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20 juin 2010 7 20 /06 /juin /2010 15:22

Une fois le dernier épisode de Lost visionné, j'ai foncé sur le Golb pour lire l'interprétation qu'en fait Thom, et j'ai tressailli... ce salopard m'a piqué mon idée ! Heureusement, je m'apperçois que, finalement, son interprétation ne dévoile pas la mienne... elles vont dans le même sens (on se rejoint toujours sur les choses essentielles), se complètent, mais ne sont pas redondantes.

 

J'ai essayé tant bien que mal de livrer le moins de choses possibles des moments-clés et rebondissements (ils seront en italiques pour vous permettre de les sauter si vous n'avez pas vu la série) afin que vous puissiez lire ce qui suit même si vous n'êtes pas allés au bout de Lost.

 

Plus ce que l'on vous cache est simple, sous vos yeux, plus il est nécessaire de déployer des trésors d'imaginations pour vous embrouiller, vous perdre. Et c'est bien ce que fait Lost, balader ses spectateurs de mystères en mystères, sans ne jamais donner d'explications claires et nettes. Alors regardons la série le plus simplement possible... de quoi nous parle-t-elle ? D'une île mystérieuse, et de personnages. C'est tout. Le reste n'est qu'un écran de fumée (noire).

 

Continuons à aller au plus simple... pour un artiste, un créateur, que peut bien représenter une île ? Pas besoin de se creuser la tête : c'est une oeuvre. 

Dans l'imaginaire collectif, l'île exotique est le lieu de tous les fantasmes, un espace hors du monde, loin du train-train, des soucis, du bruit et de la fureur de la vie moderne... combien de gens, lorsqu'on leur demande "où rêveriez-vous de passer vos vacances ou de vivre ?", répondent "sur une île exotique"... 

Pourquoi tant d'artistes sont tourmentés, écorchés vifs, rêveurs etc... parce qu'ils ont en général plus de mal que les autres à accepter le monde qui est le nôtre, et ont besoin de fuir la réalité ou la recréer d'une manière qui leur semble plus acceptable. L'oeuvre, c'est une île, un espace hors du monde et du temps, avec ses propres règles. C'est à peu près de la même manière que le vit le public; s'enfermer dans une salle de cinéma, se plonger dans la lecture d'un livre, l'écoute d'un album, se poser devant le petit écran, c'est se retrouver - et se perdre - l'espace d'un instant, sur une île... Mais une oeuvre, ce n'est, bien entendu, jamais uniquement de l'évasion, c'est aussi un apprentissage, une initiation, une réflexion sur soi et sur le monde... tout comme l'est l'île de Lost. Cette île a beau être fascinante, dépaysante, on n'y vient pas pour se la couler douce... L'oeuvre qu'est Lost n'est pas un pur divertissement qui conduit le spectateur d'un point A à un point B en le prenant par la main, elle ne cesse de l'intrerroger et le désorienter.  

 

L'île, donc, c'est l'oeuvre, un "work in progress", même... Au fil des saisons, JJ Abrams et les scénaristes donnent l'impression d'être autant perdus que nous, ils semblent chercher un sens à l'ensemble en même temps que le font les spectateurs. Lost ne ressemble pas à une série maligne à la mécanique bien huilée, mais plutôt à une oeuvre qui vagabonde, se cherche... c'est l'oeuvre elle-même qui nous le dit, par ses personnages constamment à la dérive... des héros qui se demandent autant (si ce n'est plus) "qui suis-je" que "où suis-je".

 

