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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 22:43

Comme je l’avais annoncé ici, je me suis lancé dans la composition d’un album. Un travail exigeant et prenant  qui explique que je sois un peu moins présent sur mon blog ces derniers temps. Mais plutôt que de continuer à bosser seul dans mon coin et vous proposer ensuite le « produit fini », je me suis dit qu’il serait plus intéressant de vous faire le récit de la composition de l’album. Ce qui permettra d’aborder concrètement et « de l’intérieur » nombre de questions musicales, ainsi que de discuter avec vous de mes choix.

Il m’est déjà arrivé de tomber sur des sites d’artistes qui tenaient un petit journal de la genèse de leur album,  ce que je trouvais, au mieux, sympathique mais vaguement anecdotique, au pire, mortellement ennuyeux. Du genre :

-          Lundi : Aujourd’hui, je suis content, j’ai enfin terminé le 4° morceau, il sonne vraiment pas mal, j’ai hâte de vous le faire découvrir.

-           Mardi : Fredo est venu faire un petit solo de trompette sur une de mes nouvelles compos, on s’est bien marré, et le feeling est bien passé.

-          Dimanche : Alex est passé chez moi pour jouer des parties de violon sur deux morceaux, on a mangé ensemble, je lui ai fait des pâtes avec une bolognaise, on a commencé à bosser vers 15h, fini vers 17h30, puis on a pris l’apéro en écoutant tous mes titres pour voir s’il n’y avait pas d’autres endroits où l’on aurait pu glisser du violon. Il m’a dit qu’il connaissait aussi un très bon saxophoniste qu’il me présentera. Cool.  

-          Vendredi : Gros coup de déprime, je ne suis pas sûr d’arriver au bout de l’album, je n’ai pas d’inspiration, ça fait plusieurs jours que je n’ai pas réussi à avancer.

-          Mardi : Ca va mieux, Fredo est passé pour qu’on se tape le bœuf, on s’est bien marré, et ça m’a donné de nouvelles idées.  

Vous l’aurez compris, pas de ça ici. J’imagine que ça ne vous intéresserait pas, et ça tombe bien, moi non plus. Il s’agira en fait surtout de creuser des questions esthétiques et problèmes compositionnels… Ne fuyez pas, ce n’est pas pour autant que je vais rentrer dans des considérations techniques et théoriques incompréhensibles pour de non-musiciens, il n’y aura pas de « J’ai galéré comme un damné pour trouver un moyen de revenir en la bémol mineur après cette putain de modulation qui m’a conduit en ré dièse, mais j’y suis parvenu par enharmonie avec sol dièse… » Le but ne sera pas d’expliquer comment composer de la musique, comment résoudre de quelconques problèmes harmoniques - ni ternir un journal sur l’avancement des travaux - mais de rentrer en détail dans des questionnements esthétiques (sur la cohérence d’un album, par exemple) et des questions plus pragmatiques (comme celle de la diffusion). Des questions suffisamment vastes pour intéresser tout le monde (enfin, tous les passionnés de musique), et des tentatives de réponses en pratique.   

Dans cette série d’articles, je vous livrerai donc quelques titres en illustration, une manière aussi d’avoir vos avis. Travailler seul, sans producteur et sans groupe, c’est très bien, mais à un moment, il faut tout de même un public de connaisseurs à même de juger de la qualité – ou pas – de la musique que l’on souhaite diffuser au public.

Cette série d’articles ajoute une pression supplémentaire, si mon album est une vraie daube (ce qui, après tout, est envisageable), j’aurais l’air con de l’avoir pris comme base pour aborder des questions esthétiques… à moins de composer, volontairement, le pire album possible, pour montrer tout ce qu’il ne faut pas faire… une idée amusante, qui m’est déjà passé par la tête, mais, curieusement, je préfère tenter de sortir un bon album. Espérons que j’y parvienne…

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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 01:53

Il a fallu que je me pince pour être sûr d’être bien réveillé lorsque j’ai entendu la déclaration de Sarkozy dans les heures qui ont suivi le dénouement de la confrontation entre Mohammed Merah et les forces de l’ordre :

"Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l'apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine ou à la violence sera punie pénalement"

Un « délit de lecture », donc. Sarkozy ne cesse de me consterner chaque fois qu’il est question du net…

Que n’importe qui, suite à l’émotion suscitée par ces meurtres abjects, en vienne à demander plus de répression, je le comprends… mais l’idée de sanctionner pénalement les visiteurs de ces sites est ridicule. Pour le saisir, il suffit juste de… pousser un minimum la réflexion. Faire passer la raison avant l’émotion, ce qui me semble être la moindre des choses lorsqu’on a un poste à responsabilité… et plus encore quand on est au sommet de l’Etat.

