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12 octobre 2011 3 12 /10 /octobre /2011 22:08

koba.jpgMartin Amis – Koba la Terreur

(Editions de l'Oeuvre, 2009)

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout le monde sait que Staline était un tyran de la pire espèce, tout le monde a entendu parler de l’horreur des Goulags, tout le monde sait que le régime communiste de l’ex-URSS  a été terrible… tout le monde le sait, à moins d’avoir été élevé dans une famille de communistes « purs et durs »,

Tout le monde le sait, mais au hit-parade des dictatures ayant érigé au XX° la monstruosité en système, Hitler et le nazisme trônent toujours nettement en tête. La faute, en partie à des intellectuels de gauche occidentaux peu éclairés qui ont longtemps défendu le communiste soviétique ou minimisé sa cruauté. Parmi ces intellectuels, Kingsley Amis, le père du romancier Martin Amis. Comme s’il lui fallait expier cette faute paternelle, Martin Amis a effectué un vrai travail d’historien pour rendre compte de ce qu’a été vraiment l’horreur du régime soviétique. Et le but est largement atteint. Un livre indispensable, pour comprendre pourquoi Staline ne mérite pas plus qu’Hitler de complaisance… ce dont, malheureusement, il bénéficie toujours.

Imaginez que sur ce blog, je vous dise que je suis un nostalgique du III° Reich et que j’ai une fascination certaine pour Hitler. Vous me traiteriez de tous les noms, ne reviendriez plus par ici, et vous auriez entièrement raison.

Imaginez maintenant que je vous dise que j’ai une certaine admiration pour le communisme soviétique et Staline… vous me prendriez pour un type légèrement allumé, un communiste trop dur et radical, ça vous choquerait sans doute, mais beaucoup moins que de la sympathie pour Hitler. Et ça, ce n’est pas vraiment normal…

En 2011, il serait temps qu’on mette Hitler et Staline, le nazisme et le bolchévisme au même niveau, que le « point Godwin » ne concerne pas que le premier : « Même en ajoutant toutes les pertes de la Seconde Guerre mondiale (entre quarante et cinquante millions) aux pertes de l’Holocauste (environ six millions), on atteint un chiffre que le bolchévisme peut sérieusement concurrencer » (P. 110)

Il ne s’agit pas que de « compter les morts » pour décréter quel régime fût le plus monstrueux, mais aussi d’étudier le système, les conditions de vie. Et la vie sous Staline, c’était l’Enfer. Avec un grand E. A quoi ressemblait l’existence d’un citoyen lambda à l’époque ?

Difficile de dormir, avec la police qui vient arrêter chaque nuit des individus dans votre quartier, et avec cette question angoissante : « A quand mon tour ? » Chaque matin, vous partez au travail en disant au revoir à votre femme et vos enfants comme si c’était la dernière fois. Coupable ou innocent, peu importe, la police politique ne s’arrête pas à ce genre de détail. Vous avez applaudi moins de 5 minutes à un discours de Staline diffusé à la radio, votre tête ne revient pas à un de vos collègues de travail, une embrouille avec un voisin ? Il n’en fallait pas plus qu’on vous dénonce comme « traître à la partie », « ennemi du peuple » etc. Direction le commissariat. Là, vous n’avez pas le choix, si vous voulez ressortir vivant de l’interrogatoire, faut avouer. Puis vous vous retrouvez en prison avec 100 compagnons dans une cellule prévue pour 20. Mais ça, c’est pour les plus chanceux, vous pouvez tout aussi bien être exécuté, déporté (pour peu que vous apparteniez à une caste ou une ethnie qui ne plaît pas à Staline et au régime) et vous retrouver dans un Goulag en Sibérie à -50°. Trois mois de travail acharné dans des conditions terribles, puis vous crevez plus ou moins rapidement de faim, de froid, de misère et de maladie…

