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Classements d'albums

15 août 2010 7 15 /08 /août /2010 18:05

 

 

abbey-lincoln.jpg

Triste nouvelle que nous a appris Thierry, la grande Abbey Lincoln vient de mourir. Et ce sont les 2 mêmes morceaux que Thierry que je retiendrais d'Abbey Lincoln : Freedom Day sur l'indispensable We Insist ! de Max Roach (1960), et Afro-Blue, enregistré un an auparavant (1959).  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Freedom Day

 

 

 

 

Afro-Blue

 

 

 

 

 

Trois grands albums à connaître absolument :

 

1959 : Abbey Lincoln - Abbey is Blue

 

1960 : Max Roach - We Insist ! The Freedom now Suite (dont j'ai parlé plus longuement ici)

 

1961 : Abbey Lincoln - Straight Ahead (malheureusement, on ne le trouve nulle part en écoute) 

 

 

Pourtant, ce que je retiendrais vraiment d'Abbey Lincoln, plus encore que son chant et ses oeuvres, c'est son parcours, et sa personnalité particulièrement attachante.

 

A ses débuts, Abbey est plutôt cataloguée comme une chanteuse noire sexy, on l'appelera même la "Marilyn noire"... mais sa rencontre avec le génial batteur Max Roach va changer sa vie, et elle deviendra une des artistes les plus engagées de l'époque, rejetée pour cela par toutes les maisons de disques américaines... plutôt que de vous raconter sa vie, je préfère lui laisser la parole, elle se raconte à merveille dans cette passionnante interview donnée à L'Express (source, ici), qui ne pourra que vous faire aimer la grande Abbey.   

 

Lorsque vous chantez, on est captivé par votre sens de la dramaturgie, par votre voix capable de prendre toutes les intonations. S'agit-il d'un don ou le fruit d'un travail poursuivi au long des cinquante-cinq ans de votre carrière?

Carrière? Je n'ai jamais entendu ce mot obscène dans la bouche de Charlie Parker ou de Billie Holiday! Ce dont vous parlez s'appelle «transmission de la mémoire»! Il s'agit d'une mission qui demande un savoir-faire. Le mien, je l'ai hérité de ma mère, Evalina Coffey: une femme magnifique, qui a élevé 12 enfants. Je suis la dixième. Dans ses veines coulait le sang des Africains et celui des Indiens d'Amérique. Chaque soir, tel un griot, elle nous racontait l'histoire de nos ancêtres. Notre maison, à Kalamazoo (Michigan), avait été bâtie par mon père, Alexander Wooldridge. Dans le salon, il y avait un piano droit: j'ai appris à en jouer toute seule dès l'âge de 5 ans. Un jour, mon père a rapporté un phonographe et un disque de Billie Holiday. Ce fut le coup de foudre. Elle est restée mon modèle: Billie était une poétesse, une tragédienne.

Quelques années plus tard - en 1952 - on vous retrouve dans les night-clubs de Honolulu (Hawaii), drapée dans des robes à paillettes, chantant des ballades accompagnée de danseurs, et même d'un éléphant...

J'avais 22 ans quand un producteur m'a proposé de chanter dans des cabarets. Plus que chanteuse, je faisais office de poupée sexy... Billie Holiday, qui se produisait dans un club à côté, est venue m'écouter deux fois. Elle est restée au bar, l'air ennuyé, caressant son chihuahua. [Le lendemain, Abbey Lincoln s'acheta deux chihuahuas...] A 24 ans, je suis partie travailler à Los Angeles, au Moulin Rouge - une imitation américaine des Folies Bergère. Je chantais, entourée de six danseurs, dans une revue intitulée C'est ça, Paris! Le patron tenait à ce que je m'affuble d'un prénom à consonance française: Gaby Lee. J'étais innocente et j'obéissais: on me fit prendre des cours de diction pour que ma voix sonne moins «noire»! En 1955, j'ai rencontré Bob Russell, un parolier connu, qui devint mon manager. C'est lui qui a inventé mon nom, Abbey Lincoln. Cela s'est passé pendant un match de boxe entre un Noir et un Blanc. J'étais pour le Noir. «Et si tu t'appelais Abbey Lincoln? m'a-t-il lancé. Abraham Lincoln n'a pas réussi à libérer les esclaves, c'est peut-être toi qui le feras!»

