18 mars 2009
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11:24
Oui, pourquoi ? Voilà bien une question que pourrait se poser un jeune fan de rock qui, après 2-3 écoutes, ne comprendrait pas le culte et la vénération des rockeurs pour Joy Division... Il a entendu parler du film Control, du "mythe" qu'est devenu Ian Curtis, il s'attend à une grande voix... et là, premier choc et première grosse désillusion, la voix est peu assurée, semble forcée dans le grave, pas de souffle, pas de beau timbre... bref, une voix glauque et déplaisante, une voix de "blatte malade" comme le disait Klak. Quant au groupe, il joue raide, sec... pas de groove, pas de riff imparable, pas de mélodie accrocheuse, tout est... froid et poisseux. Et s'il fait les choses dans l'ordre et commence par leur premier album, il trouvera aussi la prise de son un peu trop vieillie et terne... Ian Curtis serait un de ces chanteurs fous, barges, rock'n'roll, qui font l'histoire du genre par leur personnalité extravertie et leurs frasques multiples ? Même pas, c'était un type en général sociable, poli, sympathique, marié à 19 ans, qui n'abusait pas de drogues...
Le jeune fan de rock se dit alors que la fascination pour le groupe n'est pas plus liée à leur musique qu'à leur attitude, elle doit être dans le message qu'il porte... et se rend compte très vite que le nom du groupe renvoie au nazisme (les "Divisions de la joie" étaient ces femmes déportées utilisées pour satisfaire les envies sexuelles de militaires allemands et du personnel des camps), puis il découvre que la pochette de leur premier EP (sous le nom de Warsaw) est une illustration des jeunesses hitlériennes (EP qui contient aussi des photos du ghetto de Varsovie), que le chant de Ian Curtis ne débute pas sur Warsaw par 1,2,3,4... mais 3,5,0,1,2,5... le numéro de matricule de Rudolf Hess... après la mort de Curtis, les 3 autres choisiront pour nom "New Order"... là, le jeune fan de rock est pris de vertige... voix désagréable + musique aride et morbide + références nazies... ce n'est pas pour lui un des plus grands groupes de rock, mais le pire. Il en vient à se demander si le rock n'est pas un milieu crypto-nazi pour qu'un groupe tel que Joy Division soit l'objet d'une telle vénération...
Plus tard, il comprendra que les références nazies ont fait partie de la provocation punk (Sid Vicious, Siouxsie) et rock de l'époque en Angleterre (Bowie, perdu à ce moment dans la mégalo, la parano, des délires nietzschéens... et si Joy Division s'est appelé d'abord Warsaw, c'est Warszawa de Bowie qui les a inspiré). Mais c'est un peu facile, aussi, de n'y voir que de la provoc', ou une "critique" comme l'ont plus tard dit les membres de Joy Division... il y a chez Ian Curtis et Joy Division une incontestable fascination pour la noirceur, le morbide... ce n'étaient pas plus des crétins punks incultes que des artistes très engagés politiquement (d'autant plus que dénoncer le régime nazi fin des années 70 en Grande-Bretagne n'avait rien de brûlant, courageux ou polémique).
Tout cela participe aussi du rejet radical des idéaux hippies par les punks, qui, à l'ancien et naïf "flower power" opposent pour la plupart rage, révolte, violence, chaos. Pas étonnant que Ian Curtis ait été fan de Jim Morrison, il y a une filiation évidente entre les deux... aucune fascination pour le nazisme chez Morrison, mais pour Nietzsche, le Moyen Age, l'Antiquité, le romantisme sombre, l'ésotérisme, la manipulation des masses... son univers (comme je l'ai expliqué ici) est par bien des côtés à l'exact opposé de l'univers hippie (même si on ne peut négliger sa passion pour le blues, Elvis, Dylan et les poètes de la beat generation). Ca me pendait au nez, un article sur Joy Division et je me mets à parler de Morrison... revenons-en au sujet...