Les personnages, justement, venons-y... là où tant de fans de SF se perdent en conjonctures sur les phénomènes paranormaux, réalités alternatives & cie, ils en oublient que le coeur de la série, ce sont les personnages. Vous connaissez beaucoup de séries où l'on met en valeur autant de personnages ? Vous connaissez beaucoup de séries où des personnages apparemment secondaires deviennent les "héros" d'un épisode (voire plusieurs), occupant tout l'espace et laissant les "stars" passer deux minutes en coup de vent ? Alors que peuvent bien représenter ces personnages, si l'on va au plus simple... les différentes facettes du (des) créateurs. Non pas leurs "différentes personnalités", mais les processus qui les animent et entrent en jeu dans la création. Ce n'est pas une "mise en abyme" artificielle, mais parfaitement cohérente, et tirée de ce que nous dit l'oeuvre. Les personnages "travaillent" / explorent / modèlent l'île comme un artiste le fait avec son oeuvre. Les créateurs se sont engouffrés dans un mystère qui n'était pas seulement trop dense, épais pour le spectateur, mais aussi pour eux... une oeuvre pareille a été un tel défi pour leur imagination qu'il leur a fallu creuser profondément en eux-mêmes afin de trouver les moyens de continuer à la faire évoluer. Un tel défi, un tel combat de l'artiste qu'il transparaît au sein même de l'oeuvre. Et nous donne ainsi un des plus remarquables "portrait de l'artiste en héros" qui soit.

 

 

 

Jack-Shepard.jpgJack Shepard : l'organisateur. Vous pouvez créer un poème, une chanson de 3 minutes en vous laissant guider par des "fulgurances", en écoutant essentiellement le poète qui est en vous... mais une série, par sa longueur et les exigences de son format demande en premier lieu à l'artiste des qualités d'organisation. On n'y écrit pas "ce qui nous vient comme ça nous vient", il faut sans cesse gérer les différents processus créatifs et voix qui vous entraînent dans telle ou telle direction afin que l'oeuvre garde une certaine cohérence. Le "berger" qui guide le troupeau de voix et processus créatifs... Il est donc normal que Jack soit le personnage principal de la série, le chef, celui qui s'emploie et se dévoue plus que les autres pour mener à bien le projet. Là, de petits malins me diront "ça ne tient pas ton truc, si Jack est l'organisateur, et l'île l'oeuvre, pourquoi cherche-t-il tant à la quitter dans les premières saisons" ? Justement, un artiste qui se lance dans la création d'une série sait à quel point c'est un travail harassant, compliqué, qu'il est important de trouver au plus vite une porte de sortie, d'en sortir (de la sortir). Le piège principal est de s'y perdre, de la travailler indéfiniment sans qu'elle n'aboutisse à quelque chose de concret, d'avoir passé des semaines, des mois à créer des personnages / situations sans parvenir à livrer quelque chose de concret. Mais une fois la porte de sortie trouvée, il se rend compte qu'au fond, il y tient à cette oeuvre / île, et n'a plus qu'un désir, y retourner, voire s'y perdre... Le berger devient donc ainsi le gardien de l'île...

 

locke-lost.jpgJohn Locke : le poète / le croyant. Pour créer une série telle que Lost, il faut une imagination peu commune, et une foi inébranlable. Car on a vite fait de se dire "c'est n'importe quoi, ça ne marchera jamais, c'est trop obscur, le public n'y comprendra rien et finira par se lasser..." 

Une des plus fameuses métaphores du poète, c'est celle de l'Albatros de Baudelaire. Majestueux quand il plane dans les airs (il est dans son élément, les hautes sphères de l'art et de la poésie), mais maladroit, gauche, ridicule lorsqu'il marche parmi les hommes. C'est exactement ce qu'est Locke, ses "ailes de géant l'empêche de marcher"... handicapé dans le monde réel, incapable de se satisfaire d'un travail routinier, il ne se réalise que sur l'île / au sein de l'oeuvre. Là, il est parfaitement dans son élément, il comprend tout avant tout le monde, et lui ne voudrait jamais quitter l'île / l'oeuvre, dans laquelle il se sent enfin exister. Et se confronte fatalement à "l'organisateur" qui attend de lui qu'il sorte de l'île / l'oeuvre, pour livrer quelque chose d'abouti...

Comment interpréter sa mort et sa transformation ? 

La sensation, pour le(s) créateur(s), de ne pas pouvoir y arriver, de s'être véritablement "perdu", de ne plus avoir plus aucune imagination ni foi suffisante en l'oeuvre pour continuer... une remise en question et période de doute intense, angoissante, que traversent tous les artistes. Le poète n'a plus qu'une envie : détruire son oeuvre / l'île... C'est alors à Jack "l'organisateur" qu'il appartient de préserver l'oeuvre, d'en devenir le gardien...