La grande famine de 1932-1933 doit ses 4 à 10 millions de mort à l’entêtement de Staline dans l’absurdité de son système de collectivisation. Scène de la vie quotidienne : des citoyens qui se jettent sur la première poubelle venue, et y restent accrochés malgré les coups de matraques des policiers. De toute façon, il n’y avait pas de famine, puisque si vous osiez simplement prononcer le mot « famine », c’était la peine de mort. Un Etat qui ment sur tous les sujets à ses citoyens, et des citoyens passibles de la peine de mort pour oser dire la vérité de leurs souffrances. Ou tout juste prononcer le seul mot qui s’impose…  

Staline a privé son peuple de tout. De nourriture, de liberté d’expression, de réflexion, de religion, de sécurité, de dignité, d’humanité... L’Enfer avec un grand E, comme dans Egalité. A sa façon, Staline a réalisé le rêve communiste égalitaire : tous (ou presque) égaux devant la Terreur.

« Le Goulag continua de s’étendre jusqu’à ce qu’il paraisse sur le point d’imploser. La Terreur se poursuivit jusqu’à ce que même les prisons temporaires, les écoles et les églises soient toutes pleines et que les tribunaux siègent vingt-quatre heures par jour. 5% de la population avait alors été arrêtée à titre d’ennemi du peuple ou de criminel apparenté. On dit souvent qu’il n’y eut pas une seule famille, dans tout le pays, qui n’ait été touchée par la Terreur. Si tel est le cas, les membres de toutes ces familles furent aussi condamnés : en tant que membre de la famille d’un ennemi du peuple. En 1939, peut-on penser à bon droit, tout le peuple russe était un ennemi du peuple. » (P. 226)

Les démographes du régime ne donnent pas le chiffre attendu par Staline ? On les fusille. Un gamin de 12 ans se fait violer par un commissaire lors d’un interrogatoire et s’en plaint ? On le fusille (le gamin, bien sûr, pas le commissaire). Hommes, femmes ou enfants, tous égaux face à la terreur. Des gamins encouragés à dénoncer leurs parents, un enfant de 10 ans interrogé toute une nuit et qui finalement « avoue » qu’il fait partie d’un complot fasciste depuis ses 7 ans etc. On en rirait presque tant c’est absurde et inhumain. Chose qu’on ne pourrait dire à propos du nazisme, alors qu’au final, le résultat est le même : des millions de mort dus à un tyran psychopathe et un régime d’une cruauté incomparable.

Loin de moi l’idée de nuancer l’horreur nazie ou de dire que le stalinisme a été pire. Car à ce niveau de monstruosité, il n’y a pas de concurrence qui tienne. Pas de concurrence, de nuance, d’excuse, de complaisance possibles pour l’un comme pour l’autre. L’idéologie nazie est intrinsèquement plus détestable que l’idéologie communiste ? Certes. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Massacrer froidement des millions d’innocents au nom de préjugés racistes ne me semble pas plus abject que de massacrer froidement des millions d’innocents pour tout un tas d’autres raisons (dont les préjugés racistes, qui n’étaient pas absents du régime stalinien). Il faudra qu’on m’explique en quoi buter des gamins au nom du communisme est plus acceptable que de buter des gamins au nom du fascisme…

Il serait trop facile d’imputer à Staline toutes les horreurs du bolchévisme, de le considérer comme un « tyran » à moitié (ou totalement) fou… Martin Amis, à raison, montre bien que Lénine et Trotski ont créé le terrain idéal pour un Staline. Le système, la théorie, les institutions, la violence, les exécutions, tout était bien en place pour permettre à Staline de terroriser et massacrer son peuple :

« (Lénine et Trotski) n’ont pas seulement précédé Staline, ils ont créé pour son usage un Etat policier en parfait ordre de fonctionnement. Et ils lui ont montré une chose remarquable : qu’il était possible de gouverner un pays en tuant la liberté, en multipliant les mensonges et en déchaînant la violence, tout en restant pleinement assuré de son bon droit. » (P. 311)

Hitler et Staline, même combat. Culte de la personnalité qui prend des proportions démentielles, interdiction de penser en-dehors du système, climat de peur, paranoïa et dénonciations, extermination par l’état de millions d’individus. Match nul, c’est peu de le dire. 0 à 0. Ou dizaines de millions de morts vs dizaines de millions de morts. La peste et le choléra…