Y êtes-vous parvenue?

Impossible: j'étais esclave! En 1956, j'ai fait mes premiers pas à Hollywood dans La Blonde et moi, de Frank Tashlin. La star du film était Jayne Mansfield. Moi, je chantais vêtue d'une robe qu'avait portée Marilyn dans Les hommes préfèrent les blondes. Ainsi déguisée, j'ai posé pour la couverture du magazine Ebony, qui me présentait comme la Marilyn Monroe noire. La même année, j'enregistrais mon premier disque, Abbey Lincoln's Affair: A Story of a Girl in Love. Un album convenu, florilège de chansons d'amour... Lorsque je chantais ces bluettes en concert, je sortais de scène avec une sensation de vide. Aucune émotion n'émergeait. J'ai commencé à boire.

Deux ans plus tard, vous revenez métamorphosée: coiffure afro, voix âpre, vous enregistrez trois albums de jazz, dont vous signez certains des textes. Vous êtes la seule femme, à l'époque, à être intégrée en tant qu'interprète et auteur parmi les stars du be-bop et du free-jazz... Comment une telle transformation s'est-elle opérée?

J'avais décidé d'évoluer. C'est à ce moment-là que j'ai rencontré Max Roach, un batteur-compositeur formidable, collaborateur de Duke Ellington et de Charlie Parker. Nous nous sommes installés ensemble à New York et je l'ai épousé en 1962. Cet homme, mon seul grand amour, a sauvé ma vie. Il m'a tout appris. Un soir où je portais cette fameuse robe rouge de Marilyn, il m'a dit: «Comment peut-on te prendre au sérieux avec cette robe ridicule?» Je l'ai jetée au feu! J'ai aussi arrêté de me lisser les cheveux, les laissant naturels, crépus. Avec Max et une bande de musiciens engagés - John Coltrane, Charles Mingus, Ornette Coleman... - j'ai participé aux premières marches contre la ségrégation. En 1960, lors d'un concert, j'ai présenté, avec Max, un manifeste musical intitulé Freedom Now Suite. Sur un des morceaux - voix, batterie - je hurlais, pleurais, chantais, gémissais... J'exprimais émotionnellement tous les sentiments d'une population meurtrie. Une heure après le concert, Max se fit tabasser dans un commissariat de police. Aucune chanteuse n'avait crié jusqu'à ce moment! Elles miaulaient, faisaient dans l'ironie, mais de cris, jamais! Ce «style» a pris pied dans le free-jazz comme dans le rock.

Satisfaite?

Bof... Je voulais transmettre mon message par d'autres moyens que le cri. Je souhaitais mieux chanter et apprendre à composer. Je harcelais Max Roach pour qu'il m'aide. Un jour, excédé, il a lancé une assiette contre le mur puis m'a dit: «Commence par faire de l'ordre dans ta chambre et tu verras que la musique suivra, car la musique, c'est ça: la mise en place!» Il avait raison. En 1961, j'enregistrais mon premier vrai album, Straight Ahead. Parmi les morceaux, il y avait une composition de Thelonious Monk, Blue Monk [qui ouvre aujourd'hui Abbey Is Abbey], sur laquelle j'avais posé des paroles. Cet album, aux textes engagés, déclencha la haine d'un critique du New York Times: «Dommage, écrivait-il. Cette chanteuse si talentueuse est devenue une "négresse professionnelle", trop impliquée dans les luttes des Afro-Américains.» A partir de 1962, j'ai été rejetée par toutes les maisons de disques. Depuis, je n'ai jamais plus enregistré en Amérique! Mais j'ai été repêchée par le nouveau cinéma noir. En 1964, j'interprétais le personnage principal de Nothing But a Man [Un homme comme tant d'autres], de Michael Roemer, un film où l'on montrait pour la première fois les préjugés auxquels se heurte un couple noir. En 1968, j'ai joué le rôle-titre de For Love of Ivy [Mon homme], une comédie sentimentale amère, écrite et interprétée par Sidney Poitier. Il m'avait choisie parmi 300 actrices. Mais la musique me manquait. De plus, en 1970, j'ai divorcé. J'étais déprimée, accrochée à la bouteille.

