Un article un peu particulier, puisqu'il est une réponse à une des chroniques d'albums les plus débiles et consternantes qu'il m'ait été donné de lire sur le web (c'est dire). Graveyard Blues est mon album favori de John Lee Hooker... je pensais lui consacrer un article, en cette période où (allez savoir pourquoi), j'ai envie de m'attarder un peu plus sur la musique noire américaine... je tombe sur la page d' amazon.com avec les avis des internautes et là... c'est le drame. Un stupéfiant concentré de conneries de la part d'un internaute qui a déposé 3 opinions sur ce disque (si vous voulez lire en détail, c'est ici, en bas de la page... de toute façon, je vais citer et reprendre ses erreurs...) Il ne s'agit pas simplement de l'avis subjectif d'un crétin genre "ce disk c tro d'la merde, c nulachié lol mdr", ce qui n'aurait aucun intérêt à commenter, mais d'un musicien qui argumente...
As a guitarist trained in classics, jazz, and pop standards, I find it incredible that anyone with any depth of musical knowledge can take John Lee Hooker seriously.
Voilà bien l'exemple type du musicien qui pense avoir tout compris à la musique... alors qu'il n'y comprend strictement rien. Les non-musiciens ont parfois des complexes face aux musiciens, pensant qu'ils n'ont pas la même légitimité pour parler de musique, que beaucoup de choses leur échappent... il n'y a pas de quoi. Bon nombre de musiciens ont des avis totalement biaisés sur la musique, confondent technique et musicalité, et prennent les leçons de leurs profs pour la vérité sur la musique. Leur prof les font travailler pour avoir un doigté, un son le plus "propre" et précis possible (ce qui est bien normal)... ils imaginent que la propreté du son est un critère de qualité déterminant. Plus ils avancent, plus ils travaillent sur des gammes et accords complexes... et imaginent que cette complexité est essentielle, complexité qui permettrait de distinguer les bons musiciens des mauvais. Parce qu'il a bien appris ses leçons, ses gammes, le solfège, le musicien dont il est ici question pense être en mesure de révéler (enfin!) la vérité sur ce John Lee Hooker bêtement encensé par des légions d'ignorants qui n'ont pas ses connaissances techniques... alors qu'il assène des arguments totalement à côté de la plaque...
Over and over again on this CD, "Graveyard Blues," the listener is subjected to screeching, brash one chord idiocy totally devoid of melody, harmony and syncopation.
Ceci ne prouve qu'une chose : il n'a pas le moindre petit début de compréhension de ce qu'est le blues. C'est à la fois théoriquement faux, et, surtout aussi stupide que de dire "le classique, c'est nul, y a pas de groove" ou "la musique tzigane n'a pas su s'adapter aux sons électros" ou encore "la musique africaine manque cruellement d'orchestre symphonique".
Car l'essence du blues, son âme, c'est justement cette sobriété, ce côté "roots", sans fioritures. Une musique qui n'est pas destinée à charmer l'auditeur avec de jolies mélodies tout plein, des orchestrations sirupeuses et des modulations raffinées, mais qui exprime à la perfection la condition de la population noire à la fin du XIX° et dans la première partie du XX°.
Elle est répétitive et "monotone" ? Tant mieux... c'est bien pour ça qu'elle est authentique. Elle retranscrit la réalité de la condition des noirs américains. Qui sortent à peine de l'esclavage, de ces tâches répétitives rythmées par les Work Songs, qui n'ont pas de véritables perspectives mais une existence misérable... et le blues, ça ne s'apprend pas dans les conservatoires, ça n'est pas la musique de privilégiés disposant des meilleures formations, d'instruments de qualité... juste de noirs miséreux qui n'ont pas de quoi se payer de cours, pas de quoi se payer un instrument potable, parfois même pas de quoi remplacer leurs vieilles cordes de guitares usées... mais tout ça ne les empêche pas de s'exprimer, et de le faire avec une justesse remarquable. Le blues, c'est une VRAIE musique populaire. Pas de la soupe pour endormir le peuple, mais une musique qui vient du peuple et manifeste sa réalité, ses frustrations, souffrances, espoirs, désespoirs...
