Que les critiques puissent être eux-mêmes critiqués, je suis le premier à le défendre. Et l'un des grands avantages des blogs est bien que les lecteurs donnent directement et publiquement leurs avis sur l’avis du critique. Les internautes ne manquent pas de reprendre l’auteur s’il dit des conneries, ou de démonter son argumentation si elle leur semble bancale… Mais le revers de la médaille, c’est que nombre des « critiques de critiques » sont l’œuvre de fans lourdauds, qui ressortent peu ou prou toujours les mêmes types d’arguments bidons. Le degré zéro de la critique de la critique…
Lorsqu’on a le malheur de ne pas avoir aimé le disque de tel ou tel artiste et qu’on l’exprime sur nos blogs, ce sont souvent les mêmes critiques bêta qui reviennent de la part de visiteurs… on y a tous été confrontés et, afin d’éviter à chacun de perdre du temps à leur répondre, il vous suffira de mettre en lien cet article en réponse au commentaire du fan outragé, en précisant le numéro du cas (ou de faire un simple copier-coller)… (non, ne me remerciez pas pour ce petit cadeau de Noël avant l’heure, c’est tout naturel).
Les pires critiques de critiques – qui sont aussi les plus fréquentes sur le net, la bêtise est la chose la mieux partagée au monde :
1. La jalousie. « T’es jaloux parce qu’il est beau et a du succès et toi t’es rien ». L’argument favori des gamines pré-pubères. Leur fanatisme est tel qu’elles ne peuvent comprendre que tout le monde ne soit pas en admiration devant le moindre fait ou geste de leur artiste favori. Enfin, si, elles peuvent le comprendre, mais par un seul biais : puisque le génie de leur idole est incontestable, seule la jalousie explique qu’un moins que rien ne se prosterne pas devant lui.
Que répondre à ce type d’argument ? J’ai une solution très simple, qui conviendra à beaucoup, suffit de dire « je suis fan de Bowie ». Il est beau, il est riche, il a du talent, il est respecté… si la jalousie jouait dans l’appréciation que l’on a d’une œuvre ou d’un artiste, on n’aimerait que des artistes moches, pauvres, inconnus, et sans la moindre once de talent. Et je n’ai pas encore rencontré de critique qui soit dans ce cas… Même Lyle apprécie, parfois, des groupes avec de jolies chanteuses et de bonnes compos…
2. Mieux vaut se taire que de critiquer. « Si t’as pas aimé, ne perds pas ton temps à déverser ton fiel, parle plutôt de ce qui te plaît ». « Je comprendrais jamais les gens qui disent du mal comme tu le fais, ta vie doit être bien triste, quand on n’aime pas, on se tait, pour ne pas blesser ceux qui aiment ».
Si tout le monde pensait comme ça… le monde serait un paradis pour dictateurs de tout poil. Personne qui l’ouvre si ce n’est pour dire du bien de tout ce qui l’entoure… Mais heureusement, on a un sens critique, une des 2-3 petites choses qui nous distinguent du mouton (avec, et ce n'est pas rien, la possibilité de raser des villes entières à coups de bombes atomiques). L’intelligence s’aiguise avec le sens critique, il faut pour cela être capable de formaliser et mettre des mots sur nos goûts comme nos dégoûts. On se construit aussi « en réaction », à moins d’avoir une éponge à la place du cerveau…
3. Les attaques personnelles. Un grand classique. « Elle doit être bien triste ta petite vie de merde pour que tu écrives de telles saloperies » « Tu pues l’arrogance, t’es qu’un gros connard prétentieux » « T’es qu’un aigri, un frustré, un pauvre type » etc.
Dans sa boule de cristal, le fan voit le critique… et ce qu’il voit est édifiant. Un type seul, derrière son écran, chétif, vêtu d’un vieux peignoir gris, pianotant sur son clavier d’ordinateur la clope au bec et le dos voûté, des cheveux sales qui tombent sur ses petites lunettes rondes derrière lesquelles pointent de petits yeux méchants injectés de sang, un rictus malsain déforme son visage pendant que son rire de hyène ponctue les phrases assassines qu’il prend tant de plaisir à écrire…
Le web pullule d’experts psychologues capables, à la lecture d’une simple chronique de disque, de cerner la personnalité profonde de l’auteur. Des psychanalystes 2.0 qui vous expliquent que si vous dites du mal de tel artiste ou tel genre musical, c’est parce que vous avez souffert à l’école des brimades de vos petits camarades, si vous n’avez pas aimé tel album, c’est parce que vous êtes un sinistre dépressif incapable de ressentir la joie qui s’en dégage, etc, etc.
Il est toujours difficile de répondre à ces attaques personnelles… que rétorquer ? « J’aime la vie, j’ai une femme superbe et je fais 2h de sport par semaine » ?