 

Desmond.jpgDesmond Hume : l'illuminé. Il fait parfois un peu doublon avec le poète / croyant qu'est Locke, mais a tout de même une fonction particulière. Atteint de fulgurances - au propre comme au figuré dans la série - il a les quelques éclairs de génie (qui passent à la fin par des... "coups de foudre")  nécessaires qui permettront de recoller certains morceaux et trouver comment comprendre l'oeuvre, s'en sortir en mobilisant toutes les forces et en rassemblant toutes les voix qui parlent dans l'esprit du créateur...

 

 

sawyer-lost.jpgSawyer : le critique. Dans chaque artiste, il y a un critique. Essentiel, pour éviter de tomber dans un grand n'importe quoi, et mettre à l'épreuve les différentes idées qui viennent au créateur. A lui, on ne la fait pas, Sawyer est toujours partant pour tourner en dérision les autres "voix" qui suggèrent des théories mystiques, religieuses, qui ont foi en l'île ou tombent dans de grands sentiments un peu niais... et pourtant, il lui arrive d'accepter les autres, les approuver, ressentir les mêmes émotions et se résoudre à croire en certains phénomènes surnaturels. Normal, il est nécessaire pour un créateur que le critique qui sommeille en lui considère que "ça fonctionne", sinon, il n'a plus qu'à laisser tomber. Forcément, Jack l'organisateur et Sawyer le critique ne peuvent que se confronter, l'un est là pour faire avancer l'oeuvre, l'autre pour mettre des coups de frein. Sawyer n'est pas le critique qui intellectualise, pond de grandes théories sur l'oeuvre, au contraire, c'est celui qui, instinctivement, dit à l'auteur "ça, ça fonctionne", ou "ça, c'est de conneries". Point barre. 

 

lost-kate2.jpgKate Austen : la Muse. Kate, c'est la femme moderne parfaite. Indépendante, elle n'a rien à envier aux hommes lorsqu'il s'agit de se défendre, se déplacer, s'orienter, elle est capable de le faire aussi bien qu'eux, si ce n'est mieux. Féminine et sensible sans être faible ni fragile, les deux beaux mâles de la série sont à ses pieds sans qu'elle ne fasse rien pour les aguicher... L'autre élément qui la caractérise, c'est la fuite. Une fugitive, qui échappe à ceux qui la pourchassent comme à ceux qui la désirent. Une muse "fantasmée", donc, après laquelle court l'artiste. On me dira "si c'est une muse, c'est Locke / le poète qui devrait en tomber amoureux, pas le critique ni l'organisateur". Sauf que Locke a déjà sa muse, c'est l'île / l'oeuvre elle-même. Lui n'a pas à s'inventer une autre muse pour avancer. Par contre, l'organisateur et le critique ont besoin de cette muse pour ne pas quitter le navire en se disant "on n'y arrivera jamais" pour l'un, "ça ne mène à rien" pour l'autre.

 

lost-sayid.jpgSayid Jarrah : l'exécutant. Sayid, c'est celui qui possède la technique. Lorsqu'on a besoin de quelqu'un pour bidouiller un appareil, mener un interrogatoire, combattre, on fait appel à lui, c'est le spécialiste.

Mais dans la saison 6, tout va mal... le poète / croyant Locke n'est plus. Le créateur est perdu, et Sayid qui perd toute conscience illustre alors sa crainte : que la technique pure l'emporte. Que l'oeuvre ne soit plus guidée par l'inspiration, mais par une technique bien rodée, sans âme. Sayid devient alors l'instrument de celui qui veut détruire l'île / l'oeuvre, la technique pure vide la création de sa substance. Une technique en roue libre qui est sur le point de tuer le "génie", l'inspiration fulgurante (Desmond Hume)... mais qui, finalement, en le laissant vivre, symbolise l'oeuvre sauvée de ce naufrage créatif.  