1.      Comment les individus sauront-ils quels sites ils ont le droit ou pas de consulter ?

On ne va tout de même pas condamner pénalement des individus sans leur dire au préalable quels sont les sites interdits. Que faut-il faire ? Rendre publique, sur le site du gouvernement, une liste noire de sites dont la lecture constitue un délit ? Une aubaine pour les intégristes fanatiques et apprentis terroristes, plus besoin de chercher, le gouvernement mettra à leur disposition la liste des pires sites terroristes ! (Ce dont parlait d’ailleurs Benjamin Bayart…)

L’Etat français pourrait aussi demander aux fanatiques qui détiennent ces sites à l’étranger de bien vouloir placer une mise en garde sur leur bannière, genre « Attention, toute consultation de ce site par un français est punie par la loi ». Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai comme l’impression que les terroristes refuseront de le faire…

Il ne reste donc que la solution d’une « liste cachée ». Personne ne saura vraiment, lorsqu’il consulte un site « tendancieux », si ce qu’il fait peut entraîner des sanctions pénales.

2.      Quels sites seront visés ?

Les sites qui font l’apologie du terrorisme… soit, mais où placer le curseur ? Imaginons que vous êtes un défenseur de la cause palestinienne. Ce qui, me semble-t-il, n’est pas un crime. Vous fréquentez régulièrement des sites pro-palestiniens. Dont certains qui ne condamnent pas les actes terroristes contre Israël, voire les justifient. Mais à partir de quand un site sera considérée comme faisant « l’apologie de la violence » ou véhiculant « des appels à la haine ou à la violence » ?

Un site musulman plus ou moins intégriste qui ne ferait pas franchement l’apologie du terrorisme, mais qui, plus subtilement, laisse entendre qu’il comprend voire soutient les djihadistes rentre-t-il dans ces catégories ? Les sites d’extrême-gauche ou d’extrême-droite particulièrement radicaux rentreront-ils dans ces catégories ? Un blog consacré au mouvement anarchiste qui diffuserait, sans censure aucune, des textes violents d’anarchistes de renom pour bien comprendre l’histoire du mouvement rentre-t-il dans cette catégorie ? S’il m’arrive de lire régulièrement les articles d’un site particulièrement virulent contre le pouvoir en place, parfois même borderline et que l’on pourrait définir comme « véhiculant des appels à la haine », est-ce que je vais devoir répondre de mes lectures subversives au tribunal ?

3.      De manière « habituelle »

Quelle sera la fréquence pour que l’on considère que le site est visité de manière habituelle ? Une fois par jour, une fois par semaine, une fois par mois ? Il faudra bien le délimiter. Mais une fois délimité, les apprentis terroristes pourront très bien s’arranger pour éviter les condamnations, en utilisant de temps en temps différents accès internet pour enregistrer les pages hors-connexions de ces sites. Avant les attentats du 11 septembre et avant que le net ne se démocratise vraiment, des VHS d’islamistes intégristes se passaient déjà sous le manteau dans les banlieues… ce n’est sûrement pas en pénalisant la fréquentation de sites intégristes qu’en empêchera les endoctrineurs de recruter.  

Un militant de la cause palestinienne, sans cautionner lui-même le terrorisme, peut, en cliquant sur les liens de différents sites pro-palestiniens, se retrouver régulièrement sur des sites islamistes légitimant le terrorisme… une raison suffisante pour l’envoyer devant les tribunaux ?  

Des journalistes, enseignants, écrivains, étudiants qui s’intéressent à ces sujets doivent-ils s’attendre à voir les flics débarquer chez eux et subir les sanctions de cette loi ?