La « concurrence victimaire » est une absurdité. Surtout à telle échelle. Décréter que l’un ou l’autre du régime nazi ou stalinien a été le plus monstrueux, c’est indécent. Une insulte à la mémoire des dizaines de millions de victimes innocentes du bolchévisme. Torturées, déshumanisées, parquées comme des bêtes, crevant de froid en Sibérie, exécutées pour un oui ou pour un non. Tout ça parce qu’il y avait des « quotas » élevés de traîtres à débusquer. Et des quotas que devaient remplir les membres des institutions policières, militaires et judiciaires, sous peine d’être eux-mêmes envoyés au Goulag. On purgeait à tout-va, et jamais une armée n’a perdu autant d’officiers en temps de guerre que l’armée Russe en temps de paix. On dénonce pour ne pas être dénoncé, on tue pour ne pas être tué.

Bolchévisme et fascisme, un enfer pour les humanistes, un paradis pour les pires crapules :

« Hommage doit être à présent rendu à la plus prodigieuse des dénonciatrices, la grande Nikolaenko, ce fléau de Kiev, cette harpie incroyable que Staline en personne distingua pour la couvrir d’éloges : « simple citoyenne des couches inférieures de la société », elle n’en était pas moins une « héroïne ». A Kiev, les trottoirs se vidaient quand elle sortait de chez elle et les salles étaient prises d’une crainte mortelle en sa présence. » (P. 183)

Il aura fallu attendre qu’elle dénonce Khrouchtchev en personne pour que Staline réalise qu’elle était folle. Entre temps, elle aura « contribué au massacre d’environ huit mille personnes ». Tout un symbole. De l’absurdité, de la folie, de la barbarie, de la bêtise, de la monstruosité du régime communiste soviétique.

A ceux qui pensent que le régime nazi n’a pas d’équivalent dans l’horreur, on conseillait auparavant de lire L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne. On leur conseillera aussi maintenant Koba la Terreur de Martin Amis…

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26 août 2011 5 26 /08 /août /2011 13:30

Un lecteur m’a demandé de lui fournir des références pour une de ses élèves qui compte faire des études de musicologie… l’occasion d’un nouvel article. Et un article un peu spécial, car jusque-là, j’ai toujours tenu à ce que mes articles soient accessibles à tous, et puissent intéresser tous ceux qui se passionnent pour la musique. Celui-ci est particulier, car si vous n’avez pas de connaissances théoriques et ne comptez pas vous lancer dans des études musicologiques, il ne vous concerne pas vraiment.

 

Cette sélection de livre n’est pas la plus pointue qui soit, le but n’est pas de décourager – voire dégoûter - de jeunes étudiants qui n’ont pas encore le bagage théorique suffisant, ce sont des références, des guides, une « porte d’entrée » vers la musique classique et la musicologie.

 

Guides pour débuter :

 

guide de la musiqueGérard Denizeau – Le Guide de la Musique : Une Initiation par les Œuvres (Larousse, 2005)

 

Un ouvrage très accessible pour commencer, clairement adressé aux débutants mais plutôt bien fait, qui permet de s’initier au classique, à ses genres et ses différentes esthétiques, à partir de l’étude de grandes œuvres.

 

 

 

 

 

guide illustreUlrich Michels – Guide Illustré de la Musique (Vol I et II, Fayard, 2000)

 

Sans doute l’ouvrage à recommander en premier lieu à quelqu’un qui compte se lancer dans des études musicologiques. Un guide très pratique, dont une page sur deux est composée de schémas, tableaux, exemples musicaux. Si vous ne voulez acheter qu’un seul de ses deux volumes, privilégiez le premier (avec les genres et formes, les instruments, la théorie, un lexique musical et l’histoire de la musique des débuts à la renaissance… le 2° est simplement consacré à l’histoire de la musique du baroque jusqu’à nos jours).

 

Histoire de la musique :

 

 

histoire_musique.jpg

Jean et Brigitte Massin - Histoire de la Musique Occidentale (Fayard, 1987)

 

 L'histoire de la musique comprise dans le Guide Illustré est pratique pour piocher quelques infos, pas pour être lue de bout en bout. Pour cela, vous trouverez beaucoup d'histoires de la musique, plus ou moins développées selon ce que vous cherchez. Si vous désirez quelque chose d'assez consistant, je vous conseille cet ouvrage publié sous la direction de Jean et Brigitte Massin, très complet.

