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29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 23:10

Quel est "le" tube de ce début de siècle ? Une chanson de Rihanna ou Britney Spears ? Le Seven Nation Army des White Stripes devenu gros hymne de stade ? Anhedonia du dernier Third Eye Foundation qui, soyez en sûr, va casser la baraque et monopoliser les ondes de ces 10 prochaines années (on a bien le droit de rêver...) Non, le tube de ce début de siècle est un morceau qui ne passe jamais sur la bande FM... mais partout ailleurs.

 

Il s'agit, vous l'aurez deviné (parce que vous êtes malins, vous lisez le titre des articles avant leur contenu), de "Lux Aeterna" tiré de la BO de Requiem for a Dream. Depuis la sortie du film, en 2000, il a été utilisé jusqu'à l'overdose par la télé (reportages, etc...) avant de devenir un des morceaux les plus diffusés sur le net. Plus qu'un tube, un "You-tube"... on ne compte plus les internautes qui l'ont employé pour illustrer leurs montages vidéos.    

 

Fait assez exceptionnel dans l'histoire du cinéma, la BO du film a même été utilisée pour les trailers officiels d'autres films, sans aucun rapport avec l'original. Dans une nouvelle version, orchestrale et grandiloquente, pour le 2° volet du Seigneur des Anneaux (puis Zathura, Babylon A.D., The Da Vinci Code, Sunshine et des séries télés telles que Lost et Top Gear, cf. Wikipedia). Vous imaginez les célèbres thèmes du Parrain, de Star Wars ou des Dents de la Mer accompagner la bande-annonce de nouveaux films ? Non. Et pourtant, c'est le cas de la BO de Requiem for a Dream. Et si cela a été rendu possible, c'est bien (en dehors du manque d'imagination des producteurs), parce que cette BO a dépassé le film dont elle est tirée, elle lui a "échappé". 

 

C'est aussi cette version orchestrale avec choeurs qui est la plus répandue sur le net. Mais avant d'y venir, petit rappel de la version originale, par l'excellent et iconoclaste Kronos Quartet :

 

 

 

   

La version grandiloquente, elle, est devenue incontournable (le mot est faible) comme accompagnement de montages vidéos sur Youtube. Particulièrement de grandes sagas cinématographiques populaires, en premier lieu le Seigneur des Anneaux et Star Wars. Je vous mets deux exemples caractéristiques, parmi les milliers de vidéos telles que celles-ci (je vous rassure, je ne les ai pas toutes regardées... c'est certes efficace, mais on a vite fait de friser l'indigestion).

 

 

Seigneur des Anneaux

 

 

 

 

Ou le Final de Star Wars Episode 3

 

 

 

De l'artillerie lourde... Dans le genre, on ne s'étonnera pas de retrouver aussi des centaines de vidéos de Matrix sur la musique de Requiem for a Dream. Même l'insupportable tête à claques Harry Potter y a droit. De toute façon, tout le monde y a droit. Les films "héroïques", épiques, à grand spectacle, comme des films beaucoup moins premier degré, dans tous les genres ou presque (ex : Inland Empire, Full Metal Jacket, Scream...)

 

Et ça ne s'arrête pas aux films, en vrac, vous trouverez des montages pour séries télés (24Prison BreakHeroes, et même Breaking Bad), mangas et dessins animés (en tapant Disney+Requiem for a Dream, je ne m'attendais pas à tomber sur des vidéos... et pourtant, il y en a !), images de bd et comic books, jeux vidéos (ex : Call of DutyGTA IVPrototypeMass Effect), images d'histoire (seconde guerre mondiale, 11 septembre etc...), sports (tennis, foot... même le tour de France !)

Ce ne sont à chaque fois que quelques exemples, si je comptais tous les lister, il me faudrait y passer plusieurs années...  

 

On retrouve donc tout et n'importe quoi sur cette musique, les exemples les plus incongrus sur lesquels je suis tombé sont :

 

Kaamelott Livre V

La V° saison est peut-être plus grave et mélancolique que les précédentes, mais elle reste une série humoristique, alors de là à y voir une grande fresque épique...  

   

Hommage à l'Abbé Pierre

 

Et même... la victoire des socialistes aux municipales à Reims en 2008 (!) 

 

La question n'est plus de se demander ce qui a été illustré par cette musique, mais plutôt ce qui ne l'a pas été. Car tout semble finir par se faire... "luxaeternaliser" sur le net.