Sans travailler sur ces sujets, il m’est arrivé plus d’une fois de lire des sites virulents d’extrême-gauche, d’extrême-droite, islamistes, anarchistes etc. Non pas par adhésion à ces idéologies, mais par une curiosité qui me semble parfaitement normale : chercher à comprendre des prises de positions radicales et vouloir entendre des paroles que l’on n’entend pas dans les médias traditionnels. Non seulement je ne trouve pas que la consultation de ces sites soit condamnable, mais je la trouve même « enrichissante ». On en apprend plus sur les extrémistes et leurs logiques en les écoutant « à la source » qu’en se basant sur un reportage télé…

Il existe déjà des lois qui permettent de bloquer des sites, condamner, censurer des propos extrêmes… lois que je n’approuve pas lorsqu’elles touchent à la liberté d’expression. Car, contrairement à certains défenseurs auto-proclamés de la liberté d’expression qui, en fait, ne la tolèrent plus dès qu’il s’agit d’expression d’opinions à l’opposé des leurs, je suis pour que toutes les opinions puissent s’exprimer. Même racistes, homophobes, antisémites, sexistes, révisionnistes… la seule limite, de mon point de vue, est le cas d’appel au meurtre, à la violence, ou la délation et diffusion publique de ce qui tient du privé.

Concrètement, si un type déteste les roux, et le dit sans prendre de gants sur son site http://www.enfoiresderoux.com, je ne vois pas matière à le censurer, aussi débile et malsaine que l’on puisse trouver sa haine des roux. En revanche, s’il écrit très sérieusement « faut débarrasser la planète de cette engeance que sont les roux, tuez tous ces putains d’enfoirés de rouquins ! » Là, ok, on ne peut pas laisser passer.

Que l’on puisse condamner des gens qui consultent régulièrement des sites pédopornographiques (à moins qu’il s’agisse bien entendu de gens qui travaillent à lutter contre), aucun problème. Mais ce qui est vraiment choquant dans ce que propose Sarkozy, c’est de créer ce « délit de lecture ». On se doute bien qu’un type qui consulte régulièrement des vidéos pédopornographiques ne le fait pas pour « s’informer » sur ce crime… mais comment savoir quelles sont les intentions réelles de celui qui lit des articles de sites qui prônent des idéologies radicales ?

On me rétorquera que tout ceci n’est pas bien grave, au fond, c’est inapplicable, un simple effet d’annonce… je ne le vois pas de cette manière. C’est encore une fois révélateur de la vision que le pouvoir en place a de l’internet et des libertés individuelles. Non pas que je considère la lecture de sites terroristes comme une liberté fondamentale, mais de ne pas craindre de me retrouver sanctionné pénalement pour avoir simplement cherché à la source des informations sur tel type de mouvement ou logique radicales, si.

 

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16 février 2012 4 16 /02 /février /2012 11:22

Dans mon bilan 2011, je vous parlais de cette chanson de la révolution égyptienne, Erhal, et précisais un peu rapidement qu'elle était basée sur une suite que j'aime particulièrement : "fondamentale - seconde mineure - tierce mineure - seconde mineure", sur laquelle je vais m'attarder dans cet article (si vous ne connaissez rien à la théorie musicale, ne fuyez pas, je vais limiter autant que possible les détails techniques et tenter de rendre tout ça audible à travers plusieurs exemples).

 

Ce que je veux vous expliquer est, au fond, très simple. Mais en termes techniques, ça devient toujours plus compliqué, voire incompréhensible pour ceux qui ne connaissent rien à la théorie. Mais avec deux petits logiciels libres (Piano Virtuel et Camstudio), tout cela devient subitement bien plus facile à expliquer et saisir.

 

Fondamentale - seconde mineure - tierce mineure - seconde mineure, ou une montée d'1/2 ton puis d'un ton, par exemple mi - fa -sol -fa. Il suffit de suivre la petite vidéo que je vous ai faite pour entendre tout de suite à quoi ça correspond (et le retrouver dans les morceaux que je vais vous faire écouter ensuite). 

 

  

 

Je joue les notes mi fa sol fa, puis je les transpose une quarte plus haut, ce qui donne la sib do sib. C'est le même motif, la même mélodie, mais plus haut.

 

Maintenant que vous avez dans l'oreille cette suite de notes, vous allez essayer de l'entendre dans les morceaux suivants...

 

Concentrez-vous sur la suite d'accords d'Erhal : 

 

 

 

Il part d'un accord barré de La et le glisse sur Si b, Do, Si b.