 

 

 

Théorie et analyse musicale

 

theorie-de-la-musique.jpg

Claude Abromont, Eugène de Montalembert - (Guide de) La Théorie de la Musique (Fayard, 2001) 

 

Un excellent ouvrage, qui part vraiment des bases jusqu'aux formes d'écritures musicales les plus complexes, avec beaucoup d'exemples musicaux et, ce qui est très appréciable, il ne se limite pas à la musique classique occidentale mais parle aussi de musiques traditionnelles, du jazz etc... De plus, vous y trouverez une histoire de la théorie et des théoriciens majeurs de la musique. Une référence incontournable pour des étudiants en musicologie...  

 

 

Non, je n'ai pas d'actions chez Fayard, je n'ai conclu aucun deal avec eux pour mettre en avant leurs ouvrages, mais force est de reconnaître que c'est sans doute la maison d'édition qui est la plus intéressante pour trouver des ouvrages musicaux aussi didactiques que bien foutus et sérieux (notamment avec sa série des "Guide de").

Avec ces 4 premiers bouquins, vous aurez vraiment une "base de travail et de découverte" suffisante. Maintenant, pour aller un peu plus loin, quelques livres de référence par lesquels il vous faudra passer si vous comptez vous engager dans des études musicologiques :

 

 

 

nattiez-encyclopedie.jpg

Jean-Jacques Nattiez (sous la direction de) - Musiques, une Encyclopédie pour le XXI° siècle (Vol I à V, Actes Sud, 2003)

 

On ne demandera pas à un étudiant de première année d'acheter les 5 gros volumes (à 55 euros chaque) et de lire leurs milliers de pages, mais c'est assurément une référence à connaître, à emprunter en bibliothèque et au moins à feuilleter.

A peu près tout est abordé, de l'histoire aux techniques, des musiques du monde à la musique contemporaine, de la musique classique aux musiques populaires, des instruments aux théories etc... Des articles sérieux et intelligents qui vous donneront un bon aperçu de ce que peut être la musicologie...

 

Et si vous vous intéressez au jazz, je vous recommande très vivement L'Aventure du Jazz (en 2 volumes) de James Lincoln Collier, un bouquin aussi passionnant et complet qu'accessible.   

 

Les ouvrages précédents vous apportent surtout des informations, les suivants sont des réflexions sur la musique :

 

adorno-philosophie-musique.jpgTheodor W. Adorno - Philosophie de la Nouvelle Musique (Gallimard, 1979)

 

Adorno est le penseur incontournable dans le domaine musical. Sortie en 1948, sa Philosophie de la Nouvelle Musique est un livre essentiel pour comprendre les enjeux esthétiques de la musique contemporaine...

 

 

 

 

 

 

Boucourechliev_langage.jpgAndré Boucourechliev - Le Langage Musical (Fayard, 1993)

 

Un livre relativement accessible, et pourtant très recommandable. Une réflexion particulièrement riche et pertinente sur la musique et le sens... Si le Guide Illustré est l'ouvrage que je conseille en premier lieu comme référence "pratique", celui-là est celui que je conseille pour comprendre un peu mieux ce qu'est la musicologie, sans pour autant se retrouver perdu dans un ouvrage réservé aux spécialistes. 

 

 

 

attali_bruits.jpgJacques Attali - Bruits (P.U.F, 1977)

 

Oui, il s'agit bien du même Jacques Attali. Qui n'est certes pas un "musicologue", mais son ouvrage sur la musique n'en est pas moins à connaître. Une étude originale, relativement accessible elle aussi et passionnante sur l'évolution à travers l'histoire du musicien, de l'esthétique et de la musique face à l'évolution économico-sociale...

