Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Recherche

Playlist 2024

Classements d'albums

3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 17:38

jim-morrison-5.jpg

J’avais écrit un article sur les 40 ans de 1967, année où est notamment sorti le premier album des Doors, et, alors que j’ai l’impression que c’était hier (l’écriture de cet article, pas 1967) voilà déjà qu’on en est aux 40 ans de la mort de Morrison. Il n’a donc suffit que de ce court laps de temps, il y a 4 décennies, pour que les Doors sortent 6 albums et deviennent une des références majeures de l’histoire du rock. Je ne vais pas me lancer dans un hommage à Morrison, c’est déjà fait ici, mais plutôt m’arrêter sur la question de la durée de vie des groupes phares de l’histoire.

 

S’il y a bien une chose qui me gonfle dans les discours des groupes rock et pop actuellement, c’est le fameux « pour nous, ce qui compte, c’est de s’inscrire dans la durée ». Le rock demande maintenant à ce que l’on fasse des « plans de carrière » ? Leur but est de devenir des fonctionnaires du rock ?

 

Pourtant, les groupes rock emblématiques ont en général duré assez peu, rarement plus de 5 ans à partir de la sortie du premier album :

 

The Sonics : 4 albums en 3 ans

The Doors : 6 albums en 4 ans (parce qu'il faut bien compter The Soft Parade, cf. commentaires) 

The Velvet Underground : 4 albums en 3 ans (parce que Squeeze, ça ne compte pas…)

The Stooges : 3 albums en 4 ans

MC5 : 4 albums en 4 ans

The Sex Pistols : 1 album

The Clash : 5 albums en 5 ans (parce que Cut the Crap, ça ne compte pas…)

Television : 2 albums en 2 ans

Joy Division (en excluant Warsaw) : 2 albums en 2 ans

The Smiths : 4 albums en 3 ans

The Pixies : 5 albums (si l’on compte Come on Pilgrim) en 4 ans

Nirvana : 5 albums en 5 ans

 

Ensuite, il y a bien entendu tous ces groupes qui continuent, mais auraient mieux fait d’arrêter. Une période de grande créativité et d’inspiration qui dure autour de 5 ans, puis une longue et lente agonie (artistique, pas forcément commerciale). D’autres qui publient quelques albums importants sur une courte période, puis leurs membres se lancent dans différents projets, et reviennent de temps en temps avec un nouvel album du groupe (Suicide, c’est surtout 2 albums en 3 ans… voire surtout un album). Ou qui ont eu une existence un peu chaotique, comme Love, avec 3  albums en 2 ans. Puis le groupe se disloque, et Arthur Lee sortira encore 3 albums en 2 ans avec un nouveau Love, puis rien pendant 5 ans, et un dernier album pour conclure. Roxy Music, c’est avant tout 5 albums en 3 ans, puis un arrêt, une reformation et un nouveau Roxy Music plus commercial (3 albums en 5 ans).

 

Enfin, il y a quelques exceptions. Les Stones ont tenu 8 ans avant de faire vraiment de la merde, les Beatles 7 avant de se séparer. Très rare sont les grands groupes rock qui sont restés une dizaine d’années ou plus en gardant un certain niveau de qualité. Led Zep et les Who, par exemple, même si sur la fin ils étaient loin de leur niveau des débuts (surtout les Who). Ou Sonic Youth, étonnant modèle de longévité rock. Les Talking Heads ont tenu une dizaine d’années, de 77 à 88, mais de 80 à 83, ils ont mis le groupe de côté. Sinon, il faut plutôt chercher vers des groupes qui privilégient l’expérimentation et ont ainsi pu tenir plus longtemps que la moyenne avant de n’avoir plus rien à dire (Can, Pink Floyd, King Crimson, Radiohead).