Vous partez alors vivre en Californie, dans un garage... Vous peignez des centaines de toiles. Vous écrivez des pièces de théâtre et donnez des cours d'art dramatique. Mais, pendant presque vingt ans, vous disparaissez de la scène musicale... Puis vous réapparaissez, à la fin des années 1980, avec un nouveau visage: Abbey Lincoln, compositrice de ses propres chansons, enregistrées pour le label français Universal...

Je dois ma résurrection musicale à l'Afrique et à la France. En 1972, je suis partie avec la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba pour un long voyage, en Guinée puis au Zaïre. De retour à New York, en sanglotant dans l'avion, ma future première composition, People in Me, m'est comme apparue en rêve. J'ai continué à écrire de la musique pour préserver ma santé mentale. Jusqu'au jour où un producteur français, Jean-Philippe Allard, m'a appelée: «Voulez-vous chanter pour nous? Vous aurez carte blanche.» En 1990, j'ai sorti l'album The World Is Falling Down, le premier de mes neuf disques pour Universal. J'ai presque 77 ans et j'ai composé 80 chansons... En France, j'ai reçu le plus beau compliment que l'on m'ait jamais fait: «Vous avez beau jouer des mélodies et des chansons déchirantes, votre désespoir devient notre courage.»

Propos recueillis par Paola Genone 

 

 

 

Elle qui n'aimait pas qu'on la qualifie de "chanteuse de jazz" et préférait "artiste noire" n'était pas simplement une "grande dame du jazz", mais une grande dame....

 

Abbey Lincoln, 6 août 1930 (Chicago) - 14 août 2010 (Manhattan, NY)

 

 

 

A lire en complément :

 

Max Roach - We Insist !

 

L'hommage de Thierry, sur Jazz Blues & Co  

L'hommage de Dr. F

L'hommage de Last Night in Orient 

 

Un beau texte sur Abbey, écrit il y a quelques années, chez Esprits Nomades

 

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9 avril 2009 4 09 /04 /avril /2009 08:14



Qu'est-ce que la musique ? Grande question qui peut amener des milliers de débats, définitions, thèses... mais si l'on s'en tient aux éléments qui la caractérisent, c'est très simple, les éléments qui font la musique sont  :
- Mélodie
- Harmonie
- Rythme
- Son
- Forme

Il est bon de revenir parfois aux fondamentaux, surtout lorsqu'ils permettent, comme ici, de comprendre en quoi un musicien peut être un vrai génie... car pour chacun des éléments qui composent la musique, Duke Ellington n'a pas été juste "bon", il a été exceptionnel : 

