop rapide et riche pour les blancs en quête de musiques agréables et divertissantes - Fear of a black planet est bien trop épuisant pour un auditeur lambda (c'est pourquoi je le prenais comme référence en parlant de l'excellent dernier album d'El-P). Sans concessions, cet album-manifeste ne chercher pas à rallier à sa cause le grand public, il s'adresse à tous ceux qui ont la rage au ventre et l'énergie suffisante pour ne pas décrocher, exténués, après quelques titres. Et ils sont nombreux, comme le prouvent la fascination qu'il suscite et sa place déterminante dans l'histoire des musiques populaires modernes (un Never Mind the Bollocks pour les noirs, en quelque sorte). Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est toujours d'actualité, la "peur d'une France colorée" s'étant massivement exprimée dans les urnes il y a quelques jours...
J'hésitais à placer la vidéo de l'incontournable Fight The Power, ce qui sera peut-être (malheureusement) plus pertinent après le 6 mai (néanmoins, vous pouvez la visionner ici). J'opte plutôt pour Burn Hollywood Burn, où Chuck D. (le leader de Public Enemy), est suivi par deux guests de luxe, Ice Cube et Big Daddy Kane :
1. Contract On The World Love Jam
2. Brothers Gonna Work It Out
3. 911 is a Joke
4. Incident at 66.6 FM
5. Welcome To The Terrordome
6. Meet The G That Killed Me
7. Pollywanacraka
8. Anti-Nigger Machine
9. Burn Hollywood Burn
10. Power To The People
11. Who Stole The Soul
12. Fear Of A Black Planet
13. Revolutionary Generation
14. Can't Do Nuttin' For Ya Man
16. Leave This Off Your Fuckin Charts
17. B Side Wins Again
18. War At 33 1/3
19. Final Count Of The Collision Between Us And The Damned
20. Fight The Power
Autre chronique :
Public Enemy - How you Sell Soul to a Soulless People who sold their soul