Pourquoi Joy Division, donc, après un tableau aussi sombre...
1. Histoire
Qu'on le veuille ou non, le rock, ce n'est jamais "que de la musique", c'est aussi une histoire, une attitude... et celle de Joy Division - et Ian Curtis en particulier - a de quoi forcer l'admiration. Bernard Sumner (guitare) et Peter Hook (basse) décident de monter un groupe après avoir vu un des premiers concerts des Sex Pistols, ils embauchent Ian Curtis lors d'un autre concert des Pistols... c'est tout de même autre chose sur un CV rock que de se rencontrer sur myspace ou à un concert de U2...
Un premier album qui marque déjà la naissance d'une nouvelle esthétique post-punk, un chanteur atteint d'épilepsie qui danse d'une manière très surprenante (de mauvaises langues diraient : Ian Curtis a inventé la tecktonik 25 ans avant tout le monde...) et se suicide juste avant leur première tournée américaine et la sortie du second album. Rien de tel qu'une mort violente (suicide, overdose, accident) et précoce pour entrer au panthéon du rock (Curtis, mort à 23 ans, fait mieux que le "club des 27" : Morrison/Hendrix/Joplin/Brian Jones/Cobain).
2. Esthétique et musique
Unknown Pleasures, le premier Joy Division (1979), n'est pas le premier album post-punk... il y a eu les indispensables First Issue de P.I.L. et The Scream de Siouxsie (tous deux sortis en 78). Mais il n'en reste pas moins que Unknown Pleasures et Closer sont deux pierres angulaires de la musique rock... le rock a été jusque-là festif, engagé, sophistiqué, enragé, soft, hypnotique, foutraque, violent, consensuel, provocateur, sérieux, parodique, joyeux, triste, élitiste, plouc, expérimental, planant, bourrin, décadent etc... bref, on pensait qu'il avait à peu près tout connu et qu'il ne lui restait plus d'émotions à explorer... mais Joy Division saura apporter une nouvelle couleur à la palette du rock : jamais le rock n'avait été aussi sombre, glauque et déprimant. Si l'on excepte leur "tube", qui ne figure de toute façon pas sur leurs deux albums (Love Will Tear us Apart, la seule mauvaise chanson de Joy Division à mon goût - je vais me faire taper dessus pour ce blasphème, mais j'y peux rien, j'ai toujours trouvé sa mélodie effroyablement niaise), il n'y a absolument rien chez Joy Division qui puisse séduire l'auditeur lambda (à la limite, Decades...). On trouve beaucoup de jolies ballades chez le Velvet, une énergie et une intensité rock'n'roll "entraînantes" chez les Stooges et Sex Pistols... mais pas chez Joy Division. Ils restent dans un cadre "chanson rock", mais des chansons rock débarrassées de toute "joliesse". Auparavant, tous les groupes rock allaient un minimum chercher l'auditeur... que ce soit par des mélodies accrocheuses, des riffs efficaces, du groove, une originalité surprenante, une intensité rare, une voix sexy, de la spontanéité... Joy Division, non. Ce n'est pas à Joy Division de chercher l'auditeur, c'est à lui d'accepter de rentrer dans leur univers froid, glauque et dépressif, à lui d'accepter la voix de Ian Curtis qui semble dire "je ne suis pas là pour te plaire, te bercer, te faire rêver, t'enchanter... mais te plonger sans artifice dans les abimes de la dépression." Avis aux amateurs...
Le rock haranguait les foules, s'amusait à les choquer, les interpeller.... avec Joy Division, on passe à quelque chose de véritablement nouveau, une rage rentrée, une musique de la frustration et de la dépression, une musique qui semble, après l'explosion punk, nous dire que tout ça ne sert à rien, qu'il n'y a aucun espoir, qu'il ne reste plus qu'à se laisser crever (ce que Ian Curtis a parfaitement mis en pratique...) "No future" disait Johnny Rotten... personne ne l'a aussi bien compris, intégré et incarné que Joy Division.
