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2 août 2009 7 02 /08 /août /2009 10:22
Afin d'illustrer le prochain article, je commence une petite série sur l'interprétation. 

Pour débuter,  une oeuvre que tout le monde connaît et a forcément dans l'oreille, Les 4 Saisons de Vivaldi. Car même la plus rebattue des oeuvres peut trouver un nouveau souffle, une nouvelle vie, proposer un nouveau regard grâce à l'interprétation. C'est le cas de celle, remarquable, de l'ensemble baroque Il Giardino Armonico. Mais avant d'écouter cette version, en voilà tout d'abord une plus "standard", pour mieux saisir la différence :

L'Hiver, 1er mouvement :


  
Et maintenant, la version d'Il Giardino Armonico :



C'est la même oeuvre, la même partition, et pourtant, on n'a pas l'impression d'entendre la même musique. On reconnaît les thèmes, les mélodies, mais le traitement du son et les nuances n'ont rien à voir. Le classique, contrairement à ce que pensent certains, n'est en rien une musique "figée". C'est une musique qui, comme toute musique, "s'interprète", et laisse une part non négligeable de liberté à celui qui la joue, qui a toujours l'occasion de donner sa vision de l'oeuvre, d'en proposer une nouvelle lecture. En classique comme en jazz, un grand interprète n'est pas un virtuose à la technique irréprochable, c'est avant tout un musicien capable d'apporter un regard nouveau. Pour autant, on ne peut pas faire n'importe quoi avec l'oeuvre.

Prenons maintenant le fameux orage de l'Eté. Avec deux extrêmes, une interprétation géniale (celle d'Il Giardino Armonico) et une ridicule... du groupe metal Children of Bodom. Vous me direz : celle de Children of Bodom n'a pas la prétention d'être une grande interprétation classique, ce sont juste des musiciens metal qui s'amusent (mais ils n'en ont vraiment pas l'air) à reprendre ce morceau efficace et puissant... sans doute. Je ne sais pas du tout quel est le but de leur version... peut-être un exercice de style... qui est là pour nous montrer tout ce qu'il ne faut pas faire (merci Children of Bodom d'avoir parfaitement rempli ce rôle ingrat). Et encore, ils ne sont même pas les pires... vous vous doutez bien qu'un puissant "tube" classique, des légions de guitaristes metal se sont rués dessus pour le massacrer... il n'y a qu'à cliquer pour tomber sur des versions toutes plus consternantes les unes que les autres sur youtube.  

Children of Bodom - L'Eté (3° mouvement):




Passons sur le kitsch de jouer du baroque sur des guitares hyper-saturées avec le disque en fond sonore... et occupons-nous juste de leur interprétation. C'est plat, mécanique, ils "jouent les notes", et c'est tout. Ils ne rendent même pas cette oeuvre plus "rock'n'roll", puissante ou intense, la version d'Il Giardino Armonico, sur instruments baroques, est, elle, bien plus violente, sauvage, et 10 000 fois plus inspirée que la leur (enfin, manière de parler, parce que 10000x0, ça fait encore 0) :

Il Giardino Armonico - L'Eté (à écouter bien fort) : 




Là, contrairement à Childtren of Bodom, il y a de la musicalité. Et de l'interprétation. Car au fond, il n'y a même pas d'interprétation chez Children of Bodom, on a l'impression qu'ils sont déjà bien contents de jouer les notes justes (la plupart du temps) telles qu'elles ont été écrites sur la partition, point barre. Comme un piano mécanique. Pas de nuances (enfin, juste un bend à la fin...), de vie, de sensibilité, de réflexion, de vision... seulement des doigts qui tentent de se déplacer sur les bonnes cases dans le bon tempo. Mais heureusement, ce n'est pas ça, être musicien. Sinon, n'importe quel robot pourrait devenir un grand interprète (quoiqu'on est maintenant capable de donner à des robots un minimum de sens des nuances, qui leur permettrait de livrer des versions plus "humaines" et subtiles que celle de Children of Bodom). 

Non seulement la version d'Il Giardino Armonico est bien plus nerveuse, sauvage et originale, mais elle est aussi bien plus pertinente et fidèle à l'oeuvre. Car il s'agit ici d'un orage d'été. Il n'y a pas d'orage chez Children of Bodom, puisque tout est joué de manière égale... alors que le travail d'Il Giardino Armonico sur les crescendos, les contrastes, ruptures, est impressionnant. Chez eux, on sent bien ces grandes bourrasques de vent... chez Children of Bodom... rien. Pour leur défense, on pourrait dire que la guitare électrique ne permet pas d'avoir le touché du violon. Certes, mais quel intérêt, alors, d'en livrer une version pour guitare électrique ? C'est aussi absurde que de jouer du Chopin sur clavecin, et d'enlever ainsi toutes les possibilités dynamiques (les variations d'intensité qu'on peut mettre sur les notes) qui sont fondamentales dans ses oeuvres. Pourquoi proposer cette version ? Parce qu'ils aiment le morceau et veulent le jouer ? Dans ce cas, pourquoi l'interpréter en concert comme ils le font, le filmer... suffisait juste de le faire peinard dans sa chambre. Pour montrer que le classique, c'est très laid sur guitare électrique ? Ca, on le sait depuis Malmsteen... Pour dire "on est des peut-être une bande de graisseux, mais on a de la technique, on peut reprendre du classique" ? Et après... Il y a des milliers de gamins dans les conservatoires qui savent jouer du classique... et où est l'essentiel, la musicalité ?