- Mélodie

Avant Ellington, le jazz était  de l'interprétation (après lui aussi)... le jazzman reprend une chanson, un thème, se l'approprie et en livre sa version. Parfois, il compose ses propres morceaux, mais ce n'est pas le cas le plus fréquent. Ellington, lui, s'est distingué des jazzmen de l'époque en composant la plupart des morceaux qu'il jouait et, surtout, bon nombre de ses créations sont devenues de grands standards du jazz... In a Sentimental Mood, Satin Doll, It don't mean a thing (if it ain't got that swing), Mood Indigo, Solitude, Prelude to a Kiss, Sophisticated Lady, I'm beginning to see the Light, Cotton Tail, Just Squeeze me (but don't tease me), I Got it bad (and that ain't good), Do Nothin' Till You Hear From Me, Don't get around much anymore, In a mellotone, C Jam Blues, I let a song go out of my heart, Drop me off in Harlem, Something to live for, All too soon, Day dream, etc... sans parler de Take the "A" Train, Perdido et Caravan, trois morceaux écrits par des membres de son orchestre mais qui ont la "patte" Ellington.
Avec Ellington, le jazz s'est enfin trouvé un grand compositeur ; plus besoin d'être obligé de piocher dans le répertoire de Gershwin ou des auteurs blancs de ballades pour trouver des mélodies séduisantes, un des leurs était capable de leur procurer des standards de très grande classe. Des standards aux mélodies d'une qualité hors du commun, à la fois imparables et dignes (ce qui n'était pas toujours le cas des morceaux de music-hall ou populaires qu'ils revisitaient).
Come l'explique James Lincoln Collier, dans le tome I (des origines au Swing) de son excellent ouvrage "L'aventure du Jazz"" : "Ellington était, probablement, le meilleur compositeur de thèmes courts, de brèves mélodies et même de fragments mélodiques dans l'Amérique du XX° siècle. Je ne parle pas seulement des innombrables et superbes thèmes qu'il a écrits [...], mais je veux parler surtout des motifs très courts, des fragments mélodiques qui surgissent comme par enchantement dans ses compositions. Une composition d'Ellington est parsemée de petits motifs dont certains sont certes élaborés mais dont d'autres apparaissent et disparaissent, surgissent et s'évanouissent comme des reflets, des miroitements à la surface de la musique. Les thèmes de "A Jubilee Stomp", de "Rockin' in Rythm", de "Blues with a feeling", de "Cotton tail", de "A Old Man Blues" sonnent aussi frais, nouveaux, alertes que lorsqu'ils furent composés".   

- Son

Les mélodies d'Ellington auraient suffit à le faire rentrer dans le panthéon du jazz... et pourtant, il a été encore plus remarquable dans ses orchestrations, apportant au jazz des sonorités inédites, fascinantes... ce mélodiste exceptionnel était aussi un coloriste de génie.
On doit à Ellington le style "jungle", à la fin des années 20, qui consiste à recréer musicalement l'impression d'une jungle imaginaire... à la fois jungle africaine et jungle urbaine. Pour cela, il a particulièrement développé - en collaboration avec ses musiciens - l'utilisation de sourdines, ces trompettes et trombones "bouchés" avec des effets "wa wa", le "growl"... Le Duke - surnommé ainsi dans sa jeunesse parce qu'il était toujours très élégant... son père était majordome à la maison blanche - avait le son le plus "dirty" de l'époque.
Ellington ne s'est pas arrêté à ce style "jungle", il a sans cesse travailler sur les combinaisons orchestrales, les couleurs sonores... un des exemples les plus marquants étant le bien nommé Mood Indigo. Avant Mood Indigo, les choses étaient simples dans le jazz... la trompette jouait le thème principal, la clarinette brodait par-dessus sur des notes aiguës, et le trombone accompagnait sur des notes graves. Rien de plus normal, cela correspond à la tessiture de ces instruments, il n'y avait aucune raison de faire autrement. Les habitudes sont tenaces, jusqu'à ce qu'un génie vienne bouleverser les choses - pas simplement pour le plaisir de la contradiction, sinon, ça n'aurait pas d'intérêt - et arrive à rendre possible et remarquable ce qui aurait été chez un autre considéré comme une grossière erreur d'orchestration. Ellington, donc, fait jouer un trombone bouché dans l'aigu et la clarinette dans le grave, sur un thème rêveur qui devient ainsi encore plus envoûtant avec cette couleur si particulière.
Autre exemple, à la fois ludique, spectaculaire et brillant, Daybreak Express ; où comment retranscrire à l'orchestre le son d'un train en marche tout en le faisant swinguer (tous les morceaux que je cite sont bien entendu dans la playlist ci-dessous).

