Electro 1998 - Ninja Tune *****
Comme le disait Gainsbourg, la chanson et le rock sont des arts mineurs qui ne peuvent rivaliser avec le classique et le jazz. Mais à toute règle, il faut des exceptions. Quelques-unes existent dans l’électro, tels Aphex Twin et Autechre qui n’ont pas à rougir face à la musique contemporaine savante. Le " cas " Amon Tobin est encore plus intéressant. Car il a réussi à créer une musique originale et complexe qui n’en reste pas moins assez accessible (mais si vous êtes fan d’Hélène Ségara, vous risquez d’avoir un peu de mal...)
Avec les logiciels et le matériel actuels, tout le monde peut créer des morceaux qui donnent l’apparence de la complexité, avec des rythmes et des sons qui partent dans tous les sens. Mais savoir les organiser pour en faire de véritables œuvres cohérentes est autrement plus délicat. Et s’il en est un qui maîtrise cela à la perfection, c’est bien l’anglo-brésilien Amon Tobin.
Le talent d’Amon Tobin c’est (entre autres) de savoir composer des albums cohérents, donc, où l’on n’a pas l’impression d’être face à un bidouilleur qui ne sait pas trop lui-même ce qu’il fait, et suffisamment denses et riches pour n’être jamais linéaires et monotones. Comme je l’ai écrit il y a quelques temps, Sea Inside body de Kelpe est un peu dans la même veine. Mais aussi bon soit l’album de Kelpe (et il est excellent !), Amon Tobin est un ton au dessus.
Ses albums (particulièrement Permutation et Out from out where) sont des albums-monde, des albums dont on ne vient jamais réellement à bout tant ils regorgent d’idées (les trouvailles sonores et leurs superpositions sont fascinantes). Il y a tout, chez Amon Tobin, mais un tout " organique ", pas bordélique (enfin… le bordel faisant partie du tout, il a aussi sa place). Sa musique est profonde et légère, sombre et ludique, agréable et angoissante, sauvage et planante, lyrique et sarcastique, expérimentale et accessible, subtile et fracassante, hyper-structurée et… bordélique.
Le plus saisissant, c’est qu’il arrive sur certains morceaux à faire coexister toutes ces caractéristiques sans perdre le fil, sans qu’on ait la désagréable sensation d’ingurgiter une bouillie post-moderne.
Comme c’est le cas pour les grandes œuvres classiques, on en perd beaucoup si on le laisse juste en bruit de fond, si on ne s’y plonge pas pleinement. Ça me fait mal de laisser un titre en mp3, sachant que certains l’écouteront avec un son médiocre et un temps de cerveau moyennement disponible puisqu’ils surferont sur le net en même temps. Mais bon, si ça peut en séduire d’autres qui achèteront le disque après…
De toute façon, il n’y a pas le moindre petit début de raison à ne pas acheter ses albums. A moins d’être hermétique à la musique électronique. Car, outre le fait qu’il est un des compositeurs les plus inspirés de l’époque, ajoutons qu’il n’est pas, comme certains vendeurs de soupe, opposé au p2p (il comprend, lui, ce qu’est la passion de la musique, l’envie de découvertes et le manque de moyens financiers) et il est produit par un label indépendant (donc pas un de vos sous n’ira dans la poche de Pascal Nègre & cie, c’est toujours ça de gagné…)
Par quel album commencer ? C’est à vous de voir… je conseillerais principalement (et dans l’ordre) Permutation ("jazzy" et tribal), Out from out where (particulièrement sombre, martial et "orientalisant") et Bricolage (un peu plus aérien et calme que les deux autres, mais aussi réussi).
Pour finir, et revenir sur ce qui est un des leitmotiv de ces pages… le seul problème avec Amon Tobin, c’est de ne pas avoir l’époque qu’il mérite. Certes, il est très célèbre dans le milieu de l’électro, mais s’il vivait dans un monde un peu plus éclairé, nul doute qu’il serait incontournable et prendrait la place que les stars en toc de la chansonnette volent aux vrais artistes.
Extrait de permutation : The Bridge
La fiche d'Amon Tobin (avec tous ses albums en écoute)