 

hurley-lost.jpgHugo Reyes : l'âme d'enfant. Selon le cliché, tous les artistes ont une âme d'enfant (heureusement, ils n'ont pas que ça, sinon leurs oeuvres ne seraient que puériles). Hugo est un gros poupon, un enfant gentil mais un peu naïf, qui parle à ses amis imaginaires, pense que les nombres ont des propriétés magiques, et a une vision assez ludique du monde (lorsqu'il se retrouve dans les années 70, il pense avant tout à réécrire Star Wars et envoyer son scénario à Georges Lucas). Plutôt peureux (même s'il saura se dépasser), il est incapable de draguer une fille (voire de lui parler sans rougir ou baisser la tête) et suit le mouvement, va là où on le trimballe, mais peut se montrer très juste et faire preuve d'un bon sens d'une simplicité enfantine lorsqu'il s'agit d'aider son prochain et d'apaiser les tourments. Il est cette petite voix de l'artiste qui lui permet de continuer à y croire, et de ne pas se laisser enfermer dans des problèmes insolubles...

 

270px-BenLinus.jpgBenjamin Linus : le manipulateur. Avoir une âme d'enfant, c'est bien... mais un artiste a souvent autant une âme de manipulateur. Le cliché de l'artiste "sincère, authentique et généreux", c'est bon pour les groupies. Non, un artiste joue aussi avec son public, et se joue de lui. Quel chanteur n'a pas ressenti un fort sentiment de pouvoir en voyant des centaines, de milliers de gens reprendre en choeur ses chansons ? Quel auteur de fiction, qui trouve un rebondissement particulièrement malin, n'a pas été parcouru d'un petit rictus en se disant : "alors là, je vais bien les avoir" ? Créer, c'est se dévoiler autant que se déguiser. C'est livrer une image idéalisée de soi et, comme le joueur de flûte de Hamelin, hypnotiser son public pour le mener où on le souhaite. Une oeuvre fonctionne lorsque le public est pris, conquis, séduit, fasciné... Linus, c'est celui qui vous fait croire qu'il vous apportera des réponses alors qu'il vous embrouille chaque fois un peu plus... pas étonnant qu'à la toute fin de Lost, il s'associe avec Hugo, c'est le créateur qui trouve son équilibre, l'harmonie, entre d'un côté son "âme d'enfant", de l'autre son pouvoir de manipulation. Un pouvoir que seul l'oeuvre / l'île lui accorde, sans elle, il ne serait qu'un petit prof inoffensif...      

Pourquoi Benjamin a-t-il tué Locke ? C'est la tentation de laisser le manipulateur prendre le dessus sur le poète / croyant pour prendre le contrôle de l'île / l'oeuvre. Faire cela le mène alors à tuer Jacob... il réalisera son erreur, l'oeuvre ne peut être que seule "manipulation du public", il faut que le manipulateur retrouve une certaine humilité pour accepter de travailler avec les autres facettes du créateur...

 

lost_jacob.jpgMais qui est donc Jacob, ce Deus ex machina ? C'est tout simplement le créateur. A force de laisser les différentes voix qui lui parlent prendre le dessus et mener sa création dans tous les sens, à la fin, il se doit de dire "stop", et de reprendre les commandes. Jacob, c'est celui qui contient toutes ces facettes. C'est Jack, l'organisateur, car il est allé lui-même sélectionner et mener tous les processus créatifs nécessaires sur l'île / dans la construction de l'oeuvre. C'est Locke, le poète et le croyant, celui qui habite l'île / l'oeuvre et la comprend mieux que tout le monde. C'est Desmond, l'illuminé, qui sait comment tout doit se finir. C'est Sawyer, le critique, qui jauge et qui juge, celui à qui "on ne la fait pas". C'est Kate, la "muse fuyante", pour Ben, Richard et tous "les autres". C'est l'enfant, Hugo, qui croit à la magie (de la lumière blanche), et obéit à sa mère au lieu de suivre son frère émancipé. C'est donc aussi Sayid, l'exécutant, qui suit les injonctions de sa mère sans broncher. Enfin, c'est Linus, le manipulateur, qui tire les ficelles dans l'ombre depuis le début sans qu'on ne le réalise...                