Chord changes are rare and , when they occur, are not remotely clean and often without regard to any semblance of tempo. Hooker's songs don't even have a discernible beat.
Là, on croit rêver... il ose donner des leçons de rythme à John Lee Hooker ? Et pourquoi pas des leçons de mélodies à Lennon/McCartney ? Des leçons d'orchestration à Wagner ou Mahler ?
Ce type a une sensibilité musicale de métronome. Car les libertés de tempo et placements rythmiques sur Graveyard Blues en particulier sont captivantes. N'importe qui ayant un minimum de sens du rythme sait faire la différence entre un musicien débutant qui n'arrive pas à bien se placer sur le rythme et un bluesman/jazzman qui joue avec le rythme et le tempo, sait se positionner toujours un peu à côté pour créer cette sensation de groove, de swing... dans le premier cas (le débutant), on a l'impression que "ça retombe", dans l'autre, au contraire, une sensation de flottement. Et, assurément, John Lee Hooker, comme tous les grands bluesmen et jazzmen, est dans cette deuxième catégorie. Son sens du groove (que ce soit dans le chant ou à la guitare) est exceptionnel. C'est bien pour cela qu'il est considéré comme un des plus grands bluesmen, si ce n'est le plus grand... Quiconque est vraiment sensible au blues ne peut être que fasciné par son "feeling". Si j'aime tant Graveyard Blues, ce n'est bien sûr pas pour les même raisons que j'aime les Beatles, je ne l'écoute pas pour y chercher des mélodies et orchestrations riches, mais plutôt ce groove qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus.
C'est vrai qu'il y a pas mal de ruptures, suspensions, martèlements sur cet album... mais c'est aussi ça qui est passionnant et propre au blues, un mélange hypnotique très particulier d'intensité, de dureté et de monotonie.
The liberal rock stars who play three chords at eardrum piercing volume have somehow managed to make "legends" out of guitarists like Mr. Hooker who, at best, sounds like an unmusical juvenile who just began strumming the instrument for the first time.
Du niveau du cliché d'ignorants pour lesquels "Picasso, c'est laid, n'importe quel enfant pourrait dessiner aussi mal"... Quand on ne comprend rien à un genre, mieux vaut s'abstenir de balancer des jugements définitifs imbéciles. On ne joue pas du blues ou du rock comme on joue du classique. Les accords ne se plaquent pas de la même manière, sinon, ça donnerait du blues aseptisé, ce qui est contraire à l'esprit du blues. L'autre qui chante "Toute la musique que j'aime, elle vient du blues"... s'il y a une chose de sûre, c'est que toute la musique policée qu'il joue vient de tout (enfin, tout ce qu'il y a de pire), sauf du blues. Le "blues lisse pour chirurgien-dentiste" (expression que j'emprunte au Reverend Frost), ce n'est déjà plus vraiment du blues. Dans Graveyard Blues, au contraire, on est au coeur du blues. C'est rêche, tendu, roots, sans aucune intention de racoler ne serait-ce qu'un quart de seconde les chirurgiens-dentistes ... difficile de trouver un disque qui puisse mieux que celui-là incarner ce qu'est une "musique roots"... pas de piano, pas même de basse et batterie, juste deux guitares, la voix géniale de John Lee Hooker et un harmonica.
(Désolé pour les quelques chirurgiens-dentistes qui aiment les musiques vraiment authentiques et roots...)
In truth, John Lee Hooker's new CD [il a été édité en 92, mais les enregistrements sont de 1948-50] is a waste of time and money, as well as being pretty hard on the ears of any true musician who realizes that Wes Montgomery, Django Reinhardt, and Andre Segovia are examples of genuinely talented guitarists.