 

Si l’amour dure 3 ans, le groupe rock, lui, excède rarement les 5… Pour faire une carrière intéressante, mieux vaut la jouer solo. On trouve là des artistes qui ont su rester plus longtemps à un bon niveau. Dylan, Scott Walker, Zappa (un peu bizarre de le classer dans des artistes “en solo”, mais il est tout de même le leader absolu de ses formations), Neil Young, Bowie, Tom Waits, Springsteen, Nick Cave, PJ Harvey (pas tous, évidemment, Hendrix et Joplin se sont vite brûlés les ailes). Lorsqu’on est le seul maître à bord, pas de querelles d’ego qui plombent le groupe. Après tout, le rock n’a pas grand-chose de démocratique, il s’agit d’un individu ou d’une petite bande d’individus en évidence sur une scène devant une foule d’adorateurs qui scandent à l’unisson leur nom et leurs slogans. Mais qu’est-ce que je raconte… c’est aussi ça, la démocratie, des politiciens qui haranguent des foules d’adorateurs qui scandent à l’unisson leur nom et leurs slogans…

 

Bref, si le rock était un sport, ce ne serait pas un sport d’endurance, mais de vitesse. Frapper vite, fort, quitte à ne pas tenir la durée, l’important est de marquer les esprits.  

 

Voilà peut-être une des raisons pour laquelle le rock peine depuis plus d’une décennie à se renouveler, à inventer de nouveaux courants… à l’origine du rock, l’esprit des 50’s et 60’s, c’était « vivre vite mourir jeune », « hope I die before I get old »… on débarque, on casse la baraque, et on explose en plein vol (au sens propre pour Lynyrd Skynyrd). Maintenant, c’est plutôt vendre suffisamment d’albums pour ouvrir un compte épargne et faire carrière. On nous rabat les oreilles avec le fameux « ¼ d’heure de célébrité » de Warhol depuis l’arrivée de la télé-réalité, conneries en ce qui concerne la télé-réalité musicale, les chanteurs de karaoké qui y participent ne cherchent pas le ¼ d’heure de célébrité, ce qu’ils veulent et répètent à foison, c’est faire carrière, apprendre le métier, travailler sérieusement…

 

Le rock était un état d’esprit, c’est devenu un métier. Paraît qu’il y a même des rockeurs qui pestent contre les jeunes qui téléchargent leurs albums… Le rock sentait le souffre, il sent la naphtaline. C’était un bras d’honneur au système, il est devenu un système ronronnant qui mériterait bien qu’on lui fasse un bras d’honneur.

 

On pourra toujours me taxer de « vieux con nostalgique » (d’une époque que je n’ai pas connue), mais faut pas se leurrer, le rock n’a plus grand-chose de rock’n’roll… le rap l’a remplacé de ce point de vue, mais il n’est plus tout jeune non plus… il va encore falloir attendre pour que naisse à nouveau quelque chose de vraiment excitant. Lorsque des Madonna dans les 80’s ou Lady Gaga actuellement deviennent des icônes, c’est que le rock va mal. C’est l’esprit foutraque, libertaire et sulfureux du rock qui s’essouffle et se fait piquer la place par des « artistes » pop aux provocations et excentricités aussi kitsch et calculées que leurs risibles chorégraphies mécaniques. Du grand spectacle sans âme et faussement subversif…

 

Jim, reviens, ils sont devenus sages ! Enfin non, Jim, reste où tu es, si tu voyais tes anciens complices chercher à fermer le « bar du roi Lézard », énième preuve du fait que les rockeurs vieillissent très mal, tu retournerais fissa dans ta tombe…

 

En complément, mon article sur Jim Morrison 

 

Partager cet article
Repost0
25 juin 2011 6 25 /06 /juin /2011 14:00

Ninja Tune   23/05/2011

amon-tobin-isam.jpg

Vous m’avez fait peur. Vous m’avez fait peur, parce que plusieurs parmi vous sont venus me dire que le nouveau Tobin était vraiment décevant, voire raté. Et si le génial Amon Tobin se met à sortir des albums médiocres, l’électro est mal barrée. Fort heureusement… vous aviez tort. Ce nouveau Tobin est, comme à chaque fois, un très bon cru. Une suite logique et pertinente dans son évolution esthétique. Un album qui est à la fois dans la lignée des expérimentations de Foley Room, et qui lui permet de se renouveller encore (ma seule réserve est sur la fin de l'album). Avec Foley Room, la démarche, comme je l’expliquais ici, se rapproche de celle de la musique concrète par le travail sur des « bruits du réels », ce qu’il continue de faire sur ISAM, en utilisant de nouveaux instruments pour les synthétiser. Exit le breakbeat, le groove, l'électro-jazz et les samples. Tobin explique notamment :