Une suite d'accords A - Bb - C - Bb. La même suite que celle que je vous ai fait entendre précédemment. 

Vous entendez ce mouvement qui monte et redescend, et vous sentez qu'il y a dans cette suite d'accords quelque chose de plutôt sombre, d'un peu mystérieux.

 

Une suite très simple à jouer, presque évidente... même si elle ne l'est pas d'un point de vue théorique.

Dans la musique tonale occidentale, le plus évident, c'est la tierce majeure (ex : la - do#), ce qui peut aussi se justifier par les lois de la physique et de l'acoustique (cf. La tristesse du mineur). Si vous voulez jouer un riff ou une suite qui soit un peu plus sombre, triste ou mélancolique, vous allez vers la tierce mineure (ex : la - do). Entre votre note fondamentale et la tierce mineure, vous jouez une seconde majeure (ex : la - si - do), par exemple la mélodie d'Another Brick in the Wall ou le riff d'(I can't get no) Satisfaction

  

Dans la suite d'Erhal, non seulement on a une tierce mineure, mais aussi une seconde mineure ! Deux intervalles mineurs, dont un (la seconde mineure) qui n'appartient pas à la gamme que l'on attend (dans les tonalités mineur et majeur, la seconde est toujours majeure). Deux intervalles mineurs dont un "dissonant", on comprend mieux pourquoi cette suite a quelque chose de plutôt sombre et mystérieux.

 

Dans l'exemple qui suit, je vous donne à entendre les 3 possibilités :

 

1. Do - Ré - Mi - Ré.  Fondamentale (do), seconde majeure (ré), tierce majeure (mi)

2. Do - Ré - Mib - Ré. Fondamentale (do), seconde majeure (ré), tierce mineure (mi b)

3. Do - Réb - Mib - Réb. Fondamentale (do), seconde mineure (réb), tierce mineure (mib)

 

Du 1 au 3, on ajoute du mineur, des intervalles plus resserrés, considérés comme plus tristes ou plus sombres dans notre tradition musicale occidentale.

 

Je pars ensuite d'un des thèmes les plus célèbres avec seconde majeure et tierce majeure : Au Clair de la Lune. Je le joue une fois normalement. Puis je le joue dans la version "2", c'est à dire avec une tierce mineure. Vous entendez qu'il devient tout de suite plus "triste" (ce qu'a fait par exemple Mahler dans sa Symphonie n°1 avec Frères Jacques, j'en parlais dans cet article). Puis je le joue une 3° fois avec la suite dont il est question, seconde mineure et tierce mineure, et à l'oreille, ça doit vous paraître encore plus étrange.

 

Je fais ensuite la même chose avec Satisfaction des Stones. Je le joue dans sa version normale, la version "2", avec seconde majeure et tierce mineure. Puis je le passe en majeur, le thème en devient plus "gentillet"... ce n'est plus (I can't get no) Satisfaction, mais (I can get) Satisfaction. Et je le joue dans la version qui nous intéresse aujourd'hui, avec seconde et tierce mineures (les 2 touches noires en do). Il devient alors plus étrange et sombre que l'original.

 

(C'est joué de manière très scolaire, pour bien faire entendre les notes, et parce que jouer des notes sur un clavier de pc, j'ai pas l'habitude...)    

  

  

 

Je vous disais en préambule que j'aime particulièrement cette suite de notes... preuve en est qu'elle se retrouve dans plusieurs de mes morceaux favoris. Notamment deux morceaux de Radiohead : Everything in its Right Place et Pyarmid Song

 

Ecoutez les accords aux claviers, ils suivent cette suite (dans Everything in its Right Place, il y a 4 notes qui descendent rapidement avant que l'on tombe sur la suite).

 

Everything in its Right Place

 

  

Pyramid Song 

 

 

 

Si ce n'est pas clair pour vous, je vous joue ces deux suites... à la suite, dans la même tonalité, vous entendrez qu'il s'agit bien des mêmes accords, et en suivant la note de basse, vous verrez qu'on a ce mouvement "fondamentale - seconde mineure - tierce mineure", soit "do - ré bémol - mi bémol."