 

Et je ne vous parle même pas de ces milliers de vidéos de gens qui tentent, plus ou moins bien (en général, plutôt moins...), de le reprendre au piano, à la guitare, etc... 

  

 

Reste maintenant la question du pourquoi, et du comment.

   

Pourquoi cette musique à chaque fois qu'il s'agit d'accompagner ou accentuer le caractère épique d'une vidéo ? A la base, la musique de Mansell colle parfaitement au film d'Arronofsky qui est tout sauf "épique". Il est même à l'opposé de tout héroïsme, puisqu'il est question de faiblesse, de laisser-aller, de manque de volonté, d'une dérive glauque dans l'enfer des drogues et de la dépendance, pas de combat légendaire contre les forces du mal... Mais ce qui relie les deux versions (Kronos Quartet et orchestrale avec choeurs), c'est l'intensité dramatique. Et de ce point de vue, la musique de Mansell s'accorde parfaitement à toutes ces vidéos, comme au film.

(Dans les explications suivantes, je me réfère à la version originale, celle de la première vidéo) 

D'un côté, il y a un fonctionnement par "strates". Les instruments et thèmes rentrent au fur et à mesure pour remplir l'espace sonore, avec chaque fois une montée vers l'aigu. Le thème, lui, semble se "précipiter" : plus il avance, plus les mesures comportent de notes (pas de nouvelles, mais des répétitions de mêmes notes). De l'autre, il y a le couleur mineure "sombre", et des mouvements mélodiques qui sont presque exclusivement descendants. La "chute" dans l'enfer de la drogue, et la progression paroxystique du film sont donc parfaitement illustrées par ce morceau. Et puisqu'il est question de "Requiem", pas étonnant que l'on retrouve dans cette musique les trois principales caractéristiques d'une marche funèbre : tempo relativement lent, 2 temps binaire, tonalité mineure. 

 

Une des raisons de son succès - qui a dépassé de loin celui du film - est sa simplicité... enfantine. Certains, qui connaissent sans doute assez mal la musique, parlent de chef-d'oeuvre digne du classique... mais en terme de complexité et richesse musicale, ce morceau est aux symphonies du XVIII° et XIX° ce qu'un gribouillage d'enfant est au plafond de la chapelle sixtine. On pourrait presque imaginer sa composition comme l'expression d'un manque total d'inspiration et de travail : 

 

 

 

Pour commencer, Clint part d'une note, un sol en l'occurrence. Il monte ensuite les deux notes suivantes, le la et le si bémol (il se doit d'être en mineur pour ce type de morceau) et... voilà. Ce travail l'a exténué, il ne va pas aller beaucoup plus loin par la suite. Cette "bête" montée de 3 petites notes de la gamme qui se suivent constitue l'essentiel de son morceau. Pour répondre au bon vieux principe de la "symétrie mélodique", il lui faut une deuxième phrase... il ne va pas se casser la tête, il repart de son sol, et descend les deux notes suivantes fa (sans le dièse, c'est du mineur mélodique, pas harmonique) et mi bémol. Pas de saut d'intervalle, juste des notes qui se suivent, on part de sol, on en monte deux, on revient sur sol, on en descend deux. Qui dit mieux ?

Il lui faut aussi une basse... là encore, il va aller au plus simple, il repart de sol pour descendre sur sa quinte, le . Le b.a.-ba de la basse. Pour aller de l'une à l'autre, il passe par la sixte mineure, ligne de basse typique sol-mi bémol-ré (dont j'ai déjà parlé ici). Va-t-il la varier à un moment ou à un autre ? Non. Ces trois mêmes notes de basse (au violoncelle) tiendront jusqu'à la fin du morceau.

Il a besoin d'ajouter une petite ritournelle (au clavier). Pas de soucis, il va encore aller au plus simple, reprendre ses trois notes de départ (sol-la et si bémol), et cette fois les jouer dans l'autre sens (si bémol, la et sol, en terminant sur le ). Il répète ça trois fois, puis, la quatrième, monte le si b d'un ton pour terminer par do, si b, la, si b. Toujours de simples notes conjointes. Et cette "ritournelle", là encore, ne changera pas d'un iota pendant tout le morceau.