 

*                               I love the idea of playing futuristic non existent instruments built a high level of detail in their construction but playing them actually quite badly : ) (J’aime l’idée de jouer d’instruments futuristes qui n’existent pas, construits de manière très détaillée, mais joués assez mal)

Et, pour devancer les critiques : anyone looking for jazzy brks should look elsewhere at this point or earlier : ). it's 2011 folks, welcome to the future. (tous ceux qui recherchent des breaks jazzy devraient regarder ailleurs ou en arrière :) On est en 2011, les gars, bienvenue dans le futur.)

 

 

Il est vrai que ce nouveau Tobin coule moins facilement que ses précédents albums, il est beaucoup plus déstructuré, demande une écoute plus attentive et quelques efforts de concentration de la part de l’auditeur pour parvenir à le saisir. Mais sa musique n’est pas pour autant que pure intellectualité ou abstraction, elle reste sensuelle, un plaisir sonore peu commun pour qui accepte de s’y abondonner. Une chronique argumentée pour faire apprécier cet album me semble assez vaine, l’essentiel, c’est de l’écouter bien fort et de se régaler de la luxuriance sonore de cette nouvelle œuvre du sorcier électro. Le paradoxe de cet album, dans la lignée du travail entrepris depuis Foley Room, c’est qu’il faut s’accrocher un peu plus que d’habitude pour s’abandonner réellement. Un plaisir sonore qui se suffit déjà à lui-même, mais, puisque sa musique est aussi instinctive et aventureuse que technique, sensuelle que cérébrale, pas de raison de se priver non plus des quelques explications que donne Amon Tobin qui, sur Soundclound, commente brièvement l’album au fil des minutes. Pour que ce soit plus lisible que sur le site, je vous les propose ici, avec l’écoute de l’album :

 

'ISAM' - Full album with track-by-track commentary from Amon Tobin by Amon Tobin

 

 

Amon Tobin :

0 :17 : this track starts with what I imagined might be a large discarded machine powering up slowly after years of disuse. the machine is from the future of course but is still old.

1:08 : I tried to set a contrast between advanced futuristic sound and clunky dust covered mechanisms throughout this record.

 2:20 : I didn't want to use any drums in this album. this section required it though. they are still not "real drums" which satisfied at least in part my desire to make an album of 'made up' instruments that don't exist in the real world.

 4:44 : this section is heavily influenced by bands like pink floyd who weren't afraid to explore tangents and offshoots in their musical arrangements. it is shamelessly self indulgent and driven by an emotional desire to go off track without feeling compelled to return at all.

 6:26 this track is made up mainly from my own voice and the chair in my studio which creaks allot. I analysed the sounds and built small working engines from them that react to pressure to control rates of revolution. paper was also harmed in various ways.

08:16 voice engine decides it's got ideas of it's own and leaves to create a new life for itself which I encourage in the final section.

9.37 this is nothing but sound porn. granular and spectral synthesis applied to a range of sounds less than half a second long.

9.26 this is not a real whistle :)

10.09 pretty straightforward synths in the low frequencies although allot of the texture in the higher ranges are morphed against the previously mentioned granular and spectral analysed sounds.

11.02 my own vocals synthesised and gender modified here.

12.25 taking influence from great modern day producers such as noisia and spore in this track.

13.47 not everything on the record is built from nothing. the main sound in this track is easily found. this isn't a concept record after all.

14.09 I was looking for a sort of calm violence like controlled explosions that can be shaped into prolonged tones. like a tesla coil thermion or something..