 

 

Bien entendu, il y a des tas d'autres personnages importants dans Lost. Sun, Jin, Richard, Charlie, Juliet, Michael, Charles Widmore, Claire et tant d'autres... mais ceux dont je parle ci-dessus sont vraiment les principaux et ceux dont le rapport avec l'île est le plus fort, ceux qui la "travaillent" (et qu'elle travaille) le plus fortement. A deux exceptions près : Richard et Charles Widmore. Mais Richard est une variation, un "sous-Jacob", un mélange de Jack, Linus, Locke et Desmond. Quant à Widmore, c'est un personnage à part : le producteur. Forcément antipathique et plein aux as, il n'a qu'une idée en tête, exploiter l'île / l'oeuvre pour son profit personnel. Mais lorsque le créateur craint de ne pouvoir achever son travail, il est prêt à payer de sa personne et employer les grands moyens pour le sauver du naufrage et empêcher sa destruction...

Enfin, la scène finale, ce sont toutes les facettes du créateur qui se retrouvent, se félicitent pour le travail accompli et mené à son terme malgré les difficultés... et se préparent à cette "petite mort" qu'est le point final mis à une création. 

 

Est-ce donc cela que les scénaristes ont voulu dire / représenter / symboliser dans Lost ? Sûrement pas. Mais il est très probable qu'inconsciemment, face à une oeuvre aussi opaque, mystérieuse, ils aient fait ressortir ce qui était à la base de tout, à la fois profondément enfoui et juste devant eux sans qu'ils ne le voient : le processus de création et les différentes phases que traverse l'artiste lorsqu'il a à réaliser une oeuvre particulièrement complexe.

 

S'il n'y a pas de "vérité" dans Lost, je ne résiste pas à vous livrer pour conclure, mon interprétation du final... à fuir tout de suite si vous ne l'avez pas vu (évitez aussi de lire les commentaires, qui risquent de spoiler un max) :

 

Là aussi, je pense qu'il faut aller au plus simple... une des premières idées qui vient à l'esprit lorsque l'on se lance dans la série, c'est qu'ils sont tous morts dans le crash, et se trouvent dans une sorte de purgatoire pour expier leurs fautes, se délivrer de leurs souffrances. Sinon, comment survivre à un tel accident, comment comprendre ces phénomènes surnaturels et cette narration particulière qui mêle flashbacks et vie sur l'île... Puis surviennent tant d'éléments et personnages nouveaux que l'on finit par abandonner l'idée. Mais la série commence comme elle se termine : un gros plan sur le visage de Jack étendu sur le sol dans une forêt de bambous, et les débris de l'avion sur la plage. Retour à la case départ, tout ça n'a duré qu'un fragment de seconde... lorsqu'on agonise, il paraît que l'on revoit sa vie défiler devant soi... c'est ce qui arrive à Jack. Mais sa vie, faite de souffrances, d'échecs, de culpabilité, est incomplète, il ne peut mourir ainsi, il a besoin de se reconstruire et de faire la paix avec lui-même... c'est cette histoire, sur l'île, qu'il s'invente, en se raccrochant aux derniers visages connus, ceux des passagers du vol 815, avec ce sacrifice final qui fait office de purification. L'hypothèse la plus digne, à mon sens, de la série. Car les éléments surnaturels et théories d'une "île fantastique", ça fait très série B de SF, et Lost vaut bien mieux que cela. La fumée noire, les voyages dans le temps, la lumière au coeur de l'île sont intéressants d'un point de vue symbolique, moins dans un cadre "fantastique". Pourquoi la fumée noire ? Parce que c'est ce que vous voyez lors d'une explosion, d'un crash, et ce que vous associez à la destruction, la mort. La lumière blanche, c'est évident, c'est celle qu'on est censée traverser lorsque l'on meurt... mais pour accéder au repos éternel, Jack doit faire la paix avec lui-même, d'où le long cheminement pour la trouver enfin. Les voyages temporels ? La sensation de temps se dilate pendant la mort ( ce qu'on suppose avec le fait de "revoir défiler sa vie")... 

