Plus réjouissant encore que les artistes qui, albums après albums, confirment le bien que l’on pensait d’eux, il y a ceux qui nous font mentir. Ceux que l’on considérait comme complètement surestimés ou sans grand intérêt, et qui nous obligent à réviser notre jugement. Il y a bien un petit quelque chose de légèrement énervant dans ce cas ; on est plus à notre aise avec des lignes de démarcations claires entre les bons groupes et les mauvais, mais ce changement de point de vue est au fond beaucoup moins dérangeant qu'il n'est rassurant sur notre capacité à juger de la qualité d’un artiste, et à dépasser nos préjugés (ce qui revient à ce que je disais dans ma chronique de l’album de Guillaume Perret).
Le duo electro-pop suédois The Knife était jusqu’alors pour moi un exemple-type de groupe hype surestimé (pléonasme). S’il fallait trouver un terme pour définir ce genre de groupes, j’opterais pour… "p-arty". Pseudo arty, avec quelques petites originalités sonores et harmoniques, mais surtout « party », trop de retape, de superficialité et de maniérisme pour être honnête. Les quelques prétentions artistiques semblant ne servir que de paravent : tirer l’auditeur vers le bas en lui faisant croire qu’on le tire vers le haut. Une soirée où les convives dansent sur des gros tubes débiles des années 80, peu importe qu'ils soient cultivés et fringués avec classe, ça n’en reste pas moins une fête à la con…
C’est bien dans cette optique que se situent à mon sens Deep Cuts (2003) et Silent Shout (2006, la « hype » de l’époque) de The Knife. En 2010, sur Tomorrow, in a Year, projet un peu particulier avec Mt. Sims et Planningtorock, The Knife met de côté la « p-arty » pour s’orienter vers une musique plus expérimentale et beaucoup moins électro-pop. Pas inintéressant, mais pas complètement convaincant non plus. Et cette année, divine surprise, The Knife revient avec un des albums électro les plus riches et marquants de ces derniers mois. Fini de jouer, fini de poser, fini de faire semblant de tirer l’auditeur vers le haut en le tirant par le bas. The Knife semble n’en avoir vraiment plus rien à carrer de la hype et des attentes frivoles du public, ils osent, déroutent et gagnent considérablement en profondeur, en musicalité et en densité. On retrouve certes toujours quelques gimmicks un peu maniérés, mais au lieu de tirer vers le bas, ce sont eux qui sont tirés vers le haut par un album passionnant. Un album qui se mérite, et qui mérite une écoute attentive et à un bon volume pour en saisir toutes les subtilités. Sous le vernis pseudo-arty de leurs précédents albums, le vide ou presque, sous celui de leur dernier album, une vraie richesse musicale.
L’album est une belle claque, mais ce n'est pas non plus un chef-d’œuvre. Son défaut majeur : le mélange de plages d’ambient avec des morceaux électro-pop beaucoup plus nerveux et foisonnants. Dans l’absolu, alterner des morceaux intenses avec d’autres planants n’est pas un défaut, ça peut très bien fonctionner, comme c’est le cas dans le génial Druqks d’Aphex Twin. Les plages de piano délicates et mélancoliques permettaient de souffler un peu et repartir de plus belle. Le problème, c’est qu’ici les morceaux ambient sont longs, ce qui ne peut que faire perdre le fil à l’auditeur. Mais ce défaut dans la cohérence est excusable, c’est le prix à payer pour un album réellement audacieux. Car plutôt qu’un album parfaitement homogène où rien ne dépasse, pas même l’inspiration, mieux vaut toujours un album un peu bancal, mais qui ose et a de l'ambition... et c'est bien dans cette catégorie que se trouve le bien nommé Shaking the Habitual.
Un des tous meilleurs morceaux de ce début d'année :
En 2012, mes deux principales découvertes ont été en musique électronique, avec The Carapace, dont le Moments in Time a été mon album de l'année jusqu'en septembre, puis le superbe Divergent de Pandora's Black Book a pris le relais... Deux albums électro qui ont la plus grande qualité, à mon sens, du genre auquel ils appartiennent, celle de vous plonger dans un univers riche et envoûtant... Pourtant, au premier abord, ces albums très planants pourraient sembler légèrement monotone... mais une écoute attentive saura vous convaincre du contraire.
Juste derrière les Pandora's Black Book et The Carapace, deux autres excellents albums électro assez "dark" m'auront particulièrement marqué, Negative Fascination de Silent Stand et la BO de Millenium par Trent Reznor & Atticus Ross. Ajoutons à ceux-là le mélancolique et contemplatif II du Bersarin Quartett, Satellite Hive de Mitoma, Squarepusher qui revient plutôt en forme après plusieurs albums dispensables... bref, 2012 aura été un bon cru pour la musique électronique. Mais peut-être aussi est-ce moi qui, ayant composé un album électro cette année (Stare Away devrait sortir "officiellement" d'ici un mois, masterisé, avec pochette et CD), me suis plus particulièrement focalisé sur le genre... peut-être qu'inconsciemment rock et folk m'ont moins attiré, car plus éloignés des sonorités et univers qui m'intéressent pour mes propres compositions... même si j'ai relativement peu écouté d'albums lors de la composition, une fois l'album terminé, je me suis senti plus proche encore qu'auparavant des musiques électroniques.
Playlist des meilleurs morceaux électro de l'année (non, je n'ai pas poussé la mégalomanie jusqu'à y glisser un de mes morceaux... d'ailleurs, je n'ai pas encore uploadé l'album sur grooveshark, mais ce sera fait rapidement).
Un mot aussi sur un morceau de cette playlist qui est, pour moi, le "tube oublié de l'année". Une chanson accrocheuse qui n'est certes pas mon morceau favori de 2012, mais a un certain potentiel "tubesque" (bon, pas au point de rivaliser avec des trucs du genre Call Me Maybe et rengaines de cet acabit, mais tout de même...) et aurait mérité d'être largement diffusée sur les ondes. La meilleure chanson électro-pop 80's de 2012 : Antivirus de la grecque Olga Kouklaki... malgré cet Antivirus, j'ai été légèrement déçu par son dernier album, un peu inégal, un peu trop "pop", alors que le précédent, Getalife, était une de mes bonnes surprises électro de 2008.