14.29 sometimes you need space for a few elements to reach their full potential. I wanted this track to be simple and still full without clutter. a simple melody call and response.

14.50 actually I'll let TwoFingers clutter this up with beats on the remix : )

15.46 these strings are acoustic modeled synth played from the continuum fingerboard. there are no samples on this album.

15.10 I want this to feel hand made despite being electronic. so timing is imperfect and sounds are rough around the edges.

16.45 My own vocals analysed and gender modified.

18.59 this is where I imagine the hatch being lifted on the torso of the westworld robot and technology shows itself as the true driving force of all you are experiencing. nothing is real, it's all computers. even the old man playing wonky banjo in the corner.

21.10 all sounds are treated with objectivity on this record. my voice is up for grabs as much as my chair or my synths.

22.03 so here we have the first of two imaginary characters I've featured on the album. I performed the vocals which were then synthesised and turned into a female.

23.17 mass and spring is based on acoustic modelled 'made up' string instruments that behave very strangely when played due to the conflicting physical properties I've assigned to them.

24.50 no samples featured on the album instead sythesised instruments are combined with multi-sampled instruments all of which are playable.

26.16 I love the idea of playing futuristic non existent instruments built a high level of detail in their construction but playing them actually quite badly : )

27.30 this track is influenced by early electronic pioneers. there is a human emotion that is all the more palpable when expressed through a synthesisers limited range. sad robot syndrome. if a piano played this it would be sentimental.. perhaps it still is a bit.

29.31 the one fingered synthetic westworld banjo player returns. robots from the future are highly advanced but quite naive.

29.50 here's the second made up character vocalist on the record. this time she's supposed to be older and has an american twang like some folk singer.

30.53 probably best to ignore the words.. they are pretty silly and more of a necessary biproduct of the experiment with synthesising vocals to create convincing characters.

33.37 this is what my son sounds like just before I put him to bed. it's a fierce cry and very defiant.

37.30 grains and fragments cluster together to make something that resembles a beat.

38.01 fragments disassemble and they fall apart again.

45.09 so now we have a melting pot of various elements and techniques employed throughout the album. electronics, vocal synthesis etc.etc.

45.55 influences from tom waits to the sgt. pepper album to frank zappa all in an ultimately electronic context.

50.00 ATHQ & Ninja Tune - thanks for listening! To buy a download of ISAM, or pick up a limited edition photobook/CD or 12" please go to: http://bit.ly/DOWNLOADISAM

 

Et quelques réponses aux questions que se posent les auditeurs sur son site.

 

A chaque album, Amon Tobin semble combler toujours un peu plus le gouffre qui sépare la musique « populaire » de la musique savante contemporaine. D’ISAM à l’IRCAM. Expérimentations, richesse et strates sonore, travail acousmatique couplés à ce qui est souvent un grand oublié de la musique contemporaine : le plaisir...  

 

Précédentes chroniques d'albums d'Amon Tobin : Permutation , Out from out where et Foley Room

La fiche d'Amon Tobin (avec tous ses albums en écoute)

 

 

  

Partager cet article
Repost0
16 juin 2011 4 16 /06 /juin /2011 17:49

« Quel est le mauvais goût en matière de musique classique ? On parle souvent de Tchaikovsky ou de Rossini comme étant du classique bas de gamme. Quels sont les autres compositeurs que l'ont peut mettre dans cette catégorie? Rachmaninov aussi ? Quelles en sont les raisons? »

 

Cette question de Pietro, ici, m’a donné envie d’écrire un article sur le sujet.