 

Est-ce la vérité ? Aucune importance. Je ne comprends pas tous les déçus du final... car je ne vois pas comment la série aurait pu se finir autrement. Par des révélations fracassantes sur le sens de tous les phénomènes inexpliqués ? Cela aurait été trahir l'esprit de la série... et aurait signifié la victoire de Ben sur Locke, du manipulateur sur le poète / croyant. Un final sentimental, qui joue trop sur l'émotion ? Mais Lost ne cesse de le faire depuis le début ! Si elle était avant tout une série "fantastique", on n'aurait pas eu tous ces longs flashbacks sur de petits épisodes du quotidien de la vie de chacun avant le crash... Quasiment tous les personnages traînent depuis le début une souffrance, une culpabilité qui les empêche d'avancer... de Jack à Sayid en passant par Kate, Sawyer, Jin, Sun, Locke, Charlie, Claire et les autres... il n'y avait pas d'autre manière de terminer que de leur accorder enfin la paix intérieure et la délivrance... après tout, ils l'ont mérité...

 

A lire, les excellents articles de :

 

Thom

Benjamin F.    

      

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21 mai 2010 5 21 /05 /mai /2010 16:36

L'Elite de Brooklyn (Brooklyn's Finest) - Antoine Fuqua

 

 

LLITE--1.JPGL'Elite de Brooklyn... une bande de super-flics virils et inflexibles qui font régner l'ordre à Brooklyn ? Non, bien au contraire, il ne s'agit pas de ce genre de nanards ; le titre est ironique (mais certains pourraient s'y tromper, surtout avec sa traduction française). Très loin de ces mauvais films, Brooklyn's Finest n'est pas simplement un bon film policier, c'est un grand film, un superbe "polar crépusculaire" dans la lignée du génial Collateral de Michael Mann, des films de James Gray ou du très sombre Le Prix de la Loyauté.  

 

Trois destins croisés de flics de Brooklyn, mais, à la différence des films d'Inarritu ou, plus récemment, du très réussi Ajami, on n'y observe pas avec quelques distances une "mécanique implacable" où les actions des protagonistes vont, malgré eux, avoir des effets inattendus sur la vie des autres. Antoine Fuqua ne traite pas ses personnages comme des pions sur un échiquier, ne cherche pas à faire le malin avec un clin d'oeil au spectateur histoire de lui dire "admire cette brillante construction", ce qui l'intéresse, c'est avant tout l'humanité de ses (anti-)héros.

 

Un flic dépressif à quelques jours de la retraite, usé par des années à fréquenter ce qu'il y a de plus sordide dans Brooklyn (Richard Gere), un autre infiltré dans un gang et ne sachant plus trop de quel côté il est (Don Cheadle), et un troisième ne voyant plus que la corruption pour subvenir aux besoins de sa famille nombreuse (Ethan Hawke)... a priori, rien de bien original, rien que l'on n'ait déjà vu ou lu des centaines de fois par ailleurs. Mais peu importe, c'est bien pour cela que le style est aussi déterminant en art : selon la façon dont il est traité, le sujet le plus original peut donner naissance au film le plus soporifique, et le sujet le plus banal au film le plus fascinant. Dans Brooklyn's Finest, Antoine Fuqua ne révolutionne certes pas le polar ou le cinéma, mais livre un film d'une telle maîtrise, d'une telle justesse et d'une telle force que l'on ne s'y ennuie pas une seconde. Pas de fusillades spectaculaires et chorégraphiées à la John Woo, ici, lorsqu'une balle est tirée, l'effet est toujours brutal et soudain, et les détonations assourdissantes. Un trio d'acteurs remarquable (on avait oublié que Richard Gere pouvait être un si bon acteur), complété par un Wesley Snipes impeccable en caïd (d'ordinaire plutôt habitué aux navets, le voir si convaincant dans un film de cette qualité est une bonne surprise). 