 

 

 

Impossible de terminer sans citer quelques écrits de référence de compositeurs de renom :

 

Le Traité d'Harmonie, Le Style et l'Idée ou Fondements de la Composition Musicale de Schoenberg

Opéra et Drame de Wagner

Le Traité d'Orchestration de Berlioz

Penser la Musique Aujourd'hui ou Points de Repères de Boulez

Ecrits Divers sur la Musique de Schumann

 

Et, enfin, un livre qui m'avait pas mal marqué à l'époque, réservé plutôt à un public de connaisseurs : Musique, Pouvoir, Ecriture de Hugues Dufourt.

 

Si l'on voulait être vraiment exhaustif, il faudrait mentionner des bouquins sur l'acoustique, la sémiologie de la musique, l'anthropologie et l'herméneutique, l'ethnomusicologie, la sociologie de la musique etc... mais le but, ici, est surtout de donner quelques ouvrages de référence pour ceux qui veulent acquérir les bases des connaissances et réflexions musicologiques. En espérant qu'ils trouveront leur bonheur dans cette petite sélection...  

 

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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 13:44

John Lydon, Keith et Kent Zimmerman – Rotten : no Irish, no Blacks, no Dogs, 1994 (Camion Blanc, 1996, 2005)

 

 

rotten_par_lydon.jpg“On a écrit beaucoup de choses sur les Sex Pistols. La plupart étaient soit du sensationnalisme, soit du blabla psychotique de journaliste. Le reste n’était que pure malveillance. Rotten par Lydon est la véritable histoire des Sex Pistols. Ce livre est aussi fidèle à la vérité que l’on puisse l’être et examine de l’intérieur des événements qui se sont déroulés il y a dix-huit ans. Je n’ai pas le temps pour les mensonges et les fabulations, et j’espère que vous non plus… Appréciez ou crevez… »

 

 

 

 

 

 

     

 

Cette mise au point sur la 4° de couverture annonce la couleur… et si Rotten dit n’avoir pas de temps pour les mensonges et fabulations, il en a encore moins pour les amabilités. Lydon a peut-être vieilli, il n’a pas beaucoup perdu de sa hargne et de sa rage. Et c’est tant mieux. Un bouquin nostalgique et bienveillant sur les Sex Pistols aurait été plutôt déplacé… mais on peut toujours compter sur ce bon vieux Johnny Rotten pour gueuler haut et fort, qu’il chante ou qu’il écrive (enfin, il semble plutôt que Keith et Kent Zimmermann aient retranscrits de longues conversations avec Lydon).

 

L’ennemi public n°1 en Angleterre à la fin des 70’s en a toujours autant contre l’establishment, la bourgeoisie, la famille royale, le business de la musique etc… mais ici, ce sont surtout ses compagnons de route qui en prennent pour leur grade. Rassurez-vous, il ne s’agit pas non plus de ce type de bouquins pathétiques où l’auteur « balance » pour satisfaire la curiosité malsaine des lecteurs, Lydon est fidèle à lui-même : il dit ce qu’il pense et ne cherche pas plus à réécrire l’histoire qu’à se réconcilier avec quiconque. Et forcément, il ne fait pas dans la dentelle. Son père et Steve Jones (le guitariste des Pistols) sont parmi les rares personnes qu’il a fini par réellement apprécier après avoir eu avec eux des relations très conflictuelles (ce qui vaut quelques pages assez touchantes – inhabituel de la part de Lydon - surtout sur son père qui a d’ailleurs la parole dans un chapitre du bouquin). Mais il n’en épargne pas beaucoup d’autres.

 