 

Lorsque j’ai commencé à fréquenter des gens dont le milieu musical de base était « classique », j’ai été surpris par leur fréquent mauvais goût en matière de pop et de rock. Et lorsque je suis revenu à mon milieu musical d’origine, le rock, j’ai aussi été étonné de voir à quel point des fans de rock adultes, exigeants avec leur genre de prédilection pouvaient avoir volontiers mauvais goût dans le domaine classique. La raison est en fait très simple et ne tient pas qu’à un manque de culture dans d’autres genres musicaux que le leur ou une méconnaissance des codes ; les uns comme les autres n’attendaient pas du tout la même chose de ce style différent de leur style de base, ils l’écoutent souvent comme un « divertissement ». Des amateurs de classique qui attendent du rock des mélodies faciles et des rythmes entraînants, des amateurs de rock qui attendent du classique de belles mélodies et harmonies…

 

La question du mauvais goût en musique classique est souvent posée à propos de l’interprétation. Par exemple, une mélodie romantique touchante qu’un interprète va charger d’effets maniérés, la faisant passer de « sensible » à « dégoulinante »… Mais elle l’est moins en ce qui concerne la composition.

 

Si, en matière de pop, rock, chanson, il est très facile de citer des tas d’artistes « de mauvais goût » (Céline Dion, Johnny, Lady Gaga, Abba etc, la liste est trop longue pour tenir dans un article), c’est moins le cas pour le classique où le temps a fait son œuvre, et les compositeurs les plus célèbres sont le plus souvent admis comme les plus remarquables de l’histoire. Il serait d’ailleurs difficile de citer un compositeur comme « emblème du mauvais goût classique », soit il a été oublié, soit… tout n’est pas à jeter non plus chez lui. Il n’y a pas vraiment de compositeur classique qui soit un « repoussoir » comme les chanteurs de varièt’ à succès peuvent l’être pour des amateurs pointus de rock et de pop. Mais il y  a tout de même des compositeurs très critiqués chez les mélomanes. Plutôt que de les lister, il me semble plus intéressant de partir des raisons de ce mauvais goût demandées par Pietro, en se basant sur plusieurs exemples.

 

- Le décalage entre le succès public et l’importance dans l’histoire de la musique. Le Canon de Pachelbel, les Valses de Strauss ou l’Adagio d’Albinoni, c’est bien joli (et encore), mais un peu « léger », aussi… Les spécialistes de la musique classique ne sont pas – pour la plupart – des snobs méprisant tout ce qui a du succès, ils admirent des œuvres parmi les plus célèbres et appréciées du « grand public », tels les symphonies n° 5 et 9 de Beethoven, le Requiem, le Don Giovanni ou la Flûte Enchantée de Mozart, la Symphonie Fantastique de Berlioz, la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach, les Préludes et Nocturnes de Chopin etc. Parce que ces œuvres sont de vrais chefs-d’œuvre, des œuvres importantes, décisives… Ce qu’ils n’aiment pas, ce sont ces « tubes classiques » un peu faciles de compositeurs plutôt anecdotiques (Les Planètes de Gustav Holst). C’est aussi en partie à cause de ce décalage qu’un Tchaïkovsky est souvent méprisé (lui préférer son contemporain et compatriote Moussorgsky, beaucoup plus original) : il est aussi connu et apprécié qu’un Mozart ou Beethoven par le grand public, mais il n’est pas de leur niveau. Sans les Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Liszt ou Wagner, la musique n’aurait pas été la même… mais sans Tchaïkovsky… ça n’aurait pas changé grand-chose.

 

 -         Retard, régression et académisme. J’aime beaucoup Rachmaninov, mais il compose dans un style romantique très proche de celui de Liszt et Chopin… à une époque où, entre Debussy et Schönberg, on est déjà passé à autre chose. Il n’est même pas dans un post-romantisme mahlerien, mais dans un romantisme plus traditionnel, avec plusieurs décennies de retard (on pourrait tout de même légèrement nuancé, par son emprunt au folklore russe, certains passages limite impressionnistes). Les grands compositeurs influent sur le cours de la musique, ce sont des innovateurs, des visionnaires, pas des nostalgiques au regard perdu dans le passé. Ils bousculent les codes, inventent, osent et refusent l’académisme (lorsqu’on parle d’académisme en musique, on fait d'ordinaire référence à Saint-Saëns…)      

 