 

Maintenant, il lui faut un "thème". En règle générale, le thème, c'est ce que les musiciens travaillent le plus, ce à quoi ils prêtent la plus grande attention... pas Clint. On imaginait qu'il ne pourrait faire plus simple que cet accompagnement, il y parvient avec le thème. Il repart encore une fois de ses 3 notes conjointes (notes qui se suivent dans une gamme), sur la tierce mineure sol - la - si b. Il vire le la, et joue si b - sol. Juste deux notes. Après les avoir répétées 10 fois de suite (!), il se dit : "bon, là, ça n'avance pas beaucoup, je tourne en rond sur deux notes, ça va finir par se voir..." Il ne va pas aller chercher bien loin, il repart du si b, remet le la et vire cette fois le sol. Et le voilà parti pour répéter ces deux notes (si b-la) de la même manière que les deux précédentes. Paroxysme du morceau, son thème "s'enrichit" d'une 3° note... qu'il ne va pas chercher très loin non plus, il reprend le sol, et joue cette fois en descendant les 3 notes de base de son morceau si b - la - sol... (en répétant les si b et la). Il le fait 3 fois, puis... le joue dans l'autre sens pour la 4° (sol - la).

Pire encore, il avait tellement peu d'inspiration qu'il n'a fait que reprendre un petit motif de cuivres d'un de ses anciens morceaux (Dr. Nightmare's Medication Time - titre prémonitoire pour celui qui composera la BO de Requiem for a Dream - lorsqu'il était leader du groupe Pop Will Eat Itself) pour en faire ce thème de 3 notes descendantes sur un intervalle de tierce mineure. Pour être tout à fait honnête, il y a bien quelques autres petites choses dans ce Lux Aeterna (comme ce ré dans l'aigu qui traîne pendant le thème...) mais l'essentiel est dans ce que j'ai décrit. 

 

 

Tout cela peut sembler quelque peu compliqué pour un non-musicien... mais je vous assure que, musicalement, c'est simplissime. A part un morceau sur une note jouée sur un même rythme, je ne vois pas trop comment on pourrait faire plus simple...

 

Voilà comment composer un tube essentiellement sur 3 notes. Parfois, on entend dire "tout a été fait en musique, il n'y a plus rien à inventer..." et pourtant, sur ce même intervalle de tierce mineure, ces mêmes 3 notes (fondamentale, seconde et tierce mineure), on peut faire des morceaux qui sonnent totalement différemment et fascinent des millions de gens. Quoi de commun entre Satisfaction des Stones, Another Brick in the Wall de Pink Floyd et le Lux Aeterna de Mansell ? Ces trois morceaux célébrissimes sont basés sur ces 3 notes (fondamentale, seconde, tierce mineure), qu'ils font tourner de manière "conjointe" (les notes jouées les unes après les autres, sans en sauter une). Et pourtant, lorsque vous entendez un de ces morceaux, vous ne vous dîtes pas "c'est marrant, il me fait penser aux deux autres"...

 

J'ai pas mal ironisé sur le "travail compositionnel" du Lux Aeterna de Clint Mansell... mais faut avouer qu'il fonctionne. Un morceau d'une efficacité redoutable. Efficacité qu'il doit en grande partie à sa simplicité. Un peu comme le O Fortuna de Carl Orff, d'ailleurs, qui est lui aussi construit en grande partie sur trois notes à l'intérieur d'un intervalle de tierce mineure. Et ce thème si simple, j'aime à l'entendre, dans Requiem for a Dream, non pas comme l'illustration d'un manque total d'inspiration, mais plutôt celle d'individus paumés, incapables de s'en sortir, bloqués comme le sont ces 2 puis 3 notes qui tournent en rond sur elles-mêmes... Une "musique de l'impuissance" devenue paradoxalement la référence des "musiques puissantes" avec cette version pompeuse... Et malgré les grands choeurs, les percussions et l'orchestre, on continue à ressentir une certaine forme d'impuissance, c'est ce qui donne une telle dimension tragique et dramatique à cette pièce...    

Mais la véritable ironie de l'histoire, si ironie il y a, c'est que ce morceau qui semble provoquer les émotions les plus grandes, les plus fortes, les plus riches, les plus "épiques"... se base sur un matériau musical des plus simples (voire des plus pauvres). Ce fameux thème qui transporte tant de gens vers les "hautes sphères" ne joue que sur un intervalle très resserré (la tierce mineure), 3 petites notes... et c'est tout. Faut-il en déduire que c'est la simplicité qui permet de créer de tels effets sur l'auditeur ? Pas uniquement, bien sûr. Et heureusement. Car les musiques les plus riches et complexes (la IX° Symphonie de Beethoven, le Tristan de Wagner, la Messe en Si mineur de Bach etc...) sont tout autant capables de faire vivre à leurs auditeurs les sensations les plus fortes... la différence, c'est que la simplicité, elle, permet en général de les provoquer chez un public plus vaste...