Au premier rang de la liste de ses « ennemis », on trouve bien sûr Malcolm McLaren. Le manager des Pistols que l’on a souvent décrit comme un « manipulateur », apparaît ici bien plus dépassé par les événements que les contrôlant. McLaren savait faire des « coups », mais il n’assurait pas ensuite. Incapable de leur trouver des concerts, de négocier de bons contrats (pour lui comme pour le groupe) avec les maisons de disques, de subvenir à leurs besoins (ils étaient sans un rond en poche alors qu’ils faisaient la première page des magazines), de gérer les problèmes et tensions. Lydon a beau détester tous les –ismes et les systèmes, il en revient souvent à des questions de « lutte des classes »… entre le prog d’étudiants en art bourgeois et le punk des prolos, et surtout dans la relation désastreuse qu’il a eu avec McLaren (qui finira par un procès, dont on retrouve les témoignages de tous les protagonistes dans le livre, même celui de McLaren). John Lydon vient d’une famille d’immigrants irlandais particulièrement pauvres : le plus « crade » chez Rotten, ce ne sont pas ses tenues, ses obscénités, sa musique, son surnom, son chant rageur, mais bien ses conditions de vie dans l’enfance (appartement délabré sans toilettes à l’intérieur, avec des rats tellement gros qu’ils tuaient les chats). Jones, Cook et Matlock venaient aussi de familles ouvrières pauvres, mais faisaient confiance à McLaren. Pas Lydon, qui, de toute façon, a toujours eu un gros problème avec l’autorité, et n’a jamais été impressionné par les références culturelles et le « situationnisme » de McLaren. Pour Lydon, ce n’était que de la branlette intellectuelle bourgeoise.

 

Lydon n’a pas plus de sympathie pour McLaren que pour sa « complice », la styliste Vivienne Westwood (la boutique « Sex » qu’elle tenait avec McLaren a été à l’origine du look punk) :

 

« Quand je voyais des gens aller dans le magasin et payer 40 livres pour une chemise teinte – la photo de Karl Marx et un symbole nazi inversé – je pensais, quels imbéciles ! Faites-la vous-mêmes. Bon Dieu, moi, je le faisais bien ! Une fois de plus, les gens préfèrent que leurs propres idées leur soient vendues plutôt que de les réaliser eux-mêmes. C’est pourquoi une boutique comme celle de Vivienne marchait si bien. […] Je n’ai jamais trouvé Vivienne attirante. Dès la première minute où je l’ai vue, je l’ai tout de suite pris pour une espèce de grande dinde. Je sais qu’elle ne m’a jamais aimé. » (p.217)

« Vivienne Westwood m’a toujours fait rire, et cela la contrariait perpétuellement. Elle est comme Malcolm : elle aime manipuler les gens et s’ils ne sont pas d’accord avec elle, elle ne veut plus les avoir dans son entourage. Stupide salope. Elle n’est plus allée bien loin après l’ère punk et elle s’est vite retrouvée en manque d’idées. […] Paraître bizarre juste pour faire comme tout le monde, c’est incroyablement inintéressant et c’est ce que fait Vivienne maintenant. » (p.218)     

 

 

Autre personnage que Lydon n’a jamais supporté, le premier bassiste des Pistols, Glen Matlock :

 

« Dans son livre, Glen proclame que la seule chose que je lui ai dite était « Va crever ». C’est vrai, Glen. Va crever. Malheureusement, il ne semble pas croire que je le pensais. Et pourtant, putain, je le pensais ! En permanence. Mais, une fois au moins, je dois dire de Glen qu’il a été le seul à tenter un semblant de contact amical avec moi, ce qui est curieux car je le détestais tant. Tout ce pour quoi il se battait était faible, des trucs de pédale crédule. Il n’aimait pas choquer. Il voulait que tout le monde l’aime et avoir du bon temps. Tellement emmerdant. » (p.130)

 

Le pire, pour lui, c’est que Matlock refusait de jouer sur God save the Queen, il tenait à ce que Lydon change ses paroles… mais Lydon ne pouvait comprendre que Matlock refuse de jouer un titre sous prétexte qu’il pouvait choquer sa mère. Il y avait une incompatibilité totale entre les deux.

Lydon parvient à faire remplacer Matlock par son pote d’enfance, Sid « Vicious », ce qui lui permettait d’avoir au moins un allié dans le groupe, contre McLaren. Et si Lydon garde une certaine tendresse pour Sid, il ne lui tresse pas de couronne de lauriers non plus… Lydon ne respecte pas même les morts. Sid était complètement obsédé par son image, c’était un fan absolu de Bowie et du Velvet (mais on apprend aussi… qu’il aimait Abba ! Ce qui donne lieu à une anecdote marrante, avec Sid qui voulait demander un autographe aux deux filles d’Abba sortant de l’aéroport, et lorsqu’elles l’ont vu arriver vers elles, elles se sont enfuies en courant…). Un mec narcissique, très influençable, et parfois carrément débile. Quand Rotten et Vicious se retrouvaient juste tous les deux, les choses se passaient plutôt bien, Lydon voulait même qu’ils quittent les Pistols et lui a demandé de le suivre dans son nouveau projet, PiL… Sid était partant mais voilà, il avait un très gros défaut : Nancy. Et on arrive sans doute à la personne que Lydon a le plus détesté durant ces années-là.