Consternant... on peut parfaitement aimer les guitaristes qu'il cite et John Lee Hooker... il suffit tout simplement d'avoir un minimum d'ouverture et de ne pas chercher de manière bornée toujours la même chose dans la musique. Mais pour lui, les "vrais musiciens", ce sont sans doute des obsédés de technique incapables de voir plus loin que le bout de leur manche...
Rock and blues are the simplest, most repetitive, mind-numbing styles of guitar playing (C, F, G chords over and over and over....ad nauseum), which is the reason for their huge following among contemporary America's youth and unsophisticated listeners. Somehow, liberals have tied together a well-intentioned desire to make up for past social and political injustices perpetrated against African Americans by positing an aesthetic and technical equivalency among all forms of art and creativity. Suddenly, every blues guitarist who ever lived is "brilliant." The truth is, nowadays, anyone who can play coarse three chord progressions on a guitar and sound constipated while vocalizing is hailed by the leftover junkies and their misguided offspring as "a great talent" or "a blues legend." This democratization of the arts has lowered the bar to abominable depths----including the ludicrous claims that just about anyone who ever recorded redundant, mindless Mississippi Delta blues is a "legend."
Passons sur les présupposés idéologiques... une fois encore, il montre qu'il n'y comprend absolument rien... s'il avait raison, il n'y aurait aucune hiérarchie, tous les musiciens blues et rock seraient également vénérés, mais ce n'est pas le cas. Le blues et le rock se basent sur d'autres éléments musicaux que l'harmonie, ce n'est pas simplement sur leurs suites d'accords qu'ils sont jugés. Tous les bluesmen du delta n'ont pas l'aura de John Lee Hooker... pour tous ceux qui ont une sensibilité qui leur permet de comprendre et ressentir l'âme du blues ; John Lee Hooker, Muddy Waters ou Robert Johnson ne sont pas équivalents à "n'importe quel bluesman".
As is the sad case with virtually everything nowadays, mediocre and just plain untalented performers are glorified because young people have no sense of history----thus, they have only the multitude of three-chord wonders of the past thirty years to use as barometers of talent and ability.
Un de ses arguments les plus absurdes... car s'il y a bien quelqu'un qui n'a pas le sens de l'histoire, c'est lui. Le blues est une musique "historique" bien plus passionnante et légitime de ce point de vue que toutes les chansons "raffinées" de Tin Pan Alley ou des comédies musicales à succès de Broadway dans la première partie du XX° siècle. De plus, lui qui oppose bêtement la virtuosité et la technique du jazz à la simplicité du blues devrait savoir que le jazz doit énormément au blues, et que les plus grands génies du jazz, les Charlie Parker, Coltrane ou Mingus n'ont cessé de revendiquer leur passion pour le blues, source d'inspiration majeure pour leur musique. Sans parler de Kind Of Blue de Miles Davis, pourtant l'exemple-même du chef-d'oeuvre jazz subtil, feutré, sophistiqué...
Those who worship at the alters of conspicuously limited guitarists like John Lee Hooker and Robert Johnson haven't a clue as to the true meaning of musicality.
Là, on touche le fond. La plus grosse connerie qui ait jamais été écrite sur John Lee Hooker et Robert Johnson. C'est comme si je disais "ceux qui se prosternent devant les Stooges, Stones et Sex Pistols n'ont rien compris au rock".
C'est toujours étonnant, ces gens (sur le net et ailleurs) qui donnent des leçons sur des sujets auxquels ils ne comprennent absolument rien. Car le vrai sens de "musicalité", ce n'est sûrement pas la virtuosité technique, mais le "feeling"... ce n'est pas de jouer 20 notes à la seconde, mais d'être capable, à partir de 2-3 notes, de faire passer quelque chose d'intéressant. Il y a des milliers de guitaristes et chanteurs disposant d'une technique irréprochable... dont tout le monde se fout et qui ne pourront jamais rivaliser avec John Lee Hooker ou Robert Johnson. Parce que chez ces deux là il y a, justement, une musicalité exceptionnelle. Ils font du blues, et cela mieux que quiconque.