 

Enfin, pour terminer et être vraiment complet... impossible pour moi de ne pas dire un mot d'un fameux "Lux Aeterna" de l'histoire du cinéma qui a précédé celui de Mansell. Il s'agit de celui de Ligeti, utilisé par Kubrick pour 2001, L'Odyssée de l'Espace. Là, on est à l'opposé de celui de Mansell en terme de complexité musicale... un choeur à 16 voix, où chacune peut prendre son indépendance et mener à d'audacieux "clusters", de la micropolyphonie comme l'appelait Ligeti... et, surtout, une vraie merveille musicale :

 

 

    

   

 

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30 août 2010 1 30 /08 /août /2010 18:48

 1996

 

crash.jpgSinueuse, trouble, hypnotique et sombre. Sans doute les termes qui définissent le mieux la musique du Crash de Cronenberg. Jusque-là, rien d’exceptionnel, des musiques sinueuses, troubles, hypnotiques et sombres, il en existe d’autres… sauf que rarement musiques ne l’auront été à ce point.

 

Cette magnifique BO de Howard Shore se marie à la perfection avec l’atmosphère crépusculaire et ambiguë du film, et contribue d’ailleurs en bonne partie à l’imposer. L’adéquation entre la musique et l’image est ici exceptionnelle. Car plus qu’un film « sulfureux » (qui a fait couler beaucoup d’encre à l’époque), Crash est un film d’atmosphère. La collaboration de longue date entre les canadiens Cronenberg et Howard Shore (compositeur attitré de Cronenberg, qui a signé la musique de tous ses films depuis The Brood en 79, à l’exception de The Dead Zone) témoigne ici d’une parfaite alchimie.

 

Les procédés et intervalles musicaux identifiés comme les plus sombres - chromatismes, secondes mineures et tonalités exclusivement mineures, intervalles diminués / augmentés (il y a même un morceau qui s’appelle Triton : le nom de ce fameux intervalle de trois tons – une quarte augmentée ou quinte diminuée – interdit au Moyen Age et appelé à cette époque « Diabolus in Musica ») - sont omniprésents ici, et font de cette BO une des plus noires qui soit.

 

Sur le thème (tiré du roman de JG Ballard) de rescapés d’accidents de voiture qui, traumatisés, fétichisent et cherchent à revivre ces « crashs »  qui furent une des sensations les plus fortes de leur existence, on imagine ce qu’auraient fait des cinéastes et compositeurs lambdas… des accidents brusques et spectaculaires en pagaille, des courses de bagnoles, des ralentis sur des visages qui s’écrasent contre des pare-brise et des voitures qui partent en miettes… et comme musique d’accompagnement, des chocs de percussion, de violentes masses sonores, des violons grinçants… tout cela est très cinématographique, et le public en raffole. Mais on ne pouvait compter, heureusement, sur ce diable de Cronenberg pour traiter le sujet de manière si convenue. Au spectacle, aux chocs et aux cris, il privilégie l’ambiance, la psychologie et l’intimité. Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas tant les « crashs » ou les chocs traumatiques, ni même la mécanique qui conduit à ce désir de revivre ces sensations ou le « comment s’en sortir »… non, c’est avant tout d’observer et faire oeuvre de cette forme de perversion diffuse (ces entrelacs insidieux de guitares à la base de toute la BO) qui touche les victimes de ces crashs. Ces accidents les ont symboliquement tués, ils errent comme des âmes vides et délabrées qui pensent « revivre » dans l’excitation un peu de cette dernière sensation forte. Un fascinant voyage cinématographique et musical dans la noirceur et le vide d’esprits bien plus dévastés par ces crashs que les corps.

Pas de grands moments de tension ou de puissance dans cette superbe musique hypnotique, nocturne et contemplative. Elle ne parle pas de crash, de choc ou d’excitation, mais propose un voyage envoûtant dans les limbes de l’âme humaine.

 

Les musiques sombres et hypnotiques, j’en suis un inconditionnel… mais quasiment toutes celles que je peux entendre (pas seulement dans les BO) souffrent la comparaison face à celle de Crash. Et j’ai beau être fana des musiques lynchiennes, ma musique de film favorite est bien celle-là (désolé, David & Angelo pour cette infidélité).

