Amalia Rodrigues (1920-1999) - Solidão (Cancão do Mar)
La catégorie chansons d'exception était au départ destinée à parler de chansons du moment que je trouvais au-dessus du lot (de BRMC, Stuck in the Sound, QOTSA...) mais j'ai finalement préféré parler de chansons vraiment "exceptionnelles", des chansons que j'adore (Song to the Siren de Tim Buckley, Day is Done de Nick Drake, This is Not a Love Song de P.I.L et... Solidão).
Une chanson qui me permet aussi de mieux illustrer l'article précédent, Musiques du peuple et musiques populaires...
Ma première rencontre avec cette chanson a été assez traumatisante. Un soir de désoeuvrement, il y a de nombreuses années, je zappe et tombe sur Hélène Ségara qui la chante... normalement, la simple vue d'Hélène Ségara me fait changer de chaîne illico... mais là, je reste un peu plus... et, à mon grand étonnement (et écoeurement, surtout), la mélodie me plaît, me touche... je suis tiraillé entre d'un côté le plaisir ressenti à l'écoute de cette mélodie, de l'autre, le dégoût pour l'orchestration, l'interprétation et, surtout, de me retrouver à apprécier une mélodie d'Hélène Ségara. C'était tout mon univers et ce en quoi je croyais qui s'écroulait (rien que ça...) et, bien sûr, dans ces émissions varièt', personne ne dit que ce morceau n'est pas d'elle (enfin, de ses auteurs...)
Heureusement, je découvrirai plus tard que cette chanson est un air de fado (musique populaire portugaise), Cancão do Mar (chanson de la mer), que la grande Amalia Rodrigues a repris avec un texte différent : Solidão.
Du coup, au lieu de voir mon "monde" s'écrouler, il se consolide... car cette petite expérience prouve bien que lorsqu'on est un passionné de musique un minimum exigeant, on n'est pas - contrairement à ce que certains pensent - un mouton "snob" qui apprécie juste une musique en fonction de l'avis de quelques critiques, qui aime ce qu'on lui dit d'aimer... on a des oreilles, du goût, et même quand Ségara reprend une véritable belle chanson, on est capable d'entendre le joyau qui se cache sous des couches de guimauve...
Pour entendre la différence entre ces deux versions (ainsi qu'une troisième dont je parlerai un peu après) :
Qu'est-ce qui distingue ces deux versions, pourquoi celle de Ségara est-elle lamentable ? Pas la peine de l'expliquer pour des gens qui ont un minimum de bon goût... mais je pense à ceux qui pourraient tomber ici par hasard en faisant une recherche sur "Hélène Ségara", qui imagineraient que ma détestation de cette chanteuse n'est qu'un parti-pris... non, il y a des raisons "objectives" qui font que l'on ne supporte pas la variété, et ce, sur tous les points...
1. L'orchestration. La version de Ségara commence par un rythme orientalisant, du synthé et des sons électro, puis on sort les violons... avec une guitare flamenco un peu plus tard... bref, on est en plein dans de la "bouillie world music" surproduite, où l'on mélange tout et n'importe quoi. Chez Amalia Rodrigues, rien de tape à l'oeil, il y a une véritable "couleur locale", avec les instruments typiques du fado... mais chez Ségara, on est dans l'exotisme de pacotille. D'un côté, la musique d'un peuple, de l'autre, la musique trafiquée, artificielle, qui bouffe à tous les râteliers... la musique de l'industrie.
2. Le rythme. Une rythmique de slow lourdingue chez Ségara, alors qu'il y a une vraie légèreté chez Amalia... on peut se mouvoir avec grâce et subtilité sur la version d'Amalia, pas sur celle de Ségara où tout est trop appuyé. D'un côté, un chat, de l'autre, un hippopotame.
3. Le chant. La différence est considérable entre l'interprétation, fluide et subtile d'Amalia ; et celle surlignée, démonstrative et mielleuse de Ségara. Le meilleur exemple est sur les points "culminants" de la chanson... il y a chaque fois une montée, qui amène à ce point où les instruments restent en suspension et laissent la chanteuse seule faire la descente. A ces moments, écoutez la finesse d'Amalia, qui fait cette descente tout en douceur, avec du tact et du "swing"... bref, une vraie musicalité. De l'autre, Ségara qui appuie bêtement et simplement chaque mot. Les mots coulent dans la bouche d'Amalia, ils sont "récités" chez Ségara.
Autre grande différence, le vibrato et les petites ornemantations (les "broderies", à la voix, où l'on tourne autour d'une note)... qui semblent si naturels dans la voix d'Amalia, alors qu'on a chez Ségara des notes beaucoup plus plates, et des ornementations plus ou moins orientalisantes assez décalées sur ce titre (mais bien dans l'esprit de cette "bouillie world music").
Le chant de Ségara réussit l'exploit (!) d'être à la fois "plat" dans la manière de poser les notes, et terriblement maniéré, affecté, mièvre. Comme l'annonçaient les violons balourds du début, elle est là pour tirer les larmes et n'hésite pas à sortir l'artillerie lourde pour y arriver. Mais quand on a ne serait-ce qu'un peu d'exigence, on pleure, en effet, chez Ségara, quand on entend le massacre qu'elle fait de cette magnifique chanson, alors qu'on pleure d'émotion face à l'interprétation si touchante et digne d'Amalia.
Pire encore... Ségara ne s'est même pas foulée pour retravailler le morceau, elle a repiqué l'orchestration de Dulce Pontes (la 3° version dans le lecteur ci-dessus)... à laquelle on peut donc appliquer les mêmes critiques qu'à Ségara.
Pour écouter et réécouter en boucle cette sublime chanson et vous éviter de passer à la version de Ségara :
Amalia Rodrigues - Solidão
Et si vous désirez la jouer... les paroles et la grille d'accords :
Paroles de Solidão : David Mourao Ferreira
Solidão de quem tremeu
A tentação do céu
E desencanto, eis o que o céu me deu
Serei bem eu
Sob este véu de pranto
Sem saber se choro algum pecado
A tremer, imploro o céu fechado
Triste amor, o amor de alguém
Quando outro amor se tem
Abandonado, e não me abandonei
Por mim, ninguém
Já se detém na estrada
Cancão do Mar : Frederico de Brito, Ferrer Trindade
Accords :
Intro
4/4 I Dm I C/E I Gm I A I
Chant
I Bb - A I Gm (A) - Dm I Gm - A I Dm I (x2)
I C I C - F I E I E - A I