Déjà un bilan de la décennie ? Oui, pour une bonne et simple raison : on peut d'ores et déjà s'interroger sur ce qui est le fait musical le plus marquant de la décennie (et bizarrement, peu relevé et discuté... voire pas du tout) : aucun style musical important n'est apparu dans les musiques populaires occidentales de 2000 à 2010.
Depuis les années 50 et l'arrivée fracassante du rock, chaque décennie, chaque génération a eu ses genres musicaux (je ne liste pas tous les sous-genres) :
Années 50 : Rock'n'roll
Années 60 : Rock Psychédélique, Pop
Folk-rock
Soul, Funk
Années 70 : Punk
Glam
Hard-rock
Rock progressif
(les 2 derniers sont nés à la fin des années 60, mais ils se sont surtout développés dans les 70's)
Années 80 : Hip-hop
New-wave, Cold-wave
Techno
Rock indépendant
Metal (Heavy, Thrash, Death)
Années 90 : Grunge
Trip-hop
Gangsta-rap
Electro (Electronica, Jungle, Big Beat)
(plus confidentiels : Abstract Hip-Hop, Post-rock, Black metal)
Années 2000 : ?
Tecktonik ??
Aucun mouvement musical marquant dans les années 2000... la seule chose à laquelle on a eu droit, c'est ce qu'il y a de pire, la tecktonik... Même pas un genre musical en soi, une pseudo danse/mode totalement orchestrée par le business et les médias, et qui ne porte pas le moindre message contestataire (la tecktonik, c'est : on ne boit pas, on ne fume pas, on ne se drogue pas, on ne se révolte pas... mais on mouline avec les bras...)
Un problème de manque de créativité ?
Peut-être en partie, mais pas seulement... les années 2000 n'auront pas été inintéressantes musicalement, loin de là, beaucoup de très grands albums sont sortis, des oeuvres originales, passionnantes... Kid A et Hail To The Thief de Radiohead, Drukqs d'Aphex Twin, The Drift de Scott Walker, Third de Portishead, Illinois de Sufjan Stevens, les albums de Dälek, Amon Tobin, Matt Elliott, Animal Collective, Burial, Liars... pour ne citer que les premiers exemples qui me viennent à l'esprit...
Le plus regrettable, dans l'histoire, c'est que la génération des années 2000 n'aura pas eu "sa" musique, ce qui n'était pas arrivé depuis la naissance du rock'n'roll. Pas un nouveau genre musical qui lui appartienne exclusivement, qui fasse trembler les générations précédentes, qui porte en elle l'esprit de révolte de la jeunesse comme l'ont fait le rock, rock psychédélique, punk, hip-hop, techno, grunge dans toutes les décennies précédentes. Il y aura bien eu Eminem au début de la décennie pour porter le flambeau, mais il est plutôt esseulé, et le rap n'est plus tout jeune dans les années 2000...
Pourtant, la jeunesse des années 2000 n'a pas manqué de motifs de révolte et de rejet de la société... mais aucune musique n'aura su l'exprimer de manière originale, moderne, novatrice, et canaliser cette colère.
Comment l'expliquer ?
Pas la peine d'aller chercher très loin ce qui est sans doute la principale cause de ce phénomène (ou plutôt d'absence de nouveau phénomène musical), elle est sous vos yeux : internet. Non pas le téléchargement (dès qu'on parle de musique et d'internet dans les années 2000, on en revient toujours là, alors qu'il y a bien d'autres choses à dire sur le sujet), mais ce mélange particulier d'individualisme et de communautarisme que permet le web.
Le net offre à tout le monde la possibilité de s'exprimer publiquement, et les jeunes se sont très vite appropriés ce nouveau média. Ils n'ont sans doute plus autant besoin que les générations précédentes de trouver un "porte-parole", de s'identifier à un chanteur charismatique et rebelle... s'ils ont quelque chose à dire, ils ont des forums, blogs, et trouveront facilement des "petites communautés" de gens qui pensent comme eux. Chacun dans son petit coin, sa petite communauté... chacun a son petit "espace".
Myspace... le symbole de cette nouvelle donne pour les groupes, et peut-être l'explication la plus probante de cette "crise des genres musicaux". Diffuser sa musique est devenue accessible à n'importe quel musicien, et d'une simplicité déconcertante. Avant, il fallait démarcher les labels, tenter de les convaincre, trouver des dates de concerts, espérer qu'un jour, une de ses chansons soit diffusée en radio... et le Graal, c'était la possibilité de sortir un album, avec votre musique enfin disponible pour le grand public et fixée sur un support. Maintenant, n'importe quel amateur, sans même avoir de label, a la possibilité d'enregistrer ses chansons sur son 4-pistes, les balancer sur sa page myspace, et les voilà "fixées et disponibles". Bien sûr, ce n'est pas pour autant que vous aurez des millions d'auditeurs et que vous vivrez de votre musique, mais elles ont "leur espace"... sur toute la planète, on peut avoir accès à votre musique... ce qui est véritablement révolutionnaire...
Du coup, chacun bricole dans son coin, met sa musique en ligne, et espère que le public et les labels seront intéressés... on croise sur myspace, les blogs, forums, des gens aux goûts musicaux similaires, et de petites communautés se forment... Toujours ce mélange d'individualisme (chacun bricole dans son coin et peut, seul, faire écouter sa musique à tous) et de communautarisme (les "amis" sur myspace)...
Plus besoin de créer un nouveau genre musical ou de s'inscrire dans la lignée de celui qui fédère la jeunesse pour être écouté, on fait sa petite cuisine musicale et on la met en ligne.
S'il y a bien eu un bouleversement considérable dans la musique des années 2000, il concerne seulement la production/diffusion/consommation. Mais rien d'essentiel dans l'évolution des genres musicaux. Ce qui, en soi, est déjà un "événement", puisqu'on n'avait jamais connu ça dans les 5 décennies précédentes. Tout au plus peut-on noter que les barrières entre les genres ont tendance à s'estomper, mais des mélanges divers et variés, il y en a toujours eu, et cela relève cette décennie d'une "petite cuisine musicale individuelle"...
La décennie du repli
Du rock 60's, 70's, 80's... on en a entendu beaucoup dans les années 2000. Pas besoin pour cela d'aller dépoussiérer ses vieux disques, suffisait d'écouter les nouveaux groupes. Beaucoup de recyclage (parfois très réussis), de regards tournés vers le passé, de vénération des "grands anciens"... et c'est peut-être ça aussi, le problème. Pour être vraiment créatif, il faut aimer et connaître l'art qu'on pratique, avoir des références... mais aussi savoir à un moment donné s'affirmer, oublier ses modèles, couper le cordon, "tuer le père". Ce que n'ont malheureusement pas su faire les groupes des années 2000. L'idéal serait une "nouvelle explosion punk"... non pas un revival punk, ce qui ne serait que du simple recyclage, mais une musique originale et rageuse, un mouvement qui rassemble la jeunesse, balance de grandes claques et renvoie les vieilles gloires du rock dans leurs hospices... ce n'est pas simplement souhaitable, mais nécessaire, pour réveiller les musiques populaires modernes. Quand on en vient à regretter la période grunge, se dire qu'il s'y passait au moins quelque chose d'excitant... c'est qu'il y a vraiment urgence...