Le plus fort chez Joy Division, c'est qu'il est le premier groupe de rock qui semble avoir abandonné toute idée de frime et de spectacle. Sans mauvais jeux de mots, il est le premier groupe qui n'ait pas de "hook" (qui désigne chez les rappeurs le passage "accrocheur" du morceau, le refrain), autrement dit, le premier groupe qui n'ait rien qui vienne aguicher le public. Chez tous les grands qui ont jusqu'alors contribué à rendre le rock plus sérieux, ambitieux, radical ou profond... il y a toujours eu un truc sexy, cool, second degré, excentrique ou virtuose, toujours un truc qui nous rappelait qu'on était en "représentation". Le "rock'n'roll circus", c'est de ça dont il s'agissait. D'Elvis à Bowie, tous ont fait - avec talent et génie parfois - leur numéro. Cela n'empêchait pas la sincérité, la profondeur, les grandes ambitions, le sérieux... particulièrement chez Can, Patti Smith... pourtant, même chez eux, il y a une dimension "spectaculaire", et cette volonté d'aller chercher l'auditeur, de l'interpeller, le transporter.
La vidéo ci-dessous est éloquente. S'il y a bien une chose à laquelle ne ressemble pas Ian Curtis, c'est à un chanteur de rock... et s'il y a bien trois choses qu'il ne sait pas faire, c'est :
1. Chanter
2. Danser
3. Créer un lien avec le spectateur
Joy Division - Shadowplay
Pas de frime, de spectacle, de clin d'oeil, de second degré, tout semble ici grave, terriblement grave, désespérément grave.
On ne vient donc pas à Joy Division comme on vient à n'importe quel autre groupe de rock. On n'y vient pas pour se divertir, s'amuser, danser, être séduit, bercé, charmé, excité. Pour répondre à la question initiale, on vient à Joy Division pour deux raisons essentielles :
1. Parce qu'on estime que l'esthétique prime. Peu importent les références douteuses, la voix de vautour déprimé de Ian Curtis... toutes les barrières qui semblent se mettre entre un auditeur lambda et Joy Division sont autant d'obstacles destinés à réduire l'accès à un groupe qui se mérite. Et lorsqu'on a su les franchir, on découvre les trésors que sont les morceaux fascinants de Joy Division. Revendiquer Joy Division, c'est dire quelque chose de soi... non pas "je suis un nazi dépressif", mais "l'esthétique est pour moi primordiale"...
2. Le rock, c'est la rébellion, le miroir de l'adolescence...
Il a jusqu'à Joy Division exprimé la plupart des phases de l'adolescence :
Besoin de liberté, de s'éclater (Elvis, Chuck Berry)
Prise de conscience du monde qui nous entoure, engagement, contestation (Dylan)
Imagination, créativité débridée, audace, insouciance... tout semble facile et possible (Beatles)
Jouer les mauvais garçons, être cool (Stones)
Quête d'absolu (Hendrix, Led Zep, Pink Floyd), de transcendance et de mysticisme (Doors, Hendrix)
Provocation, transgression (Doors, Velvet) noirceur (Doors, Velvet, Magma, Pink Floyd, Black Sabbath)
Energie, appétit de vie, révolte (Who, Led Zep)
Décadence, ambivalence, ambiguïté (Velvet, Bowie)
Expérimentation (Beatles, Soft Machine, Pink Floyd, Zappa, Captain Beefheart, Can...)
Rage, hargne, fureur (MC5, Stooges, Sex Pistols)
Mais aucun groupe n'avait encore illustré l'état le plus flippant et extrême de l'adolescence, celui où l'on ne joue plus, où l'on ne cherche plus, où l'on n'essaie même plus d'agir sur le monde, de se présenter ou se représenter, celui où l'on s'enferme complètement sur soi-même, où tout est froid, désespéré, vide de sens, celui où, le nazisme ou autre chose, peu importe, on voudrait juste que tout s'arrête...
Unknown Pleasures ou Closer ?