 -         Mièvrerie, lourdeur, boursouflure. On touche là à des choses assez subjectives… Le romantisme cherche l’expression des sentiments, même outranciers, c’est un art de l’excès… le romantisme serait de « mauvais goût » ? Non, évidemment. Le problème n’est pas l’excès, il est d’en faire des tonnes quand il n’y a rien derrière. Pour prendre un exemple plus parlant et actuel, le mauvais goût dans le cinéma, ce sont notamment ces blockbusters sans intérêt, bourrés d’effets spéciaux, de scènes spectaculaires et de cette horrible 3D. Rien de comparable lorsqu’on parle des grands compositeurs romantiques. De l’excès, certes, mais avec toujours de la profondeur. L’excès pour repousser les limites, l’excès comme « dévoilement ». Le but n’est pas d’en mettre plein la vue, de jeter de la poudre aux yeux, bien au contraire… Il n’y a pas de « mauvais goût » dans la virtuosité pianistique d’un Chopin, parfois critiqué en son temps parce qu’il se consacrait exclusivement au piano (jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il était un des plus grands novateurs de la musique de la première partie du XIX°). Si l’on veut trouver du mauvais goût dans l’excès de virtuosité, ce serait plutôt chez Paganini. Ce fameux violoniste qui fascinait les foules par sa vitesse d’exécution hallucinante, mais dont les œuvres n’auront vraiment pas marqué l’histoire. Dans le mauvais goût de l’excès au XIX°, on pourrait aussi parler de ces grands opéras historiques français, très pompeux, ou certains opéras italiens assez creux qui misent tout ou presque sur la virtuosité vocale, le « bel canto ». Chez les compositeurs d’opéras fin XIX° début XX°, Puccini a aussi été accusé de « mauvais goût », par son côté parfois trop « tire-larmes »… Si vous n’aimez pas les épanchements et violons larmoyants, évitez Puccini… dommage, tout de même, de se priver de Tosca, Turandot, La Bohème ou Madame Butterfly… Autre compositeur que l’on pourrait considérer comme souvent de « mauvais goût », l’anglais Ralph Vaughan Williams. Jolies mélodies un peu simplistes, sentimentalisme, manque d’innovation…  

 

 -         Simplisme. Pour la musique "savante" qu’est le classique, richesse, profondeur et complexité sont des critères importants. Ce n’est pas la complexité et la richesse qui font la qualité d’une œuvre, mais leur absence est en général un défaut. Voilà pourquoi il a fallu du temps pour que Satie soit vraiment pris au sérieux (en même temps, le compositeur des Préludes Flasques pour un Chien, d’Embryons desséchés et Trois Morceaux en Forme de Poire ne se prenait lui-même pas vraiment au sérieux). Sa musique semblait trop simple… puis on a réalisé qu’il avait tout de même apporté une pierre importante dans la musique classique, et une esthétique qui aura eu son influence. La richesse d’une œuvre n’est pas uniquement dans son écriture, son instrumentation, elle est aussi dans sa nouveauté, son audace, sa pertinence… Parmi les pièces très simples qui ont eu un grand succès, impossible de ne pas citer le célébrissime O Fortuna des Carmina Burana de Carl Orff. Très efficace, c’est certain, mais bien trop facile, voire « bourrin », pour les mélomanes les plus raffinés. La musique minimaliste ne fait elle toujours pas non plus l’unanimité. Certes, elle a amené quelque chose de relativement nouveau, mais bon nombre d’esthètes considèrent qu’elle est surtout une forme de régression… à la limite du foutage de gueule… Pour beaucoup, la musique de Philip Glass en particulier est vraiment de l’ordre du « mauvais goût ». Même genre de critiques sur les compositeurs néo-classiques de la fin du XX° (de l’est, le plus souvent), tels Arvo Pärt ou Gorecki. Au lieu de continuer à avancer, expérimenter, ils cèdent un peu trop facilement aux attentes du « grand public ». Peut-être n’a-t-on pas encore le recul nécessaire pour juger de la pertinence ou non de ces genres, assez récents… l’histoire tranchera, comme elle a tranché pour Mahler, dont la Marche funèbre de sa première symphonie pouvait être considérée à l’époque comme du pur « mauvais goût », comme je l’expliquais ici, et, heureusement, l’histoire a donné raison à Mahler…