- Harmonie

Ellington n'a pas eu une formation musicale "classique" (bien qu'il se soit intéressé de près à la musique classique), il a beaucoup appris en autodidacte... contrairement à ce qu'on pourrait penser tant il semble maîtriser mieux que tout autre jazzman la composition et l'orchestration. Mais c'est justement cette "faiblesse" qu'il a su transformer en force, qui lui a permis d'expérimenter des harmonies et sonorités inédites, parce qu'il arrivait à les faire "sonner" de manière intéressante, même si elles allaient à l'encontre des règles. Là encore, c'est en "peintre" qu'Ellington utilise bien souvent les harmonies, se préoccupant plus de la sonorité que des lois de l'harmonie. 
Wagner s'est mis assez tardivement - pour un compositeur classique - à étudier vraiment la musique, il est pourtant le compositeur qui a le plus révolutionné l'harmonie avant le XX°, celui qui est allé chercher les harmonies les plus originales et complexes... Debussy savait, à partir d'accords, tirer les couleurs les plus originales et saisissantes. Transposé dans le monde du jazz, Ellington, c'est à la fois Wagner et Debussy...
Le talent d'Ellington, c'est aussi d'avoir su utiliser des dissonances originales qui, chez un compositeur lambda, auraient semblé "dures", difficiles... mais lui savait parfaitement, par sa finesse d'écriture et sa musicalité, les faire passer avec fluidité et les rendre séduisantes.
Exemple de l'audace harmonique d'Ellington, le génial Koko, morceau étudié en détail par Edward Bonoff qui a relevé une abondance de 11° mineures, très rarement employées dans le jazz de l'époque...

- Rythme

Les deux grands orchestres du swing sont indiscutablement ceux de Duke Ellington et Count Basie. Si celui de Basie est en général considéré comme le plus "swinguant" (Basie au piano, Freddy Greene à la guitare, Walter Page à la contrebasse, Jo Jones à la batterie... difficile de trouver une meilleure section rythmique swing... et je ne parle même pas du jeu de sax de Lester Young)... celui d'Ellington n'a bien entendu pas à rougir à côté.
It don't mean a thing (it it ain't got that swing) aurait popularisé le terme "swing"... rien d'étonnant de la part d'un morceau qui soit autant irrésistible d'un point de vue rythmique. 
Quant à l'introduction de rythmes cubains dans le jazz... on pense souvent à Dizzy Gillespie, mais à l'origine, il y a encore Ellington, avec le célébrissime Caravan.
Pas besoin de m'étendre sur le génie du rythme chez Ellington, vous n'avez qu'à écouter la playlist ci-dessous pour vous en convaincre... si vous n'êtes pas transporté par ce swing magistral, c'est que vous êtes définitivement allergique au jazz (ou que vous êtes un fan hardcore de Basie).

- Forme

Ellington a été le premier jazzman à se lancer dans l'écriture de morceaux longs, notamment des "suites"... le disque et la radio imposaient des formats courts, mais cela ne l'a pas empêché de passer outre, de tenir à écrire des "oeuvres" qui ne soient plus de simples chansons ni des morceaux d'orchestre de 3 minutes. 


Le génie d'Ellington, c'est aussi d'avoir su relier mieux que tout autre jazzman les "opposés"... musique savante et musique populaire, légèreté et profondeur, musique blanche et musique noire... et les mélanger sans faire de la soupe. La soupe, ce sont ces orchestres jazz -  le plus souvent blancs - qui ont cherché une pseudo-respectabilité en lissant le jazz (moins de rythmes "sauvages", moins de sons "dirty"), histoire de le rendre plus acceptable pour les blancs... une sorte de "bouillie" classico-jazz, qui n'a ni la complexité du classique, ni la chaleur ou le côté "charnel" du jazz (le parallèle avec le rock progressif est vite fait). Duke Ellington a fait l'inverse, il a réussi à la fois à garder - et même accentuer - ce qui fait du jazz une musique dont les racines les plus anciennes et profondes se trouvent dans les musiques africaines (expressivité privilégiée à la "pureté" du son, rythmes)... et à porter au plus haut l'art de l'orchestration dans le jazz. 
Alors que la couleur de la peau, source de tant de discriminations, a été un problème pour nombre de jazzmen (qui regrettaient de ne pas être blancs pour être mieux considérés), Ellington s'est toujours montré particulièrement fier de ses origines et de sa couleur... "Say it loud, I'm black and I'm Proud" aurait parfaitement pu être sa devise...