 

Le bouquin contient de nombreuses interventions de personnages-clé de cette période (Steve Jones, Paul Cook, Caroline Coon, Chrissie Hynde, Don Letts, Julien Temple, Steve Severin, le père et la femme de Lydon… et même Billy Idol) et, Lydon en tête, ils s’accordent tous à dire que Nancy était une plaie, et ne croient toujours pas que Sid l’ait tuée. Pour Lydon, ce n’est pas Sid qui a tué Nancy, mais Nancy qui a détruit Sid. Il était sous son emprise, c’est elle qui l’a fait tomber dans l’héroïne et en a fait une loque.

 

« …quand Nancy a débarqué, c’est devenu insoutenable. Elle rendait la vie absolument et complètement pénible – et sans aucune bonne raison. […] Tout droit descendue de son arbre, méchante, blasée, et complètement ravagée. Sid s’est vite mis à devenir pareil. Il se détestait tant qu’il a fait la pire chose qu’il ait jamais faite – sortir avec cette bête. Il n’y a rien de rancunier quand je dis qu’elle était une bête. Elle était un être humain autodestructeur déterminé à entraîner autant de gens que possible dans sa chute. Nancy Spungen était le Titanic cherchant l’iceberg, et elle voulait afficher complet. Elle était réellement une pauvre connasse… » (p. 206)      

   

« Nous faisions tout pour réussir à nous débarrasser de Nancy. Malcolm, Steve, Paul et moi avons mis au point un petit plan, nous lui avons acheté un billet d’avion et une course en taxi pendant que Sid était quelque part ailleurs. Nous l’avons littéralement poussée dans le taxi et nous l’avons envoyée à l’aéroport avec son billet. Du vent. Voilà de l’argent. Maintenant dégage. Va donc te perdre où tu voudras, débarrasse-nous le plancher. Nous étions allés aussi loin car elle était si mauvaise pour Sid. Elle devait partir. Elle le tuait. J’étais absolument convaincu que cette fille était dans une mission lente de suicide, comme en effet le sont, à mon avis, la plupart des drogués à l’héroïne. Seulement elle ne voulait pas partir seule. Elle voulait entraîner Sid avec elle. C’était son unique but. […]

Nous lui interdisions d’être sur la tournée avec nous, mais elle s’arrangeait toujours pour trouver dans quel hôtel nous étions. Quand nous lui interdisions de venir, Sid devenait de nouveau génial. Quand il n’était pas sous l’emprise des drogues, il était bien et était d’accord avec nous. A la minute où elle se pointait avec tout son matos, cela recommençait à nouveau. Il avait besoin d’elle, mais il luttait contre. Il s’est rapidement mis à consommer plus de drogues qu’elle. Mon Dieu, je ne sais pas combien de nuits j’ai passées avec Sid à essayer de le tirer de ces drogues. C’était ridicule. Je l’avais littéralement enfermé à sa propre requête. J’ai passé des week-ends, une semaine, peu importe combien de temps, à l’empêcher de sortir de la maison. C’est ce que nous faisions, mes amis et moi – ces prétendues mauvaises influences sur moi. » (P.207-208)

 

Moins glorieux, Lydon avoue qu’un soir, avec Jah Wobble, ils sont allés jusqu’à trafiquer une aiguille de Nancy… tant pis si elle en crevait, au moins, ils pourraient sauver Sid.