 

Si vous aimez plusieurs des compositeurs cités dans cet article, rassurez-vous, vous n’avez pas forcément mauvais goût en matière de classique (d’ailleurs, j’aime bien la plupart de ces compositeurs). Avoir un « mauvais goût classique » n’est pas tellement lié au fait d’aimer tel ou tel compositeur, peu sont vraiment « honteux », les plus grands chefs et interprètes ont joué leurs œuvres. Le vrai mauvais goût, c’est plutôt de surévaluer certains compositeurs de second plan. Ce n’est pas d’aimer Tchaïkovsky, mais d’en faire l’égal d’un Bach, un Beethoven ou un Wagner. Tout comme, en rock, vous pouvez apprécier Dire Straits ou Queen, tant que vous ne les mettez pas au niveau des Beatles ou du Velvet. Le mauvais goût, c’est manquer de sens esthétique, placer le plaisir « sucré » de jolies mélodies au-dessus de tout le reste, considérer la musique comme un bête divertissement qui n’a rien de plus à vous apporter qu’un petit plaisir sympathique et vaguement insipide. Vous pouvez être un grand connaisseur en matière de rock, si vous déclarez que vos groupes favoris sont Police, Supertramp et Dire Straits, on se dira forcément que votre rapport à la musique reste très superficiel, votre conception du rock trop mollassonne… ce qui équivaut, en classique à dire que vos compositeurs favoris sont Johann Strauss, Tchaïkovsky et Rossini.

 

Quel serait le comble du mauvais goût en classique ? Vous remarquerez tout d’abord que j’ai réussi jusque-là à ne pas citer une seule fois André Rieu et Clayderman (en même temps ce ne sont pas des compositeurs… et de toute façon, ils sont hors-catégorie). A mon avis, ce serait à la question « qu’est-ce que vous aimez dans la classique ? », répondre ainsi :

« Ralph Vaughan Williams est le compositeur que je trouve le plus fascinant. Et parmi les compositeurs les plus illustres de l’histoire, Tchaïkovsky est celui que je préfère. Mon œuvre favorite est le Beau Danube Bleu. Juste devant la Marche Triomphale d’Aïda de Verdi et les Carmina Burana de Carl Orff. J’aime pas vraiment Beethoven… sauf la Lettre à Elise, son chef-d’oeuvre. Et dans la musique de piano, j’aime bien le Liszt des débuts, mais je trouve que sa musique devient ensuite de moins en moins intéressante. »       

 

Transposé au rock, cela donnerait « Muse est mon groupe favori. Et parmi les plus groupes les plus illustres de l’histoire, c’est Police que je préfère. Ma chanson favorite est One de U2. Juste devant We are the Champions de Queen et Jump de Van Halen. J’aime pas vraiment les Beatles… sauf Ob-la-di Ob-la-da, leur meilleure chanson. Et j’aime bien le Radiohead de Pablo Honey, mais après, je les trouve de moins en moins intéressants. »

 

Que faut-il donc privilégier pour ne pas se faire taxer de mauvais goût en matière de classique ? Tout simplement les compositeurs les plus importants de l’histoire : Monteverdi, Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Schumann, Liszt, Wagner, Mahler, Debussy, Stravinsky, Ravel, Bartok… pour citer des compositeurs qui restent accessibles, ce qui est moins le cas des musiques du Moyen Age et de la Renaissance, ou des musiques atonales modernes. Mais même chez les plus grands génies de l'histoire de la musique, vous trouverez, parfois, quelques oeuvres ou passages un peu limite... 

 

Dans un prochain article, je vous donnerais quelques exemples de musiques classiques à mon sens de "mauvais goût".

 

Et pour finir, cette belle citation de Stravinsky, à méditer : L'idéal, c'est le bon goût. Le mauvais goût, c'est encore très bien. Le pire, c'est l'absence de goût.

 

Partager cet article
Repost0