L'orchestre de Duke Ellington (avec, bien sûr, le duke au piano), en 1943 (même si le morceau date de 1931), sur It don't mean a thing (if it ain't got that swing)... un parfait exemple pour apprécier le jeu avec les sourdines des cuivres et les effets "wa wa" :



Playlist : bon nombre de titres sont des années 30 - le son ne permet donc pas de toujours bien saisir la richesse de la sonorité de l'orchestre - mais j'ai préféré favoriser les originaux.





Une bio assez bien faite d'Ellington, sur Grioo.com :
Duke Ellington, le maître à penser du jazz

Duke Ellington sur
wikipedia

Histoire du Jazz
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23 janvier 2009 5 23 /01 /janvier /2009 10:06
Le jazz, une musique compliquée, savante, inaccessible aux "non-inités"... voilà ce qui se dit le plus souvent. J'ai donc essayé d'écrire la plus simple et brève histoire du jazz possible, afin que ceux qui n'ont jamais osé s'y plonger puissent avoir, avec un minimum d'attention, les bases pour comprendre le jazz, son histoire et son évolution. Cet article ne fera pas de vous un spécialiste du jazz, c'est sûr, mais après sa lecture et l'écoute des quelques morceaux illustrant chaque période, vous ne pourrez plus dire - si c'est le cas - que vous ne connaissez rien au jazz...

(Cet article attend d'être publié depuis hier... mais Jiwa ne fonctionne pas... en attendant que les titres puissent être écoutés, je les ai regroupé dans une playlist sur deezer, à la fin de l'article)


1. Le New-Orleans (années 1910 et 1920)

Le premier style de jazz s'appelle "New-Orleans"... parce qu'il est né à la Nouvelle-Orléans (quand je vous dis que le jazz, c'est pas si compliqué...).
Une musique festive (qui donne l'impression d'un "collectif improvisé"), débridée (on parle de jazz "hot"), joyeuse, rythmée, jouée par de petits ensembles (des fanfares, à la base), où prédominent les instruments à vent (trompettes, trombones, clarinettes) accompagnés par une section rythmique : tuba (et/ou contrebasse), banjo ou piano, batterie (ce sont les premiers jazzmen qui ont inventé la batterie moderne).

Beaucoup de musiciens jazz vont émigrer à Chicago (qui offre plus de possibilités pour jouer et vivre de sa musique), le style se raffine, on parle alors... de style "Chicago" (du New-Orleans, donc, en un peu plus élaboré).
Le génie du Jazz New-Orleans : Louis Armstrong.
Un disque historique : Les Hot 5 & Hot 7 Recordings de Louis Armstrong (1925-1927).