Les deux sont indispensables... et en écoute intégrale sur jiwa (dans leur version remasterisée) :
Unknown Pleasures
Closer
J'ai une petite préférence pour Closer, plus abouti... et je vous ai concocté une playlist des titres qui sont à mon sens les meilleurs de Joy Division... playlist qui ne sert pas à grand chose, autant écouter leurs deux chefs-d'oeuvre en entier...
Joy Division :
Ian Curtis (chant)
Bernard Sumner (guitare)
Peter Hook (basse)
Stephen Morris (batterie)
Chronique de Closer sur le Golb
Le jeune fan de rock se dit alors que la fascination pour le groupe n'est pas plus liée à leur musique qu'à leur attitude, elle doit être dans le message qu'il porte... et se rend compte très vite que le nom du groupe renvoie au nazisme (les "Divisions de la joie" étaient ces femmes déportées utilisées pour satisfaire les envies sexuelles de militaires allemands et du personnel des camps), puis il découvre que la pochette de leur premier EP (sous le nom de Warsaw) est une illustration des jeunesses hitlériennes (EP qui contient aussi des photos du ghetto de Varsovie), que le chant de Ian Curtis ne débute pas sur Warsaw par 1,2,3,4... mais 3,5,0,1,2,5... le numéro de matricule de Rudolf Hess... après la mort de Curtis, les 3 autres choisiront pour nom "New Order"... là, le jeune fan de rock est pris de vertige... voix désagréable + musique aride et morbide + références nazies... ce n'est pas pour lui un des plus grands groupes de rock, mais le pire. Il en vient à se demander si le rock n'est pas un milieu crypto-nazi pour qu'un groupe tel que Joy Division soit l'objet d'une telle vénération...
Plus tard, il comprendra que les références nazies ont fait partie de la provocation punk (Sid Vicious, Siouxsie) et rock de l'époque en Angleterre (Bowie, perdu à ce moment dans la mégalo, la parano, des délires nietzschéens... et si Joy Division s'est appelé d'abord Warsaw, c'est Warszawa de Bowie qui les a inspiré). Mais c'est un peu facile, aussi, de n'y voir que de la provoc', ou une "critique" comme l'ont plus tard dit les membres de Joy Division... il y a chez Ian Curtis et Joy Division une incontestable fascination pour la noirceur, le morbide... ce n'étaient pas plus des crétins punks incultes que des artistes très engagés politiquement (d'autant plus que dénoncer le régime nazi fin des années 70 en Grande-Bretagne n'avait rien de brûlant, courageux ou polémique).
Tout cela participe aussi du rejet radical des idéaux hippies par les punks, qui, à l'ancien et naïf "flower power" opposent pour la plupart rage, révolte, violence, chaos. Pas étonnant que Ian Curtis ait été fan de Jim Morrison, il y a une filiation évidente entre les deux... aucune fascination pour le nazisme chez Morrison, mais pour Nietzsche, le Moyen Age, l'Antiquité, le romantisme sombre, l'ésotérisme, la manipulation des masses... son univers (comme je l'ai expliqué ici) est par bien des côtés à l'exact opposé de l'univers hippie (même si on ne peut négliger sa passion pour le blues, Elvis, Dylan et les poètes de la beat generation). Ca me pendait au nez, un article sur Joy Division et je me mets à parler de Morrison... revenons-en au sujet...
Pourquoi Joy Division, donc, après un tableau aussi sombre...
1. Histoire
Qu'on le veuille ou non, le rock, ce n'est jamais "que de la musique", c'est aussi une histoire, une attitude... et celle de Joy Division - et Ian Curtis en particulier - a de quoi forcer l'admiration. Bernard Sumner (guitare) et Peter Hook (basse) décident de monter un groupe après avoir vu un des premiers concerts des Sex Pistols, ils embauchent Ian Curtis lors d'un autre concert des Pistols... c'est tout de même autre chose sur un CV rock que de se rencontrer sur myspace ou à un concert de U2...