Les attaques personnelles, c’est l’arme des faibles d’esprit. Incapables de rester dans le débat d’idées, puisqu’ils ne peuvent démolir les arguments de l’auteur, il ne leur reste qu’une solution, tenter de démolir l’auteur.
Encore plus primaire (si, c’est possible), il y a les insultes gratuites. « Fils de pute », « Gros enculé de ta race », « Pauvre merde », « Casse-toi pauv’con » et compagnie...
Mais le plus courant, c’est encore ce bon vieux gros cliché du critique « artiste raté », aigri, qui se venge en massacrant les œuvres des vrais artistes… je ne sais pas si les critiques sont tous des artistes ratés, mais ce qui est sûr, c’est que ce sont tous des passionnés…
4. Les attaques sur le style. « T’es rien qu’un petit scribouillard », « C’est un article minable d’un petit tâcheron du web », « Tu nous soûles avec ta logorrhée », « T’écris comme un / avec tes pieds », « T’as pas de style / un style tout pourri » etc…
Une des critiques qui fait le plus mal… car c’est avant tout le style d’un artiste qui intéresse le critique… alors un critique qui n’est pas capable d’avoir un minimum de style, d’agencer 3 phrases correctement, ça la fout mal. Rassurez-vous, chers confrères blogueurs, la plupart du temps ces critiques sur votre style sont infondées. Les 3 cas les plus fréquents sont :
- La simple lecture du commentaire de votre interlocuteur prouve qu’il est lui-même très mal placé pour donner de quelconques leçons de style. Logique, donc, qu’il ne soit pas sensible au vôtre, mais à celui de ce mauvais album que vous descendez en flèche.
- Vous tapez sur un artiste qu’il adore, forcément, ça l’énerve, et il vous « diabolise ». Vous devenez à ses yeux la caricature du critique telle que décrite ci-dessus, et tout ce que vous dîtes – et comment vous le dîtes - sera mal perçu. Votre article est plutôt léger, ironique, avec quelques pointes d’humour, il le trouvera « pathétique, car vous essayez d’être drôle mais n’y arrivez pas » (pas la peine de m’étendre sur le cruel manque d’humour du fan lorsqu’on s’attaque à son groupe favori). Vous essayez d’être simple et pédagogique, il vous jugera plat et scolaire. Vous poussez un peu dans la mauvaise foi et vous amusez à surjouer l’indignation, il trouvera votre style horriblement pompeux….
- Enfin, dernière hypothèse, qu’il ne faut pas négliger… votre style est peut-être vraiment pourri...
5. La légitimité. « T’es qui, toi, pour estimer que ton avis a une quelconque importance ? » « Qu’est-ce qui te donne le droit de taper sur X ? » etc…
Evidemment, lorsqu’on est un simple blogueur, on se retrouve souvent attaqué sur notre « légitimité ». Comme s’il fallait justifier d’un DEA de musicologie, présenter une carte de presse et avoir composé une dizaine d’albums pour avoir le droit de donner publiquement son avis sur un putain de disque pop. Ce qui nous ramène à une des variantes classiques de cette question de la légitimité : « Tu critiques mais tu serais incapable de faire ce qu’ils font. » (avec la variante « comptable » : « vends des millions d’albums comme eux et après tu pourras critiquer).
S’il ne fallait parler que de ce qu’on a personnellement expérimenté, une bonne flopée d’artistes égocentriques et mégalos devraient arrêter illico presto de parler d’amour et de générosité…
Avec ce type de logique, seuls des hommes politiques pourraient réellement juger du travail d’autres hommes politiques… Absurde, bien entendu, car un artiste, comme un homme politique, ne travaille pas pour lui ou ses pairs, mais pour le peuple. C’est au peuple qu’il s’adresse, et c’est à lui de le juger. Si l’artiste ne veut vraiment pas que des béotiens s’autorisent à commenter son œuvre, la solution est simple : qu’il ne distribue ses albums qu’à ses collègues artistes.
6. « Ne vous fiez pas aux critiques, faites-vous une idée par vous-même »…
J’ai toujours trouvé cet argument, employé fréquemment par des acteurs et réalisateurs en promo, particulièrement débile. Soit ils sont totalement déconnectés du réel et imaginent que tout le monde a le temps (et l’argent) pour aller voir la dizaine de films qui sort chaque semaine afin de se faire sa propre opinion… soit ils sont à un niveau tel de mégalomanie qu’ils pensent que leur œuvre doit obligatoirement être vue par tous. S’il existe des critiques, c’est en partie parce qu’il faut bien que certains fassent le tri et expliquent pourquoi, à leur avis, tel film mérite d’être vu et pas tel autre.