Un titre : Louis Armstrong - Drop that Sack




2. Le Swing (années 30)

C'est l'ère des "big-bands". Un jazz plus écrit (beaucoup des grands noms du jazz swing ont eu une solide formation musicale, souvent classique... mais impossible pour les noirs d'intégrer les grands orchestres blancs, ils ne peuvent que se tourner vers le jazz).
Une musique plus structurée que le New-Orleans, pas l'impression d'un collectif improvisé qui part un peu dans tous les sens, mais un orchestre où chacun est bien à sa place, où les différentes parties sont plus limpides et l'orchestre accompagne le soliste (ou le chanteur). La trompette, instrument-roi du New-Orleans sera détronée par le saxophone (avec notamment deux saxophonistes modèles pour tous ceux qui suivront : le subtil Lester Young et le puissant Coleman Hawkins)   
Un des éléments caractéristiques du jazz fait son apparition, le jeu en walking-bass (le contrebassiste joue sur tous les temps, ce qui donne l'impression d'une basse qui "avance"...) [Petit aparté pour les musiciens : le New-Orleans, qui vient en partie des marches que jouaient les fanfares, se joue sur deux temps appuyés, dans le swing, avec la walking-bass, on appuie de manière égale les 4 temps... ce qui contribue à créer cette sensation de "swing".]
Le génie du swing : Duke Ellington (un autodidacte, qui sera pourtant le plus passionnant des jazzmen dans son jeu sur les timbres et couleurs de l'orchestre).
3 autres grands du swing : Fletcher Henderson (le premier), Count Basie et Benny Goodman.  
Un disque : Duke Ellington - The Quintessence 

Un titre : Duke Ellington - Take The A Train




3. Le be-bop (années 40)

Lassés de faire danser les blancs, révoltés par les injustices et les inégalités qui ne diminuent pas (bon nombre de familles noires voient leurs enfants mourir à la guerre pour leur pays, pays qui leur reconnaît le droit de mourir pour lui, mais pas de vivre avec les mêmes droits que les autres), le discours des noirs se radicalise... comme leur musique. Les tempos seront beaucoup plus rapides ou lents (moins de tempo modéré, plus question de faire danser la bonne société blanche), les grands orchestres sont remplacés par de petits ensembles, le jazz se joue dans des clubs (où l'on vient pour écouter, pas pour danser), on délaisse la mélodie et les thèmes agréables pour laisser la place aux solos. L'expression individuelle (le soliste, donc) est dorénavant privilégiée. 
De manière très caricaturale, on pourrait dire que le New-Orleans était une musique de fête, le Swing, une musique élaborée de danse, et le be-bop, une musique de révolte.
Harmonies très complexes, succession de solos, le be-bop est un genre de jazz assez difficile d'accès pour les novices...
Le génie du be-bop : Charlie Parker (saxophone).
2 autres grands du be-bop : Dizzy Gillespie (trompette), Thelonious Monk (pianiste, qui ne se limite pas au be-bop, un grand jazzman très original et assez inclassable).

Un titre : Charlie Parker - Koko 



4. Le Cool Jazz (première moitié des années 50)

En réaction à l'intensité et à la frénésie du bop va émerger le Cool Jazz. L'album fondateur du genre est Birth of The Cool (1949) de Miles Davis, en collaboration avec Gil Evans (arrangeur). Un style de jazz plus feutré, apaisé...  qui sera surtout joué par des blancs, de la "West Coast" (on parle aussi de West Coast Jazz)...








Un titre : Chet Baker - My Funny Valentine

Découvrez Chet Baker!



5. Le Hard-Bop
(deuxième moitié des années 50)

Le cool jazz est apparu en réaction au be-bop, le hard-bop sera une réaction au cool... sans pour autant revenir au be-bop. Un jazz "hot", intense... mais plus accessible et mélodique (influences de la soul et du rhythm'n'blues) que le be-bop. Le hard-bop est physique, terrien, loin des ambiances délicates et feutrées du cool, et plus direct et brut que le be-bop. Pas étonnant que trois de ses meilleurs représentants soient deux batteurs (Max Roach et Art Blakey) et un contrebassiste (Charles Mingus)
Un génie du genre : Mingus. On ne peut le limiter au hard-bop (il était déjà un contrebassiste reconnu dans la période be-bop), il a su dépasser ses frontières et mêler des éléments divers appartenant à toutes les époques du jazz. Mais on retrouve chez lui cette puissance très "hard-bop".
Un album : Charles Mingus - Blues and Roots

Un titre : Charles Mingus - II B.S. (une version de son célèbre Haïtian Fight Song)