Un premier album qui marque déjà la naissance d'une nouvelle esthétique post-punk, un chanteur atteint d'épilepsie qui danse d'une manière très surprenante (de mauvaises langues diraient : Ian Curtis a inventé la tecktonik 25 ans avant tout le monde...) et se suicide juste avant leur première tournée américaine et la sortie du second album. Rien de tel qu'une mort violente (suicide, overdose, accident) et précoce pour entrer au panthéon du rock (Curtis, mort à 23 ans, fait mieux que le "club des 27" : Morrison/Hendrix/Joplin/Brian Jones/Cobain).
2. Esthétique et musique
Unknown Pleasures, le premier Joy Division (1979), n'est pas le premier album post-punk... il y a eu les indispensables First Issue de P.I.L. et The Scream de Siouxsie (tous deux sortis en 78). Mais il n'en reste pas moins que Unknown Pleasures et Closer sont deux pierres angulaires de la musique rock... le rock a été jusque-là festif, engagé, sophistiqué, enragé, soft, hypnotique, foutraque, violent, consensuel, provocateur, sérieux, parodique, joyeux, triste, élitiste, plouc, expérimental, planant, bourrin, décadent etc... bref, on pensait qu'il avait à peu près tout connu et qu'il ne lui restait plus d'émotions à explorer... mais Joy Division saura apporter une nouvelle couleur à la palette du rock : jamais le rock n'avait été aussi sombre, glauque et déprimant. Si l'on excepte leur "tube", qui ne figure de toute façon pas sur leurs deux albums (Love Will Tear us Apart, la seule mauvaise chanson de Joy Division à mon goût - je vais me faire taper dessus pour ce blasphème, mais j'y peux rien, j'ai toujours trouvé sa mélodie effroyablement niaise), il n'y a absolument rien chez Joy Division qui puisse séduire l'auditeur lambda (à la limite, Decades...). On trouve beaucoup de jolies ballades chez le Velvet, une énergie et une intensité rock'n'roll "entraînantes" chez les Stooges et Sex Pistols... mais pas chez Joy Division. Ils restent dans un cadre "chanson rock", mais des chansons rock débarrassées de toute "joliesse". Auparavant, tous les groupes rock allaient un minimum chercher l'auditeur... que ce soit par des mélodies accrocheuses, des riffs efficaces, du groove, une originalité surprenante, une intensité rare, une voix sexy, de la spontanéité... Joy Division, non. Ce n'est pas à Joy Division de chercher l'auditeur, c'est à lui d'accepter de rentrer dans leur univers froid, glauque et dépressif, à lui d'accepter la voix de Ian Curtis qui semble dire "je ne suis pas là pour te plaire, te bercer, te faire rêver, t'enchanter... mais te plonger sans artifice dans les abimes de la dépression." Avis aux amateurs...
Le rock haranguait les foules, s'amusait à les choquer, les interpeller.... avec Joy Division, on passe à quelque chose de véritablement nouveau, une rage rentrée, une musique de la frustration et de la dépression, une musique qui semble, après l'explosion punk, nous dire que tout ça ne sert à rien, qu'il n'y a aucun espoir, qu'il ne reste plus qu'à se laisser crever (ce que Ian Curtis a parfaitement mis en pratique...) "No future" disait Johnny Rotten... personne ne l'a aussi bien compris, intégré et incarné que Joy Division.
Le plus fort chez Joy Division, c'est qu'il est le premier groupe de rock qui semble avoir abandonné toute idée de frime et de spectacle. Sans mauvais jeux de mots, il est le premier groupe qui n'ait pas de "hook" (qui désigne chez les rappeurs le passage "accrocheur" du morceau, le refrain), autrement dit, le premier groupe qui n'ait rien qui vienne aguicher le public. Chez tous les grands qui ont jusqu'alors contribué à rendre le rock plus sérieux, ambitieux, radical ou profond... il y a toujours eu un truc sexy, cool, second degré, excentrique ou virtuose, toujours un truc qui nous rappelait qu'on était en "représentation". Le "rock'n'roll circus", c'est de ça dont il s'agissait. D'Elvis à Bowie, tous ont fait - avec talent et génie parfois - leur numéro. Cela n'empêchait pas la sincérité, la profondeur, les grandes ambitions, le sérieux... particulièrement chez Can, Patti Smith... pourtant, même chez eux, il y a une dimension "spectaculaire", et cette volonté d'aller chercher l'auditeur, de l'interpeller, le transporter.