 

(Je joue 4 fois la suite de Everything in its Right Place, 2 fois celle de Pyramid Song)

   

 

 

 

Je sais, joué comme ça, c'est assez moche... mais plaquer des accords sur un clavier de pc, sans toucher dynamique (sans possibilité de faire de nuances), ça ne peut pas bien sonner. Je n'ai pas non plus retranscrit les accords exactement comme Radiohead, je me contente de les jouer dans leur forme de base (ce sont les mêmes notes que dans les morceaux, mais pas forcément aux mêmes hauteurs).

 

Néanmoins, vous devez entendre que Pyramid Song et Everything in its Right Place, c'est à peu près la même chose. Ca la fout mal, me direz-vous, pour un groupe censé être un des plus inventifs de ces 20 dernières années... non, car à partir de ce même matériau de base, ils parviennent à créer deux morceaux très différents (avec aussi ce rythme à 5 temps sur Pyramid Song). Lorsque vous avez découvert Pyramid Song, il y a peu de chances que vous vous soyez dit "bah, ils nous refont le coup d'Everything in its Right Place..."

Ce n'est pas Radiohead non plus qui a inventé cette suite... on la retrouve quelques années auparavant dans un autre morceau que j'adore, un de ceux qui a nourri ma passion pour l'électro : P.E.T.R.O.L. d'Orbital (1996).

 

Ecoutez le morceau à partir de 2'33, vous entendrez cette même suite (en boucle, de 2'33 à 3'38, et ensuite de 4'41 à 5'46) plaquée au synthé, à contre-temps, comme le fera ensuite Radiohead sur Everything in its Right Place et Pyramid Song.      

  

 

 

J'adorais ce morceau... et cette suite ne m'était pas totalement étrangère. Je me souvenais l'avoir entendu quelque part, et avoir déjà été marqué par elle, mais impossible de me souvenir où, et ça m'obsédait. Je la rejouais à la guitare en espérant que ça me rappelle quelque chose... mais non. Elle m'évoquait une musique de science-fiction. J'ai réécouté à l'époque la B.O. de Blade Runner, sans la retrouver... et le déclic s'est fait, bon sang mais c'est bien sûr, c'est la musique d'un des (rares - c'est pour cela qu'il m'a particulièrement marqué) dessins animés que je regardais dans mon enfance... Capitaine Flam ! Non, pas l'horrible chanson française du générique, mais une musique instrumentale, qui intervenait à chaque fois que la situation devenait tendue, angoissante, "dramatique"... 4 accords qui annonçaient ce type de situation et lançaient la musique la plus sombre du dessin animé (avec cette basse obstinée et hypnotique), 4 accords que vous retrouvez ci-dessous de 3'27 à 3'33 :

    

 

 

 

Après la grosse déception The King of Limbs, vous apprenez maintenant que non seulement Radiohead, dans ses meilleurs morceaux, réutilise de mêmes formules, mais, surtout, qu'ils les pompent à Orbital et... Capitaine Flam ! C'est tout un monde qui s'écroule... et une aubaine pour les plus grands snobs du rock qui pourront maintenant balancer "Radiohead ? Bah... ils ont fait quoi, à part pomper la musique de Capitaine Flam ?"

 

Rassurez-vous, la musique de Capitaine Flam n'est pas non plus la première à utiliser cette suite. On la retrouve en particulier dans la musique espagnole, car ce que font les musiques de Capitaine Flam & co (si, avec ça, je ne gagne pas la grand prix du jeu de mot 2012...), c'est d'utiliser le mode flamenco. Le mode du III° degré, mode "phrygien", ou mode de mi (quand on est en do). 

 

Prenez une gamme de do : do - ré - mi - fa - sol -la - si - do.

Si vous commencez par mi et considérez mi comme votre note fondamentale (la note de base, celle autour de laquelle on tourne), vous avez : mi - fa - sol - la - si - do - ré.

De mi à fa : 1/2 ton, seconde mineure. 

De mi à sol : 1,5 ton, tierce mineure.

 

Mi - fa - sol, comme je vous le jouais au début, est bien la suite dont il est question, et le début du mode flamenco. C'est aussi pour cela que le flamenco a ce côté "mystérieux" et plutôt sombre...