 

Brooklyn's Finest vs The Wire

 

La référence à The Wire n'est pas seulement pertinente parce que plusieurs seconds rôles du film sont des acteurs de la série, mais bien parce que l'influence de la géniale The Wire est assez patente dans Brooklyn's Finest. Les deux sont habités par une grande mélancolie, des flics touchants et un peu paumés, des voyous "humains" qui ne sont pas uniquement des caricatures de petites frappes bling-bling, et un vrai souci de réalisme. Forcément, Brooklyn's Finest n'atteint pas la complexité d'écriture et le réalisme de The Wire... mais ce qu'il perd de ce point de vue, il le gagne en atmosphères, en puissance dramatique, et dans la réalisation et la beauté visuelle. C'est bien pour cela que l'une est une série, l'autre un film (qu'il faut impérativement voir sur grand écran)... chacun utilisant au mieux les caractéristiques du format qui est le sien. Depuis une dizaine d'années, il est vrai que les séries, en général, se sont montrées beaucoup plus inventives et passionnantes que le cinéma... mais tant qu'il y aura de magnifiques films comme Brooklyn's Finest, qui prennent toute leur dimension sur grand écran, le cinéma continuera à rester une expérience irremplaçable, même lorsqu'il lorgne du côté des séries.

 

En guise de conclusion, mention spéciale à la BO de Marcelo Zarvos, qui accompagne le film à la perfection... et qui ne fait pas "qu'accompagner", d'ailleurs, elle joue un rôle à part entière, apporte au film un souffle, une gravité et un dramatisme peu communs, et le fait baigner dans des climats sombres et envoûtants.

La BO est disponible sur deezer... mais, aussi réussie soit-elle (elle ressemble pas mal par endroits à une BO dont je suis un fan absolu, celle de Crash de Cronenberg) il est certain que de l'écouter sans avoir vu le film ne permet pas de l'apprécier à sa juste valeur (par exemple, ces percussions qui semblent un peu lourdes, parfois, mais qui contribuent à merveille à l'ambiance pesante du film).

 

En écoute : BO Brooklyn's Finest      

 

La fiche du film sur Allocine

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8 mars 2010 1 08 /03 /mars /2010 19:40


SHUTTER-ISLAND.jpgIl ne faut jamais se fier aux bandes-annonces... à voir celle de Shutter Island, on imagine que ce nouveau Scorsese est un thriller assez conventionnel, avec un flic enfermé à tort dans une prison angoissante dont il va tenter de s'enfuir (à moins d'avoir lu le bouquin de Lehane avant, ce qui n'était pas mon cas)... Bref, un polar d'action, sorte de "Prison Break" qui se déroulerait dans les années 50 sur une île hostile... mais ce film est - heureusement - bien plus complexe et tordu que cela. Etonnant, d'ailleurs, qu'il ait un tel succès (1 million d'entrées en une semaine en France, un démarrage de blockbuster pour un film qui en est loin). Il y a sans doute un malentendu autour de Shutter Island...  que beaucoup imaginent efficace et trépidant, alors qu'il est bien plus pervers, labyrinthique et cérébral. Tant pis pour la petite bande de types placés à côté de moi qui, dans la grande salle bondée du cinéma, un samedi soir, s'attendaient à une grosse machine... et que j'entendais soupirer régulièrement (surtout pendant les étranges scènes de visions). Il y a même dans ce Scorsese un côté lynchien... dès les premières minutes, avec le visage inquiétant de cette femme folle qui sourit à DiCaprio, puis dans ces visions qui décontenancent le spectateur, et ne se comprennent véritablement qu'à la fin... Un film cérébral au point qu'il se permet des scènes et effets a priori loupés (une tirade trop emphatique, des rires déplacés, visions trop appuyées) qui trouvent une justification pertinente lors du dénouement.