 

Howard Shore est "le" compositeur des musiques des films de Cronenberg… mais il a aussi cachetonné et fait la BO de quelques navets, comme Striptease ou Mrs. Doubtfire. Il a travaillé assez tôt avec Scorsese, dès 85 pour After Hours, puis dans les années 2000 avec Gangs of New York, Aviator ou les Infiltrés ; et avec David Fincher (Seven, Panic Room). A son actif, on compte aussi la BO d'Ed Wood (une des rares de Tim Burton qui ne soit pas de Danny Elfman, et c'est peut-être son meilleur film), du Silence des Agneaux… mais celle pour laquelle il est le plus connu est la musique du Seigneur des Anneaux… du Silence des Agneaux au Seigneur des Anneaux.

Aussi efficace dans son genre et bien foutue que puisse être la BO du Seigneur des Anneaux, elle est tout de même nettement moins originale, passionnante et fascinante que celle des films de Cronenberg et Crash en particulier. Dans un monde meilleur, c’est pour la BO de Crash que serait célébré Howard Shore, pas celle du Seigneur des Anneaux 

 

En attendant, si le noir ne vous fait pas peur, ne vous privez pas d’un tel voyage musical :

 

Howard Shore – BO Crash

 

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2 juillet 2010 5 02 /07 /juillet /2010 18:57

Quel aura été le fait le plus marquant dans le monde du cinéma depuis le début de ce nouveau siècle ?

 

Le piratage ? Les salles n'ont jamais été aussi pleines.

L'arrivée de la 3D ? Encore beaucoup trop gadget.

 

Non, le fait le plus marquant - et alarmant - est sans doute cette inflation d'adaptations de tout et n'importe quoi. A croire que le cinéma est devenu un "dépotoir culturel", où tout produit, même le plus anecdotique et débile a droit à "son film".

 

Dans la première décennie des années 2000, les séries ont montré qu'elles n'avaient plus grand chose à envier au cinéma en terme d'audace, de créativité, d'écriture ou de profondeur. Face à cette nouvelle concurrence, le cinéma aurait pu monter la barre plus haut... mais non, il est au contraire tombé au plus bas, se contentant trop souvent d'adapter la moindre connerie qui a eu un petit succès à telle ou telle époque.      

 

Pendant que les séries ne cessaient de proposer des histoires et formats originaux et forts (Les Sopranos, Six Feet Under, 24, Lost, The Shield, The Wire & co)... le cinéma adaptait de vieilles séries ringardes et pathétiques (Sheriff fais moi peur, Ma sorcière bien aimée, Starsky & Hutch). Tout un symbole. Et ça continue, avec ces temps-ci l'Agence Tous Risques sur grand écran.

 

Bien sûr, ce n'est pas le sujet qui fait la qualité d'une oeuvre, mais son traitement. Les sujets les plus remarquables peuvent donner lieu aux pires oeuvres, et vice-versa. Mais qui peut s'attendre à ce qu'une adaptation de l'Agence Tous Risques ou Ma Sorcière Bien Aimée donne un grand film ? Et pour un Dark Knight très réussi, combien de films de super-héros grotesques pour ados attardés ?

 

Il est vrai aussi que l'adaptation a toujours existé au cinéma. La différence, c'est qu'avant, les adaptations étaient essentiellement celles de romans et nouvelles, moins de séries, bd, jeux vidéos et dessins animés. Des adaptations d'oeuvres où le visuel restait à inventer, pas à réadapter au goût du jour avec la contrainte de "plaire aux fans", fans qui doivent s'y retrouver et ne pas se sentir trahis.

 

Le monde du cinéma "populaire" donne l'impression d'être en grande partie tenu, actuellement, par une bande de gamins stupides et sans imagination. De grands enfants trop gâtés qui ont passé la trentaine, jouent encore avec leurs figurines GI Joe et Transformers, et utilisent des centaines de millions de dollars pour en faire des films. C'est quoi, la prochaine étape ? Barbie, le film ? Ils en sont bien capables, ces cons...

 

C'est aussi le signe d'une époque particulièrement régressive et puérile, où, au lieu d'avancer, d'affiner leurs goûts, de se diriger vers des oeuvres plus exigeantes, profondes, beaucoup se réfugient dans une enfance bêta marquée par des programmes télés médiocres.   