 

Et pour continuer dans la théorie, cette seconde mineure après la fondamentale se trouve aussi dans la musique classique, ce qu'on appelle la "sixte napolitaine" (encore une histoire de sixte). Pourquoi "sixte" alors qu'il est question de seconde mineure ? Là, ça devient plus compliqué...

Mettons qu'on soit en Do. Votre accord du II° degré est le ré mineur (ses notes sont ré - fa - la). Le premier renversement de cet accord est fa - la - ré. C'est toujours un accord de ré mineur, mais à l'état de sixte (puisqu'entre fa et ré vous avez une sixte, majeure). Le ré est passé à l'aigu, vous le baissez d'un demi-ton, il devient ré bémol, note étrangère à votre gamme, qui va amener une sonorité plus "triste", plaintive ou mystérieuse... de fa à ré bémol, vous avez maintenant une sixte mineure. Les sixtes napolitaines peuvent être utilisées dans les tonalités majeur et mineur, mais on les retrouve plus souvent en mineur. En Do mineur, vous aurez donc Do - réb - mib. Soit les 3 notes dont il est question ici...

 

Je vous fait entendre cette sixte napolitaine de manière sommaire :

 

- Tout d'abord, en majeur, le passage "normal" d'un premier degré (Do) au II° degré (ré mineur, avec premier renversement, donc ré en haut), et retour sur Do. 

 

- Ensuite, je rejoue Do et ré m, mais avec cette fois la "sixte napolitaine", vous voyez en haut la touche noire du ré bémol. Je le rejoue une 2° fois en insistant sur cette sixte napolitaine, le ré bémol.

 

- Enfin, je le joue en mineur : Do mineur suivi par ré mineur avec sixte napolitaine (et toujours le retour sur Do)

 

 

 

J'aimerais pouvoir dire que mon attirance pour cette suite vient de la sixte napolitaine, mais je crains que ce ne soit plutôt à cause de Capitaine Flam. Est-ce le fait que j'aimais particulièrement ce dessin animé (et cette musique sombre) dans mon enfance, qui m'a prédisposé à adorer P.E.T.R.O.L. d'Orbital, Everything in its right Place et Pyramid Song de Radiohead ou Erhal ? Est-ce ma "madeleine de Proust", une association que je fais entre cette suite et ce plaisir d'enfance ? Ou est-ce que j'aimais d'autant plus ce dessin animé qu'il utilisait une suite à laquelle je ne pouvais qu'être sensible ? Il doit y avoir un peu des deux. Aimer un dessin animé dans votre enfance ne suffit pas à vous faire aimer une musique, une suite d'accords, sinon j'aimerais son horrible chanson du générique français... mais il est possible que les moments de tensions de Capitaine Flam annoncés par cette suite m'apportaient ces sensations fortes décuplées dans l'enfance, et que j'en retrouve une partie lorsque je retombe sur cette suite. Ce qui nous permet de toucher à un des éléments clés de la nature de la musique : elle n'exprime et ne véhicule rien de concret. Lorsque j'ai "redécouvert" cette suite chez Orbital, elle me touchait, mais je n'avais aucune idée d'où ça pouvait venir avant de creuser la question. Aucune image de Capitaine Flam ne me venait à l'esprit (pas plus qu'il y en a maintenant lorsque je me plonge dans Pyramid Song ou que j'écoute Erhal...) Ce que véhicule la musique est de l'abstrait, des sensations qui vont différer d'un individu à l'autre (même s'il existe quelques bases communes, on s'entendra tous pour trouver Pyramid Song mélancolique, et si une même chanson, découverte par exemple dans un film, vous évoquera des images de ce film). Nos goûts musicaux sont un dialogue permanent avec tout notre "vécu musical", tout ce que l'on a pu aimer depuis notre plus tendre enfance, les associations qui se créent plus ou moins inconsciemment... si vous êtes musicien, allez faire un tour du côté des musiques - notamment de dessins animés - qui vous fascinaient pendant l'enfance, vous pourriez y détecter des suites, motifs, harmonies qui ne sont peut-être pas sans rapport avec vos goûts musicaux actuels...

 

Enfin, pour entendre une dernière fois cette suite, je vous ai composé un petit morceau électro dont le motif de base (vous l'entendez joué seul au tout début) utilise cette même suite de notes : fondamentale, seconde mineure, tierce mineure, seconde mineure : Vortex.  

 

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