Autre malentendu, quelques critiques qui reprochent à Scorsese, depuis, Gangs of New York, de faire des films plus hollywoodiens que "personnels" comme en témoignerait encore Shutter Island. Ce qui revient en général à limiter les thèmes et environnements scorsesiens aux italo-américains, à la mafia et aux gangsters... alors que le cinéma de Scorsese est bien plus riche que cela. Pas de mafieux dans Shutter Island, mais il n'en reste pas moins du pur Scorsese, par les thèmes du trouble de l'identité, de la paranoïa et de la folie, du basculement, et de la rédemption.
On parle peu, il me semble, de la question du trouble de l'identité chez Scorsese, alors qu'elle est au coeur de la plupart de ses films. C'est bien entendu le cas de Travis Bickle, héros de son chef-d'oeuvre, Taxi Driver, mais aussi du personnage (toujours joué par De Niro) qui, dans le visionnaire The King of Comedy (La Valse des Pantins), vit dans un monde télévisuel imaginaire et va jusqu'à séquestrer un présentateur pour qu'on lui accorde son quart d'heure de célébrité... c'est Jack La Motta (Raging Bull) qui sombre dans la paranoïa, comme, plus tard, le héros d'After Hours, ce sont aussi ces "Infiltrés"... ceux du film du même nom, évidemment, qui ne savent plus trop s'ils sont flics ou gangsters, mais aussi DiCaprio, dans Gangs of New York, qui intègre le gang de celui dont il veut la mort, ou encore DiCaprio incarnant, dans Aviator, un Howard Hughes tout-puissant qui finit détruit par ses troubles obsessionnels compulsifs... c'est Nicolas Cage, dans A Tombeaux Ouverts, ambulancier qui perd pied avec la réalité, hanté par les fantômes de ceux qu'il n'a pu sauver... et même "son" Jésus, dans La Dernière Tentation du Christ, pris entre le réel et le mystique. Ray Liotta dans Les Affranchis ou De Niro dans Casino ne souffrent pas, a priori, de troubles de la personnalité... mais ils sont aussi tiraillés entre deux mondes, deux situations extrêmes. L'un (Liotta dans Les Affranchis), qui rêve depuis tout petit de devenir un gangster, qui fait tout pour s'intégrer (s'infiltrer) dans le milieu, milieu qui devient sa famille, et famille dont il devra se séparer brutalement... l'autre (De Niro dans Casino), coincé entre son désir de respectabilité et de tranquillité, et ses origines mafieuses.
Le héros scorsesien, en règle générale, est un névrosé qui investit un monde qui n'est pas le sien, un monde en général violent, qui fera vaciller son identité. Ce qui le rapproche, d'ailleurs, du "héros" lynchien (même si, chez Lynch, c'est le plus souvent toute la réalité qui se met à vaciller). C'est, d'ailleurs, un peu le même processus dans Les Nerfs à Vif... mais inversé : un psychopathe qui joue les citoyens honorables pour parvenir à ses fins monstrueuses. Et ces thématiques autour de la folie et de l'identité vacillante se déploient à l'extrême dans Shutter Island... que l'on peut aussi voir comme une mise en abîme d'un cinéaste qui, s'il ne signe pas ici son film le plus radical d'un point de vue esthétique, le fait de ce point de vue thématique. A force de creuser ces questions, on finit par ne plus distinguer la fiction de la réalité.. Quand tu contemples le fond de l'abîme...

Une fois que l'on a dit de Shutter Island qu'il était bien du "vrai Scorsese", qu'en est-il de la qualité du film ? C'est, à mon sens, un très bon Scorsese... pas le meilleur (en même temps, faire mieux que Taxi Driver, ça relèverait du miracle), mais un film fort, captivant si l'on accepte le voyage dans ce monde oppressant, et noir, très noir. L'adéquation entre l'univers mental dans lequel évoluent les personnages et celui, "réel", dans lequel ils se retrouvent - une nature hostile, violente, froide et tourmentée - est parfaite. Il est vrai que l'on peut être décontenancé par certaines scènes qui ne prennent véritablement sens qu'à la fin, mais c'est aussi ce qui en fait un film cérébral : une fois sorti de la salle, il faut se le repasser mentalement pour l'apprécier à sa juste valeur et comprendre certains parti-pris pour le moins déroutants... et même y retourner, ce que je vais faire d'ici-peu (ne serait-ce que parce que je n'ai malheureusement pas pu le voir en VO).

Les deux films de ce début d'année que je vous recommande vivement ne sont pas "glamour" pour un sou... non pas que j'ai l'habitude de conseiller des films glamour, mais ces deux-là sont particulièrement éloignés de tout clinquant : Shutter Island, donc, et l'excellent A serious Man des frères Coen.

(Et prière de ne pas spoiler dans les commentaires, que vous ayez vu le film ou lu le roman... je serais curieux de voir ce que pense du film quelqu'un - au hasard, Thom - qui a lu et adoré le roman)

Shutter Island de Martin Scorsese

Scénario de Laeta Kalogridis d'après l'oeuvre de Dennis Lehane
Avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Max Von Sydow    

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