Non, le seul intérêt de cet exemple caricatural et des reprises metal de titres classiques, c'est de bien nous montrer à quel point l'interprétation est un art, et qu'il n'est pas donné à tout le monde. A partir d'une même oeuvre, avec les mêmes notes, on peut faire le pire (les guitaristes metal et apprentis-guitaristes sur youtube) et le meilleur, qui touche au génie par sa musicalité, sa vision de l'oeuvre, comme le font Il Giardino Armonico. Même si les 4 saisons vous sortent par les oreilles, vous ne pourrez qu'être fasciné par la qualité de leur interprétation... 

Mais rassurez-vous, cette série de billets sur l'interprétation ne sera pas constituée chaque fois de reprises metal à deux balles face à de grandes versions, ce serait trop facile, mais plutôt d'interprétations très différentes qui n'en sont pas moins chacune remarquable et pertinente.
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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 12:36
                                          
                                                                




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11 décembre 2008 4 11 /12 /décembre /2008 23:05

Ludwig van Beethoven (1770-1827) - Symphonie n°5 en do mineur (1808)
1er mouvement.

Oubliez toutes les œuvres dont j'ai parlé jusqu'à présent sur ce blog... œuvres qui, d'une certaine manière, sont toutes anecdotiques face à celle-là... Voilà 200 ans pile qu'elle a été créée (sa première audition date du 22 décembre 1808, mais on n'est plus à 10 jours près) et son thème reste un des thèmes musicaux les plus célèbres. Peut-être même le plus célèbre de l'histoire de la musique. On verra dans 200 ans combien d'œuvres actuelles seront encore dans toutes les oreilles...

Bien entendu, le génie de la V° ne s'explique pas simplement par la popularité de son thème... il faut imaginer, quand on connaît les symphonies d'Haydn et Mozart, quand on sait ce qui a précédé, le choc qu'a pu être la découverte de cette symphonie hors du commun. Jamais on n'avait entendu une telle violence en musique (il y a bien quelques pièces pour piano de Beethoven qui n'ont pas grand chose à lui envier de ce point de vue, mais entre un piano et un orchestre symphonique, la différence est de taille). Si cette symphonie reste classique dans la forme, elle est déjà totalement romantique dans l'expression... et même les compositeurs romantiques les plus exaltés qui suivront ne sauront dépasser la puissance et l'intensité de la V° de Beethoven. 

Le mouvement le plus fameux de la V° est bien sûr le premier, celui sur lequel je vais m'attarder... car si tout le monde le connaît, personne (excepté ceux qui l'ont un peu étudié ou écouté en détail) ne le connaît vraiment. 

D'une manière totalement anachronique, on pourrait dire de ce mouvement qu'il est ce qu'il y a eu de plus rock'n'roll dans l'histoire de la musique. Non, ce n'est pas une simple formule pour accrocher les fans de rock, ça se défend... tout d'abord, avec ce célébrissime motif qui ouvre la symphonie on pourrait considérer que Beethoven invente le riff... un thème très bref, très simple, basé sur le rythme, et qui revient de manière obsessionnelle (il apparaît 267 fois dans ce mouvement de 7 minutes !). On le retrouve même, sous diverses formes, dans les 3 autres mouvements de la symphonie (ce qui était tout à fait original pour l'époque et qu'on a appelé un "thème cyclique").
Tout est déjà dans ce motif... 4 notes, dont une répétée 3 fois (donc, 2 notes)... bref, ce que nous dit Beethoven dès les premières mesures, c'est que cette œuvre n'est pas basée sur la mélodie, mais sur le rythme, qu'elle n'est pas là pour faire joli, mais pour remuer... Si Beethoven est le plus grand révolutionnaire de l'histoire de la musique, c'est en partie pour cette raison (et pour beaucoup d'autres que je développerai dans un article sur le sujet) ; après lui, la musique ne sera plus jamais la même... à Schindler (son biographe) qui lui demandait ce que signifiait ce thème, Beethoven a répondu "c'est le destin qui frappe à la porte". Beethoven étant souvent sarcastique avec Schindler, il est fort possible que cette réponse ne soit qu'une boutade (mais elle est restée, on appelle la 5° la "symphonie du destin")... peu importe que ce soit ou non le destin, ce qui est vrai, c'est que ça cogne, ça frappe, comme jamais auparavant... Et je ne vois pas le moindre équivalent en rock, pas de morceau qui ait représenté une claque aussi monumentale que ce premier mouvement de la 5°.
Ce ne sont plus la mélodie et l'harmonie qui priment ici, ce sont le rythme et l'intensité. Dans le premier mouvement d'une symphonie, habituellement, on a un thème assez brillant, énergique, volontaire, puis un 2° plus doux, apaisé (certains les appelaient thèmes masculins et féminins). Beethoven ne déroge pas à la règle... sauf que son premier thème est bien plus énergique et fracassant que ce qu'on avait entendu jusqu'à présent (c'est du rythme, que du rythme), et son 2° (à 0'48), le plus "doux", il ne prend même pas le temps de le poser, c'est de nouveau un motif qui va monter en intensité, qui est là pour servir de légère accalmie avant une nouvelle tempête. Son but n'est pas de plonger d'auditeur dans quelque chose de plus mélodique et plaisant, juste de créer de la tension. 