Il est aussi possible de faire une petite typologie des 3 cas que l’on rencontre le plus souvent chez les « critiques de critiques » usant d’arguments à deux balles :
1. Le hargneux : Il ne s’embarrasse pas de nuances ou de politesses, son but, c’est de cogner sur celui qui a osé s’attaquer à un de ses artistes fétiches, l’humilier, le rabaisser plus bas que terre. Son registre ? Attaques personnelles et insultes diverses et variées. Certains vont même (j’en ai croisé), jusqu’à proposer de régler ça à mains nues… j’ai été confronté à un parisien qui me le proposait… j’ai dû décliner, non pas que je sois particulièrement lâche, mais faire 600 km et payer une centaine d’euros de train juste pour se foutre sur la gueule parce qu’on a un avis divergent sur un album, je vois moyennement l’intérêt…
Comment se comporter face au hargneux ? Ne pas rentrer dans son jeu et renchérir dans les insultes. Au contraire. S’il donne l’impression de s’exciter tout seul alors que ça ne vous fait ni chaud ni froid, il aura l’air d’un con. Mais si vous vous mettez, dans les comms de votre blog, à vous livrer à une bataille d’insultes, c’est vous qui aurez très vite l’air d’un con auprès de vos lecteurs…
2. Le pleurnicheur. « Pourquoi dire tant de mal, qu’est-ce qu’il t’a fait, X, pour que tu le traites de cette façon dans ta chronique ? » « Tu t’amuses peut-être avec tes petites phrases cruelles, mais sache que c’est vraiment blessant pour les fans comme moi, tu pourrais au moins essayer de nous respecter un minimum… » Le but du pleurnicheur, c’est de vous faire culpabiliser… ce qu’il espère, c’est qu’à la lecture de son commentaire, vous serez rouge de honte d’avoir été aussi méchant.
Comment se comporter face au pleurnicheur ? Ironie et cynisme sont les meilleures armes. Mais à utiliser de préférence avec légèreté. Le pathos dans lequel il se vautre en s’attendant à ce que vous tombiez avec lui en sera d’autant plus ridicule…
3. Le pointilleux. Qu’un lecteur « corrige » une erreur dans un article, c’est bien normal… mais certains le font avec un mépris non dissimulé. Hautain et radical, le pointilleux n’hésite pas à démolir votre article et vous retirer toute légitimité sous prétexte d’une bête erreur de date… Condescendant, il vous trouve au moins une circonstance atténuante « après tout, on ne peut s’attendre à autre chose de la part d’un petit écrivaillon du web… »
Comment distinguer un lecteur bien intentionné d'un pojntilleux hautain et condescendant ? C'est très simple. prenons, au hasard, un article intitulé "Les pires critiques de critiques". Le lecteur bien intentionné vous dira "Ton titre prête un peu à confusion, j'ai cru que tu allais parler des pires critiques de disques faites par les critiques. Mais bon, c'est pas grave, c'est vrai qu'on peut le prendre dans les deux sens, et dès ta première phrase, tu lèves le doute".
Le pointilleux, lui, ne s'arrêtera pas en si bon chemin... "Tu parles dans cet article de l'importance du style, alors que t'es pas foutu de trouver un titre clair. Parce que là, on s'attend à ce que tu parles de "critiques de disques par des critiques de disques", et non pas de ceux qui critiquent les critiques. Apprends à trouver de bons titres avant de donner des leçons. De toute façon, cet article n'a strictement aucun intérêt, trop superficiel pour être pris au sérieux, pas assez drôle pour être un "article comique"... et un article qui parle de critique de la critique sans qu'il ne soit fait mention d'Adorno ou Walter Benjamin, ça montre bien l'inculture crasse de son auteur."
Mais au fond, le pointilleux est un grand naïf. En lisant des chroniques de disques et articles de blogs, il s’attend à tomber sur de véritables thèses sur les sujets traités… Et forcément, il est déçu. Très. Comment l’auteur a-t-il pu passer à côté de la dimension sociologique de tel album ? Pourquoi ne dit-il pas un mot de cet accord de 13° qui survient inopinément au 2° temps de la 4° mesure du 6° morceau ? Des omissions incompréhensibles pour le pointilleux. Mais son plus grand plaisir, c’est de vous assommer de références et d’étaler son érudition. D’invoquer Kant et Nietzsche à la suite d’une chronique du dernier Pete Doherty. Enfin non, trop évident, il invoquera plutôt Jankélévitch et Schleiermacher…
Voilà donc pour ce petit tableau des pires « critiques de critiques » auxquelles on est amené à faire face… mais ceci n’étant qu’un article de blog d’un petit écrivaillon du web, il est forcément incomplet, et je compte sur vous pour pallier à ses manques…