6. Le Jazz Modal (années 60)

Miles Davis a initié le cool, le hard-bop (avec Walkin')... mais aussi le jazz modal, avec Kind of Blue, l'album le plus célèbre et vendu de l'histoire du jazz. Album sur lequel figure John Coltrane, le génie du genre. Le jazz modal est plus compliqué à expliquer à de non-musiciens, car pour vraiment comprendre ce qu'est un "mode", il faut connaître la théorie de la musique. Pour faire simple, on dira que les modes sont des types de gammes plutôt "exotiques", ou qui nous renvoient à des musiques d'autres cultures, ou des musiques anciennes (antiquité, moyen âge). On a généralement peu d'accords, et plus de liberté pour improviser sur des gammes/modes particuliers. Un style de jeu assez hypnotique (comme les musiques orientales et africaines), qui peut être très riche, complexe et virtuose (Coltrane). Une des meilleures illustrations qui soit : My favorite Things de Coltrane. Après l'énoncé du thème, de longues improvisations envoûtantes sur 2 accords :




7. Le Free Jazz (années 60 et 70)

Le free jazz a été inspiré notamment par Mingus et Coltrane (qui ont parfois tous deux "flirté" avec l'improvisation free), mais c'est le saxophoniste Ornette Coleman qui sera le véritable initiateur du genre, et la référence incontournable, avec en particulier l'album Free Jazz, A Collective Improvisation.







L'album en continu et en intégralité ci-dessous :  




(Bien entendu, si vous n'êtes pas familiarisé avec le jazz, vous risquez d'avoir beaucoup de mal avec le free - c'est déjà un genre difficile pour les amateurs de jazz... pas besoin de vous lancer dans les 37 minutes de l'album,quelques minutes d'écoutes suffiront pour vous donner une idée de ce qu'est le genre).
Le free a pas mal de points communs avec le be-bop : une musique de revendication, difficile d'accès, qui privilégie les petits ensembles et ne cherche pas à "plaire" mais à exprimer. 

2 autres célèbres jazzmen "free" : Albert Ayler (saxophone) et Cecil Taylor (piano).

Les dates mises entre parenthèse marquent avant tout la naissance et l'apogée du genre, il va de soi que le cool jazz, par exemple, ne s'arrête pas pile avec l'arrivée du hard-bop, mais continue à exister en parallèle... idem pour la plupart des autres types de jazz.
Le jazz ne se termine pas avec le free, bien sûr, mais depuis, il n'a pas été très convaincant... j'y reviendrai dans un prochain article. 

En bref, comme vous avez pu le constater, le jazz, ce n'est pas si difficile... il voit le jour à la Nouvelle-Orléans, c'est le style "New-Orleans", il se déplace vers Chicago et devient le style "Chicago", on passe ensuite par le swing (du jazz qui "swingue")... puis par le be-bop (vous ne voyez pas ce que signifie le terme ? normal, pour une musique assez hermétique), le cool jazz... c'est du jazz cool, qui naît avec l'album... Birth of The Cool... puis vient le hard-bop, plus intense, physique... suivi par le jazz modal qui, lui, se joue sur les modes musicaux... et le free jazz, de l'improvisation collective... dont l'album de référence est Free Jazz, A Collective Improvisation... vous ne devinerez jamais comment on a appelé la fusion jazz et rock des années 70...

Playlist jazz


Découvrez Louis Armstrong!



Les albums incontournables et emblématiques cités dans l'article, en écoute intégrale :

Louis Armstrong - Hot 5 & Hot 7 Recordings (1925-1927)
Duke Ellington - The Quintessence (vol 1., 1926-1941)
Charlie Parker - The Quintessence (N-Y - Hollywood, 1942-1947)
Miles Davis - Birth of The Cool (1949)
Charles Mingus - Blues and Roots (1959)
Miles Davis - Kind of Blue (1959)
John Coltrane - My Favorite Things (1960)
Ornette Coleman - Free Jazz, A Collective Improvisation (1960)

Pour prolonger votre découverte du genre, quelques pistes d'albums très accessibles (en particulier du jazz vocal) : 
Découvrir le jazz.
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