 

Autre tête de turc de Lydon, Alex Cox, le réalisateur du film Sid & Nancy. Là encore, mieux vaut laisser parler Lydon : « Je n’arrive pas à comprendre pourquoi quelqu’un peut avoir envie de sortir un film comme Sid & Nancy sans s’être donné la peine de venir m’en parler à moi. Alex Cox, le réalisateur, ne l’a pas fait. Il a choisi comme seul point de référence – parmi tous les gens sur cette terre – Joe Strummer ! Ce chanteur guttural des Clash ! Putain, qu’est-ce qu’il connaissait de Sid et Nancy ? […] Pour moi, ce film représente la plus basse forme de vie. Je crois honnêtement qu’il fait l’apologie de la toxicomanie à l’héroïne. Il la glorifie réellement à la fin, quand ce stupide taxi part vers les cieux. C’est tellement con. Les scènes sordides à l’hôtel de New York étaient assez bien, sauf qu’elles méritaient d’être encore plus sordides. Toutes les scènes à Londres avec les Pistols sont n’importe quoi. Je trouve que le type qui tient le rôle de Sid, Gary Oldman, était plutôt bien. Mais même lui ne joue que le personnage du film, pas celui de la réalité. Je ne considère pas que ce soit la faute de Gary Oldman, car il est un sacrément bon acteur. Si seulement il avait eu l’opportunité de parler avec quelqu’un qui avait connu Sid. […] L’ironie finale est que les gens n’arrêtent pas de me questionner sur ce sujet. Je dois expliquer que tout est faux. Tout n’est que la putain d’imagination de quelqu’un d’autre, d’une espèce de lauréat d’Oxford qui a raté l’ère punk. Le salaud. » (p.209-210) 

 

Longue est la liste de ceux qui se font descendre en flèche par Lydon. De Mick Jagger « cette vieille sorcière bourrée de coke nous montrant du doigt en nous traitant de dégoûtants » à Rick Wakeman (qui refuse de rester chez EMI s’ils ne virent pas les horribles Sex Pistols). Mais il ne s’arrête pas à ces dinosaures du rock et pompeux groupes progs contre lesquels s’est dressé le punk, il n’épargne pas non plus les autres groupes punks : « La tournée « Anarchy » de décembre 1976 avec Johnny Thunders a été une histoire hilarante. Malcolm avait organisé la plupart des détails. Une agence avait réservée toute la tournée et c’était très drôle d’avoir tous les groupes dans le même bus. Nous nous entendions comme chiens et chats – les Damned, les Heartbreakers et les Clash. Les Clash se sont désistés car ils voulaient être en tête d’affiche ou quelque chose du même genre. Alors ils ont voyagé séparément. Puis les Damned ont décidé qu’ils étaient la meilleure création au monde depuis le pain en tranches. Les divergences d’ego ont tout démoli. La seule raison qui a fait rester les Heartbreakers, c’est qu’ils n’avaient aucun ego. Thunders était complètement mis hors circuit par la drogue, rien ne lui importait. » (P. 195)

 

Car – Dieu soit loué (même si je doute qu’il ait quoi que ce soit à voir là-dedans) – Rotten n’est absolument pas un nostalgique du punk. Il l’a d’ailleurs prouvé artistiquement, rebondissant tout de suite après les Sex Pistols pour partir dans une direction tout à fait différente avec PiL. Imaginer en « gardien du punk » tonton Rotten nous raconter les belles histoires de l’époque et nous expliquer à quel point c’était mieux avant aurait été assez pathétique. Il vaut mieux que cela. Comme Jim Morrison (et comme la plupart des artistes), Rotten n’est pas un révolutionnaire, mais un révolté. Il ne cherche pas à faire valoir telle ou telle idéologie, reconstruire le système, mais à le bousculer. Et peu de rockeurs peuvent s’enorgueillir d’avoir autant bousculé le rock et la société qu’il ne l’a fait…

 

Les livres sur le rock ne sont pas toujours « rock’n’roll »… mais, comme les nombreuses citations que j’ai mises ici le prouvent, celui-ci l’est vraiment. Vif, tranchant, mal élevé, dur, jubilatoire, sarcastique, sans fioritures ni sentimentalisme, à déconseiller aux âmes sensibles, et à recommander à tous les autres…

 

En guise d’illustration, l’inévitable vidéo de God save the Queen, où comment 4 gamins ont su envoyer une des plus belles claques au monde du rock – et à l’Angleterre :

 

 

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