 

Des films débiles, il y en a toujours eu. Mais force est de reconnaître que cette décennie, le cinéma destiné à un large public a été souvent consternant dans le choix de ses sujets. On délaisse les créations originales et on a l'impression que le cinéma est devenu une gigantesque poubelle dans laquelle tombe tous les sujets, qu'ils viennent de comics, jeux vidéos, séries médiocres, dessins animés, bd... et même jouets et d'attractions de parcs pour enfants (Pirates des Caraïbes). Sans parler de tous les remakes et biopics...
Heureusement, il y a encore de très bons films, mais ce n'est pas la question. Le problème est que le cinéma populaire semble avoir de moins en moins d'imagination, et se contente de recycler la moindre "franchise" un peu connue. Car c'est bien en terme de "franchise" que semblent réfléchir (le mot est un peu fort, je l'admets) les grands pontes du cinéma. Il faut juste un "nom" qui évoque quelque chose au public, et on en fait un film. 

Il serait un peu facile de pointer du doigt Hollywood, car même s'ils ont une grosse part de responsabilité dans cette situation, ils ne sont pas les seuls. Même chose en France, avec Astérix, Lucky Luke, le Petit Nicolas, Iznogoud etc... Ces ouvrages amusants, qui pouvaient avoir un certain charme, avaient-ils vraiment besoin d'une adaptation cinématographique ? Non, bien entendu. Je ne les ai pas vu, mais les bande-annonce et les critiques confirment ce qu'on pouvait en penser : ce charme qui pouvait les caractériser ne passe pas sur grand écran. Et Spielberg dont le dernier "grand projet" est l'adaptation de Tintin... sans commentaires. 

 

Quelle sera la prochaine étape ? Des adaptations cinématographiques de programmes de "télé-réalité" ? Loft Story, le film ? L'île de la tentation, le film ?

Des adaptations de blogs ? Music Lodge, le film ?  

 

En même temps, ils ont encore suffisamment de conneries à exploiter dans les bd, jeux vidéos, séries has-been et dessins animés... je compte sur l'imagination et le mauvais esprits de mes lecteurs pour proposer les adaptations d'oeuvres les plus stupides et ridicules... ceux qui auront vu juste et deviné les projets absurdes qui verront le jour auront droit à un rôle dans "Music Lodge, le film"... Pour ma part, je crains fort un "Goldorak" ou "Capitaine Flam" prochainement dans les salles obscures...

 

Face à ce torrent d'adaptations dans le cinéma populaire, on a finalement de quoi regretter... Star Wars. Malgré tout ce qu'on peut reprocher à cette saga, elle est au sens propre du "cinéma d'auteur", l'oeuvre d'un créateur, d'un type qui a su inventer tout un univers, et un univers qui a dépassé le cadre du cinéma pour devenir un véritable "mythe" populaire moderne. Qui n'a pas entendu parler de Dark Vador, Luke Skywalker, Yoda, Han Solo ? Des personnages devenus des archétypes présents dans l'inconscient collectif comme l'étaient ceux des contes et légendes dans les anciens temps... Lucas a décliné ensuite sa "franchise" en jeux, figurines, bd etc... maintenant, c'est malheureusement dans l'autre sens que ça se passe, le cinéma est un dépotoir où l'on balance le moindre jeu, la moindre série, bd etc... 

A la fin des années 90, Matrix était encore une saga "d'auteur", conçue et réalisée par des cinéastes, pour le cinéma. Quelles sont les "grandes sagas populaires cinématographiques" qui ont fasciné les jeunes dans les années 2000 ? Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter, Twilight. Des adaptations. 

 

Les 10 films qui ont fait les plus grosses recettes ce premier semestre 2010 dans le monde :    

 

Des adaptations de livres : Alice in Wonderland, Shutter Island, Robin Hood, How to train your Dragon

Des suites d'une "franchise" de films d'animations : Shrek Forever After, Toy Story 3

Un remake : Clash of the Titans

Un personnage de comic-book : Iron Man 2

Une adaptation de série : Sex and the City 2

Une adaptation de jeu vidéo : Prince of Persia

 

Et en France, on a Adèle Blanc-Sec, adaptation de bd.

 

Pas un film qui soit une véritable et nouvelle "création originale".

 

A qui la faute ? A tout le monde, sans doute. Un mélange de frilosité et de puérilité partagés par les producteurs qui ont besoin d'être rassurés par des franchises connues, des cinéastes qui se reposent sur des oeuvres existantes et cachetonnent, et un public prêt à aller voir n'importe quoi, tant qu'on lui en fout plein les yeux. 

 

Pour finir sur une note positive, je vous recommande vivement le très beau film argentin Dans ses yeux... qui est aussi une adaptation de roman, certes, mais du vrai bon cinéma...

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