Dans le développement (de 2'44 à 4'00), un peu plus de repos, de suspension... surtout à la fin... mais ces repos ne sont encore une fois là que pour rendre encore plus frappant et violent le retour du thème (à 4'00). Quand on veut qu'un coup fasse vraiment mal, on ne le porte pas à la suite d'une dizaine petits coups, on endort l'adversaire... et sans crier gare, on assène un grand coup.

Lorsque je disais que personne ne connaît, au fond, vraiment cette symphonie, c'est notamment parce que si tout le monde a entendu le thème ou des extraits de la première partie, peu (dans le grand public et les gens qui ne sont pas fanas de classique) l'ont vraiment écouté en entier. Ce qui est dommage car, à mon sens, le plus génial dans cette œuvre géniale... c'est le final.

A 5'30, on a la fin de la reprise de la première partie... à ce moment, tout le monde s'attend à une conclusion... l'auditeur (et encore plus celui de 1808) est essoufflé, estomaqué par tant de nervosité, de tension, de ruptures, de violence, de puissance... et n'importe quel grand compositeur aurait terminé ou calmé le jeu. Pas Beethoven. Parce qu'il est bien plus qu'un grand compositeur, c'est un génie. Le génie est, par certains aspects, pas si loin du fou... et ce que fait Beethoven ici, c'est... fou... complètement fou... Au lieu de conclure, de détendre, après avoir atteint ces sommets de puissance et de tension... il continue encore à monter. Comme si vous veniez de vous faire bastonner, vous êtes à moitié mort, vous pensez que l'autre en a fini... et le voilà qui revient avec un bazooka (l'image du bazooka, j'en conviens, n'est pas terrible pour une musique aussi sublime que celle-là - c'est pas du
Slayer - mais elle est parlante...)
La tension monte encore d'un cran de manière fracassante, avec un des éléments les plus caractéristiques et novateurs du style de Beethoven : la répétition obsessionnelle de mêmes notes, cette idée de "martèlement" (une sorte de "mitraillette sonore", pour rester dans les métaphores guerrières), bien loin de l'esthétique classique basée sur la retenue, l'équilibre, la mélodie. Suit une magnifique descente, qui s'étend progressivement à tout l'orchestre et crée une sensation de grandeur et d'ampleur peu commune... avant de remonter et d'aboutir à un nouveau motif cette fois ascendant... mais là, les mots manquent pour décrire la puissance dramatique qui s'en dégage (fou, génial, sublimissime, monstrueux... on ne sait plus trop). Enfin, Beethoven conclut cette fois pour de bon en nous laissant reprendre notre souffle quelques secondes avec quelques jeux de question-réponse entre les différents pupitres... avant l'exceptionnel coup de grâce. 

Bien sûr, vous avez tous déjà entendu ce mouvement, ce "thème du destin" vous est familier... mais il est indispensable de la réécouter... car, comme l'a écrit Boucourechliev (compositeur et auteur d'un ouvrage de référence sur Beethoven) :  "Aujourd'hui encore, le plus blasé des auditeurs qui se donne le chic d'éviter la Cinquième aux concerts du dimanche, lorsqu'il se trouve face à elle, n'y résiste pas, en est transfiguré. Pour tous et par delà les époques et les pays, la Cinquième est devenue le symbole de l'appartenance à une communauté spirituelle : voici notre musique". De plus, l'interprétation qui suit de Karajan est inégalable...

A écouter attentivement (et plutôt deux fois qu'une... et avec le volume à fond), en gardant à l'esprit ces notions de tension, de nervosité, de rythme, d'obsession, de puissance, qui n'ont jamais été autant auparavant sublimées en musique... et toujours pas vraiment dépassées deux siècles plus tard :

 

 

 

Biographie de Beethoven sur Wikipedia

Site sur Beethoven

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