Contrairement à ce que lui pense (et si je le relaie, c'est aussi parce qu'il est loin d'être le seul musicien à avoir une conception aussi ridicule de la musique), il est bien plus facile de devenir un excellent guitariste de studio qu'un John Lee Hooker ou un Robert Johnson. Dans un cas, suffit juste de travail et de persévérance, dans l'autre, faut être un véritable artiste. Quand on écoute John Lee Hooker, ce n'est pas le "produit d'une bonne école de musique" qu'on entend... ce n'est pas un musicien lambda qui récite sagement ses gammes, mais une histoire, un peuple, un individu qui s'expriment par la voix et le jeu d'un artiste hors du commun.
John Lee Hooker ne doit pas l'admiration qu'il a suscité et suscite toujours à une belle gueule, un look tendance, des ados qui aimeraient lui ressembler, des clips spectaculaires, des grands concerts pyrotechniques, un effet de mode, une omniprésence dans les pages people etc, etc... non, il ne la doit qu'à son talent.
Un dernier mot, puisque c'est d'actualité, sur la loi Hadopi adoptée... tous ces gens qu'on entend de nouveau nous bassiner avec "le téléchargement, c'est la mort des artistes et de la musique"... voilà de quoi faire se retourner dans leurs tombes les vieux bluesmen. Qui n'ont pas eu besoin de majors pour créer le blues et s'exprimer à travers lui. Alors que les majors ont bien su les exploiter, profiter de leur méconnaissance des contrats et s'enrichir sur leur dos. Les majors peuvent toujours disparaître, mais tant qu'un type, avec une guitare, sentira la profonde nécessité de s'exprimer, la musique a encore de très beaux (et longs) jours devant elle.
Enfin... ce Graveyard Blues n'est peut-être pas l'album le plus abordable pour un "novice", ce serait comme s'initier au rock avec Fun House (très bon choix, certes, mais pas le plus accessible).
Deux excellents albums de John Lee Hooker un peu plus abordables, tous les deux sont de 1960 et sont en écoute sur deezer :
John Lee Hooker - Travelin'
John Lee Hooker - That's my Story
(Avec la section rythmique de Cannonball Adderley - Sam Jones à la basse, Louis Hayes à la batterie - sur That's my story, le blues peut être subtil sans être de la musique lisse pour chirurgien-dentiste)
Quant à Graveyard Blues... il est en écoute intégrale sur deezer :
Si vous aimez John Lee Hooker, peu de risque d'être en manque, 69 de ses albums sont sur deezer (beaucoup de compilations, c'est vrai, et pas tous ses albums... mais c'est déjà pas mal).
Un excellent site de référence sur John Lee Hooker : Telia
John Lee Hooker (1917-2001) - Graveyard Blues
John Lee Hooker (vocals, guitar), Andrew Dunham (guitar), Eddie Burns (harmonica).
1. War Is over (Goodbye California) |
2. Henry's Swing Club |
3. Alberta - John Lee Hooker, Besman, Bernard |
4. Hastings Street Boogie |
5. Build Myself a Cave - John Lee Hooker, Besman, Bernard |
6. Mamma Poppa Boogie |
7. Graveyard Blues |
8. Burning Hell |
9. Sailing Blues |
10. Black Cat Blues |
11. Miss Sadie Mae |
12. Canal Street Blues |
13. Huckle up Baby |
14. Goin' Down Highway 51 |
15. Sail On, Little Girl, Sail On - John Lee Hooker, Easton, Amos |
16. Alberta, Pt. 2 |
17. My Baby's Got Something |
18. Boogie Chillen, No. 2 |
19. 21 Boogie |
20. Rollin' Blues |