La vidéo ci-dessous est éloquente. S'il y a bien une chose à laquelle ne ressemble pas Ian Curtis, c'est à un chanteur de rock... et s'il y a bien trois choses qu'il ne sait pas faire, c'est :
1. Chanter
2. Danser
3. Créer un lien avec le spectateur
Joy Division - Shadowplay
Pas de frime, de spectacle, de clin d'oeil, de second degré, tout semble ici grave, terriblement grave, désespérément grave.
On ne vient donc pas à Joy Division comme on vient à n'importe quel autre groupe de rock. On n'y vient pas pour se divertir, s'amuser, danser, être séduit, bercé, charmé, excité. Pour répondre à la question initiale, on vient à Joy Division pour deux raisons essentielles :
1. Parce qu'on estime que l'esthétique prime. Peu importent les références douteuses, la voix de vautour déprimé de Ian Curtis... toutes les barrières qui semblent se mettre entre un auditeur lambda et Joy Division sont autant d'obstacles destinés à réduire l'accès à un groupe qui se mérite. Et lorsqu'on a su les franchir, on découvre les trésors que sont les morceaux fascinants de Joy Division. Revendiquer Joy Division, c'est dire quelque chose de soi... non pas "je suis un nazi dépressif", mais "l'esthétique est pour moi primordiale"...
2. Le rock, c'est la rébellion, le miroir de l'adolescence...
Il a jusqu'à Joy Division exprimé la plupart des phases de l'adolescence :
Besoin de liberté, de s'éclater (Elvis, Chuck Berry)
Prise de conscience du monde qui nous entoure, engagement, contestation (Dylan)
Imagination, créativité débridée, audace, insouciance... tout semble facile et possible (Beatles)
Jouer les mauvais garçons, être cool (Stones)
Quête d'absolu (Hendrix, Led Zep, Pink Floyd), de transcendance et de mysticisme (Doors, Hendrix)
Provocation, transgression (Doors, Velvet) noirceur (Doors, Velvet, Magma, Pink Floyd, Black Sabbath)
Energie, appétit de vie, révolte (Who, Led Zep)
Décadence, ambivalence, ambiguïté (Velvet, Bowie)
Expérimentation (Beatles, Soft Machine, Pink Floyd, Zappa, Captain Beefheart, Can...)
Rage, hargne, fureur (MC5, Stooges, Sex Pistols)
Mais aucun groupe n'avait encore illustré l'état le plus flippant et extrême de l'adolescence, celui où l'on ne joue plus, où l'on ne cherche plus, où l'on n'essaie même plus d'agir sur le monde, de se présenter ou se représenter, celui où l'on s'enferme complètement sur soi-même, où tout est froid, désespéré, vide de sens, celui où, le nazisme ou autre chose, peu importe, on voudrait juste que tout s'arrête...
Unknown Pleasures ou Closer ?
Les deux sont indispensables... et en écoute intégrale sur jiwa (dans leur version remasterisée) :
Unknown Pleasures
Closer
J'ai une petite préférence pour Closer, plus abouti... et je vous ai concocté une playlist des titres qui sont à mon sens les meilleurs de Joy Division... playlist qui ne sert pas à grand chose, autant écouter leurs deux chefs-d'oeuvre en entier...
Joy Division :
Ian Curtis (chant)
Bernard Sumner (guitare)
Peter Hook (basse)
Stephen Morris (batterie)
Chronique de Closer sur le Golb